Revue historique: volume 15 numéro 3Revendiquer la télévision française en SaskatchewanEnfin la télé française... Deuxième partie par Frédéric Roussel Beaulieu Vol. 15 - no 3, mars 2004
CBC et le début des émissions en français Lachat des stations CHAB-TV de Moose Jaw et CHRE de Regina par la Société Radio-Canada (SRC) en 1969 fait partie dun plan dexpansion de la société dÉtat pour se conformer à larticle 2 de la loi de 1968 sur la radiodiffusion. Son projet à moyen terme est de transférer CHAB-TV à Regina où sera située la Maison de Radio-Canada en Saskatchewan. À court terme, selon le permis accordé par le Conseil de la Radio-télévision canadienne (CRC), la station de Moose Jaw demeurera le poste principal du réseau anglais de la SRC (CBC) dans la province. CHAB-TV devient CBKMT et des postes satellites sont établis à Regina (CBKRT) et à Saskatoon (CBKST). En attendant la construction dun édifice qui doit regrouper tous ses services en Saskatchewan, la SRC tente de répondre aux besoins de ses stations. Au début des années 1970, ladministration occupe des locaux au 1840 de la rue McIntyre à Regina. En 1977-1978, suite à larrivée de nouveaux techniciens pour la radio et la télévision, elle déménage dans un bâtiment situé au coin de la 11e Avenue et de la rue McIntyre. Les besoins despace nont cessé de croître, si bien quau début des années 1980 les services de la radio et de la télévision étaient dispersés dans cinq édifices différents. La station CBKRT était confrontée à une situation particulière. Le studio principal se trouvait à Moose Jaw dans lédifice dune ancienne banque et cest de là que devait être diffusée la production locale. Léquipe de CBKRT tournait et développait des émissions sur film à Regina avant de les expédier par véhicule à Moose Jaw(1) . Cela occasionnait parfois des délais dune journée dans la diffusion des émissions. Les entrevues étaient filmées directement dans les studios de Moose Jaw. La situation améliora grandement en 1976 lors de louverture
dun studio temporaire au 1775 de la rue Smith à Regina(2) . Le studio fut inauguré le 19 octobre, mais il nentra en service que le 15 décembre. Il était équipé de caméras vidéos et il avait une régie mobile située à lextérieur dans un camion(3). Les images étaient envoyées à Moose Jaw via un circuit de câble interne louer à Sasktel. Cela accéléra la mise en ondes des émissions. En 1983, nous y reviendrons dans le prochain numéro de Revue historique, la télédiffusion saméliora de nouveau avec louverture de la Maison de Radio-Canada à Regina. Cest dans ce contexte que CBKMT et CBKRT ont diffusé le 27 septembre 1969 les premières émissions en français en Saskatchewan. Lors des audiences du CRC à Regina en juin 1969, la société dÉtat avait annoncé quelle consacrerait huit heures trente par semaine à la diffusion démissions provenant du réseau français de la SRC (Radio-Canada)(4). Selon les explications données par la SRC, la station de Moose Jaw diffuserait la programmation française en vigueur sur les ondes de CBXT dEdmonton et CBVT de Vancouver. Cette programmation comprenait une émission dune demi-heure destinée aux enfants dâge préscolaire du lundi au vendredi et des émissions destinées aux adultes diffusées dans des blocs de trois heures chacun le samedi et dimanche. Une lecture des horaires de télévision de 1969 à 1976 dans le Leader Post et le Star Pheonix montre que la SRC semblait respecter son engagement. CBKMT, CBKRT et CBKST programmaient en moyenne sept heures démissions
