Des histoiresTitanic et chevaux belgesOn pourrait être tenté de supposer que le Titanic, qui a sombré au large de Terre-Neuve en 1912, était un paquebot capable d'accommoder au moins 50 000 passagers! En effet, rares sont les albums d'histoire locale qui ne contiennent pas plusieurs mentions de tel ou tel groupe d'immigrants empêché de monter à bord et de courir à son inévitable perte par un incident quelconque ou des formalités de dernière minute. Ce qui est encore plus curieux, c'est que l'on trouve des références de ce genre à propos de familles venues vers 1908, avant même que le paquebot ait été construit, et encore vers 1915, alors que la tragédie était déjà vieille. Il n'y a pourtant aucune raison de douter de la véracité du récit des Delanoy, du district de Sainte-Colette, près de Radville. Hector Delanoy exploite une ferme en Belgique quand un ami d'enfance lui confie qu'il a amassé la somme de 20 000 $ depuis son départ pour le Canada, onze ans auparavant; les chevaux lourds, affirme-t-il, valent là-bas leur pesant d'or. L'occasion paraît belle. Delanoy vend sa propriété et se lance dans le commerce des chevaux belges vers 1909. En société avec son beau-frère, il effectue plusieurs voyages en Amérique pour vendre des chevaux au Nebraska, d'autres à Deloraine, Brandon et Sainte-Amélie, au Manitoba, ainsi qu'à Estevan, en Saskatchewan. Il songe de plus en plus à s'établir dans l'Ouest canadien. Quelques années plus tard, au terme d'une tournée dans les Prairies, il est pressé de rentrer en Belgique, car des affaires l'attendent là-bas. Comme il n'a pas encore vendu tous ses chevaux, il les confie à un maquignon de Brandon et il repasse l'Atlantique. L'honnêteté n'étouffe pas le maquignon et Delanoy apprend bientôt que ce dernier a tout bonnement empoché l'argent de la vente. Il télégraphie ses instructions à un avocat de Brandon, qui engage immédiatement des poursuites. Le marchand belge a déjà réservé une cabine à bord du Titanic, un luxueux paquebot anglais effectuant sa première traversée. Un télégramme l'avise pourtant que sa présence en cour s'impose à telle date; un coup d'oeil au calendrier lui apprend qu'il n'arrivera pas à temps s'il attend le départ du Titanic. Il s'embarque donc à bord d'un navire qui fait voile trois jours plus tôt. Point besoin de dire qu'il pousse un soupir de soulagement lorsqu'il apprend la nouvelle du désastre! Même s'il gagne son procès, il ne recevra jamais le produit de la vente des chevaux et il lui sera d'ailleurs impossible de reprendre possession des bêtes, car des lois protègent les agriculteurs qui ont acheté, de bonne foi, des animaux volés. La famille s'installe à Sainte-Amélie, dans la région du lac Dauphin au Manitoba en 1913. Le commerce des chevaux est interrompu pendant la Première Guerre mondiale et il faut attendre jusqu'en 1924 avant que les importations puissent reprendre, car la guerre a causé en Belgique une véritable boucherie d'animaux de selle et de trait. Hector Delanoy importe six étalons en 1925; il en vend deux à la foire agricole de Régina et un autre à un fermier manitobain. Les trois autres font la tournée des campagnes. Les opérations se déplacent ensuite pendant plusieurs années dans les régions de Willow-Bunch et de Fife Lake. Au printemps de 1928, les Delanoy s'établissent à Sainte-Colette, dans le district de Radville, sur une terre ayant autrefois appartenu à l'abbé Napoléon Jacquet, fondateur de la paroisse. L'année suivante, la sécheresse commence: mais c'est une autre histoire. Si l'on affirme souvent que le crime ne paie pas, on peut néanmoins dire qu'un des pionniers de langue française de la Saskatchewan doit sa vie à la malhonneté d'un marchand de chevaux, anglais par surcroît... Quant au journal Le Patriote de l'Ouest, il a une explication pour le naufrage du Titanic. Ce n'est ni la négligence du capitaine et de l'équipage, ni la cupidité et l'orgueil des armateurs qui ont recommandé de forcer la vapeur pour effectuer la traversée en un temps record: c'est parce qu'on a négligé de faire construire un autel catholique à bord. (adapté de The Yesteryears, Radville Laurier Historical Society, Radville, 1983, p. 442-444; renseignements supplémentaires, Le Patriote de l'Ouest, 16 mai 1912, p. 1) |
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