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Société historique de la Saskatchewan

Des histoires

Trappeur

À l'automne de 1924, un jeune homme du nom de Ed Thériau arrive au village de Big River. Il a formé le projet de se livrer à la trappe des animaux à fourrure dans le Nord de la Saskatchewan. Cet hiver-là, il ne va pas très loin, car il veut apprendre son nouveau métier avant de se hasarder dans les régions éloignées. Il s'arrête donc dans la région du lac Pinehouse, à 175 kilomètres à vol d'oiseau de son point de départ.
Dès l'hiver suivant, il s'enfonce loin vers le nord, en passant par le fleuve Churchill et les lacs Foster, jusqu'au lac Russell. Il y construit une cabane de bois rond. Dans ses périgrinations, il va bien au delà du 58e parallèle, à 700 kilomètres au nord de Saskatoon. Ed Thériau raconte comment les trappeurs passent la nuit sur la ligne de trappe en hiver:

«Un trappeur se construit une cabane pour servir de camp de base, mais il n'y passe pas beaucoup de nuits. La plus grande partie du temps, il est avec ses chiens, sur sa ligne de trappe qu'il doit inspecter à intervalles réguliers. Il dort alors à la belle étoile, loin de sa cabane, même quand le thermomètre marque moins 60° et que le blizzard se déchaîne. Pour survivre dans ce pays, le trappeur doit connaître tous les secrets de l'art de camper dans la neige. La première tâche est de dégager un endroit où lui et ses chiens pourront dormir. Il se sert de sa raquette à la manière d'une pelle pour enlever à peu près toute la neige dans un grand cercle. Il bat alors la neige qui reste avec ses pieds et il coupe des branches de sapin ou d'épinette qu'il étale sur la neige battue. Là-dessus, il étale une grande peau. C'est son lit.

«Au début, j'utilisais une peau d'ours, mais j'ai découvert plus tard que la peau du caribou est beaucoup plus chaude, même si les poils se détachent facilement et se retrouvent dans votre ragoût! Le voyageur avisé transporte aussi un bout de toile qu'il étend sur de petites épinettes plantées tout droit autour de la peau de caribou; la toile le protège du vent et de la neige tourbillonnante. Il faut ensuite couper du bois de chauffage. J'ai toujours pris garde d'établir mon campement dans un lieu suffisamment boisé, car il faut beaucoup de bois quand on doit dormir dehors durant les longues nuits d'hiver. Le meilleur bois, c'est celui du jackpine ? le cyprès ? car il ne lance pas d'étincelles. Comme les trappeurs font souvent sécher leurs vêtements et leurs couvertures près du feu la nuit, ils ne veulent pas les retrouver criblés de petits trous le matin! Il ne fait jamais tout à fait noir durant les nuits d'hiver dans le Nord. Une fois une provision de bois empilée à portée de la main, un bon feu flambant allègrement et le lit déjà préparé à l'abri de la toile, on peut apprécier un morceau d'orignal ou de caribou, soit bouilli soit rôti, ou encore des filets de poissons blancs ou même du pemmican. Le pemmican, c'est de la viande de caribou séchée et pilée avec des bleuets et de la graisse d'ours. La graisse est essentielle si l'homme veut survivre dans les grands froids.

«Quand on se sent un peu seul, on parle à ses chiens. On les nourrit le soir; on fait dégeler un poisson pour chaque chien. Ils l'avalent en deux bouchées et vont s'endormir en boules sur leurs branches d'épinette. En hiver, ce n'est pas souvent qu'on dort une nuit entière. Il faut se lever de temps en temps pour jeter quelques bûches sur le feu. Quand le vent change de direction, il n'est pas très plaisant de se faire réveiller par une bourrasque de neige en plein visage. Mais le froid ne nous dérange pas beaucoup, à condition de prendre l'habitude de toujours dormir à la belle étoile. Moi, je passais rarement plus de quatre nuits par mois dans ma cabane.

«Après avoir couché à la belle étoile pendant quinze ans, je me suis finalement acheté une petite tente. C'est le meilleur achat que j'ai jamais fait! Je ne m'étais jamais imaginé à quel point une tente pouvait être confortable. La mienne avait la forme d'un carré de cinq pieds de côté et des murs de trois pieds de hauteur. Je montais ma tente près d'un ruisseau à l'eau libre, pour ne pas avoir à faire fondre de la neige pour le thé. Il fallait aussi qu'il y ait de petites épinettes, parce que j'avais besoin des branchages pour le sol et de perches pour la tente. Elle se montait en un clin d'oeil. Ensuite, j'étendais une peau de caribou à l'endroit où j'allais dormir.

«J'avais une boîte à provisions, avec une fourchette, un couteau de chasse, une tasse, une bouilloire à thé, un poêlon et un petit chaudron. Je plaçais mon poêle sur trois boîtes de fer pour ne pas qu'il mette le feu aux branchages. Quand je voyageais, je plaçais les boîtes et les tuyaux de la cheminée à l'intérieur du poêle.

«Chaque automne, au début de ma ronde, je cherchais les bons endroits où il y avait de l'eau libre, du bois sec et des épinettes pour les perches de la tente. Ainsi, chaque fois que je revenais visiter ma ligne de trappe, tout était déjà prêt, la neige battue et un tas de bois débité. Quand je m'arrêtais, même à la nuit tombée, je pouvais monter mon campement en quelques minutes.

«Il est bien plus confortable de dormir dans une tente que de dormir à la belle étoile sur des branchages. Mais j'ai entendu parler de trappeurs qui ne se donnaient même pas la peine d'étendre des branchages et qui dormaient sur le sol, à côté d'un feu de camp. Moi, j'ai été forcé de le faire une fois.

«Une fois, j'étais parti lever les trappes sans les chiens. Je n'avais donc pas apporté de peaux et je dormais à côté du feu. Mais à mesure que je m'éloignais de ma cabane, le froid augmentait. Les quatre premières nuits, le froid me réveillait quand le feu était à la veille de s'éteindre; je remettais du bois sur le feu et je me rendormais. La cinquième nuit, j'avais fait un grand feu et je m'étais assoupi. Un peu plus tard, je m'étais éveillé et j'avais placé d'autres bûches sur le feu. Mais j'étais alors tombé dans un très profond sommeil, car j'étais épuisé. À peu près quatre heures s'écoulèrent. Je me suis alors à moitié éveillé et j'ai bien vu qu'il ne restait que quelques tisons. Mais j'avais l'oeil tellement lourd et je me sentais si bien au chaud, si confortable... je me disais que le feu continuerait bien à brûler tout seul. J'étais à la veille de m'assoupir quand, soudain, une voix de l'au-delà m'a rappelé qu'il fallait me lever et raviver les flammes avant que les derniers tisons s'éteignent.

«En essayant de me lever, j'ai découvert avec horreur que je pouvais à peine bouger. J'avais dormi quatre heures de suite face à flamme et j'avais le dos gelé. Après avoir réussi à ranimer le feu, je me suis aperçu que j'avais des engelures au nez, aux joues et aux doigts. Je me demanderai toujours ce qui m'a poussé à me lever, cette nuit-là, plutôt que de sombrer dans un sommeil qui aurait certainement été mon dernier. Il faisait moins 60° et je n'ai pas osé dormir du reste de la nuit.»

(adapté de Ed Thériau et Pat Armstrong, Lost Land of the Caribou, s.l., 1978, p. 11-16)





 
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