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Société historique de la Saskatchewan

Des gens

Siméon Ducharme

Plusieurs historiens soutiennent qu'en s'exilant dans un pays encore sauvage – ce qu'on nomme souvent la «frontière» –, les hommes tentent d'échapper aux contraintes de leur pays natal et de créer des structures tout à fait nouvelles, mieux en accord avec leur tempérament. D'autres historiens maintiennent au contraire que les nouveaux arrivants dans cette «frontière» n'ont de cesse qu'ils ne reproduisent exactement les structures qu'ils ont abandonnées au pays natal. Dans le cas de Willow-Bunch, il semble bien que c'est cette dernière théorie qui prévale. En effet, bon nombre de ses habitants étaient originaires des paroisses avoisinant Saint-Gabriel-de-Brandon, au nord de Montréal, et ils ont cherché à reconstituer dans la mesure du possible en Saskatchewan le même cadre de vie, avec sa même structure de base, la paroisse. Siméon Ducharme était l'un d'eux.
Siméon Ducharme naît à Saint-Félix-de-Valois en novembre 1885. Arrivé à Willow-Bunch à la mi-mars 1907, il s'engage aussitôt chez Jean-Louis Légaré pour «plumer», c'est-à-dire pour enlever la peau des quelque 500 bêtes à cornes qui ont péri durant les vagues de froid et les tempêtes de l'hiver précédent. Légaré, pour se reprendre un tant soit peu de ses pertes, tient à récupérer les peaux; le travail, on s'en doute un peu, n'est guère ragoûtant quand les carcasses se mettent à dégeler au soleil printannier.

Le nouveau venu se réserve un homestead un mois après son arrivée, s'engage chez des fermiers des environs et se bâtit une cabane à temps perdu. Elle est prête en juillet de cette année-là, mais il n'y résidera qu'à partir du printemps suivant. Il fait ensuite le charroi pendant deux hivers consécutifs pour le compte de Légaré: Willow-Bunch à Moose-Jaw, Moose-Jaw à Willow-Bunch, 110 kilomètres à vol d'oiseau et beaucoup plus en suivant la piste, par-delà les Buttes aux Cactus, parfois avec des chevaux bien domptés, parfois avec des chevaux nerveux et pas encore accoutumés au harnais, bien souvent par des froids sibériens et durant des blizzards aveuglants. C'est avec des Métis de Saint-Ignace-des-Saules qu'il voyage; pas avares de leur savoir pour une miette, ils lui enseignent tous les trucs du métier, tout ce qu'il faut savoir pour survivre dans ce dur pays.

Au printemps de 1909, un des frères de Jean-Louis Légaré, Nazaire, arrive avec sa famille: un fils et, bonne nouvelle pour les célibataires de trente lieues à la ronde, quatre filles. Les affaires ne traînent pas en longueur: Siméon épouse Eugénie Légaré en novembre de cette année-là. Il s'est entre temps réservé une préemption contiguë à son homestead, un peu à l'ouest de Willow-Bunch. La vie de Siméon Ducharme sera désormais vouée à sa famille et à sa paroisse. Il fait partie de la chorale, de la fanfare, du cercle dramatique et de la Société Saint-Jean-Baptiste. Au début de la Grande Guerre, il s'établit plus à l'ouest dans la vallée, près du nouveau village de Saint-Victor. Là, il lance une beurrerie et une fromagerie. Il semble bien qu'il avait déjà acquis de solides connaissances dans ce domaine au Québec. Les fermiers des environs viennent lui livrer le lait des quelques vaches qu'ils possèdent; l'affaire marche bien, le gouvernement soutient les fromageries artisanales, les marchés sont solides et les prix encourageants. Mais à partir de 1917 et pendant trois ans, le prix du blé augmente en flèche, si bien que les fermiers préfèrent disposer de leur troupeau et se consacrer à la culture du grain. Sans lait, Siméon Ducharme est bien forcé de fermer les portes de la fromagerie. Il devient lui aussi agriculteur et rancher. Bâti à chaux et à sable, il n'est pas, comme on dit, manchot: au hasard des besoins, il est charpentier, maçon, forgeron, cordonnier, barbier, vétérinaire, mécanicien, postillon, mineur de charbon, coupeur de glace sur les lacs en hiver et, hélas, durant l'épidémie de grippe espagnole en 1918, conducteur du prêtre et du médecin auprès des malades, assembleur de cercueils et fossoyeur.

Avec son épouse, il pourvoit aux besoins et élève une famille de huit enfants, dont deux prêtres et deux religieuses. On se demande où il trouve le temps de tout faire: il est syndic de paroisse et maître de chant pendant de très nombreuses années; il est commissaire d'école; il est alternativement président et secrétaire du cercle local de l'A.C.F.C. et fait sa part au niveau provincial, comme au congrès de Saskatoon en 1936, alors qu'il siège au comité des résolutions; il se joint au cercle d'art dramatique de Saint-Victor; il appuie activement le Wheat Pool et le magasin coopératif.

À la retraite, Siméon et son épouse tiennent maison chez un de leurs fils, curé de Coderre, puis de Fife-Lake. Après le décès de sa compagne à l'été de 1962, Siméon Ducharme continue un temps de résider chez son fils puis, devenu aveugle, il doit se réfugier au Foyer d'Youville à Gravelbourg. C'est là qu'il décède en décembre 1976 à l'âge de 91 ans.

(renseignements: notes de M. l'abbé Roger Ducharme, collection S.h.S.)





 
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