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Société de la Saskatchewan
Société historique de la Saskatchewan

Revue historique: volume 17 numéro 3

Une génération de décideurs

Frédéric Roussel Beaulieu
vol.17 - no 3, mars 2007
La jeunesse francophone a toujours fait l’objet d’une attention particulière en Saskatchewan. L’Association catholique franco-canadienne (ACFC) a déployé énormément d’énergie afin qu’elle puisse apprendre le français et être fière de ses racines culturelles malgré les nombreuses embûches. À compter des années 1960, on a assisté à l’émergence d’un mouvement jeunesse et à la fondation de clubs de jeunes. C’est au début des années 1970 que les jeunes ont pris conscience de la nécessité de se regrouper au sein d’un même organisme qu’ils contrôleraient entièrement.

En 1977, la jeunesse francophone du Nord et du Sud de la Saskatchewan a uni ses forces en fondant l’Association jeunesse fransaskoise. Dès le départ, l’AJF s’est imposée grâce à des projets d’envergure mettant l’accent sur le développement socio-culturel.

L’AJF a permis de façonner plusieurs générations de jeunes déterminés à vivre leur culture et à prendre les moyens nécessaires pour assurer sa continuité en Saskatchewan.


L’émergence d’un mouvement jeunesse
Lors de la fondation de l’Association catholique franco-canadienne de la Saskatchewan en 1912, une partie de la population de langue française a souhaité qu’on accorde davantage d’attention à la jeunesse. Tout au long de son histoire, l’ACFC a consacré une grande partie de son temps et de ses énergies à répondre aux besoins des jeunes. Entre 1925 et 1968, elle a assumé le rôle de ministère de l’éducation française en organisant des «Concours de français». Ce souci de transmettre la langue française et l’attachement de la jeunesse à ses racines culturelles a incité les chefs de file franco-canadiens à convaincre les jeunes de participer à des voyages de la survivance et à de grands rassemble-ments patriotiques au Québec dans les années 1920, 1930 et 1950. C’est aussi au nom de la jeunesse que l’ACFC a consacré temps et effort pour créer les stations de radio française de CFRG à Gravelbourg et CFNS à Saskatoon. Outre les initiatives prises par l’ACFC, les activités jeunesses étaient souvent organisées par les professeurs.
Club Lacombe
L'ACFC annonçait, le 16 mars 1928, la fondation du Club Lacombe au Collège Mathieu, le premier club de l'Association catholique de la jeunesse canadienne en Saskatchewan. (photo: Archives de la Saskatchewan)

Lors du 50e anniversaire de l’ACFC en 1962, les membres ont demandé à leur association de consacrer plus d’énergie au regroupe-ment des jeunes afin d’assurer son avenir et l’épanouissement de la langue et de la culture française en Saskatchewan. La dispersion des centres francophones ne favorisait pas les rencontres inter-régionales au sein de la jeunesse. Afin d’intéresser les jeunes à ses activités, l’ACFC a commencé à changer son image. En 1964, elle a changé officiellement de nom pour devenir l’Association culturelle franco-canadienne.

La crise scolaire de Saskatoon en 1965 et 1966 a fourni une occasion idéale pour tenter un rapprochement entre les jeunes et l’ACFC. L’association a organisé deux grands rassemblements d’environ 125 jeunes chacun à Gravelbourg. Le but de ces rencontres était de les amener à «discuter des problèmes scolaires chez les francophones, ainsi que de mettre sur pied une organisation provinciale de jeunes (1) ». L’ACFC voulait créer une ACFC de jeunes. Le programme et «les activités de cette nouvelle association seraient laissées à l’initiative des jeunes»(2) . Cependant, le projet d’une association jeunesse provinciale ne s’est pas concrétisé pour des raisons financières et aussi parce que la très grande majorité des jeunes voulaient davantage s’impliquer au niveau local.
Toutefois, quelques jeunes ont commencé à changer de perspective grâce à des voyages et à des échanges qui les ont mis en contact avec d’autres jeunes francophones du pays. À l’automne 1967, des jeunes de la Saskatchewan ont participé à un Congrès des jeunes francophones de l’Ouest canadien à Banff. Selon les participants, «il ne s’agit plus de survivre mais de vivre(3) ». Pour cela, il faut affirmer sa fierté d’être Canadien français et organiser des activités témoignant de la vigueur de la culture canadienne-française. Il faut aussi travailler à cimenter des liens avec les anglophones tout en restant soi-même. Le Congrès de Banff s’est terminé en souhaitant la mise sur pied dans chaque province de l’Ouest d’une association de jeunes francophones.
SEV 1974
Une groupe de jeunes voyageurs de l'édition 1974 de Saskatchewan Étudiante Voyage. (photo: Collection Cécile Tkachuk)

Les voyages SEV (Saskatchewan Etudiante Voyage), mis en place en 1968 par le père André Mercure o.m.i. et l’abbé Arthur Marchildon, ont également contribué à élargir l’horizon des jeunes et à raffermir leur fierté française. Pendant six semaines, ils ont sillonné les routes de l’Est du Canada dé-couvrant ainsi d’autres endroits francophones. À partir de 1971, SEVI (Saskatchewan Étudiante Voyage In-ternational) a permis à des jeunes de visiter la France. Toutefois, le nombre de voyageurs était restreint de 20 à 35 jeunes par année en raison des coûts élevés du projet.
Trudeau
Pierre Elliot Trudeau (Premier ministre du Canada de 1968 à 1979 et de 1980 à 1984) encourageait les jeunes à voyager pour découvrir le pays. (photo: www.born-today.com)

En août 1970, l’Assemblée provinciale des mouvements de jeunes de l’Ontario français a invité des jeunes de l’Ouest et des Maritimes à participer à un colloque au Camp Katimavik «afin de favoriser l’échange d’idées et d’expériences chez les jeunes francophones en milieux isolés4 ».
Six jeunes franco-saskat-chewanais: Estelle Leblanc, Annette Laventure, Sylvianne Lepage, Réjean Bilodeau, Mau-rice Blanchette et Gérard Braconnier, ont eu l’occasion de suivre des sessions de leadership, de s’initier aux techniques du travail de groupe et à la réalisation de documentaires et de discuter des activités des organismes jeunesses. Ce type de colloque correspondait tout à fait aux attentes du gouvernement libéral fédéral de Pierre-Elliott Trudeau qui estimait que «les voyages forment la jeunesse». Par l’intermédiaire du Secré-tariat d’État, il a financé plusieurs activités touchant la jeunesse.

