Saint-Victor

Saint-Victor, comme bien d'autres centres franco-canadiens, est une paroisse qui doit son existence à la venue de colons de langue française au début du XXe siècle. Toutefois, dans le cas de Saint-Victor, l'histoire remonte à l'arrivée des Métis à la Montagne de Bois au début des années 1870.

En 1869, un Métis nommé George Fisher avait visité certaines familles métisses qui hivernaient dans la région de la Montagne de Bois. Selon Fisher, cette région était enchanteresse; le territoire en question étant traversé par une vallée où abondaient le bois et les sources d'eau et où il y avait beaucoup de bisons et de gibier. Une caravane de 300 charrettes avait donc quitté Pembina. Elle transportait 75 familles métisses venant de Pembina, de Saint-Joseph et de Saint-François-Xavier. Tous se dirigeaient vers la Montagne de Bois. Jean-Louis Légaré, traiteur et futur fondateur de Willow Bunch était avec ce groupe de Métis.

Les nouveaux venus s'établissent premièrement à un endroit appelé la Coulée-Chapelle. Dans son histoire de Willow Bunch, l'abbé Clovis Rondeau explique que la Coulée-Chapelle se trouvait dans la paroisse de Saint-Victor, à quelques milles de Willow Bunch. Dans son article dans le Patriote de l'Ouest, Louis Schmidt, ancien secrétaire de Louis Riel, donne un autre nom à la Coulée-Chapelle. «Ainsi, si je ne me trompe, St-Victor se trouve tout près de la “Coulée des Prêtres”, c'est-à-dire l'endroit où le premier missionnaire de ces régions - la Montagne de Bois - s'est d'abord établi et a passé l'hiver; je crois que c'était le Père Lestanc, qui a été remplacé peu après par le P. St-Germain.»(1)

L'abbé Rondeau confirme que c'est le père Lestanc, o.m.i., qui est le premier, en 1870, à suivre les Métis jusqu'à la Montagne de Bois. «Il commença donc, à cette époque, à visiter les Métis de la Montagne de Bois, et à passer l'hiver chex eux. Dans ce premier hivernement il habita le lieu appelé la Coulée-Chapelle et reçut l'hospitalité d'un nommé Norbert Delorme.»(2)

Le père Lestanc fait bâtir une modeste chapelle à cet endroit et c'est probablement à cause de ce petit bâtiment qu'on a nommé la place la Coulée-Chapelle. L'abbé Rondeau ne fait toutefois pas mention du nom de la Coulée des Prêtres dans son histoire de Willow Bunch.

L'hiver suivant, les Métis choisissent d'établir leur hivernement plus à l'ouest, près de l'actuel village de Wood Mountain. Ils reviendront dans cet endroit en 1880 lorsque Jean-Louis Légaré s'établira définitivement à Willow Bunch.

Dans son Croquis historique des paroisses du diocèse de Gravelbourg, Sask., l'abbé Adrien Chabot nous donne plus de précisions quant à l'emplacement de la première mission de la Coulée-Chapelle. «À leur venue du Manitoba vers 1870, le Père P. Lestanc et ses familles métisses étaient venus planter leurs tentes autour d'une humble chapelle qu'ils avaient érigée à 3 milles à l'est de l'église actuelle, sur les pentes d'une coulée qui a porté longtemps le nom de Coulée Chapelle (aujourd'hui propriété de M. Alexandre Zess).»(3)

Pendant de nombreuses années, le terrain de Saint-Victor n'est visité que de temps à autres par des Indiens, des Métis ou, parfois, des Blancs. L'abbé Chabot précise que « ce n'est qu'au temps où les buffles étaient disparus que les métis songèrent à s'établir définitivement sur le territoire de Saint-Victor.»(4)


Les familles métisses quittent la Coulée-Chapelle en 1870, pour la Montagne de Bois, quelques kilomètres à l'ouest, mais une d'entre elles revient presque immédiatement pour s'y établir définitivement. «En 1872 la famille McGillis s'établit en permanence sur les lieux où réside encore notre vénérable centenaire.»(5) Il s'agit donc de l'enracinement d'une famille métisse à Saint-Victor huit ans avant l'établissement de Jean-Louis Légaré à Willow Bunch.

