Contact
Société de la Saskatchewan
Société historique de la Saskatchewan

Revue historique: volume 7 numéro 2

Une maison...«off the rack»

par Ewald Gossner
traduction par Laurier Gareau
Vol. 7 - no 2, décembre 1996
La maison «Eardlsey»
Collection: T. Eaton's/ Western Development Museum, Saskatoon
La maison «Eardlsey» selon le Eaton?s Plan Book de 1919. (Cette photo est reproduite avec la permission de la compagnie T. Eaton?s et du Western Development Museum à Saskatoon.)

Une maison préfabriquée de deux étages et demi commandés du catalogue Eaton's? C'est absurde! Mais ce scénario est devenu une réalité pour Cyprien et Marie Puech de Saint-Walburg (Saskatchewan) au début du siècle.

Originaires de la France, Cyprien et Marie ont défriché du terrain dans la région de Saint-Walburg avec leurs six fils et trois filles en 1912. (Deux fils avaient immigré au Canada en 1911, traçant ainsi la route du colonisateur.) Cyprien et Marie avaient entrepris la traversée de l'Atlantique deux semaines seulement après que le Titanic se soit écoulé dans l'océan. Une fois arrivée dans le nord-ouest de la Saskatchewan, Cyprien s'est établi sur un quart de section de terre du Canadien Pacifique avec la ferme intention de devenir propriétaire de 160 acres de propriété immobilière et ensuite de retourner en France. Leur départ soudain de la France les avaient obligés d'entreposer leur mobilier et autres possessions dans leur maison dans le but de l'utiliser à nouveau lorsqu'ils reviendraient en France, un retour qui ne s'est jamais réalisé.

Comme la plupart des colons de l'époque, leur première demeure était une simple petite bâtisse en bois rond, bousillée à l'intérieur et à l'extérieur avec de la boue. La fin de la Première Guerre Mondiale avait apporté des conditions économiques plus favorables ce qui en a poussé plusieurs à construire de plus belles maisons. A cause de l'absence presque totale dans le Nord-Ouest canadien de magasin de matériaux de construction, les maisons préfabriquées vendues à un prix raisonnable dans le catalogue de la compagnie T. Eaton's allaient devenir le rêve du propriétaire d'une maison.

Selon le petit-fils des Puech, Baptiste Lane: «II y a eu, pendant l'hiver de 1919, une pénurie d'alimentation pour les animaux dans le nord de la province. Grand-père avait une abondance de 'sheaves' d'avoine. Il les a vendu à vingt-cinq cents la «sheave». Une neige précoce avait mis un terme aux travaux de la moisson à l'automne de 1918. Une forte demande pour son fourrage avait permis à la famille Puech de facilement dépasser ses prévisions de revenus, ce qui avait poussé Cyprien à étudier sérieusement la possibilité de construire une nouvelle maison familiale, pour lui-même et les membres de la famille dont les fermes étaient à courte distance.

Pour recevoir les membres de la famille Puech, et les futures générations, la maison (32 pieds x 26) avait une grande cuisine, salle à manger et salle de séjour avec beaucoup d'espace pour la dépense et le placard. Le Eaton's Plan Book décrivait la salle de séjour comme suit: «La salle de séjour réconfortante avec safenêtre en baie n'est qu'un des attraits de
Cyprien Puech et Marie Matet dans un studio de photo
Photo: Marie Simonot
Cyprien Puech et Marie Matet dans un studio de photo à Saint-Walburg vers 1926.


cette maison.» un plafond a neuf pieds dans la salle à manger et dans la salle de séjour ajoutait un élément d'élégance à cette pittoresque maison. Comme s'était souvent le cas à cette époque, les murs intérieurs étaient recouverts de lattes et de plâtre, tandis que des murs de cèdre donnaient à l'extérieur une apparence de finition. La conception architecturale ne prévoyait aucun espace perdu dans les corridors, tandis qu'un foyer devait créer une atmosphère de chaleur et de confort.

Au deuxième étage, on pouvait trouver quatre grandes chambres à coucher, chacune avec son propre placard, et une salle de bain. Une véranda, avec fenêtre, à un bout de la maison était optionnelle. Cette véranda se rendait jusqu'au deuxième étage et comprenait, en haut, un balcon accessible des chambres à coucher.

Identifiée comme la maison «Eardsley» dans le catalogue T Eaton's, elle avait le file pour les installations électriques, un élément rare pour 1919. Pour une somme supplémentaire, une plomberie intérieure avec les plans d'installation aurait été la touche des aménagements modernes du début du siècle. La famille Puech a dû renoncer à ce dernier à cause de l'absence d'eau à la ferme.

