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Société historique de la Saskatchewan

Des histoires

Saint-Louis... des Métis

Plusieurs villages actuels de l'Ouest canadien ont grandi à partir d'un noyau de familles métisses qui s'y sont établies durant le dernier tiers du XIXe siècle. Ces villages s'appellent souvent Saint-Joseph, saint patron de la nation métisse, ou ils portent un autre nom de saint auquel on accroche le suffixe «des-Métis».
On trouve ainsi une mission Saint-Joseph-de-Pembina au Montana, une mission Saint-Joseph tout près du fort Carlton, une autre en Colombie-Canadienne et le village de Saint-Paul-des-Métis en Alberta. On pourrait se demander pourquoi le village de Saint-Louis de Langevin, situé le long de la branche sud de la rivière Saskatchewan, à une trentaine de kilomètres franc sud de Prince-Albert, ne porte pas plutôt le nom de Saint-Louis-des-Métis. Sa fondation remonte en effet à l'arrivée d'un groupe de familles métisses du Manitoba au début des années 1880.

Groupe d'éclaireurs métis
Groupe d'éclaireurs métis rattachés au International Boundary Survey (Arpentage de la frontière internationale) pour le gouvernement canadien, 1872-74 (Archives de la Saskatchewan)
Après les troubles de la Rivière-Rouge en 1870, plusieurs Métis mals à l'aise sous le nouveau régime prennent la résolution de s'en aller plus loin vers l'ouest, les uns vers Batoche et les lacs du Nord, les autres vers la Montagne de Bois et l'état américain du Montana. Bon nombre préfèrent toutefois demeurer sur les terres qu'ils ont reçues au Manitoba. Devenus fermiers, ils améliorent sensiblement les conditions matérielles de leur existence. Mais la Rivière-Rouge connaît vers le milieu des années 1870 une série d'inondations, d'infestations de sauterelles et de gelées désastreuses. Certains Métis sont réduits à la misère. De plus, les terres commencent à manquer et les jeunes familles ne savent trop où s'établir. La décision est difficile, mais il faut bien se résoudre à partir.

Mais où donc aller? Plusieurs Métis avaient exercé le métier de rouliers ou «fréteurs» au service de la grande Compagnie de la Baie d'Hudson. Ils se souviennent d'une belle prairie située le long de la branche sud de la rivière Saskatchewan, non loin d'un gué sur la piste de la colonie d'Isbister, près du site actuel de Prince-Albert. Un ancien chef métis du Manitoba, Louis Schmidt, bras droit de Louis Riel et député de Saint-François-Xavier, s'y est déjà établi sur une pointe dégarnie, près des ruines d'un fort de la Compagnie de la Baie d'Hudson.

Six familles partent en éclaireur: les Boucher, les Bremner, les Boyer, les Delorme, les Vermette et les Fiddler. Au printemps de 1882, elles entassent ce qu'elles peuvent sur des charrettes de la Rivière-Rouge: vêtements, poêle de cuisine, outils agricoles, cages aux poules. On attache le licou d'une vache à l'arrière d'une des charrettes: les veaux et les autres vaches suivront bien. Un petit coup d'aiguillon aux boeufs et la caravane s'ébranle.

Louis Schmidt
Louis Schmidt (Archives de la Saskatchewan)
Elle suit la piste de Carlton ou «piste de la Compagnie». Le trajet est long, au-delà de 800 kilomètres, mais par beau temps on abat presque sept lieues par jour. Le dimanche et les jours de fête, on s'arrête, tout comme les jours de grosse pluie. Le soir, on enfarge les chevaux, on laisse errer le bétail et on ouvre la cage aux poules. Les voyageurs se nourrissent de gibier, surtout de gibier à plumes et de «cabris», de porc salé et de bannique. Enfin, le 27 juillet, après 52 jours de route, la caravane arrive à la colonie de Saint-Laurent-de-Grandin. Trois familles continuent jusqu'aux environs du site actuel de Saint-Louis. La famille de Jean-Baptiste Boucher compte à ce moment-là 14 enfants (dont une fille née en cours de route), celle d'Isidore Boyer en compte 6 et celle de William Bremner, au moins 10. L'endroit est bientôt connu sous le nom de «colonie Boucher».