en français par semaine. Daprès cette programmation, les Franco-Canadiens pouvaient regarder les Belles histoires des pays den haut, Moi et lAutre, le Paradis terrestre et Quelle Famille. Les enfants avaient droit à La Souris verte, les Chiboukis, Au Jardin de Pierrot et Nic et Pic. Toutefois, dans la pratique, il sagissait dune programmation virtuelle, au grand mécontentement dailleurs de plusieurs Franco-Canadiens. En effet, CBC substituait à loccasion une partie de football ou tout autre événement sportif aux émissions françaises. Celles-ci faisaient également les frais des émissions spéciales diffusées par le réseau national de CBC et relayées par les stations de Moose Jaw, Regina et Saskatoon(5). De plus, dans une semaine type sans événements spéciaux, CBC ne respectait pas toujours le nombre dheures promis par la SRC au printemps 1969(6). Les Franco-Canadiens protestaient aussi contre la configuration du réseau de CBC qui privait plusieurs régions de ces quelques émissions en français. Ainsi, tout le secteur Nord de la province, à lexception de Saskatoon, ne pouvait capter ces émissions. À Prince Albert, les abonnés du câble pouvaient regarder les émissions françaises(7). Au Sud de la province, la situation variait selon les endroits. À Ponteix, il nétait pas possible de capter les ondes de CBKMT alors que Ferland recevait les ondes diffusées par le réémetteur de Willow Bunch. Dans la région de Bellegarde-Storthoaks, les téléspectateurs pouvaient capter les ondes faiblement à laide dune antenne spéciale(8). Le service offert par CBC était loin dêtre idéal, mais il constituait tout de même une grande amélioration par rapport à ce qui existait auparavant. Cest-à-dire rien. Certains se plaignaient du service offert et ils demandaient des améliorations. Dautres, comme la famille Joseph D. Couture, ont accueilli chaleureusement ces émissions françaises: «Auriez-vous lobligeance de faire parvenir nos commentaires et appréciations au directeur de Radio-Canada pour avoir rendu possible la diffusion de programmes français à la télévision les samedi (sic) et dimanche (sic) aux heures qui sont réservés (sic) (9) ». Mais globalement les Franco-Canadiens nappréciaient pas le traitement que leur réservait la CBC. Revendiquer une véritable télévision française Dès la diffusion des premières émissions françaises par CBC, lAssociation culturelle franco-canadienne (ACFC) entendait reprendre le combat en déclenchant une nouvelle
campagne en plusieurs étapes pour réclamer une amélioration substantielle des services offerts par la SRC(10). LACFC a dabord entrepris des démarches auprès du gouvernement de la Saskatchewan. À lautomne 1969, elle a préparé une rencontre où elle insista sur limportance de la télévision française partout en Saskatchewan(11). Elle voulait suggérer au gouvernement provincial quil entreprenne des pourparlers avec la SRC en vue détablir la télévision éducative. Par exemple, des programmes français pourraient être fournis dans la région de Ponteix par lintermédiaire du poste CJFB-TV de Swift Current. Nous ignorons si ces démarches ont porté fruits. LACFC a également rédigé et présenté des mémoires au Secrétaire dÉtat, au premier ministre Pierre Elliott Trudeau et à la direction de la SRC(12). De 1970 à 1974, les mémoires de lACFC reprenaient les revendications suivantes : CBC doit diffuser le plus rapidement possible des émissions françaises dans les régions qui en sont dépourvues et où elles sont souhaitables; ces émissions doivent occuper au moins le quart du temps dantenne quotidien de CBC; quil y ait un bulletin de nouvelles complet en français durant la soirée; que CBC procède à la production démissions locales en français. Ces mesures, explique lACFC, devraient être mises en uvre en attendant limplantation du réseau français de la SRC en Saskatchewan. Enfin, les mémoires de lACFC demandaient la retransmission démissions provenant dautres pays francophones. Au cours de cette campagne, des représentants de lACFC ont également eu des entretiens avec des députés et des ministres pour leur faire part directement de leurs revendications. Cest ainsi que, le 18 janvier 1974, des délégués de lACFC et de lAssociation des Jeunes Francophones (AJF) ont rencontré Otto Lang, le ministre de la Justice fédéral et député de Saskatoon-Humboldt(13). LAJF a insisté sur lurgence de la télévision pour toute la jeunesse. Les représentants des deux associations ont également signalé limpatience