Des lieuxRichardÀ l'hôpital de North Battleford, le 3 septembre, à l'âge de seize ans, s'éteignait paisiblement dans le Seigneur, Édith, enfant bien aimée de Monsieur et Madame Émile Richard. Élève du pensionnat des dames de Sion de Prince Albert, son départ causera un regret général. Les funérailles ont eu lieu en l'église de Battleford, le six septembre en présence d'une très nombreuse assistance. Le convoi funèbre partit de la résidence du Sénateur Prince, cousin de M. Richard. Le Patriote de l'Ouest le 18 septembre 1913 La petite communauté agricole de Richard est située environ 50 kilomètres à l'est de North Battleford. Elle est placée sur la ligne du chemin de fer du Canadien National entre Prince Albert et North Battleford. «Ainsi le long de la route 40 reliant North Battleford et Prince Albert s'élève le hameau de Richard — immanquablement prononcé 'Rit-cherd', à l'anglaise — dont le nom honore la mémoire du pionnier canadien-français, Émile Richard.»(1) Le fondateur est venu s'établir à cet endroit en 1900. Qui était ce pionnier canadien-français qui a légué son nom à un village saskatchewannais? «Le père d'Émile, Raphaël, prend part à la Ruée vers l'or de 1849 en Californie; puis, il entreprend le périlleux voyage vers les champs aurifères de Coolgardie lors du rush de 1852 en Australie, avant de revenir s'installer comme marchand dans la région d'Arthabaska.»(2) Le père d'Émile Richard n'est pas le seul aventurier de la famille. Son cousin, Édouard Richard est partenaire avec Wilfrid Laurier dans un cabinet d'avocats à Arthabaska. Les deux abandonnent le droit pour la politique et sont élus députés à la Chambre des communes à Ottawa. Édouard devient ensuite le premier shériff des Territoires du Nord-Ouest et s'établit à Winnipeg en 1878. La même année, un autre cousin, Benjamin Prince, ouvre un magasin à Winnipeg. Prince ira s'établir dans la capitale des Territoires du Nord-Ouest, Battleford, en 1880. Il n'est alors pas surprenant qu'un jeune Émile Richard, âgé de 19 ans, décide en 1879 de venir faire sa fortune dans l'Ouest canadien. Il aboutit premièrement à Winnipeg chez son cousin Édouard. Mais son séjour dans la capitale manitobaine est de courte durée. «Le jeune homme quitte Winnipeg le 17 juillet 1879 avec un associé métis, en direction du nord-ouest, par la 'piste de la Compagnie'. Après 42 jours de route, les partenaires atteignent Batoche, laissent souffler leur chevaux quelques semaines, puis obliquent vers le sud, gagnant les Montagnes aux Cyprès à la fin d'octobre sans avoir rencontré un seul autre Blanc.»(3) Ils arrivent à la Montagne de Cyprès au mois d'octobre et établissent un poste de traite près du Fort Walsh. L'entreprise connaît un grand succès et les deux associés retournent à Winnipeg avec 500 peaux de bisons. «L'hiver passé dans les Montagnes de Cyprès fut fort intéressant et actif pour le jeune Richard. Leurs charrettes bondées de robes, ils retournèrent à Winnipeg au printemps et l'aventure fut très profitable.»(4) Après cette aventure, Émile s'associe avec un de ses frères pour faire de la spéculation de terrain à Winnipeg durant le boom de 1881-1882. Il se rend ensuite à Calgary où il «forme une compagnie minière appelée la Whoop-Up Mining Company avec six autres jeunes hommes.»