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Société historique de la Saskatchewan

Des gens

Rosa Gosselin (soeur Éléonore, F.d.l.C.)

Les congrégations de religieuses enseignantes ont puissamment aidé à l'établissement d'institutions scolaires dans les villages de langue française de la Saskatchewan. Elles venaient pour une bonne part de France, d'où elles avaient été chassées par la montée de l'anticléricalisme. Cette contribution est d'autant plus admirable que, bien souvent, tout semblait conspirer contre le succès de leurs entreprises: la nécessité d'apprendre une nouvelle langue, le climat rude, le régime alimentaire comparativement frustre, la cherté des ouvriers et du matériel, l'obligation de se conformer à des méthodes et à des programmes d'études différents, l'inégalité de la formation élémentaire déjà reçue par les élèves venus des régions rurales isolées, une fréquentation scolaire souvent interrompue par les mauvais chemins ou par le travail de la ferme, l'opposition systématique de quelques inspecteurs d'école mal intentionnés, la pauvreté générale des populations rurales, la difficulté d'encourager les vocations religieuses dans l'Ouest pour assurer la relève et, aussi, les disputes de clocher dans lesquelles elles se trouvaient inévitablement entraînées. Malgré toutes ces difficultés et bien d'autres encore, les «bonnes soeurs» ont oeuvré avec zèle et fidélité, le plus souvent dans l'ombre. C'est ainsi que soeur Éléonore, des Filles de la Croix de Saint André a consacré d'une manière ou d'une autre 35 ans de sa carrière à l'éducation des enfants blancs et métis de Willow-Bunch, en plus des 15 années qu'elle a passées au couvent de Laflèche.
Rosa Gosselin naît le 16 décembre 1890 à Saint-Malo, petit village français du Manitoba situé à une soixantaine de kilomètres au sud de Saint-Boniface. La famille est arrivée du Québec quelques années plus tôt pour s'établir dans ce district qui en est encore à ses débuts, car il n'y a pas encore de prêtre résidant ni même de chapelle. Son parrain, malgré le temps froid, «attelle» pour le baptême à la paroisse voisine de Saint-Pierre-Jolys. L'expédition n'a de toute évidence que des effets bénéfiques, car le poupon en langes deviendra bientôt une jeune fille «bien plantée».

En 1905, les Filles de la Croix arrivent à Saint-Malo pour y prendre la direction de l'école. Rosa profite pleinement des leçons de ses nouvelles maîtresses. Elle manifeste aussi le désir de se joindre à la congrégation des Filles de la Croix; elle est néanmoins encore un peu trop jeune, et ce n'est qu'en 1910 qu'elle part pour le noviciat de La Puye, en France. Elle qui est habituée aux grands espaces et qui se laisse souvent entraîner par sa nature exubérante, comme elle a dû avoir de la peine à se plier aux nombreuses règles du noviciat! Après ses voeux prononcés à la fin août 1912, elle reprend le chemin du Canada et étudie quelque temps à Saint-Adolphe au Manitoba, avant de partir pour Régina, où elle doit faire son cours d'École Normale car elle est destinée à l'enseignement en Saskatchewan.

En 1905, la même année de leur arrivée à Saint-Malo, les Filles de la Croix ont aussi fondé une maison à Saint-Maurice-de-Bellegarde. Au cours des années suivantes, M. l'abbé Alphonse Lemieux, curé de Willow-Bunch et anciennement de Saint-Raphaël-de-Cantal, a maintes fois l'occasion de constater lors de ses visites tout le bien qu'elles font à Bellegarde. Il voudrait bien qu'elles puissent s'installer à Willow-Bunch. Mais la congrégation n'a pas encore assez de sujets pour une nouvelle fondation et le projet est remis d'une année à l'autre.

En 1913, on conclut enfin une entente. La paroisse donne 20 acres de terrain aux religieuses et les paroissiens souscrivent la somme de 3000 $ pour la construction d'un couvent. On s'engage aussi à transporter par corvée la pierre et le sable nécessaires afin de réduire le coût de construction. Pour diverses raisons, les Filles de la Croix ne peuvent prendre la direction de l'école à l'automne de cette année-là, comme il avait été prévu. Le 8 janvier 1914, deux religieuses arrivent à Saint-Ignace-des-Saules pour surveiller les travaux de construction. Mais à cause des jalousies et des querelles intestines qui, regrettablement, semblent avoir trop souvent paralysé l'action française à Willow-Bunch, le projet piétine un temps. Puis, on se met à l'ouvrage, mais le début de la Grande Guerre ralentit les travaux, car l'appel sous les drapeaux amène une pénurie de main d'oeuvre.

