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Société de la Saskatchewan
Société historique de la Saskatchewan

Des histoires

Téléphones et isolement

En moins d'un siècle, la technologie des télécommunications a connu des progrès étonnants. Aujourd'hui, nous tempêtons lorsque la communication avec le voisin d'à côté, un parent du Québec ou un ami parisien n'est pas immédiate et absolument claire... tout cela pour quelques sous seulement. Les pionniers de la Saskatchewan n'en demandaient pas autant; ils désiraient simplement pouvoir communiquer avec le médecin en cas d'urgence, avec l'agent de l'élévateur pour s'enquérir des prix du blé, avec les commerçants du village pour s'éviter des déplacements et, de façon plus générale, avec les voisins pour rompre l'isolement.
Et c'est justement parce qu'il avait compris la nécessité de rompre le sentiment d'isolement des familles rurales que le gouvernement provincial entreprit l'extension des réseaux ruraux, urbains et interurbains de téléphone.

En 1882, quelques semaines à peine après l'arrivée du premier train à Regina, le téléphone relie déjà les résidences des notables de la ville, plusieurs bureaux du gouvernement territorial et une poignée de boutiques. Lors de la création de la Saskatchewan en 1905, on compte 2000 téléphones sur tout le territoire. L'année suivante, la compagnie Bell effectue les derniers raccordements sur sa ligne Winnipeg-Regina. Mais le service laisse à désirer dans les régions rurales. Les sociétés commerciales ne font rien, car la population est clairsemée, le prix de construction des réseaux est élevé et, par conséquent, les profits sont peu intéressants. Le gouvernement provincial résout donc de prendre les choses en main et il adopte plusieurs lois collectivement connues sous le nom de Telephone Acts, lors de la session de 1908.

Une première loi crée le ministère des Chemins de fer, des Télégraphes et des Téléphones. Il est chargé d'améliorer le service dans les centres urbains et d'étendre les services interurbains à toute la province. Une deuxième loi accorde aux agriculteurs le privilège de former des compagnies rurales de téléphone. Une troisième favorise la création de compagnies municipales de téléphone. Au cours des années suivantes, le ministère se porte acquéreur de plusieurs sociétés commerciales et met sur pied un programme accéléré de construction de lignes interurbaines. Il installe aussi dans les grands centres des appareils qui acheminent automatiquement les appels sans passer par la standardiste. Il avait jusqu'alors fallu décrocher l'écouteur, attendre qu'une voix féminine réponde, indiquer le numéro du correspondant désiré et attendre encore que le bon fil soit branché manuellement pour obtenir la communication. Grâce au nouveau système, l'usager n'a qu'à composer un numéro (c'est en fait une combinaison de lettres et de chiffres) en déplaçant des leviers ou, mieux encore, en faisant tourner du bout du doigt un petit disque troué. On en reste ébahi! Qu'est-ce qu'on ne va pas encore inventer! Le poste de standardiste, il faut le noter, est encore réservé aux filles célibataires; mariage est cause de renvoi immédiat. En 1910, on compte moins de 6000 abonnés, l'année suivante 24 000 et en décembre 1919, plus de 70 000, malgré le ralentissement marqué des nouvelles installations durant la Grande Guerre.

Après une légère compression de l'économie au début de la décennie suivante, un vent d'optimisme souffle sur l'ensemble du pays. La population se persuade qu'une ère de prospérité illimitée vient de s'ouvrir: de nouveaux moyens d'amusement comme la radio et le cinéma font leur apparition, l'automobile connaît une grande vogue et l'invention de M. Bell a sa place dans une proportion de plus en plus grande des maisons de ferme. La croissance des compagnies rurales de téléphone se poursuit. En 1921, au moins 1172 d'entre elles assurent le service à 58 000 foyers; le réseau du gouvernement, lui, dessert un peu plus de 30 500 abonnés.

La coopération entre le gouvernement et les compagnies rurales se manifeste de façon pratique et se solde par des résultats heureux pour les deux parties. La compagnie fournit par exemple le local où le gouvernement installe l'appareillage et en assure l'entretien et l'inspection. C'est souvent une chambre, dans la résidence de la standardiste ou une pièce à part au bureau de poste. Ainsi, le gouvernement s'évite des frais de construction. En retour, celui-ci accorde à la compagnie une généreuse commission sur les appels interurbains, ce qui permet à la compagnie de subventionner le service local, qui fonctionne souvent à perte. Le gouvernement offre aussi des «écoles de téléphones», de novembre à mars, pour la formation du personnel des compagnies rurales.