L’ACFC a emboîté le pas et a commencé à organiser des voyages-échanges paral-lèlement aux voyages SEV. Elle voulait permettre à un plus grand nombre de jeunes de visiter le Québec et de s’imprégner d’une ambiance française. En 1971, dix groupes de jeunes ont participé aux voyages-échanges et en 1972 il y a eu 20 autres groupes de la Saskatchewan.

Ces voyages, congrès et colloques ont favorisé la création de clubs de jeunes dans le nord de la Saskatchewan : «Les Zodiaques» à North Battleford, «Les Météorites» à Debden, «Chez La Vigne» à Prince Albert, «Le Blé d’Or» à Zenon Park, «Les Copains» à Saskatoon. Il y a eu aussi des clubs à Vonda, St-Denis, Prud’homme et Saint-Louis. Cependant, ces premiers clubs de jeunes avaient une vocation locale et ils étaient souvent contrôlés par des adultes et des membres du clergé. Cette tendance se fera sentir jusqu’au milieu des années 1970. Toutefois, dès le début de la décennie, on discerne une volonté d’affranchissement et de regroupement des jeunes au sein d’un seul organisme. En septembre 1970, des représentants des clubs de jeunes du Nord de la province se sont réunis à Prince Albert pour créer ONSEM (Organisation du Nord de la Saskatchewan En Mouvement) (5).
Rallye Grenouille
Affiche du Rallye Grenouille à Gravelbourg en 1973

Ces premières initiatives se sont buttés à des problèmes financiers qui limitaient l’organisation des projets, mais aussi au manque de motivation et de leadership des jeunes pour continuer les activités des clubs. Au même moment, Wilfrid Denis a réalisé une enquête sur la jeunesse francophone en Saskatchewan et il a écrit que «sans le support et l’intérêt des jeunes, la culture française est appelée à disparaître en Saskatchewan. Cette culture s’épanouira en autant que les jeunes en feront une culture vivante (6) ». Or, au début des années 1970, beaucoup de Canadiens français de la Saskatchewan se désintéressaient de leur langue et de leur culture. Ils essayaient plutôt de s’intégrer à la majorité anglophone. Ce phénomène était attribuable à une série de facteurs qui ont brisé l’isolement des commu-nautés franco-canadiennes et favorisé les contacts avec les Saskatchewanais de langue anglaise.

Ces facteurs étaient, entre autres, l’amélioration des moyens de transport, l’accessibilité accrue aux médias de masse de langue anglaise, l’urbanisation et l’accroissement du nombre de jeunes poursuivant des études universitaires.
Au sein de l’ACFC, on commençait à reconnaître qu’il y avait un grave problème, car le plus jeune membre avait plus de 40 ans (7). Pour certains membres, il était grand temps de concrétiser les rêves d’association jeunesse que caressait l’ACFC depuis quelques années, car l’association risquait de disparaître si elle ne se renouvelait pas. C’est ce que soutenait le père Alain Piché o.m.i. lors d’une réunion des comités locaux de l’ACFC de la région de Gravelbourg : «Si nous n’arrivons pas à créer un mouvement chez les jeunes, oublions l’ACFC(8) ».

Adoptant les conclusions de l’en-quête sur la jeunesse francophone en Saskatchewan, les animateurs de l’ACFC soutenaient de leur côté qu’il fallait consacrer davantage de temps à la jeunesse à l’échelle provinciale. Élaine Gaudet et Gérald Boudreau, deux des animateurs de l’ACFC, ont reçu «une subvention du Secrétariat d’État du Canada et ils ont invité tous les jeunes à venir participer à un «Grand Rallye de la jeunesse Francophone (9) » lors du Congrès biennal de l’ACFC à Saskatoon les 6 et 7 novembre 1971. «Le but du Congrès était de créer une meilleure entente entre les jeunes de la province»(10). L’ACFC espérait que ce ralliement mènerait à l’éclosion d’un mouvement provincial des jeunes francophones de la Saskatchewan. Elle prévoyait même, advenant la création d’une association jeunesse, d’inviter un représentant à siéger au conseil d’administration de l’ACFC.
Atelier
L'atelier audio-visuel lors du Rallye Grenouille 73. Les 12 participants ont réalisé un film sure l'événement et la ville de Gravelbourg d'une durée de 30 minutes.

Les jeunes ne se sont pas faits prier pour participer à ce rassemblement. Ils étaient 536 à se rendre à Saskatoon et dans l’Eau vive du 16 novembre 1971 Marcel Moor applaudissait la renaissance de l’ACFC . Bien sûr, l’association était encore loin de comprendre les jeunes. Quelques-uns d’entre eux ne partagaient pas l’enthousiasme de l’éditorialiste de l’Eau vive. Ils se plaignaient de l’accueil qu’ils avaient reçu. Selon eux, il y avait trop de monde pour favoriser les contacts entre les jeunes. De plus, ils croyaient qu’il aurait sans doute été plus profitable d’inclure les jeunes dans les discussions. On leur avait plutôt fait faire de la peinture et de la sculpture sans leur expliquer le sens du projet. L’ambiance de ce Congrès biennal aura l’effet d’une prise de conscience chez les jeunes de 15 à 25 ans qui avaient partici-pé: «La chose intéressante qui est sortie de cette convention, du point de vue des jeunes, c’est la réalisation qu’il fallait une association pour les jeunes francophones; une association organisée pour et par les jeunes(11) ».

