Xénophobie et racisme: le Ku Klux Klan

Croix enflammée du Ku Klux Klan (Archives de la Saskatchewan)

Le Klan naît au Tennessee en 1866, au terme de la guerre de Sécession. Un groupe de jeunes gens décide de former un club social – un Kukloi, c'est-à-dire «cercle» en grec – pour s'occuper durant les longues soirées; on ajoute le mot «clan» pour compléter l'allitération et le nom devient Ku Klux Klan. On adopte un costume fait d'une longue tunique blanche et d'un capuchon pointu qui couvre complètement le visage. Mais ce qui était au départ un club de jeunes gens désoeuvrés se transforme vite en bandes de cavaliers sauvages qui prétendent lutter pour la pureté raciale et le respect des valeurs fondamentales de l'Évangile. L'anonymat que leur accorde le capuchon les incite aux pires excès; ils massacrent plusieurs Noirs ainsi que des Blancs qui entravent la reprise du pouvoir par l'ancienne aristocratie terrienne. En 1871, le Congrès américain vote les lois qui mettent un terme aux activités du premier Klan. Le Klan renaît pourtant de ses cendres en 1915 et il se répand comme une trainée de poudre, autant dans les états du Nord que du Sud. En 1923, «l'Empire Invisible» compte trois millions de membres et s'étend outre-frontière, d'abord à Montréal, puis en Colombie-Britannique, aux Maritimes, en Ontario et finalement dans les Prairies.

L'habit de femme du Ku Klux Klan (Archives de la Saskatchewan)

C'est en novembre 1926 que trois Américains s'installent en Saskatchewan pour recruter des membres. L'un d'eux, H.F. Emmons, personnage méprisable mais orateur de talent, envoûte les foules qui accourent pour l'entendre tonner contre les immigrants de l'Europe continentale et les franco-catholiques. L'argent des cotisations rentre à pleins paniers, mais comme le Klan ne possède pas de charte provinciale, ses organisateurs ne sont pas tenus d'exposer leur comptabilité aux regards des vérificateurs. Les membres commencent à grommeler et, sentant la soupe chaude, les Américains lancent une dernière grande campagne de recrutement avant de filer à l'anglaise avec tous les fonds, plus de 100 000 $, une somme faramineuse à cette époque. Emmons sera plus tard acquitté par deux fois d'une accusation d'escroquerie.

Les membres du Klan se réunissent en congrès provincial en octobre 1927 afin de réorganiser le conseil provincial et d'élire un nouveau chef, J.W. Rosborough. Ce dernier s'adjoint un recruteur américain du nom de Hawkins et les listes de membres continuent de s'allonger. Il y a bientôt une centaine de cercles dans tous les coins de la province, autant au Nord qu'au Sud. En mai 1928, le Klan tient une grande réunion publique à Regina, au cours de laquelle les orateurs dénoncent les uns après les autres l'attitude du gouvernement provincial à l'égard des immigrants européens, des catholiques et de la population de langue française. La soirée se termine par un spectacle saisissant, une croix de feu de 25 mètres de hauteur.

Contrairement à un parti politique qui doit justifier ses paroles et ses actes, le Klan ne s'embarrasse pas de scrupules: il affirme n'importe quoi, laissant à ses adversaires la tâche difficile et souvent même impossible de se dépêtrer d'un tissu de mensonges. Ainsi, le Klan soutient que les franco-catholiques complotent pour franciser et convertir au catholicisme les petit anglo-protestants en établissant des écoles confessionnelles un peu partout dans la province. À la vérité, sur les 4776 districts scolaires de la province, à peine 31 sont des districts séparés et de ce nombre, 8 sont des écoles protestantes établies dans des régions à majorité catholique. C'est donc dire que 23 arrondissements, soit moins de un demi p. 100, sont franco-catholiques.

Le pouvoir et l'influence du Klan continuent de croître. Ainsi, au début de 1928, quelques parents protestants de l'arrondissement scolaire de Gouverneur décident de garder leurs enfants à la maison plutôt que de les envoyer à une école où l'on enseigne, à leur dire, trop de français. Cinq d'entre eux sont alors accusés d'avoir enfreint les lois sur la fréquentation scolaire; l'avocat qui se porte à leur défense, J.F. Bryant, est un sympathisant du Klan, et il deviendra plus tard ministre dans le gouvernement conservateur de J.T.M. Anderson. Les deux juges de paix devant lesquels se déroule le procès sont également membres du Klan et ils rejettent sans formalité l'acte d'accusation.

L'Association catholique franco-canadienne de la Saskatchewan lutte de toutes ses forces contre le Ku Klux Klan. Au printemps de 1928, des membres du Klan traînent devant les tribunaux deux commissaires de l'école de Moose Pond, à Verwood, sous l'accusation d'avoir permis l'enseignement d'un plus grand nombre d'heures de français que prévu au programme scolaire. Dans un éditorial du Patriote de l'Ouest, le président de l'Association, Raymond Denis, expose la situation aux lecteurs franco-canadiens:

«Aux États-Unis, ils ont volé, ils ont pillé, ils ont assommé, ils ont assassiné. Ici, ils n'en sont pas encore rendus là, et dans leurs exploits, ils se sont contentés de briser la nuit les portes de certaines de nos écoles pour en enlever le crucifix.

«Ils savent que nos commissaires ne sont pas riches et ils espèrent par des procès longs et coûteux, créer dans nos districts la panique, la peur. C'est ainsi qu'ils s'acharnent depuis plusieurs mois sur l'un des districts de la paroisse de Verwood.