Au fil des ans, un des enfants de cette première famille métisse de Saint-Victor deviendra une figure légendaire dans la région. On parle bien sûr d'Alexandre «Catchou» McGillis. Il est né à Saint-François-Xavier, Manitoba, vers la fin novembre 1863. Il est le fils d'Angus McGillis et d'Isabelle Fagnant. «Ses parents étaient tous deux Métis. Le grand-père était écossais et la grand-mère paternelle était de la tribu des Sauteux. La grand-mère maternelle était Crise. Sauteux et Cris formaient une bonne partie de la population de la mission Saint-François-Xavier, connue aussi sous le nom de la mission du Cheval Blanc.»(6)

Catchou McGillis suit ses parents à la Montagne de Bois en 1870. On le surnomme «Catchou» à cause de sa petite taille; le mot voulant dire «petit homme» en langue indienne. Malgré sa petite taille, «Catchou» McGillis ne tardera pas à se tailler une place d'honneur dans la communauté métisse du sud-ouest saskatchewannais. «Dès l'âge de 14 ans, il a à son crédit l'honneur rare d'avoir déjà abattu deux bisons.»(7) Son père meurt en 1881 et la responsabilité lui revient de voir à sa mère et à ses frères et soeurs. Il a 18 ans. «Il ne tarda pas d'être employé par les éleveurs de la région, et spécialement par Jean-Louis Légaré et Pascal Bonneau, mais en 1888 il devint lui-même propriétaire d'un ranch et fit l'élevage sur une grande échelle.»(8)

Il connaît de grands succès avec cette entreprise jusqu'en 1904. «L'hiver de 1904, qui fut terrible, décima presque complètement son ranch. À la fin de l'hiver, il ne lui restait plus qu'une centaine de bêtes, en ayant perdu un bon 300 au cours des grandes tempêtes. Il devait continuer le même métier mais à une échelle très réduite.»(9)

Au cours des prochaines années, il rend service aux autres. Il est tout à fait probable qu'il a été celui choisi par l'abbé Lemieux pour accompagner Edmond Gauthier jusqu'à la rivière La Vieille en 1905. Gauthier est le premier à venir s'établir dans la future communauté fransaskoise de Gravelbourg. L'abbé Albert Royer parle de McGillis dans ses souvenirs de ses voyages d'exploration dans le sud-ouest de la Saskatchewan en 1906 et 1907.

Mais Alexandre «Catchou» McGillis s'occupe surtout des membres de sa famille. Il demeure avec sa vieille mère jusqu'à sa mort en 1933, à l'âge de 96 ans. «Après la mort de sa mère, Alexandre continua à héberger chez lui sa soeur, Marie, et son neveu, Antoine Beaudry. En 1951, après la mort de son frère Tobie, il prit avec lui ses neveux Magloire et Joseph. Catchou ne s'est jamais marié.»(10) Son homestead est au centre même du village de Saint-Victor. La vieille maison, construite en 1890 est aménagée en musée par la Chambre de commerce de Saint-Victor, l'année du centenaire de McGillis en 1963.

Il est décédé en 1968 à l'âge de 105 ans. «Catchou» McGillis n'était pas un des grands héros du Nord-Ouest, mais sa contribution au développement de la région de Saint-Victor, de Willow Bunch et du sud-ouest de la province lui font mériter une place dans l'histoire des francophones de la Saskatchewan.

Alors que certaines familles métisses, comme celle d'Angus McGillis, s'établissent dans les environs de Saint-Victor dès 1872, les premiers Canadiens français n'arrivent pas avant le début du XXe siècle. «Le premier Canadien français de St-Victor fut M. Alfred Lalonde. Il vint en 1902 visiter le pays et l'année suivante, au mois de mai, il quitta La Salle, Manitoba, avec un troupeau d'animaux pour venir s'établir sur un ranch dans la région.»(11) Siméon Ducharme et d'autres pionniers canadiens-français, arrivent entre 1906 et 1909.

Un pionnier qui arrive en 1908 est James Mulligan. En 1911, il ouvre le premier bureau de poste de Saint-Victor. «Le bureau de poste fut ouvert en 1911 ayant M. J.P. Mulligan comme titulaire. Ce premier bureau de poste portait le nom de Mullrany et était situé à deux milles à l'est du village actuel. Peu de temps après la fondation de la paroisse, il était transporté au village, toujours sous le nom de Mullrany qui devait changer en celui de St-Victor vers 1918.»(12)

Soucieux du besoin d'offrir une éducation à leurs enfants, les pionniers procèdent à la création d'un district scolaire en 1911. «L'école, sous le nom du lac avoisinant de St-Victor (Montague Lake School District No. 1409) a été ouverte en 1911. Le premier instituteur, M. E.E. de Laforest, enseignait dans une maison louée. L'école fut construite en 1913 par M. Alphonse Lalonde et transportée en face de l'église en 1916.»(13) Pendant plusieurs années, l'enseignement est offert aux élèves de Saint-Victor par des laïcs. En 1934, les paroissiens réussissent à convaincre les Soeurs de Jésus-Marie de Gravelbourg de venir prendre la direction de l'école. Elles y restent jusqu'en 1950.

La dernière enseignante de l'école de Saint-Victor a été Mlle Yolande Faucher. L'école a fermé ses portes en 1959. Les deux autres écoles de campagne dans la région avaient déjà été fermées; Maisonneuve en 1951 et Montcalm en 1957.