L’établissement d’une association jeunesse
Au printemps 1972, l’ACFC a embauché Wilfrid Denis comme animateur de la jeunesse. En compagnie de René-Marie Paiement et de Gérald Boudreau, Denis a mesuré l’intérêt des jeunes pour la création d’une association jeunesse provinciale. Au terme des rencontres avec quelques jeunes leaders, les animateurs ont décidé d’aider les jeunes à organiser deux grands rassemblements. En octobre et en décembre 1972, l’Eau vive annonçait la tenue prochaine de rallyes pour et par les jeunes : le Rallye Grenouille à Gravelbourg du 1er au 4 février 1973 et le Rallye RAME (Réussir – l’Avenir – Marchons – Ensemble) à Prince Albert du 9 au 11 mars 1973. Ces rassemblements s’inspiraient d’expériences semblables qui avaient eu lieu quelques années auparavant au Nouveau-Brunswick parmi la jeunesse acadienne. Les objectifs des deux rallyes étaient de renforcer le désir des jeunes de s’affirmer en tant que francophones et de mettre sur pied une organisation jeunesse provinciale.
Grenouille 73
Aprés deux jours d'ateliers de Rallye grenouille 73, on annonce la formation d'une Association des jeunes francophones du Sud. (photo: L'Eau vive)

Fait intéressant, lors des discussions qui ont mené à la création des rallyes, les organisa-teurs envisageaient de permettre et d’encourager des jeunes d’origines culturelles autres que française de participer à des activités qui se dérouleraient en français. Dans les documents de la période 1973-1977, on peut lire ceci au sujet de la clientèle cible du mouvement jeunesse : «Si les anglophones veulent parler français, ils sont acceptés aussi. Il en est de même pour les autres groupes ethniques(12) ».

Lors des deux rallyes, les jeunes ont demandé la création d’une association jeunesse provinciale. Toutefois, à cause des distances à parcourir dans la province et du manque de fonds, on a assisté à la création de deux comités jeunesses : l’Association des jeunes francophones du Nord (AJFN) et l’Association des jeunes francophones du Sud (AJFS). Les deux organismes ont élu respectivement leurs premiers comités exécutifs en mai et juin 1973. Le 18 août suivant, tout en conservant leur autonomie, ils ont fondé l’Association des Jeunes Francophones de la Saskatchewan (AJF). Ce geste était purement pratique; faciliter l’obtention de subventions du Secrétariat d’État. La nouvelle association s’est tout de même donné un but général : «donner aux jeunes francophones plus d’occasions de parler français entre eux et d’encourager une meilleure prise de contact avec leur culture13 ».
Musique 73
La musique et la chanson étaient à l'honneur lors du Rallye Grenouille 73. (photo: L'Eau Vive)
Les deux comités reconnaissaient que la réalisation de ce but passait par la relance et la création de clubs régionaux un peu partout dans la province. Au cours des mois suivants, de nouveaux clubs jeunesse ont vu le jour à Albertville, à Saint-Louis, à Ponteix et à Willow Bunch.

Cette nouvelle association était parfois désignée sous le nom d’Association des jeunes fransaskois. Au début des années 1970, on cherchait un nouveau terme pour désigner la population de langue française de la Saskatchewan comme cela s’était produit dans la plupart des communautés francophones suite à l’éclatement du Canada français. En 1972, l’Eau vive avait organisé un concours où les lecteurs devaient choisir entre plusieurs épithètes. Fransaskois avait recueilli les honneurs. Le nouveau mot n’a pas été adopté immédiatement par l’ensemble de la population, mais les jeunes l’ont adopté sans hésitation.

Du côté de l’ACFC, on se réjouissait de la naissance des associations jeunesses. Dans une lettre adressée à Jeannine Poulin, présidente de l’AJFN, René Rottiers, directeur général de l’ACFC, lui soulignait que son organisme était prêt à soutenir moralement et financièrement les deux comités jeunesses. Il lui mentionnait également que le conseil d’administration de l’ACFC «ne demandait qu’à accueillir parmi ses membres le ou les représentants officiels de la jeunesse francophone de la Saskatchewan(14) ».

Au début, l’AJFN et l’AJFS voulaient être indépendants de l’ACFC. Il y avait un sentiment très anti-ACFC chez quelques jeunes. Selon eux, il s’agissait d’une association morte qui ne répondait aucunement à leurs besoins. Mais dès l’automne 1973, les jeunes ont réalisé qu’ils devraient tenter un rapprochement avec l’ACFC. Sans siège social avec un secrétariat, sans animateurs-coordonnateurs et sans ressources financières adéquates, il était impossible d’accomplir un travail efficace auprès des jeunes.
R.A.M.E.
Comité organisateur de R.A.M.E. 73. 1er rang: Robery Perrault, Marilyn Boudreau, Irène Gareau, Monique Bezaire, Rosanne Gareau, Alice Gobeil, Della Gaudet. 2e rang: Yvon Rousseau, Joanne Blair, Monique Lepage, Eveline Baudet, Johanne Proulx. Le comité comprenait aussi Louise-Anne Demers et Florence Paquette.
L’Association des jeunes francophones de la Saskatchewan a donc présenté un mémoire au congrès biennal de l’ACFC à l’automne 1973 demandant une collaboration étroite entre les associations jeunesses et l’ACFC qui conserveraient leur autonomie. Une résolution a été adoptée et elle donnait accès aux jeunes au secrétariat de l’ACFC. Deux ans plus tard, en novembre 1975, 300 jeunes se sont présentés au Congrès biennal de l’ACFC et ils ont soumis une proposition pour créer un poste de vice-président jeunesse au sein de comité exécutif de l’ACFC. Cette demande a été acceptée par les congressistes et Lorraine Blain a été élue première vice-présidente jeunesse. Ce poste a disparu en novembre 1986 lors des changements apportés à la constitution de l’ACFC.

La collaboration entre l’ACFC et les associations jeunesses a facilité l’embauche de deux animateurs jeunesses, un pour le Nord et un autre pour le Sud. La tâche des animateurs relevait à la fois de l’animation, de la stratégie et de la coordination des activités. Ils devaient composer avec certains parents qui se plaignaient qu’il fallait toujours voyager ailleurs pour avoir des activités en français au lieu de développer leur propre milieu. Bien souvent, les animateurs devaient stimuler des jeunes qui ne voyaient pas toujours l’utilité d’avoir un club local ou régional. Ils devaient faire preuve de créativité pour inciter les jeunes à se mêler au lieu de se regrouper selon leur localité lors des activités régionales et provinciales. De plus, les animateurs devaient voir au respect de l’autonomie des clubs de jeunes dans les communautés. Les jeunes se plaignaient encore que des adultes ou des membres du clergé influençaient le devenir de leurs organismes et qu’ils avaient tendance à s’en tenir au niveau local.
Roger Lepage
Roger Lepage, l'un des organisateurs du Rallye Grenouille 73, a fait partie de premier comité exécutif de l'AJFS en 1973. Par la suite, il travaillé comme animateur jeunesse en 1974-1975.