(5) Il passe un an à Calgary et se rend ensuite rejoindre son cousin, Benjamin Prince, à Battleford. Il reste pendant trois ans et devient propriétaire d'un magasin général. Entre 1888 et 1890, Émile Richard part à nouveau à l'aventure; dans le grand nord canadien, du Petit Lac des Esclaves jusqu'à la rivière la Paix et même dans le nord de la Colombie Britannique. En 1890, il revient à Battleford et cette fois se lance dans le ranching. «Ayant choisi un endroit dans les Montagnes de l'Aigle, en face de l'actuel village de Maymont, il se rend dans le district de Macleod pour acheter des chevaux et un autre voyage à Prince Albert pour acheter du bétail pour établir la fondation de sa nouvelle entreprise.»6 Dans cette entreprise, il est associé avec un autre cousin, Philippe Richard. Il est fort possible qu'Émile Richard aurait continué ses aventures dans le far ouest canadien s'il n'avait pas rencontré, lors d'un voyage d'affaire à Winnipeg, celle qui deviendra son épouse en 1896. Arthemise d'Auteuil, une jeune institutrice, était venue visiter son frère au Manitoba. Elle suivra son mari jusqu'au ranch dans les Montagnes de l'Aigle. À la fin du 19e siècle, Émile Richard et son cousin commencent à chercher un nouvel endroit pour leur ranch. «Mais il semble bien que son goût des voyages soit finalement satisfait. L'état de ses troupeaux devient sa préoccupation première. Ceux-ci augmentent si rapidement en nombre qu'il faut trouver de nouveaux pâturages plus étendus dès 1900.»(7) C'est dans une région qui n'a pas encore été arpentée que la famille Richard se dirige en 1900. Là, le grand voyageur va léguer son nom au hameau de Richard. Il est maintenant père de trois petite filles, Édith, Bibianne et Yvette. D'autres enfants viendront s'ajouter à la famille dans les prochaines années. En 1900, Émile et Philippe Richard déménagent leur ranch au nord de la rivière Saskatchewan Nord, dans la région de Hafford. Ils établissent ainsi le hameau de Richard, Saskatchewan. Ils ont choisi cet endroit parce qu'ils ont trouvé de l'eau en abondance à une profondeur de trente pieds, chose très rare dans le Nord-Ouest. «Il fallait bâtir au nouvel endroit et le déménagement était lent parce qu'il fallait traverser la rivière Saskatchewan Nord. Toutefois, en 1901, la famille de trois filles, les parents et le cousin Philippe arrivent aux cabanes nouvellement construites qui allaient être nommées 'Richard's Stopping Place'.»(8) Dès la première année, Philippe Richard est nommé maître de postes; le courrier, transporté de Battleford par cheval et démocrate, vient seulement une fois par mois. On construit un édifice pour le Bureau de postes de Richard. Une quatrième fille, Gisèle, et deux garçons viennent s'ajouter à la famille Richard après 1901. Bientôt, Émile et Arthémise Richard doivent s'inquiéter de l'éducation de leurs enfants. Puisqu'il n'y a pas d'école dans le district, ils font venir une jeune femme bilingue de Montréal, Mlle White, en 1904. Cette jeune femme passe trois ans chez les Richard où elle enseigne le français, l'anglais et la musique. On avait trouvé un vieux piano pour les leçons de musique. Les classes se donnent dans la bâtisse du Bureau de postes. Plus tard, Mlle White est remplacée par une jeune américaine d'Omaha, Gene O'Reilly, car Émile Richard n'est pas satisfait du progrès de ses filles avec la langue de Shakespeare. Quelques années plus tard, lorsque les filles sont d'âges pour le couvent, Émile Richard doit décider où envoyer ses filles. Battleford est le plus proche, mais... Dès la fin des années 1880, la population catholique de Battleford avait demandé à Mgr Grandin de leur envoyer des religieuses pour s'occuper de l'enseignement des jeunes. Les Soeurs de l'Assomption de la Sainte Vierge avaient accepté d'établir un couvent à Battleford et cinq religieuses étaient arrivées dans la petite ville durant l'été de 1893. «Leur premier mandat était de prendre en main l'école Saint-Vital #11 et d'établir un pensionnat pour filles.»