grandissante des Franco-Canadiens devant les interminables délais que la SRC imposait à leurs demandes. Pour accroître limpact de sa campagne, lACFC a joint sa voix à celle des francophones des autres provinces qui réclamaient eux aussi la télévision française ou une amélioration substantielle du service offert par la SRC. En mars 1973, à Québec, des délégués ont rencontré le premier ministre Trudeau(14). Ils lui ont rappelé labsence du réseau de télévision française de la SRC en Saskatchewan, en Colombie-Britannique et à Terre-Neuve. Ils lui ont rappelé les nombreuses démarches entreprises en vain depuis plusieurs années. Ils ont fait part de leurs demandes à court terme et à moyen terme. Dans le cas de la Saskatchewan cela voulait dire desservir toutes les communautés francophones en établissant un poste français à Regina avec des réémetteurs dans huit communautés satellites et favoriser le développement dune programmation locale où sactiverait des artisans locaux. Comme en 1968-1969, les événements se sont précipités. Le 14 février 1974, le Secrétaire dÉtat, Hugh Faulkner, annonce que la SRC recevrait 50 millions de dollars pour mettre en place un Plan accéléré de rayonnement(15). Ce plan visait à installer un service de radio et de télévision dans les centres francophones et anglophones de 500 habitants ou plus à travers le pays. Lintention derrière ce plan nétait pas simplement de relayer les signaux de Montréal ou de Toronto, mais dimplanter un certain nombre de centre de production afin de favoriser la production démissions locales(16). Cette annonce était-elle le fruit des pressions exercées par lACFC et les organisations semblables des autres provinces? Nous ne pouvons le dire avec certitude. Mais ces pressions ont peut-être conforté le gouvernement Trudeau dans sa prise de décision. Il ne faut pas oublier la volonté politique de Trudeau de tout mettre en uvre pour que les organismes fédéraux reflètent le caractère bilingue du pays. Dailleurs, lors dune rencontre entre la Direction de lexpansion de la SRC et le Comité ad hoc des
francophones pour la télévision, en mai 1974, les représentants de la société dÉtat ont avoué à leurs interlocuteurs que le gouvernement fédéral leur avait imposé le Plan accéléré de rayonnement avec les fonds nécessaires(17). Au cours de cette même rencontre, le représentant de lOuest canadien, Paul Arès, également secrétaire général de lACFC, a constaté que la Saskatchewan occupait une position enviable dans le Plan de la SRC. Limplantation de la télévision française se réaliserait en dehors du Plan afin que cela soit fait dans les plus brefs délais possibles. Autrement dit, il sagissait dune priorité pour la SRC. Elle desservirait dabord Regina puis le réseau sétendrait au fur et à mesure que le Plan accéléré régulier serait mis en uvre dans la province. Comment se fait-il que les Franco-Canadiens ont bénéficié de ce traitement de faveur? Les pressions de lACFC ont-elles eu plus dimpact que pressenties? Nous pouvons supposer quil y a peut-être eu des actions en coulisse, de la part de Franco-Canadiens disposant de contacts privilégiés, qui nont certainement pas nui. Ce Plan accéléré de rayonnement a été une bénédiction non seulement pour les Franco-Canadiens mais pour tous les francophones du pays. Après la réunion de mai 1974, les membres du Comité ad hoc ont convenu quil fallait établir une stratégie pour sassurer que le Plan soit véritablement mis en uvre à lintérieur du délai prescrit de cinq ans. Il était prévu de recourir à des émissions nationales afin de faire des pressions sur les organismes impliqués dans la réalisation du Plan. Le Comité a aussi décidé quil interviendrait auprès des ministres responsables du dossier pour les inciter à veiller à la réalisation du Plan et pour quils questionnent tout délai ou retard qui pourraient survenir. Cest probablement dans ce contexte que sinscrit la manifestation organisée par lAJF le 16 novembre 1974 devant les bureaux de la SRC à