À compter de 1975, l’AJF a traversé une période de relâchement. En plus d’un manque de leadership, les comités Nord et Sud souffrait d’un manque de financement.

Dans le Sud, la situation a dégénéré à un point tel qu’on envisageait la dissolution de l’AJFS. À l’échelle provinciale, la collaboration ACFC-AJF ne bénéficiait pas toujours la jeunesse fransaskoise. Les animateurs jeunesse étaient embauchés par l’ACFC et ils avaient tendance à répondre davantage aux exigences de l’organisme adulte qu’à celles de l’AJF. À cette époque, le premier ministre du Canada, Pierre Elliott Trudeau, parlait de rapatrier la Constitution. Les associations francophones du pays se lançaient alors dans la revendication constitutionnelle. Les animateurs jeunesses ont donc reçu le mandat de l’ACFC de travailler avec la Fédération des jeunes canadiens-français pour rédiger le document La dernière jeunesse. Puisque le temps des animateurs était consacré à ce dossier, il y a eu très peu d’activités à l’échelle provinciale en 1976. Les jeunes devaient s’en remettre à leurs clubs locaux et régionaux. Manifestement, la structure bicéphale de l’AJF ne répondait pas aux besoins des jeunes.

Déjà en octobre 1974, les membres des comités exécutifs du Nord et du Sud avaient tenté de trouver une façon d’améliorer les relations entre l’AJFN et l’AJFS. On avait envisagé sérieusement de créer une association avec un seul comité exécutif provincial, mais le statu quo l’avait emporté. Deux ans plus tard, les comités exécutifs de l’AJFS et de l’AJFN, respectivement présidés par Luc Martin, et Laurelle Favreau, appuyés par les animatrices jeunesse, Suzanne Campagne et Gisèle Lemire, ont tout mis en œuvre pour créer une seule association jeunesse provinciale. Ils ont d’abord organisé un rallye Découverte à St-Louis en avril 1977. L’un des objectifs était de rapprocher les sections de l’AJF. Rapidement, les jeunes ont constaté que les conflits entre le Nord et le Sud nuisaient au fonctionne-ment de l’AJF. «Afin de régler le problème, il fut décidé de restructurer l’AJF. Les jeunes vou-laient un seul comité exécutif avec un coordonnateur, des animateurs et un secrétariat (15) ».
Lallier
Raymond Lallier a été le premier président de l'AJFS. (photo: L'Eau Vive)

Les comités Nord et Sud ont ensuite organisé un Congrès à Saskatoon les 26, 27 et 28 août 1977 dont le principal thème à l’ordre du jour était la restructuration du mouvement jeunesse francophone en Saskatchewan. Les congressistes ont sabordé l’AJFN et l’AJFS et ils ont créé l’Association jeunesse fransaskoise. La nouvelle association devait «fournir aux jeunes fransaskois des structures dans lesquelles ils pouvaient se re-connaître, s’identifier, s’impliquer et réaliser des projets qui concrétisent la réalité de la Franco-phonie(16) ». De plus, il a été précisé que l’AJF était ouverte à tous les jeunes saskatchewanais intéressés à la culture fransaskoise ou canadienne-française. Au terme de ce congrès de fondation, Roland Stringer de Ponteix a été élu premier président de l’AJF inc. Quelques mois plus tard, en octobre 1977, la direction générale de l’organisme a été confiée à Laurelle Favreau.

Avec cette nouvelle association, les jeunes obtenaient véritablement leur autonomie. Ils devenaient responsables de leurs propres activités. S’ils voulaient quelque chose, ils devaient s’en occuper eux-mêmes. C’est exactement ce qu’ils ont fait en initiant des projets d’envergure.


L’avant-garde du développement culturel
L’Association des jeunes francophones de la Saskatchewan puis l’Association jeunesse fransaskoise ont été les premières associations fransaskoises à initier des projets concrets visant à faire comprendre aux gens que le terme Fransaskois n’est pas une coquille vide, mais bien l’expression d’une identité propre aux francophones de la Saskatchewan. Leurs initiatives s’appuyaient sur une réflexion qui place l’identité culturelle au centre de toute action concrète : «Afin de pouvoir effectivement motiver les jeunes dans les domaines social, politique et éducationel (sic), il est essentiel qu’une identité culturelle propre soit développée pour inciter la fierté et le désir d’améliorer notre situation. En somme le secteur culturel doit devenir le véhicule ou l’outil de sensibilisation dans tous les domaines(17) ».

En 1974, l’AJFS et l’AJFN ont organisé deux autres rallyes. Le Festi-Frogue à Willow Bunch, du 22 au 24 mars, et RAME II à North Battleford, du 29 au 31 mars. Ces rallyes ont accueilli respectivement environ 280 et 350 jeunes et ils avaient pour objectifs de promouvoir le dévelop-pement de la langue française et d’une culture vivante et réelle chez les jeunes francophones. La même année, les 15,16 et 17 novembre, l’ACFC et l’Association des jeunes francophones ont organisé un Festival de la Francophonie à Regina. Le but du festival était de promouvoir la langue et la culture française ainsi que l’échange amical de toute la population francophone de la Saskatchewan dans une atmosphère de fête et d’amitié. Au programme, il y avait des ateliers, des expositions, des conférences et des activités socio-culturelles.