(9) Même si leur travail était vanté par les inspecteurs d'écoles, le ministère de l'Éducation refusait toujours de reconnaître leur certificat d'enseignement et les obligeaient à suivre régulièrement des cours d'École Normale. C'est peut-être pour cette raison qu'Émile Richard choisit d'envoyer ses filles à l'Académie de Notre-Dame de Sion à Prince Albert, plutôt qu'au couvent de Battleford. Toutefois, selon un article du Patriote de l'Ouest, les filles auraient été retirées de l'Académie de Notre-Dame de Sion en 1914 et elles auraient été placées en pension dans un couvent de Saint-Boniface. «M. et Mme Émile Richard et leurs fils, maître d'Auteuil Richard, sont partis lundi le 29 décembre pour un voyage de trois mois dans les États de l'Est. Ils s'arrêteront quelques jours à Winnipeg pour visiter leurs jeunes filles à l'Académie Ste-Marie et leurs fils au Collège de St-Boniface.» (10) Bientôt, d'autres colons viennent s'établir dans la région. «Souvent quelques animaux trompent la vigilance des cowboys et endommagent les récoltes dans les champs avoisinants. Il faut alors dédommager les fermiers lésés, de telle sorte que le jeu n'en vaut plus la chandelle.»(11) Les Richard doivent éloigner leur troupeau vers le nord pour trouver du pacage libre. Lorsque les prix du bétail tombe, les Richard décident de vendre une bonne partie de leur troupeau. Émile se lance alors dans la culture des céréales comme le blé, l'avoine et les patates. En 1917, il fait bâtir une imposante maison en brique à Richard, Saskatchewan. «Il la baptisa «Acadia» pour marquer l'origine acadienne de la famille Richard et commémorer la publication, quelques années plus tôt, d'un livre du même nom, de la plume du cousin Édouard.»5 En 1935, la maison est détruite par les flammes. Émile Richard tentera, sans succès, d'être élu à l'Assemblée législative de la Saskatchewan. En 1935, l'année de l'incendie de leur maison, Émile et Arthémise Richard vont prendre leur retraite chez une de leurs filles à Montréal. C'est là que l'aventurier meurt en 1942. Émile Richard et son cousin Philippe sont les premiers à venir s'établir dans le petit hameau qui porterait leur nom, Richard, Saskatchewan. En 1900, ils viennent établir leur ranch dans cette région à l'ouest d'Hafford. Dès 1901, un bureau de poste ouvre ses portes à Richard et quelques années plus tard, Émile Richard fait venir une jeune femme du Québec pour voir à l'enseignement de ses enfants. Mais la région est encore très sauvage; il faut se rendre à Saskatoon, à Duck Lake ou à Prince Albert pour prendre le train. En 1905, le Canadien Northern décide de construire une ligne de chemin de fer pour relier Winnipeg et Edmonton. Cette ligne passe par Warman, Radisson, Maymont et North Battleford. Les gens habitant Richard ne sont maintenant plus qu'à neuf milles de la gare du Canadien Northern à Maymont. Mais comme ailleurs en province, ils veulent les services du chemin de fer chez eux. En 1914, le Canadien Northern construit une nouvelle ligne de chemin de fer entre Prince Albert et North Battleford. Celle-ci passe à Richard. Déjà les colons sont venus en grand nombre s'établir dans le district, dont plusieurs familles canadiennes-françaises et françaises. Adélard Bécotte vient s'établir à Richard en 1913. Les Bécotte (le père Honoré et ses fils Adélard, Jean et Arthur) sont venus dans l'Ouest de Biddeford, Maine en 1910. Ils sont parmi les familles canadiennes-françaises recrutées par l'abbé Bérubé en Nouvelle-Angleterre pour venir coloniser la région de Debden. Les trois fils Bécotte vont explorer, sans succès, le terrain de Debden, tandis que le père, Honoré, trouve un emploi à Prince Albert. Ne trouvant pas de terrain à son goût à Debden, Adélard, obtient un emploi sur le ranch d'Émile Richard. En 1913, il achète