Regina. Dans le cadre dun Festival de la Francophonie, qui sest tenue au Miller Comprehensive High School du 15 au 17 novembre 1974, environ 200 jeunes Franco-Canadiens ont réclamé la télévision française en plus de dénoncer les retards encourus dans la mise en uvre du Plan accéléré de rayonnement. Dans une entrevue accordée à une journaliste du Leader Post(18), Marc Lalonde, président du comité sud de lAJF, a dénoncé linaction du Secrétariat dÉtat et de la SRC dans limplantation du Plan en Saskatchewan. Le Plan a été annoncé en février 1974 et les priorités devaient être désignées en août suivi dune demande de permis au CRC. Or, rien de tout cela na été fait, a expliqué Lalonde. Il a ajouté que le Plan accéléré était une excuse utilisée par la SRC pour ne pas rencontrer ses responsabilités en matière de télévision française. Lalonde a affirmé que les autorités fédérales seraient conscientes de causer des délais dans la mise en uvre du Plan. Enfin, il a souligné que le spectre dun génocide culturel avait commencé à germer dans la tête des jeunes franco-canadiens. Le même soir, devant environ 900 personnes qui assistaient à un banquet au Saskatchewan Centre of the Arts, la présidente de lAJF, Réjeanne Blais, a poursuivi le travail commencé en après-midi en prononçant un discours où elle demanda limplantation immédiate de la télévision française. Ce discours a été appuyé par les convives qui lui réservèrent une ovation(19). Les organisateurs du Festival avaient invité quelques hommes politiques fédéraux dont Otto Lang, le ministre de la Justice, et Hugh Faulkner, le Secrétaire dÉtat. Le premier, à qui lAJF voulait remettre un mémoire résumant ses griefs, ne se présenta pas, mais le second assista aux activités du Festival. Faulkner a réagi au discours de Blais en affirmant quil ferait tout ce quil lui était possible de faire pour établir une station de Radio-Canada en Saskatchewan dans le cadre du Plan(20). Le Secrétaire dÉtat a même envoyée une lettre à la présidente de lAJF pour confirmer lengagement quil avait pris le soir du 16 novembre 1974: «Vous serez sans doute heureuse dapprendre que jai organisé une rencontre entre des représentants des associations francophones minoritaires et la Société Radio-Canada. Cette réunion aura lieu à Montréal, le mercredi 4 décembre 1974(21) ». La manifestation de lAJF, qui semblait spontanée à lépoque, a été préparée de longue date et elle a bénéficié dune aide soutenue de lACFC. Dans le comité organisateur de la manifestation se trouvaient deux animateurs de lACFC, Roger Lepage et Richard Marcotte, qui travaillaient également à titre danimateurs pour lAJF. LACFC a fourni de la documentation aux jeunes pour quils se préparent, dont une copie du rapport du Comité ad hoc qui a rencontré la Direction de lexpansion de la SRC en mai 1974 et un dossier à propos de la situation de la télévision française en Saskatchewan préparé par le directeur de lanimation de lACFC, Roland Pinsonneault(22). Au delà de la réaction immédiate de Hugh Faulkner, la manifestation organisée par lAJF a-t-elle eu limpact recherché? Difficile à dire. Toutefois, deux ans plus tard, le rédacteur de lEau vive a pu écrire dans son éditorial du 29 septembre 1976: «La télévision française... ENFIN!». La télévision française sinstalle en Saskatchewan Le 27 septembre 1976 à 8 h 10, la station CBKFT de Regina entrait en ondes. Vingt-deux ans après la diffusion des premières images télévisuelles en Saskatchewan, les Fransaskois avaient enfin accès à une station de télévision française. Toutefois, CBKFT était essentiellement un centre de délai aménagé dans le studio temporaire de la rue Smith qui assurait la retransmission de la programmation nationale provenant de Montréal via Winnipeg. À linstar de CBKMT, CBKRT et CBKST, la station CBKFT était une succursale de la région des Prairies de la SRC dont le siège social se trouvait à Winnipeg. Ce fut le statut officiel de CBKFT jusquà louverture de la Maison de Radio-Canada à Regina en 1983. Cela nempêcha pas la SRC de souligner louverture de CBKFT. Deux émissions spéciales ont été consacrées à lévénement. Le Ce Soir, édition du Manitoba, du 30 septembre 1976, diffusé sur les ondes CBKFT, présenta un reportage intitulé «Lavenir est à ceux qui luttent» qui rendait hommage à la ténacité des Fransaskois. Le 13 et