Également en 1974, les jeunes ont lancé le Camp Voyageur afin de donner aux jeunes une occasion de développer leurs talents culturels. Au cours des années suivantes, l’AJF et l’ACFC ont organisé conjointement cette activité annuelle. L’AJF a aussi organisé les camps Voyageurs Fransaskois en 1978 et 1979. «Les Voyageurs Fransaskois sont tous des artistes et leurs stages dans les communautés comprennent des cours de musique, de chant, de danse, et de théâtre.
Fournier
Solange Fournier était membre du comité organisateur du Rallye Grenouille 73. (photo: L'Eau Vive)
À la fin de l’été, les Voyageurs Fransaskois font une tournée dans plusieurs centres francophones de la Saskatchewan. Suzanne Campagne et Roland Stringer sont deux des principaux artistes fransaskois qui y participent(18) ». En 1981, l’AJF s’est retirée complètement du Camp Voyageur lorsque l’ACFC a décidé que le projet ne serait plus un camp d’immersion. Le Camp Voyageur a disparu pendant plusieurs années avant d’être relancé par l’ACFC au début des années 1990. Le Camp Voyageur existe toujours en 2007 et il reçoit un soutien administratif et technique de l’Assemblée communautaire fransaskoise depuis 1999.

Les comités Nord et Sud de l’Association des jeunes francophones de la Saskatchewan ont organisé le rallye Découverte 77 les 15, 16 et 17 avril 1977. L’un des buts de ce rallye était «de développer chez les jeunes Fransaskois le goût de créer une culture qui leur soit propre(19) ». Les 270 jeunes qui ont participé à l’événement ont assisté à différents ateliers artistiques dont la danse, le chant, la musique et le théâtre. Découverte 77 s’est terminée avec un spectacle mettant en vedette des artistes fransaskois.

En 1979, l’AJF a initié une série de projets qui ont eu un impact durable sur le développement culturel et la construction identitaire des francophones de la Saskatchewan. Elle a organisé le Festival théâtral Zone en mars puis le Super Fransaskois Show en mai. L’AJF a ter-miné cette année prolifique avec On s’ga-roche à Batoche à la fin juin. Ces événements ont été de véritable succès et dès novembre 1979, l’AJF a proposé à l’ACFC et à la Commission culturelle fransaskoise de créer un comité «afin d’organiser une fête populaire pour l’unité des Fransaskois(20) ». Cette fête est devenue la Fête fransaskoise en 1980. Pendant 25 ans, elle a contribué à renforcer le sentiment d’appartenance à la communauté fransaskoise.

C’est également en 1979 que fut dévoilé le drapeau fransaskois. En novembre 1978, l’AJF, en collaboration avec l’ACFC, avait lancé un concours pour la conception d’un drapeau fransaskois. Selon l’AJF, un tel symbole contribuerait à l’affirmation identitaire des Fransaskois. Plus de 200 suggestions ont été soumises. Le comité de sélection a retenu celle de Lionel Bonneville, Richard Duret et Laurier Gareau. Le drapeau, par ses couleurs et ses formes, synthétise l’héritage français et catholique ainsi que l’appartenance à la Saskatchewan.

Le drapeau a été dévoilé aux quelque 900 spectateurs du Super Fransaskois Show le 5 mai 1979. Aujourd’hui, le drapeau fransaskois est pleinement accepté par tous et, depuis le 2 décembre 2005, il est reconnu comme un emblème officiel de la Saskatchewan.

À cette époque, les animateurs de l’AJF organisaient aussi des activités dans les clubs locaux afin de stimuler et de maintenir l’intérêt des jeunes pour la langue et la culture françaises. Ces activités prenaient la forme de boîte à chansons où les jeunes avaient la chance de montrer leurs talents de chanteur et de musicien. Il y avait aussi des ateliers de théâtre et de danse, des stages de formation en techniques de radio et de journalisme.
Perreaux
Gérard Perreaux était le trésorier du comité organisateur du Rallye Grenouille 73. (photo: L'Eau Vive)
L’AJF a toujours offert à ses membres la possibilité de s’exprimer dans les différentes publications qu’elle avait créées : La Rame (1973-1977), Le Fransaskois (1977-1979), Le Petit Patriote (1979-1982) et La Fransasque (1982-1996). L’AJF a également organisé des spectacles scolaires. Par exemple, en 1978-1979, le groupe 33 Barette, composé de Jacques et Robert Pariseau, a effectué une tournée d’animation musicale dans les écoles et les deux universités. En 1982, l’AJF a accepté le défi de remettre sur pied un Concours oratoire fransaskois. Ce concours s’est poursuivi, à compter de 1985, pendant quelques années sous la direction de la Commission culturelle fransaskoise. Aujourd’hui, les écoles fransaskoises continuent la tradition des concours oratoires.

L’action politique et le leadership
Dès les années 1960, certains ont cherché à politiser le mouvement jeunesse francophone en Saskatchewan afin qu’il forme un organisme de revendication à l’image de l’ACFC. Les jeunes ne sont pas toujours enclins à se lancer dans des batailles politiques. Mais lorsqu’ils le font, on leur reproche souvent leurs positions tranchées et leurs gestes irréfléchis.

Le rassemblement des jeunes à Gravelbourg en 1965 a voulu non seulement inciter les jeunes à exprimer leurs besoins en matière d’éducation et les convaincre de créer une association jeunesse. L’ACFC cherchait à en faire des alliés et elle voulait qu’ils s’engagent dans les luttes scolaires. En 1974, les jeunes ont fait leur premier geste politique. Lors du Festival de la Francophonie, qui se tenait à Regina du 15 au 17 novembre, environ 200 jeunes ont manifesté devant les locaux de la Société Radio-Canada. Ils réclamaient l’implantation de la télévision française en Saskatchewan. Ce que plusieurs croyaient être une manifestation spontanée était en fait le résultat d’une stratégie longuement préparée par les jeunes avec l’appui de l’ACFC. Pourtant, on a accusé les jeunes d’avoir fait un geste politique sans avoir pensé aux conséquences.