Un grenier, un élément rare dans la plupart des maisons du début du 20e siècle, offrait soit de l'espace d'entreposage ou des chambres à coucher supplémentaires si la grandeur de la famille l'exigeait. Au début, les Puech entreposaient des articles de la morte-saison dans le grenier, mais éventuellement des chambres à coucher avaient été ajoutées pour visiteurs inattendus.

Contrairement aux maisons construites avec du bois local, la maison Eaton's était fabriquée de bois de pin et de cèdre. Des planchers de bois d'érable étaient la norme dans les salles de séjour et de dîner. Le décor de la cage d'escalier était d'un bois dur poli ce qui ajoutait une touche de vie princière pour les propriétaires à faible revenu. Le prix pour cette belle maison: environ 1 900 $. (Le prix d'une maison semblable et de la même grandeur dans le catalogue de T. Eaton's édition 1912 était de1 578,51 $.) Ce prix comprenait les files électriques, mais pas les matériaux pour la fondation, le sous-sol, la plomberie et la construction. Le transport des matériaux de construction était F.O.B. (Free On Board ou gratuit), jusqu'à Turleford, la gare de chemin de fer la plus proche de la ferme des Puech, soit une distance de 15 milles. Les matériaux devaient ensuite être transportés par chevaux et wagons jusqu'à la ferme.

Baptiste Lane se souvient de la maison: «Une des choses que je me souviens de cette maison, c'est qu'elle était froide. C'est bien juste si on pouvait fournir à couper du bois pour la fournaise.» Les concepteurs provenant de l'Est du pays n'avaient pas conçu la maison pour les hivers dans la prairie. Une isolation inférieure, ou non existante, permettait à la chaleur de prendre la fuite par le plafond ou par une des nombreuses portes.
La maison comme elle est aujourd?hui
Photo: Ewald Gossner
La maison comme elle est aujourd?hui au lendemain de rénovations majeures.

À la suite de la mort de Cyprien en 1927 et Marie en 1931, cette belle grande maison a changé de main. Leur fils, Gabriel, a été le prochain propriétaire. En 1953, ilavendu la maison aux Ursulines pour lasomme de 1 500$. La maison a alors été déménagée à SaintWalburg, soit une distance de cinq milles.

Les nouveaux proprié-taires ont fait plein usage de cette imposante maison; elles l'ont transformée en Couvent de Notre-Dame des Neiges. Au début, il y avait jusqu'à sept religieuses cloîtrées dans le nouveau couvent. Les chambres à coucher étaient au deuxième étage et dans le grenier, tandis que la salle à manger avait été transformée en chapelle.

La maison a à nouveau changé de main en 1978. Il y a deux raisons pour lesquelles les Ursulines ont vendu la maison, soit un déclin dans le nombre de religieuses dans la congrégation, soit un coût très élevé pour chauffer ce bâtiment pauvrement isolé.

Karl et Inge Knopf ont acheté le Couvent NotreDame des Neiges pour 1 $ plus 250 $ pour la fournaise, le réservoir à eau et autres accessoires de la maison. Il a fallu déménager la maison de deux étages et demi une autre fois: les coûts du déménagement se sont élevés à 4 800 $. Si le coût n'était pas tellement élevé, il fallait prévoir des rénovations à cette maison/couvent.

La rénovation de la maison n'était qu'un début: un nouveau revêtement extérieur pour remplacer un revêtement de brique (originalement en cèdre), de nouveaux bardeaux et un travail complet d'isolation de la maison a poussé les coûts au-delà de ceux de construire une nouvelle maison. Selon Karl Knopf: «Ça me rend aitfou de penser qu'elle serait démolie sipersonne acceptait de l'acheter et de la déménager. J'étais devenu amoureux de cette vieille maison. Les matériaux de construction primaires ne sont plus disponibles pour de nouvelles maisons.»

Malheureusement, les planches de cèdre comme les originales n'étaient plus disponibles, obligeant ainsi les rénovateurs à abandonner l'architecture du début du siècle. Il a aussi fallu enlever la véranda et le balcon à cause d'un manque d'espace sur le lot du village; l'addition d'un garage à deux voitures est devenue le changement principal à la maison «Eardsley» originale.

Selon les Knopf: «Si nous étions vingt ans plus jeunes, cette maison ferait un excellent gîte au passant.» Il est évident que cette grande maison a plus à offrir qu'un lieu de retraite pour deux personnes.

L'extérieur de la maison ne rend pas justice à son intérieur élégant. Ces maisons commandées du catalogue T. Eaton's sont apparu ici et là dans des communautés établies dans les Prairies et certaines existent encore pour nous rappeler des «Roaring Twenties». Le catalogue Eaton's est peut-être chose du passé, mais ces élégants édifices sont un rappel d'un temps quand l'Ouest était jeune!

(Cet article a premièrement paru dans le magazine Western People du 4 juillet 1996, No. 846. Nous le reproduisons ici avec la permission de l'auteur Ewald Gossner et du Western Producer.)





 
(e0)