Revue historique: volume 15 numéro 1Saint-Front, 1910Une colonie de peine et de misère par Donatien Frémont Vol. 15 - no 1, septembre 2004
Au nord des deux lacs La Plume (Quill Lakes), à 117 milles à lest de Saskatoon, Périgord et Saint-Front, deux centres franco-canadiens, ont des origines qui se confondent et se ressemblent par plus dun côté. Le terrain, légèrement accidenté et parsemé de petits lacs, était peu accessible il y a quarante ans, par des chemins que lon pouvait qualifier de casse-cou. Saint-Front doit son nom à celui qui en fut le chef virtuel, Florian Montès, né à Saint-Front (Haute-Loire) en 1856. Ce fils dAuvergne était cousin dAugustin Bosc, fixé à Notre--Dame-de-Lourdes, Manitoba, qui lavait attiré au Canada. Il sétait essayé dabord à Saint-Claude, puis à Haywood, avant darrêter son choix définitif sur Saint-Front. Le premier à y prendre pied, en 1910, fut un Belge, Émile Gillard, de Howell (Prudhomme), gendre de Montès. Celui-ci vint lannée suivante avec son fils, Jean, et un autre gendre, François Dubreuil. Saint-Claude et Haywood fournirent encore Jean-Pierre Picton, Louis Noel, Ludovic Le Strat, Joseph Basset, puis le Parisien Eugène Hurion. Le Breton Le Strat, au Canada depuis 1907, avait travaillé comme
terrassier à la voie ferrée et comme ouvrier de ferme à Notre-Dame-de-Lourdes. Cétait un homme dans toute la force de lâge, père de sept enfants. Il vint avec le «vieux Basset» et se réserva 640 acres de terre. En 1912, une bourrasque épouvantable dévasta la région, ne laissant debout que les chênes solidement enracinés. Suivirent des pluies diluviennes qui détrempèrent le sol si profondément quil ne put sassécher quau bout dune année. Plusieurs colons, découragés. firent demi-tour jusquà Saint-Claude ou ailleurs. Tout est pour ainsi dire à recommencer; mais la jeune colonie semble devoir se redresser en raison même des obstacles accumulés. À ce moment critique, Montès réussit à bâtir une modeste chapelle en troncs darbres où la première messe est célébrée en 1913. En dépit de tout, les défricheurs auront le dessus, car la terre est excellente et facile à travailler. Les hautes herbes, les pois sauvages et le «jargeau» poussent en abondance. On trouve leau à dix ou douze pieds et une nappe souterraine à peu de profondeur. Jules Sauvageot, de Belfort, quitte Wauchope pour venir sy fixer. Au printemps 1915, Saint-Front compte de cinquante à soixante Français, dont une dizaine sous les drapeaux. Toute sa population française, canadienne-française et belge est exclusivement francophone, Allemands, Anglais et autres se trouvant établis un peu plus loin. Ce coin de lOuest inconnu et isolé jouit dune oreille sympathique à Ottawa. Lorsquil fait la demande dun bureau de poste, il en obtient deux: lun à Saint-Front et lautre à Périgord. En 1917, six nouvelles terres sont prises par des Canadiens français de la province de Québec. Les voies daccès ne se sont pas améliorées. Selon lexpression de ces braves gens, pour franchir certains passages difficiles, «on ne voyait plus que les oreilles des chevaux». Plusieurs rebroussent chemin. En général les Français Auvergnats, Bretons, Savoyards tiennent bon. Mme Florian Montès, décédée en 1919, partira trop tôt pour voir aboutir ces longs efforts méritoires. Lannée
suivante, Saint-Front aura pourtant son école, dont le premier instituteur sera Alphonse Picton, fils de Maurice, un embryon de village, avec un groupement total de quarante-sept familles, plus quelques célibataires. Puis une église convenable sera érigé et on aura une paroisse. En 1943, Saint-Front perdait un octogénaire dont les déplacements et les recommencements marquaient une vie qui fut le lot de plusieurs. Alexandre Prévost, né près de Parthenay (Deux-Sèvres), était venu dans lOuest avec sa famille en 1894, Il demeura seize ans à Notre-Dame-de-Lourdes, quatre ans à Haywood et vingt-neuf ans à Saint-Front. Quant à Joseph Basset celui quon appelait déjà le «vieux Basset» au début de la colonie, quarante-cinq ans plus tôt il mourut en 1956, dans sa quatre-vingt-dix-neuvième année. Lui aussi avait connu, dans sa lutte pour la vie, plusieurs champs daction. Né à Corveissiat (Am) et venu au Canada en 1893, cet infatigable travailleur avait défriché le sol à Notre-Dame-de-Lourdes, à Saint-Claude, à Dana avant de se fixer définitivement à Saint--Front. Ses nombreux descendants nont pas quitté la région. Photo: Joseph Picton Jean-Pierre Picton et Antoinette Picton et leurs enfants Louis, Marie, Hélène et Jean en 1925. Photo: Joseph Picton Alphonse Picton, juin 1958. Il a été le premier instituteur bilingue à St-Front en 1914. |
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