En 1979, l’ACFC a tenté à nouveau d’aiguiller les jeunes sur le terrain politique lors du rassemblement «On s’garoche à Batoche». Plusieurs associations du Québec, dont la Société St-Jean-Baptiste, ainsi que des organismes francophones hors Québec dénonçaient les agissements de Pro-Canada Foundation au sujet du référendum sur la souveraineté du Québec prévu en 1980. Puisque le groupe recevait un appui financier d’Air Canada, une société d’État du gouvernement fédéral, une «Opération Boycottage» a été organisée afin de la forcer à retirer son financement. Pierre LeBlanc, agent de développement communautaire de l’ACFC et également coordonnateur de presse de Ouest en Action, l’organisme chargé d’organiser «On s’garoche à Batoche», a convaincu l’AJF de s’impliquer dans cette action politique. «On s’garoche à Batoche» ayant reçu une subvention de la fondation Pro-Canada,
Pierre LeBlanc
Pierre LeBlanc, directeur général de l'AJF do 1985 à 1987, avait été précédemment impliqué à l'Association comme coordonnateur de presse de Ouest en Action en 1979. (photo: L'Eau Vive)
LeBlanc affirmait que le groupe demandait en retour que l’événement soit une fête pour l’unité canadienne. Il estimait qu’un rassemblement de jeune francophone de l’Ouest ne pouvait pas être utilisé comme pion dans le jeu constitutionnel. Le boycottage n’a pas porté fruit et c’est l’AJF qui a été accusée de faire de la politique.

Malgré les critiques, ces gestes politiques ont fait prendre conscience aux jeunes qu’ils avaient un rôle à jouer dans les revendications des droits des Fransaskois aux niveaux local, régional, provincial et fédéral. Depuis 1974, le mouvement jeunesse en Saskatchewan est affilié à la Fédération des jeunes canadiens-français qui défend les intérêts de la jeunesse francophone à l’échelle du pays. En 1977, la FJCF a dévoilé son étude, La dernière jeunesse, où elle affirmait que la jeunesse francophone hors Québec née dans les années 1950 et 1960 pourrait être la dernière si rien n’était fait pour corriger la situation périlleuse dans laquelle se trouvait les minorités de langue française. En septembre 1977, l’AJF embauche une coordonnatrice provinciale qui a entrepris une tournée des écoles pour sensibiliser les jeunes et les professeurs au volume La dernière jeunesse. Lors de l’assemblée générale de l’AJF en 1978, les membres ont adopté une proposition demandant que leur association devienne un organisme de pression politique selon les besoins et les circonstances. L’AJF a, entre autres, appuyé les élèves de Prud’homme afin qu’ils obtiennent leurs droits scolaires. Les jeunes utilisent également le poste de vice-président jeunesse au comité exécutif de l’ACFC, obtenu en 1975, pour exprimer leurs besoins et faire valoir leur point de vue.

Le pouvoir politique des jeunes a continué de croître en 1979, lors du Congrès biennal de l’ACFC. Les membres de l’AJF âgés de plus de 18 ans ont obtenu le droit de vote aux élections de l’ACFC sans qu’ils soient obligés d’acheter une carte de membre de l’ACFC. En dépit du pouvoir politique qu’elle avait acquis, l’AJF se plaignait souvent de ne pas être consultée par les organismes adultes. En fait, l’activisme politique des jeunes dérangeait et l’ACFC essayait toujours de se mêler des affaires des jeunes et d’avoir un droit de regard sur les activités de l’AJF. L’Association jeunesse fransaskoise a donc décidé de quitter les bureaux de l’ACFC en 1980 et de déménager à Saskatoon.
Grenier
Claude Grenier, directeur de l'AJF de 1989 à 1994, et Gary Jean-Baptiste Kenler, ont entrainé les jeunes dans un défi pour établir le record Guiness de la plus grosse crêpe au monde.

Au début des années 1980, l’AJF a continué de concentrer ses efforts dans le secteur culturel, mais elle est devenue peu à peu un organisme de revendications. C’est Jean Malette, directeur général de l’AJF de 1981 à 1985, qui a commencé le processus de réorientation de l’association. Pierre LeBlanc, un ancien agent de développement communautaire de l’ACFC, a occupé le poste de direction de l’AJF de 1985 à 1987 et il a poursuivi dans la même voie. «Les communiqués de l’AJF sont maintenant envahis par le langage politisé de l’ACFC(21) ». Au milieu des années 1980, l’AJF a cédé plusieurs projets culturels à la Commission culturelle fransaskoise. Lors de l’ouverture officielle du 7e Festival Théâtral Fransaskois en 1985, Arthur Denis, président de la CCF, a mentionné que son organisme «n’[a] pas hésité à prendre le Festival Théâtral sous sa tutelle car elle est confiante dans la richesse de notre potentiel artistique fransaskois(22) ».

Les projets entrepris par l’AJF, à cette époque, revêtaient presque toujours un caractère politique comme celui de la marche de Batoche qui fit couler beaucoup d’encre dans les journaux en juin 1985. «La marche de Batoche, c’est beaucoup plus qu’une simple activité jeunesse. D’une part, il s’agit de commémorer le centenaire de la mort de Louis Riel et faisant d’une pierre deux coups célébrer l’Année Internationale de la jeunesse. Et d’autre part, cette activité constitue une campagne de prélèvement de fonds destinés aux victimes du tiers-monde(23) ». De plus, la politisation de l’AJF a envahi des projets qui ne relevaient pas au départ de ce secteur d’intervention. En 1983, l’AJF a élaboré un projet de maison des jeunes à Saskatoon qui prendrait la forme d’un café-rencontre ou d’un café-théâtre. Toutefois, lors de l’assemblée de fondation du Centre Maurice Baudoux le 26 mai 1985, il était évident que la maison des jeunes se voulait davantage un lieu de rencontre politique qu’un café-théâtre. Cette maison des jeunes, inaugurée officiellement le 22 mars 1986, illustrait aussi une autre tendance de l’AJF: l’orientation de ses activités vers les jeunes de Saskatoon.

Au cours de cette période, l’AJF continuait de proposer des projets innovateurs, mais ils ne relevaient pas du secteur culturel. Elle proposait plutôt des programmes de création d’emploi et de formation professionnelle comme celui de Compas en 1986. Ce projet a permis de former des jeunes qui ont ensuite travaillé dans des organismes fransaskois.

