Revue historique: volume 12 numéro 3Souvenirs d'une première rencontre avec Rolland PinsonneaultQuelquun ma demandé si cétait la photo de mon père. Vol. 12 - no 3, mars 2002 Cest étrange le vide que jai ressenti. À mon arrivée en Saskatchewan, Rolland mavait un peu pris sous son aile. Mon premier souper à Regina, quelques heures après la fameuse panne de camion, était avec Rolland. Il y a déjà 16 ans... Dailleurs, je retranscris ci-dessous un extrait de mes «mémoires de Saskatchewan» où il est question de ma rencontre avec Rolland: «Sans trop savoir ni comment, ni pourquoi, je me retrouve au centre demploi de Regina à scruter les offres demploi. Il y a sûrement une jobine quelque part qui me permettrait dassumer la note salée de la réparation du camion. «Journal francophone recherche graphiste.» Tiens donc! Il y a donc des francophones en Saskatchewan? Cest tout juste si je savais que des gens y habitaient. Ce doit être pour un bulletin destiné aux Québécois qui se sont exilés dans ce plat pays qui nest pas le leur. Lassimilation a dû régler le cas des franco-saskatchewannais depuis belle lurette. «Salaire à discuter...» Et bien discutons! Je note le numéro de téléphone et le nom de la personne à contacter.
Le type au téléphone semble assez âgé, plutôt sympathique et un peu bourru sur les côtés. Il minforme que le journal en question se nomme lEau vive et quil sadresse principalement aux franco-phones originaires dici. Je nai pas osé demandé le tirage car, après tout, je nai besoin que de sous pour payer la chirurgie sur mon moteur, que je puisse poursuivre mon périple vers la Colombie Britannique. On se fixe un rendez-vous au restaurant du Sheraton pour lheure du souper. Histoire de me préparer à lentrevue je retourne au terminus dautobus où jai laissé quelques bagages essentiels à la survie urbaine pendant la réparation de la camionnette. Un coup doeil au miroir minforme de la nécessité de rafraîchir lallure du bonhomme qui sy trouve. Les camionnettes Volks sont de véritables cocons qui peuvent transformer en quelques jours le plus bucolique des papillons en une hirsute chenille. Finalement ce nétait pas lentrevue à laquelle je mattendais que ma fait passer Rolland Pinson-neault, le vieux bonhomme en question. Il ma fait un véritable historique de la francophonie de lOuest. Entre deux bouchées de soupe, jai eu à peine le temps de glisser un mot. Jai eu droit à un exposé sur le terrorisme du Ku Klux Klan, à la répression plus subtiles des inspecteurs scolaire qui avaient mis les livres scolaires français et les crucifix à lindex, mais il sest surtout enflammé en parlant de ses compatriotes qui avaient non seulement baissé les bras mais qui sélevaient contre ceux qui croyaient encore à leur culture et leur langue. On a abordé lhéroïque levée de fonds pour bâtir deux postes de radio qui ont fini par se faire acheter par Radio-Canada. À travers son discours jai découvert une passion peu commune pour la langue française, une passion à côté de laquelle celle du plus ardent Québécois pâlirait. Est-ce que cétait comme lattachement face à la vie quéprouve un mourant sur son lit dhôpital? Je découvrirais quelques années plus tard la douleur de cet homme qui, malgré toute une vie en bénévolat intensif au service des associations franco-phones, malgré les nombreuses décorations honorifiques décernées par des groupes nationalistes québécois, devait parler en anglais à ses petits enfants. En se levant de table, il me confesse quil croit maintenant à la nécessité pour les Québécois de se doter dun pays «avant quil ne soit trop tard». Je mattendais à tout sauf à ça. Découvrir au coeur de la Saskatchewan un éditeur dun journal francophone âgé denviron 70 ans qui désire ardemment la séparation du Québec. Il me paie le repas et minvite à aller visiter les ateliers de «son» journal. Jétais loin de me douter que jallais bientôt franchir le seuil dun atelier qui allait devenir mon deuxième «chez moi» pendant les cinq années suivantes. Cinq années où ma vie allait prendre un tout nouveau tournant et où je succomberais à la passion contagieuse de Rolland pour LEau vive.»
Et voilà ma première rencontre avec Rolland. On a eu nos prises de bec, on sest épaulé chacun notre tour, je lai aidé à tenir ce foutu journal à bout de bras pendant quelques années. Cinq ans seulement, mais quelle étape importante dans ma vie. Il y a quelques semaines, jai fait le ménage des mes tonnes dEau vive dans la cave. Jai découpé les articles que javais écrits ou qui avaient une signification particulière. Jai revu les copies de cette chronique «Le cri du pinson» et je me suis revu travaillant le logo le soir, seul à lEau vive. Cétait la première fois que je préparais un logo. Cétait avant les ordinateurs. En tout cas, je trouve étrange de vivre ce deuil loin de la Saskatchewan, entouré de gens pour qui le nom de Rolland Pinsonneaul ne signifie rien. Je leur mentionne que cest le type sur la photo près de mon écran qui veille sur moi depuis mon retour au Québec. Un jour quelquun ma demandé, si cétait la photo de mon père. En fait jaurais pu répondre oui. Il y a une partie de moi qui est née grâce à ma rencontre avec Rolland. Je men veux de ne pas lui avoir téléphoné depuis mon départ de la Saskatchewan en 1996. Il ma téléphoné une fois et jétais si content de lui parler. Il mavait demandé de lui préparer un texte relatant mes souvenirs de lui pendant la période où jétais à lEau vive pour ses mémoires. Lidée me plaisait, jai commencé à mettre des mots sur papier, mais je ne lui ai jamais rien envoyé. Cest comme si je misais sur des retrouvailles qui nauront jamais lieu. Dommage, jaurais aimé quil sache la place quil a pris dans ma vie. Jean-Pierre Picard |
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