Revue historique: volume 6 numéro 2Un grand disparu : Raymond DenisUne page d'hitoire par l'abbé Roger Ducharme Vol. 6 - no 2, décembre 1995 (N.d.l.r. : Il y a trente ans, le 19 février 1965, la communauté francocanadienne de la Saskatchewan perdait un de ses plus grands chefs, Raymond Denis. Pour marquer l'anniversaire, et pour faire connaître ce grand homme, nous reproduisons l'éloge que lui faisait à l'époque, dans les pages de La Liberté et le Patriote, l'aumônier de l'ACFC, l'abbé Roger Ducharme. L'article a ensuite été reproduit dans les pages de la revue Vie française. Nous les remercions pour la permission de reproduire l'article dans la Revue historique.) Discrètement, sans faire de bruit, des témoins d'un long passé nous quittent, l'un après l'autre. Hier, le 10 septembre 1964, c'était M. Antonio de Margerie qui mourait à Saskatoon, après avoir imprimé sur 1'A.C.F.C. de Saskatchewan une marque indélébile. Aujourd'hui, 19 février, c'est notre vieil ami à tous, Raymond Denis, qui disparaît, à son tour, dans sa 79e année. Il était né à Courcelles, près de St-Jean d'Angély, en Charente Maritime, France, le 15 octobre 1885. Le rideau se tire sur une vie qui ne sera pas facile à évaluer tant elle fut variée et mouvementée. Depuis le jeune étudiant turbulent qui quitta son pays natal à 18 ans, dans un but d'études, jusqu'au fermier de Vonda, Sask., qu'il fut de 1906 à 1934, il y aurait tout un roman à écrire. Depuis son enthousiaste travail comme propagandiste, directeur, président, vice-président, secrétaire de l'Association Catholique Franco-canadienne de la Saskatchewan et de l'Association des Commissaires d'Écoles Franco-Canadiens de la Saskatchewan, cumulant les fonctions et les alternant, jusqu'à la gérance générale de la Compagnie d'Assurance sur la Vie: «La Sauvegarde», avec résidence à Montréal, il y aurait encore tout un livre à écrire. Depuis sa verve communicative comme président des arrondissements paroissiaux de la Fédération des oeuvres catholiques de charité de Montréal jusqu'à sa minutieuse organisation de souscriptions pour la Presse acadienne et pour Radio-Ouest, il y aurait encore unjoli bouquin à faire paraître. Enfin, depuis deux ans, après avoir longtemps accumulé fiches et documents, et comme sentant la fin prochaine, il s'était mis fébrilement à la tâche de rédiger des mémoires. Espérons qu'on pourra en lire des tranches avant trop longtemps. Le patriote Il fut un homme, malgré la grande variété des tâches qu'il a entreprises, tout d'une pièce, d'une carrière exceptionnelle marquée surtout par son amour, son zèle et son action pour les minorités chrétiennes et françaises du Canada, en particulier de «sa» Saskatchewan. Contentons-nous de mentionner quelques-unes seulement des nombreuses activités et organisations dont il fut l'animateur en Saskatchewan française ( qu'il y fut résidant ou non), les marquant toutes de son savoir-faire inné et de sa foi patriotique inébranlable. Tout jeune, je l'ai connu quand il faisait ses tournées des paroisses de la province pour y rencontrer les curés, les parents, les commissaires d'école, les instituteurs et institutrices, pour y organiser les Cercles paroissiaux de I'A.C.F.C., pour présider aux séances et distributions de prix de français et de religion, pour y activer avec énergies et conviction la vie française sous toutes ses formes. Il était connu, écouté et désiré même dans les foyers qu'il se plaisait à visiter en grand nombre, autant que ses innombrables tâches le lui permettaient, et dont il se souvenait toujours aimablement des noms. L'exubérance des parents à son arrivée dans la paroisse ou sur la ferme impressionnait les enfants qui parfois l'appelèrent «mon oncle Denis». Domicilié à Montréal depuis 1934, il continua de s'intéresser concrètement à ses compatriotes de la Saskatchewan. Là-bas, chaque fois qu'il en avait l'occasion, il expliquât en connaissance de cause, dans son style à lui et avec chaleur, la situation scolaire. religieuse et culturelle des «Francos» au pays du blé d'or. On l'a même entendu s'exclamer spontanément encore : «nous» de la Saskatchewan ... tant il y était