Le site est propice, car le sol est plus tendre que les terres glaiseuses de la prairie. On trouve de la bonne eau en abondance pour les familles et le bétail. Il y a du bois de chauffage aux alentours et du gros bois de construction de l'autre côté de la rivière. Il n'est d'abord pas question de se livrer à la culture à grande échelle du blé, car les marchés sont trop éloignés; on vit donc de culture mixte et d'élevage.

Les premières années, l'église la plus proche est à la mission de Saint-Laurent, à 25 kilomètres à l'ouest. Il faut partir de bonne heure pour arriver à temps à la messe dominicale. Si l'on veut communier, il faut aussi être à jeun depuis minuit. Heureusement, dès 1884 et peut-être même avant, les Oblats de la mission, les Pères André, Végreville, Dommeau et Lecoq, viennent célébrer la messe à tour de rôle dans la grande résidence de Jean-Baptiste Boucher. D'autres familles de la Rivière-Rouge – les Légaré, les Lépine, les Laviolette, les McDougall, les Fiddler, les Ouellette – sont entretemps venues s'installer à la colonie Boucher. Puis, après les troubles de Batoche en 1885, les villageois construisent une chapelle de bois rond et un presbytère sur le terrain appartenant à leur premier curé, le Père Lecoq. Au cours des années suivantes, plusieurs colons de France, du Québec et du Manitoba achèvent de peupler le district.

La colonie Boucher s'appelle alors déjà Saint-Louis-de-Langevin; elle aurait apparemment reçu ce nom dès 1883, en tout cas certainement en 1884. Mais d'où vient ce nom? Il existe plus d'une hypothèse. La plus farfelue est sans doute celle qui prétend que c'est pour marquer l'arrivée de Louis Riel; elle ne vaut pas qu'on s'y arrête. Une deuxième veut que ce soit en l'honneur de Louis Schmidt, premier colon métis de l'endroit; elle est fort plausible, mais elle n'explique pas l'origine de l'appellation «de-Langevin». La troisième affirme que c'est en souvenir de Saint Louis, roi de France, pour qui Mgr Grandin, évêque de Saint-Albert, avait une dévotion particulière. Cette section de la Saskatchewan appartenait à cette époque au diocèse de Saint-Albert, aujourd'hui Edmonton. Une statue du saint sera d'ailleurs placée plus tard dans une niche de l'église. Une autre hypothèse tente d'expliquer le «Langevin» en affirmant que Mgr Grandin était de l'Anjou (donc Angevin, d'où Langevin), ce qui est manifestement faux, car il était de Mayenne. On soutient aussi que c'est en l'honneur de Mgr Adélard Langevin, archevêque de Saint-Boniface; or, comme ce dernier n'est pas venu dans l'Ouest avant le 1er juillet 1893, l'hypothèse est sans fondement. L'explication la plus plausible, c'est que l'on voulait ainsi honorer Hector-Louis Langevin, un des Pères de la Confédération, surintendant des Affaires indiennes dans le premier Parlement du Canada et ministre des Travaux publics de 1869 à 1873 et de 1879 à 1891. Il aurait apparemment prêté une oreille bienveillante aux démarches effectuées par Mgr Grandin auprès du gouvernement dans le but d'obtenir la création de programmes pour l'éducation, la formation agricole et les soins de santé aux Amérindiens et aux Métis de l'Ouest.

Mais, quelle que soit l'hypothèse retenue, elle est presque impossible à prouver. Nos aïeux de Saint-Louis auraient mieux fait d'épargner toutes ces suppositions aux générations futures en nommant leur colonie Saint-Louis-des-Métis.





 
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