L'école ouvre finalement ses portes le 15 septembre et les travaux sont suffisamment avancés pour accueillir les premiers pensionnaires le 1er octobre. Comme il n'existe encore aucune autre institution en Saskatchewan pour héberger les jeunes garçons, les Filles de la Croix acceptent de recevoir au pensionnat ceux qui demeurent trop loin pour faire chaque jour le trajet vers l'école. Il y a bien au delà de 125 inscriptions, dont l'immense majorité en première année, ce qui montre bien toute l'urgence de la fondation. Bon nombre de ces élèves, venus de districts où il n'existe pas encore d'école, ont de loin dépassé l'âge habituel des premières classes.

Le 22 octobre 1914, soeur Éléonore arrive à Willow-Bunch pour y prendre la charge d'une classe. Elle entreprend l'oeuvre patiente de l'éducation de la jeunesse franco-catholique. Souvent aussi, elle a la surveillance des garçonnets pensionnaires. Son grand plaisir, c'est de les amener faire des promenades dans les buttes et les coulées avoisinantes pour y épier les animaux sauvages.

En 1917, soeur Éléonore doit prononcer ses voeux perpétuels mais les passages vers la France sont interrompus en raison de la guerre. Elle se rend donc à Saint-Adolphe, au Manitoba, pour sa probation et la cérémonie des voeux célébrée le 25 août en présence de sa nombreuse famille. Elle revient ensuite à Willow-Bunch pour le début des classes.

Les nombreuses responsabilités qu'on lui confie au cours des années suivantes l'affaiblissent et elle est envoyée en 1922 à Laflèche, où les Filles de la Croix ont fait construire un couvent six ans auparavant. Là, étant donné sa fatigue, elle n'a d'abord que le travail de sa classe. Une fois rétablie, elle prend sa part des surveillances et continue à se dévouer jusqu'à ce que sa congrégation la ramène pour renforcer la maison de Willow-Bunch en 1937. C'est qu'avec le déclin de la population durant la sécheresse et la crise économique, il ne reste plus qu'une seule pensionnaire au couvent de Laflèche et seules quatre des six classes de l'institution sont requises pour l'enseignement. Soeur Éléonore poursuit son patient travail en salle de classe et en 1942, elle devient sacristine; nombreux sont ceux qui se rappellent encore la forte silhouette de soeur Éléonore volant vers l'église pour s'acquitter d'un petit travail de dernière minute à la sacristie. On raconte même que lors des discussions en vue de la construction d'une nouvelle église au cours de la décennie suivante, chacun tire à soi la couverture, afin que l'emplacement choisi soit le plus près de sa résidence. Le curé, lui, qui la veut tout à côté du presbytère, pense faire pencher la balance en sa faveur en demandant: «Après tout, qui va le plus souvent à l'église?» Et voilà qu'un paroissien à la répartie facile lance tout haut, à l'hilarité générale: «Ben, c'est soeur Éléonore, pour sûr!»

En 1943, soeur Éléonore est nommée économe du couvent. Chargée de tous les achats de la maison, elle ne s'en laisse pas imposer par les fournisseurs du village et elle marchande d'égal à égal, même avec les plus tenaces. Avec les années, un début de surdité l'empêche de poursuivre l'enseignement; à partir de 1948, elle se consacre donc à ses fonctions d'économe.

À la fin des années 1950, elle doit subir la première d'une série d'interventions chirurgicales pour lutter contre un cancer généralisé. Sa très forte constitution lui permet à chaque fois de reprendre son travail. Ce n'est qu'en 1962, date du jubilé d'or de sa profession religieuse, qu'elle abandonne le poste de sacristine. Au printemps de 1964, les habitants de Willow-Bunch célèbrent le cinquantenaire de l'arrivée des Filles de la Croix de Saint André. On a devancé un peu les célébrations pour que soeur Éléonore soit présente, car on sent bien que, comme disent les vieux Canadiens, «son règne achève». Peu de temps après, soeur Éléonore est transportée par avion à l'hôpital de Saint-Boniface, où elle meurt paisiblement le 20 août 1964. Elle est inhumée à Saint-Adolphe, au cimetière de la communauté.

(renseignements: Archives des Filles de la Croix, soeur Irène Bonin; dossier des Filles de la Croix de Saint André aux Archives provinciales; La Liberté et le Patriote, 28 août 1964, p. 9)





 
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