Dès le milieu des années 1920, plus de la moitié des fermiers saskatchewannais ont le téléphone et ils peuvent désormais communiquer avec les abonnés des deux provinces voisines. On atteint bientôt un plateau et l'élan se ralentit. Plusieurs compagnies rurales choisissent alors de fusionner pour réduire les frais d'exploitation et d'administration.

La crise économique précipitée par le krach de Wall Street en 1929 se double d'une terrible sécheresse dans l'Ouest canadien. Tous les secteurs de l'économie sont touchés, la téléphonie aussi durement que les autres. Entre 1929 et 1935, le nombre de téléphones chute de 25 000 et les appels interurbains diminuent d'une bonne moitié. Malgré tout, la technologie continue de progresser. En mars 1931, les sept principales compagnies canadiennes mettent sur pied un réseau téléphonique transcanadien. Il est désormais possible d'acheminer un appel de Halifax à Vancouver par des lignes entièrement canadiennes. Deux ans plus tard, on peut communiquer outre-mer par une ligne qui relie les pays de l'Empire britannique. Même si le pire de la sécheresse est encore à venir en Saskatchewan, l'année 1935 marque le début d'une modeste reprise de l'économie. Le nombre de téléphones et d'appels interurbains recommence à augmenter sensiblement d'année en année.

Les pluies sont revenues en 1939 et la récolte de blé est la meilleure depuis plus d'une décennie. Mais c'est aussi la guerre, une deuxième guerre mondiale en moins d'un quart de siècle. L'industrie n'arrive pas à produire tout le matériel de télécommunication nécessaire à l'effort de guerre. Il n'est donc pas question d'entreprendre l'expansion du réseau provincial prévue depuis déjà quelques années. Le matériel désuet n'est pas remplacé, les réparations tardent et les listes d'attente de nouveaux abonnés s'allongent. Même après la guerre, la pénurie de personnel et de matériel se fait sentir; les listes d'attente continuent de grandir jusqu'en 1949. Deux ans plus tôt, l'administration et l'exploitation des réseaux locaux et interurbains étaient passées du ministère des Téléphones à une nouvelle société d'État, la Saskatchewan Government Telephones.

La S.G.T. lance d'ambitieux projets de modernisation et d'expansion des réseaux au début des années 1950. Pendant cette seule décennie, le nombre de téléphones passe de 70 000 à plus de 172 000; le nombre annuel d'appels interurbains atteint les 10 millions et les listes d'attente disparaissent enfin. On peut dire que tous les habitants de la moitié sud de la province ont enfin accès aux services téléphoniques essentiels.

Les trois dernières décennies ont vu le développement de nouvelles technologies et leur application au réseau de télécommunications de la S.G.T., officiellement connue depuis 1969 sous le nom de SaskTel: accès direct à l'interurbain, informatisation des systèmes de contrôle, enfouissement de toutes les lignes interurbaines, tours micro-ondes, relais par satellites géostationnaires, transmission de données informatiques à très grande vitesse, réseaux de télévision par câble, extension des services au nord de la province, numérisation des signaux, établissement de services interactifs de renseignements comme Agritex et recours à la fibre optique.

Les progrès technologiques dans le domaine des télécommunications ont été rien de moins que fulgurants depuis l'arrivée des premiers colons en Saskatchewan. Dans l'Ouest canadien, contrairement à d'autres régions du pays, ce sont les gouvernements provinciaux qui ont assuré l'extension des services et des réseaux. Deux grandes raisons les y poussaient. En premier lieu, les compagnies de téléphone trouvaient plus profitables de restreindre leurs opérations aux grandes villes et aux régions très densément peuplées. Elles ne s'inquiétaient guère des régions rurales, où la population souffrait encore d'isolement. Mais il y avait aussi la crainte des abus qu'un monopole commercial amenait inévitablement: on n'avait pas encore oublié ce que le monopole du Canadien Pacifique, par exemple, avait pu coûter à l'Ouest. C'est pourquoi le gouvernement provincial a choisi de jouer un rôle de tout premier plan, d'abord par l'intermédiaire du ministère des Chemins de fer, des Télégraphes et des Téléphones, puis de la Saskatchewan Government Telephones et enfin de SaskTel.





 
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