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Société de la Saskatchewan
Société historique de la Saskatchewan

Revue historique: volume 15 numéro 1

Saint-Front, 1910

Une colonie de peine et de misère
par Donatien Frémont
Vol. 15 - no 1, septembre 2004
Monsieur Jos Picton de Saskatoon nous a suggéré l’histoire de son village natal, Saint-Front. En plus de sa collection de photos, il nous a soumis ses souvenirs de Saint-Front à la fin de la Seconde guerre mondiale en 1945 et cet article de Donatien Frémont tiré du volume Les Français dans l’Ouest canadien.

Nous vous invitons donc à emprunter les routes cahoteuses qui menaient à Saint-Front en 1950 pour y faire la découverte de ce jolie petit village qui était, à un temps, complètement francophone.


Des familles de St-Front
Photo: Joseph Picton
Des familles de St-Front en 1928. Les premiers colons sont arrivés en 1910.


Au nord des deux lacs La Plume (Quill Lakes), à 117 milles à l’est de Saskatoon, Périgord et Saint-Front, deux centres franco-canadiens, ont des origines qui se confondent et se ressemblent par plus d’un côté. Le terrain, légèrement accidenté et parsemé de petits lacs, était peu accessible il y a quarante ans, par des chemins que l’on pouvait qualifier de casse-cou.

Saint-Front doit son nom à celui qui en fut le chef virtuel, Florian Montès, né à Saint-Front (Haute-Loire) en 1856. Ce fils d’Auvergne était cousin d’Augustin Bosc, fixé à Notre--Dame-de-Lourdes, Manitoba, qui l’avait attiré au Canada. Il s’était essayé d’abord à Saint-Claude, puis à Haywood, avant d’arrêter son choix définitif sur Saint-Front. Le premier à y prendre pied, en 1910, fut un Belge, Émile Gillard, de Howell (Prud’homme), gendre de Montès. Celui-ci vint l’année suivante avec son fils, Jean, et un autre gendre, François Dubreuil. Saint-Claude et Haywood fournirent encore Jean-Pierre Picton, Louis Noel, Ludovic Le Strat, Joseph Basset, puis le Parisien Eugène Hurion. Le Breton Le Strat, au Canada depuis 1907, avait travaillé comme

Le village de Saint-Front
Photo: Joseph Picton
Le village de Saint-Front vu du sud. Vers 1940.


terrassier à la voie ferrée et comme ouvrier de ferme à Notre-Dame-de-Lourdes. C’était un homme dans toute la force de l’âge, père de sept enfants. Il vint avec le «vieux Basset» et se réserva 640 acres de terre.

En 1912, une bourrasque épouvantable dévasta la région, ne laissant debout que les chênes solidement enracinés. Suivirent des pluies diluviennes qui détrempèrent le sol si profondément qu’il ne put s’assécher qu’au bout d’une année. Plusieurs colons, découragés. firent demi-tour jusqu’à Saint-Claude ou ailleurs. Tout est pour ainsi dire à recommencer; mais la jeune colonie semble devoir se redresser en raison même des obstacles accumulés. À ce moment critique, Montès réussit à bâtir une modeste chapelle en troncs d’arbres où la première messe est célébrée en 1913.

En dépit de tout, les défricheurs auront le dessus, car la terre est excellente et facile à travailler. Les hautes herbes, les pois sauvages et le «jargeau» poussent en abondance. On trouve l’eau à dix ou douze pieds et une nappe souterraine à peu de profondeur. Jules Sauvageot, de Belfort, quitte Wauchope pour venir s’y fixer. Au printemps 1915, Saint-Front compte de cinquante à soixante Français, dont une dizaine sous les drapeaux. Toute sa population — française, canadienne-française et belge — est exclusivement francophone, Allemands, Anglais et autres se trouvant établis un peu plus loin. Ce coin de l’Ouest inconnu et isolé jouit d’une oreille sympathique à Ottawa. Lorsqu’il fait la demande d’un bureau de poste, il en obtient deux: l’un à Saint-Front et l’autre à Périgord. En 1917, six nouvelles terres sont prises par des Canadiens français de la province de Québec. Les voies d’accès ne se sont pas améliorées. Selon l’expression de ces braves gens, pour franchir certains passages difficiles, «on ne voyait plus que les oreilles des chevaux». Plusieurs rebroussent chemin. En général les Français — Auvergnats, Bretons, Savoyards — tiennent bon.

Mme Florian Montès, décédée en 1919, partira trop tôt pour voir aboutir ces longs efforts méritoires. L’année

Jean-Pierre Picton et Antoinette Picton et leurs enfants
Photo: Joseph Picton
Jean-Pierre Picton et Antoinette Picton et leurs enfants Louis, Marie, Hélène et Jean en 1925.


Alphonse Picton
Photo: Joseph Picton
Alphonse Picton, juin 1958. Il a été le premier instituteur bilingue à St-Front en 1914.


suivante, Saint-Front aura pourtant son école, dont le premier instituteur sera Alphonse Picton, fils de Maurice, un embryon de village, avec un groupement total de quarante-sept familles, plus quelques célibataires. Puis une église convenable sera érigé et on aura une paroisse.

En 1943, Saint-Front perdait un octogénaire dont les déplacements et les recommencements marquaient une vie qui fut le lot de plusieurs. Alexandre Prévost, né près de Parthenay (Deux-Sèvres), était venu dans l’Ouest avec sa famille en 1894, Il demeura seize ans à Notre-Dame-de-Lourdes, quatre ans à Haywood et vingt-neuf ans à Saint-Front. Quant à Joseph Basset — celui qu’on appelait déjà le «vieux Basset» au début de la colonie, quarante-cinq ans plus tôt — il mourut en 1956, dans sa quatre-vingt-dix-neuvième année. Lui aussi avait connu, dans sa lutte pour la vie, plusieurs champs d’action. Né à Corveissiat (Am) et venu au Canada en 1893, cet infatigable travailleur avait défriché le sol à Notre-Dame-de-Lourdes, à Saint-Claude, à Dana avant de se fixer définitivement à Saint--Front. Ses nombreux descendants n’ont pas quitté la région.

Photo: Joseph Picton
Jean-Pierre Picton et Antoinette Picton et leurs enfants Louis, Marie, Hélène et Jean en 1925.

Photo: Joseph Picton
Alphonse Picton, juin 1958. Il a été le premier instituteur bilingue à St-Front en 1914.





 
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