«Dans ce district, même avec des commissaires étrangers à notre race, il s'enseignait du français. Évidemment, c'était du français de Toronto, enseigné par une anglaise, mais enfin par leur geste les commissaires étrangers reconnaissaient l'importance de l'enseignement du français dans cette province. Il est vrai qu'alors le Ku Klux Klan n'existait pas.

«Cette année, avec deux commissaires canadiens, le district engage une institutrice canadienne, et tout de suite voilà des difficultés, voilà des poursuites. On porte plusieurs accusations qu'on retire ensuite. Ce qui reste ne tient pas debout; mais ça ne fait rien, c'est assez pour embêter les commissaires, pour leur faire peur et d'ailleurs le juge qui doit siéger dans la cause est membre du Ku Klux Klan (le juge de paix Gunsen dont le nom paraît effectivement sur la liste des membres du Klan).

«Mais les nôtres se défendent, ils demandent la disqualification du juge, et depuis trois ou quatre mois que ça dure, il n'y a pas encore de jugement de rendu. Seulement, il y a déjà au-dessus de $500 de frais; et c'est là-dessus que nos adversaires comptent.

«Perdre ou gagner, peu importe. Ce qu'ils veulent, c'est effrayer nos commissaires, non pas seulement à Verwood, mais dans toute la province, en suspendant au-dessus de leurs têtes, cette menace constante de poursuites toujours possibles.

«Il faut montrer à nos adversaires, qu'ils portent des capuchons la nuit ou qu'ils n'en portent pas, qu'ils ont manqué leur effet, parce que nos districts d'écoles sont solidaires les uns des autres. Lorsqu'un district est attaqué, tous le sont par le fait même et tous ont le devoir de concourir à le défendre. Il faut que le Ku Klux Klan sache que nous sommes tous unis, et qu'en nous attaquant, il perd royalement son temps.»

Les commissaires gagneront finalement leur procès, mais seulement après plusieurs appels en cour; il faudra une campagne de souscription publique pour amasser l'argent nécessaire afin de payer les avocats et les frais.

À l'approche des élections de 1929, le Klan redouble ses attaques. Il réclame l'abolition des écoles séparées et la mise sur pied d'un seul système d'écoles publiques où l'enseignement serait entièrement en anglais. Il exige aussi que cesse immédiatement l'immigration d'Européens du centre et du sud, commodément mis en tas sous la rubrique de «catholiques». Il insiste pour que le gouvernement provincial refuse d'accepter le contrôle des richesses naturelles en contrepartie de garanties sur le financement des écoles séparées, tel que proposé par Ottawa. Il demande enfin la tenue d'une enquête publique sur la corruption au sein du gouvernement, notamment en ce qui a trait à la vente de l'alcool.

Même si les Libéraux remportent le plus grand nombre de sièges à l'Assemblée, ils sont bientôt forcés de céder la place à une coalition de Conservateurs et de Progressistes; les mesures vexatoires sur l'enseignement de la langue et de la religion ne tardent pas. Elles se conjuguent aux effets de la sécheresse et de la crise économique; c'est l'heure la plus sombre de l'histoire de la minorité franco-catholique.

Mais, paradoxalement, alors même qu'il semble être à l'apogée de sa puissance, le Ku Klux Klan est déjà moribond. Plusieurs pasteurs, notamment de l'Église unie, dénoncent publiquement la campagne de haine fomentée par le Klan. Ses réunions attirent de moins en moins de membres et de curieux, ses débats publics ne mettent plus en lice que des orateurs de second rang et il devient progressivement plus difficile de trouver des personnalités en vue pour prendre la direction des différentes loges. On sait aussi s'opposer d'une façon un peu plus... physique, comme le rapporte Le Patriote de l'Ouest en novembre 1929 :

«Plusieurs personnes ont été blessées dans une bagarre avec des membres du Ku Klux Klan, lorsque ceux-ci essayèrent de brûler une croix à Hudson Bay Junction. On fait rapport de l'affaire actuellement pour l'envoyer au procureur général à Regina.

«L'incident a eu lieu lors d'une assemblée où devait parler J.W. Rosborough, Grand Sorcier impérial du Ku Klux Klan, alors que des membres de l'organisation voulurent ériger la croix, symbole de la société.

«Agresseurs et défenseurs se confondirent dans les ténèbres, avec le résultat que plusieurs furent blessés par leurs propres partisans. Un fermier de White Poplar fut défiguré au point d'en perdre la vue; un autre fut jeté par terre, et eut les côtes brisées, résultat de coups de pieds.

«Au cours de la bagarre, il ne resta plus que trois défenseurs autour de la croix. Mais pendant qu'ils repoussaient devant eux les agresseurs, d'autres les assaillirent par derrière et enlevèrent le symbole.

«On rapporte que les marchands locaux fournirent quantité d'oeufs pourris, mais la Police montée trouva et détruisit ces projectiles peu ragoûtants.»

Avec la formation du gouvernement Anderson et l'adoption des mesures anti-françaises proposées par le Klan, celui-ci n'a plus sa raison d'être et il disparaît presque du jour au lendemain. Au surplus, c'est déjà la crise économique et personne, encore moins les fermiers et les petits commerçants, n'a les moyens de payer la cotisation.

Pourtant, quelques-uns soutiennent que le Klan n'a jamais complètement disparu et que des loges ont continué à opérer discrètement dans les régions rurales où il était le plus actif et le plus puissant, ainsi que dans la capitale provinciale. La distribution de dépliants anti-autochtones dans un quartier de Régina en novembre 1980 semble leur donner raison.

(extraits du Patriote de l'Ouest, 25 avril 1928, p. 1 et 13 nov. 1929, p. 1)