resté attaché. Il y est revenu plusieurs fois prêter main-forte, en des moments de crise ou en des moments plus gais, surtout à l'occasion de congrès généraux où il y prenait toujours la parole, une parole de feu qui prêchait la fidélité à Dieu, à la Patrie, à la langue maternelle. qui réclamait l'unité et la ténacité dans les durs combats, devant les persécutions comme devant les trahisons déchirantes. Qui oubliera jamais l'onéreuse besogne qu'il a prise en mains, plusieurs semaines durant, à l'été de 1951, pour lancer le fond de train et réussir au-delà de toute espérance, la fameuse campagne de souscription pour Radio-Saskatchewan qui a donné naissance à CFRG et CFNS dont nous sommes exceptionnellement fiers. Et qui, des délégués au rassemblement et des auditeurs à nos postes, ne se souvient pas de son discours à l'emporte-pièce au Congrès jubilaire de 1'A.C.F.C. en juillet 1962 à Prince Albert. devant une salle comble? Ce fut son chant de cygne ... Heureusement que les techniques modernes nous permettent de conserver sur ruban magnétique quelques-unes de ses fines et vigoureuses harangues patriotiques dignes des plus grands tribuns et qui
électrisaient les troupes de choc de 1'A.C.F.C. et de 1'A.C.E.F.C. M. Raymond Denis fut chef de la meilleure trempe. D'une résistance physique remarquable, d'une puissance de travail presque phénoménale et doué d'une mémoire prodigieuse - chacun de ses dons lui faisant un peu défaut sur ses vieux jours, cela l'humiliait énormément - par l'exemple, la parole et la plume, il a entraîné les Canadiens français de la Saskatchewan, si dispersés géographiquement, à l'unité de pensée et d'action. Il a lancé les Concours de Français en 1925 et mené à bonne fin les premiers examens de 1'ACFC. Les milliers de jeunes qui ont appris leur langue française par l'entremise des cours et des programmes bâtis de toute pièce par l'ACFC et par des hommes du calibre de M. Denis ne sauront mieux l'en remercier aujourd'hui ni lui rendre plus bel hommage qu'en jurant respect, amour et fidélité à cet héritage inestimable, à leur langue et à leur culture françaises, en tout temps et en tous lieux. M. Denis a donc librement et de propos délibéré pris part et assisté au fait merveilleux et presqu'inoui de la survie et de la vitalité d'un peuple, au milieu de la diaspora. Il a défendu avec énergie l'Église, la famille, l'école, la bonne presse, le collège, les communautés religieuses au risque parfois de paraître dur quand il notait des faiblesses ou des signes de fatigue. C'est surtout par les Associations (l'ACFC et 1'ACEFC) qu'il oeuvrait. Ne l'avait-on pas d'ailleurs nommé Président d'Honneur de ces deux Associations au Congrès de 1959?... Il les aiguillonnait pour qu'elles continuent de grouper les forces, pour qu'elles sonnent l'alarme au moment du danger, pour qu'elles raniment les énergies qui faiblissent devant l'ampleur des sacrifices à endurer, pour qu'elles réveillent les consciences qui menacent de s'endormir, pour qu'elles fouettent les courages abattus, pour qu'elles sauvent ceux que des éléments adverses peuvent engloutir. Devant cet homme ennemi du confort et du «faut pas s'en faire!», devant ce chrétien solide, ce patriote avisé, devant cet ami qu'elle pleure, la Saskatchewan française s'incline profondément, reconnaît l'énorme dette de reconnaissance qu'elle lui doit, offre une prière fervente pour le repos de son âme qui a combattu le bon combat jusqu'au bout. À M. Denis, aux huit enfants vivants, aux petits et arrièrepetits enfants les profondes condoléances et l'assurance d'un pieux souvenir de tous les foyers canadiens-français de la Saskatchewan. «Ils parlent ainsi, ces nobles vieillards chargés d'ans comme de mérites, et de larges pans de mur se détachent avec eux, d'un passé qui fut aussi le nôtre; d'un passé qu'ils ont contribué à bâtir et qui farde l'empreinte de leur action et de leur idéal.» (Antoine Bernard) (Reproduit de Vie française, Québec, Volume 19, numéros 7-8, mars-avril 1965. L'article avaïtparu dans La Liberté et la Patriote dans les semaines précédentes.) |
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