Au début, les pionniers de Saint-Victor appartiennent à la paroisse de Saint-Ignace des Saules à Willow Bunch. À compter de 1908, le curé de Willow Bunch, l'abbé Lemieux, ou un de ses vicaires, vient dire la messe à la mission «des côtes» comme la région est alors surnommée. «M. l'abbé Ignace Lemieux, curé de Willow Bunch, y célébrait la première messe dans la maison de M. Arthur Beaubien.»(14) En 1913, on fait bâtir une petite chapelle, environ cinq kilomètres au sud du village actuel, sur un terrain qui appartenait, en 1955, à Henri Bissonnette.

L'année suivante, l'abbé Victor Rahaard est nommé premier curé résident. «En cette année 1914, on construisit l'église actuelle sur un terrain donné par M. ALexandre McGillis et le territoire fut érigé en paroisse, ayant pour titulaire St-Victor en l'honneur du curé-fondateur, l'abbé Victor Rahaard.»(15)

Pendant de nombreuses années, le village de Saint-Victor bourdonnait d'activités; c'est même dans ce village que l'hebdomadaire L'Eau vive a vu le jour en 1971. Cette activité a lieu grâce à la compagnie d'assurance La Familiale. La compagnie a seulement été incorporée en 1954, mais elle avait vu le jour 31 ans auparavant, le 5 septembre 1923. À cette époque, l'isolement des pionniers voulait souvent dire qu'ils ne pouvaient pas avoir recours à un médecin à temps en cas de maladie ou d'accident et plusieurs mouraient jeunes laissant dans le deuil, et parfois même la misère, une jeune famille. «C'est pourquoi un jeune homme d'affaires de Saint-Victor, Joseph-Dosithée Lalonde, natif de l'Ontario, résolut de lancer une société de secours mutuel, sur un modèle répandu en Europe, aux États-Unis et dans l'Est du Canada. Ce qui faisait son succès, c'était sa simplicité même. À chaque fois qu'un membre mourait, tous les autres inscrits contribuaient un dollar: mille membres, mille dollars...»(16) Le siège social de La Familiale demeure à Saint-Victor jusqu'à la fin des années 1970 lorsqu'il est déménagé à Calgary.

La disparition de La Familiale est un coup mortel pour Saint-Victor. Aujourd'hui, l'église a été transformée en musée, l'école est fermée et les habitants de la région se dirigent tout naturellement vers Willow Bunch, Assiniboia ou même Moose Jaw et Regina pour faire «leurs commissions».


Référence

(1) Schmidt, Louis, «Souvenirs», Le Patriote de l'Ouest, le 23 septembre 1915.
(2) Rondeau, Clovis et Chabot, Adrien, Histoire de Willow Bunch, Gravelbourg: Diocèse de Gravelbourg, 1970, p. 34.
(3) Chabot, abbé Adrien, Croquis historiques des paroisses du diocèse de Gravelbourg, Sask. à l'occasion de son Jubilé d'Argent, 1930-1955, Gravelbourg: Diocèse de Gravelbourg, 1955, p. 94.
(4) Ibid., p. 94.

(5) Souvenir centenaire Alexandre McGillis 1963, Pamphlet en dépôt aux Archives de la Saskatchewan.
(6) Ibid.
(7) Rondeau, Clovis et Chabot, Adrien, Histoire de Willow Bunch, Gravelbourg: Diocèse de Gravelbourg, 1970, p. 279.
(8) Ibid., p. 279.
(9) Ibid., p. 279.
(10) Ibid., p. 280.

(11) Chabot, abbé Adrien, Croquis historiques des paroisses du diocèse de Gravelbourg, Sask. à l'occasion de son Jubilé d'Argent, 1930-1955, Gravelbourg: Diocèse de Gravelbourg, 1955, p. 94.
(12) Ibid., p. 94.
(13) Ibid., p. 94.
(14) Ibid., p. 94.
(15) Ibid., p. 94.
(16) Lapointe, Richard, La Saskatchewan de A à Z, Regina: Société historique de la Saskatchewan, 1987, p. 271.

Sources

Un bout d'histoire... 190, 192, 193

Chabot, abbé Adrien, Croquis historiques des paroisses du diocèse de Gravelbourg, Sask. à l'occasion de son Jubilé d'Argent, 1930-1955, Gravelbourg: Diocèse de Gravelbourg, 1955. p

Rondeau, Clovis et Chabot, Adrien, Histoire de Willow Bunch, Gravelbourg: Diocèse de Gravelbourg, 1970.

Schmidt, Louis, «Souvenirs», Le Patriote de l'Ouest, le 23 septembre 1915.

Souvenir centenaire Alexandre McGillis 1963, Pamphlet en dépôt aux Archives de la Saskatchewan.

Lapointe, Richard, La Saskatchewan de A à Z, Regina: Société historique de la Saskatchewan, 1987.