Alors que l’AJF dépensait toutes ses énergies dans ses initiatives politiques et économiques, elle négligeait les clubs locaux qui avaient toujours été l’épine dorsale de l’organisme. Ils disparaissaient partout dans la province, même dans les centres urbains. Il en était ainsi parce que les jeunes de 14 à 19 ans préféraient les activités culturelles et amusantes à l’action politique. Ils se tournaient vers la Commission culturelle fransaskoise pour obtenir ce qu’ils désiraient.

Le recrutement et la rétention des membres ainsi que le leadership ont été des problèmes récurrents au sein du mouvement jeunesse fransaskois. Dans plusieurs clubs locaux, le membership suivait l’année scolaire; à la baisse pendant les vacances et à la hausse lors de la reprise des classes à l’automne.

Cette variation entraînait également un manque de leadership non seulement dans les clubs mais aussi au bureau de direction de l’AJF. L’évolution du mouvement jeunesse à la fin des années 1970 et au début des années 1980 a posé de nombreux défis sur le plan organisationnel qui dépassaient les capacités de la plupart des adolescents. «Dans la situation présente, les jeunes se retirent parce que l’association a évolué plus rapidement que son membership et que c’est devenu pour nos jeunes de 15 ans, un jeu d’adultes!(24) » C’est ce qui explique que dans les années 1980 l’AJF ait cherché à retenir et à recruter les jeunes de 19 à 25 ans afin de consolider le leadership de l’organisme. Toutefois, l’AJF n’est pas parvenue à les attirer. Les jeunes de cet âge ont souvent bien d’autres préoccupations dont les études ou le travail.

Il faut reconnaître que les responsabilités liées à certains postes ont donné à de nombreux jeunes la possibilité de s’affirmer comme leaders de la communauté fransaskoise au même titre que leurs aînés. Lors de ses activités, l’AJF a organisé de nombreux ateliers de leadership pour développer cette qualité chez ses membres. Les camps organisés par l’AJF visaient aussi le développement et le renforcement du leadership chez les jeunes. Entre 1989 et 1991, l’AJF, en collaboration avec l’Association des directeurs d’écoles françaises, a élaboré et mis à l’essai un projet de sessions de leadership dont l’objectif était de préparer «les jeunes à prendre les commandes plus tard dans le monde de la francophonie(25) ». Par la suite, cette session de leadership est devenue une activité annuelle. L’une des initiatives les plus intéressantes de l’AJF pour développer chez les jeunes des aptitudes de leadership et de communication est certainement le Parlement jeunesse fransaskois dont la première édition a eu lieu du 26 au 29 septembre 1996 à l’Assemblée législative de la Saskatchewan à Regina. Depuis maintenant 10 ans, cette activité permet également une familiarisation avec le fonctionnement du parlementarisme.

De la culture, des jeux et des voyages
Au début des années 1990, l’AJF a retrouvé l’inspiration qui l’avait guidée à la fin des années 1970. Elle a consacré beaucoup d’énergie à l’élaboration d’une programmation socioculturelle. Cette réorientation de l’association a commencé en 1987. Cette année-là, Pierre LeBlanc a quitté la direction de l’AJF et il a été remplacé par Linda Garant qui devait composer avec un budget réduit dès le début de son mandat. Elle a élaboré des activités socioculturelles sans pour autant abandonner complètement le volet revendication. L’AJF a plutôt essayé de trouver un équilibre entre l’action politique et l’amusement. C’est surtout sous la direction de Claude Grenier (1989-1994) que l’AJF développe de nouvelles activités d’envergure. En 1992, l’association a organisé les premiers Jeux fransaskois à Regina.
Simard
L'actuel directeur général de l'Association jeunesse fransaskois est Denis Simard. (photo: Archives de l'AJF)
La même année , l’AJF a créé le Rendez-vous fou. Il s’agissait d’un festival de musique rock francophone mettant en vedette des artistes fransaskois et un groupe ou un artiste du Québec ou d’ailleurs au pays.

Parallèlement à ces projets, l’AJF a déployé beaucoup d’effort pour faire renaître les clubs locaux de jeunes. Elle a utilisé plusieurs moyens pour animer les activités jeunesse dans les communautés dont des projets vidéo et radio et Rock Mobile qui était à la fois une soirée dansante en français et un outil de prélèvement de fonds. En 1992-1993, plusieurs clubs locaux avaient une programmation et des activités régulières dont Regina, Saskatoon, Zenon Park et Bellevue. Toutefois, le recrutement des membres a stagné et, en 1995, l’AJF, sous la direction d’Édith Gendron (1994-1998), a embauché cinq animateurs jeunesse à temps partiel dont le mandat était «de créer un membership dans les communautés(26) ». L’AJF comptait alors 100 membres comparativement à 350 une décennie plus tôt.

Cette lancée de l’AJF a toutefois connu des ratés à compter de 1996. Les ministères fédéraux ont annoncé des coupures dans plusieurs programmes dans le cadre de la lutte au déficit mené par le gouvernement libéral de Jean Chrétien. Lors des négociations pour le renouvellement de l’Entente Canada/communauté, l’offre initiale du ministère du Patrimoine canadien comprenait des compressions budgétaires de 52 % dans les subventions. Cette décision a menacé le tiers des budgets de l’AJF pour 1996-1999. Afin de contrer cette éventualité, l’association a décidé d’annuler le Festival théâtral jeunesse, le Rendez-vous fou, les Jeux fransaskois, le Rock Mobile et la publication de la Fransasque. De plus, l’organisme a annoncé qu’il se voyait obligé de congédier ses deux agents au bureau provincial et ses cinq animateurs jeunesse en région.