un carreau de terre à Richard et s'y établit. La famille Bérubé arrive à Richard en 1918. Joseph Bérubé est alors nommé agent de la gare du Canadien Northern. Il est originaire de Saint-Donat dans la région de Rimouski et il a été agent à Rosetown et à Davidson avant de s'établir à Richard. Une autre famille canadienne-française qui s'établit à Richard au début du siècle est celle de Pierre Labrecque. Originaire de Notre-Dame de Stanbridge, Québec, la famille séjourne à New Bedford au Massachusetts avant de venir dans l'Ouest canadien. La famille arrive à Richard en 1913 et Pierre Labrecque établit un magasin général. Il sera aussi propriétaire du premier hôtel du village et de la salle communautaire. D'autres familles, dont les Combre, les Beruthe et les Poupart, viennent de la France pour s'établir dans le district. Au début, les gens de Richard doivent se rendre à North Battleford pour la messe, ce qui explique que la fille d'Émile Richard soit enterrée à cet endroit. Parfois, un missionnaire oblat vient leur dire la messe dans la maison d'un colon catholique. «Vers 1907 ou 1908, une petite église nommée Sainte-Solange est construite sur le homestead du père Perronnet dans la petite colonie belge de Luxembourg. Cette église était à trois ou quatre milles de l'actuel village d'Hafford.»(12) Luxembourg était plus proche que North Battleford mais encore à une bonne distance de Richard. Après l'arrivée du chemin de fer en 1914, les gens de Richard s'organisent pour avoir leur église. Les femmes forment un groupe des Dames de l'autel pour prélever des fonds et, en 1915, leur travail aboutit avec la construction de l'église Saint-Raphäel. Ils doivent attendre jusqu'en 1925 avant d'avoir un curé résidant, l'abbé A. Arès. Si Émile Richard quitte pour aller prendre sa retraite à Montréal en 1935, il lègue toutefois un bel héritage au village qui porte son nom. Un de ses fils, d'Auteuil, est ordonné prêtre la même année. Il est une des quatre vocations du petit hameau de Richard, Saskatchewan. Aujourd'hui, Richard est un petit village de la Saskatchewan voué à disparaître, mais l'histoire de son illustre fondateur mérite d'être connue. Références (1) Lapointe, Richard, «Émile Richard», 100 NOMS, Regina: Société historique de la Saskatchewan, 1988, p. 342. (2) Ibid., p. 342. (3) Ibid., p. 342. (4) Richard Women's Institute, Richard Remembers, North Battleford: Turner Warwick Printers Inc., 1980, p. 3. (Traduction) (5) Lapointe, Richard, op. cit., p. 343. (6) Richard Women's Institute, op. cit., p. 3. (Traduction) (7) Lapointe, Richard, op. cit., p. 343. (8) Richard Women's Institute, Richard Remembers, North Battleford: Turner Warwick Printers Inc., 1980. p. 10. (Traduction) (9) Lavigne, Solange, Kaleidoscope, Many Cultures—One Faith, The Roman Catholic Diocese of Prince Albert, 1891—1991, Prince Albert: Diocèse de Prince Albert, 1990. p. 406. (Traduction) (10) Le Patriote de l'Ouest, le 8 janvier 1914. (11) Lapointe, Richard, «Émile Richard», 100 NOMS, Regina: Société historique de la Saskatchewan, 1988, p. 344. (12) Lavigne, Solange, Kaleidoscope, Many Cultures—One Faith, The Roman Catholic Diocese of Prince Albert, 1891—1991, Prince Albert: Diocèse de Prince Albert, 1990. p. 140 (Traduction) Sources Un bout d'histoire... 116 Lapointe, Richard, «Émile Richard», 100 NOMS, Regina: Société historique de la Saskatchewan, 1988. Richard Women's Institute, Richard Remembers, North Battleford: Turner Warwick Printers Inc., 1980. Lavigne, Solange, Kaleidoscope, Many Cultures—One Faith, The Roman Catholic Diocese of Prince Albert, 1891—1991, Prince Albert: Diocèse de Prince Albert, 1990. |
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