Ces décisions ont créé des remous partout dans la province. Elles faisaient partie d’une stratégie élaborée par l’AJF pour exercer des pressions politiques sur le gouvernement Chrétien. Ces pressions politiques ont été vivement critiquées par plusieurs acteurs du réseau associatif fransaskois. Dans son éditorial du 21 mars 1996, l’Eau vive a accusé l’AJF de faire «une tempête dans un verre d’eau». Le président de l’AJF, David Granger, a répliqué que les jeunes ne faisaient que traduire en acte ce qui avait été exprimé au conseil d’administration de l’ACFC. «J’ai, il me semble, ouï-dire au dernier conseil d’administration de l’ACFC que nous, comme communauté fransaskoise, solidaires comme nous le sommes, devions agir politiquement et dénoncer les coupures(27) ». Finalement l’AJF a réévalué ses décisions. Elle a maintenu ses activités sauf le Rendez-vous fou qui a disparu pendant trois ans avant de revenir en octobre 1999. Les agents du bureau n’ont pas retrouvé leurs postes, mais les postes des animateurs jeunesse ont été rétablis dix mois plus tard.
Conseil d'administration
Le conseil d'administration de l'Assciation jeunesse fransaskoise à l'occasion du Franco-Noël de décembre 2006 organisé en collaboration avec la Fédération des francophones de Saskatchewan. (photo: Archives de l'AJF)

Les compressions budgétaires ont affecté l’AJF jusqu’en 2002-2003 alors qu’elle a subi une autre coupure de 35 000 $. L’AJF a tout de même maintenu sa programmation, mais elle a haussé les coûts d’inscription de plusieurs activités, dont les Jeux fransaskois, afin de continuer à les organiser. De plus, les difficultés financières ont entraîné un manque de stabilité à la direction de l’organisme. Les compressions dans l’Entente Canada/communauté a rendu de plus en plus incertain le financement de plusieurs organismes. Les jeunes devaient alors faire comprendre aux leaders adultes l’importance de l’AJF pour la jeunesse et la communauté fransaskoise. Malgré les difficultés financières et le manque de ressources humaines permanentes, l’AJF est parvenue à développer de nouvelles activités dont le Parlement jeunesse fransaskois en 1996 et le concours de groupes musicaux Ramdam en 2000.

Depuis les trois dernières années, l’AJF a retrouvé une certaine stabilité qui lui permet d’inscrire l’organisme dans la tradition des activités socioculturelles. Elle a développé de nouvelles activités dont Passeport d’aventure qui offre aux jeunes de 16 à 18 ans la chance de vivre la culture francophone ailleurs qu’en Saskatchewan pendant près de deux semaines. L’AJF a ainsi renoué avec la tradition des voyages SEV et des voyages-échanges des années 1970.

Dernièrement, l’AJF a aussi réaffirmé son leadership sur le plan de la construction identitaire. En 2005, l’association a dévoilé sa politique d’inclusion de tous les jeunes fonctionnels en français comme l’autorise ses Statuts et règlements depuis 1999. Cette décision a alors déclenché un débat sur la pertinence d’ouvrir la francophonie saskatchewanaise à tous ceux qui parlent le français, autant comme langue seconde, ou qui y manifestent un intérêt. Ce débat a mené à la création de la Commission sur l’inclusion par l’Assemblée communautaire fransaskoise en 2006. Cette commission a formulé des recommandations qui favorisent une ouverture à la diversité culturelle.
AJF
Les activités de l'Association jeunesse fransaskoise vont mener les jeunes dans de multiples de directions, comme l'ont d.couvert les participants au Ramdam 2006 à Gravelbourg. Est-ce une activité sportive ou birn musicale? (photo: Archives de l'AJF)

L’émergence d’un mouvement jeunesse et sa formalisation au sein d’un organisme a constitué un point tournant dans l’histoire de la francophonie en Saskatchewan. L’Association jeunesse fransaskoise a initié des projets percutants, structurants et innovateurs qui ont contribué à l’affirmation identitaire de plusieurs générations de jeunes Fransaskois. Les jeunes leaders de l’AJF ont démontré que l’organisation d’activités témoignant de la vigueur de la culture française constituait la meilleure revendication politique qui soit et le meilleur outil de sensibilisation à l’importance de conserver la langue et la culture française. L’AJF n’a pas seulement œuvré dans le secteur socioculturel, elle a aussi fait sa marque avec des projets de nature politique et économique. Malgré certains succès, ces types de projets ne répondaient pas nécessairement aux attentes des jeunes qui préféraient nettement les activités socioculturelles.

Tout au long de son existence, l’AJF a façonné plusieurs générations de jeunes déterminés à vivre leur culture et à s’impliquer dans les organismes fransaskois pour édifier la francophonie saskatchewanaise de demain.

Notes et références
(1) Archives de la Saskatchewan, R-1291, 162 (100.4).
(2) Ibid., R-621, XX, 27a.
(3) Ibid., R-621, XX, 2b.
(4) Ibid., R-1291, 747.
(5) Ibid.
(6) Wilfrid Denis, La jeunesse francophone de la Saskatchewan, c.1970.
(7) «L’Association jeunesse fransaskoise» dans Sciences humaines. Matériel d’appui. La Saskatchewan française. Volume 4 : Les institutions fransaskoises, Regina, ministère de l’Éducation de la Saskatchewan, c1995.
(8) L’Eau vive, 12 octobre 1971.
(9) «L’Association jeunesse fransaskoise», Matériel d’appui, op. cit.
(10) L’Eau vive, 26 octobre 1971.
(11) Archives de la Saskatchewan, R-1291, 743.
(12) Ibid., R-1291, 162 (100.4).
(13 Ibid., R-1291, 748.
(14) Ibid., R-1291, 731, lettre de René Rottier envoyée à Jeannine Poulin, 10 août 1973.
(15) «L’Association jeunesse fransaskoise», Matériel d’appui, op. cit.
(16) Archives de la Saskatchewan, R-1291, 16 (108.4).
(17) Ibid., R-1291, 162 (100.4).
(18) L’Association jeunesse fransaskoise», Matériel d’appui, op. cit.
(19) Archives de la Saskatchewan, R-1291, 963.
(20) Archives de l’Association jeunesse fransaskoise, lettre de Michel Gervais, directeur général de l’AJF, à Florent Bilodeau, directeur général de l’ACFC, 29 novembre 1979.
(21) L’Association jeunesse fransaskoise», Matériel d’appui, op. cit.
(22) L’Eau vive, 3 avril 1985.
(23) Ibid., 26 juin 1985.
(24) Archives de la Saskatchewan, R-1291, 162 (100.4).
(25) L’Eau vive, 21 septembre 1989.
(26) Ibid., 7 décembre 1995.
(27) Ibid., 28 mars 1996.





 
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