le 14 novembre, CBKFT diffusa la cérémonie dinauguration officielle de la station qui se déroula le 8 novembre au Saskatchewan Centre of the Arts. Lorsque le réseau français de la SRC sinstalla en Saskatchewan en 1976, il ne rejoignait que 69% de la population de langue française au Canada(23). À titre de comparaison, CBC et CTV rejoignaient respectivement 92% et 93% des Canadiens et les deux réseaux rejoignaient 93% des Saskatchewanais(24). En 1976, le rayonnement de CKBFT ne dépassait pas Regina, mais cela représentait un bon qualitatif important pour la télédiffusion en français. Le nombre dheures passa dun théorique 8 heures 30 minutes par semaine sur les ondes CBC à une diffusion réelle de 110 heures en moyenne(25). Cela comprenait les quatre heures et demie de production locale en français du Manitoba. Le Plan accéléré de rayonnement devait être réalisé en lespace de cinq ans, mais il connut plusieurs délais. La réglementation tatillonne du CRC et de lorganisme qui lui succéda en 1976, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), ainsi que les contraintes budgétaires ont fait en sorte que la SRC ne compléta laménagement du réseau français en Saskatchewan quà lautomne 1983. Une douzaine de réémetteurs ont été installés à travers le territoire et ils rediffusaient le signal que CBKFT recevait de Winnipeg. Bellegarde et la région sud-est de la Saskatchewan était un peu à lécart
du réseau provincial car le signal provenait directement du Manitoba. Pour des raisons techniques et financières, cette situation a perduré jusquen 1991. Enfin, le transporteur public Sasktel et les câblodistributeurs situés dans une zone de rayonnement de la SRC étaient tenus par le CRTC doffrir et dacheminer le signal du réseau français. En 1984, CBKFT rejoignait 97 % des Fransaskois. Tout au long de la mise en uvre du Plan, lACFC a poursuivi ses moyens de pression pour tenter daccélérer les choses comme en témoigne cette affirmation de Jacques Landry, Directeur général adjoint des Services en français à la SRC, lors de linauguration du relais de Prince Albert: «The Prince Albert branch of lAssociation culturelle franco-canadienne de la Saskatchewan strongly lobbied for French language programming(26) ». En effet, à chaque audience publique du CRTC où il était question des demandes de la SRC concernant lexploitation de réémetteurs ou de relais destinés à la retransmission des ondes de CBKFT, lACFC mobilisait les cercles locaux pour faire valoir aux membres de lorganisme fédéral limportance de la télévision française en Saskatchewan. LACFC nexerçait pas des pressions seule. Certaines municipalités où les Fransaskois constituaient la majorité de la population prenaient linitiative dadresser des requêtes au CRTC et à la SRC pour obtenir une retransmission du signal de CBKFT. En juillet 1978, le conseil municipal de Gravelbourg envoyait une lettre au CRTC pour appuyer une demande de permis faite par la SRC pour installer un relais à Crane Valley et des réémetteurs à Gravelbourg, Willow Bunch et Ponteix. «I never understood why it took so long to get the station here. Regina has had its station for two years (27) », confiait le maire de Gravelbourg, Guy Dauphinais, à un journaliste du Moose Jaw Times Herald. «Were supposed to be the heart of the French-speaking [community in] southern Saskatchewan», ajoutait-il. Il expliquait aussi quil y aurait un auditoire pour les émissions françaises de Radio-Canada, 65 à 75 % de la population pourrait les comprendre. Un accueil mitigé Larrivée de la télévision de Radio-Canada a suscité un intérêt mitigé chez les Fransaskois. En 1980, au terme dune enquête réalisée pour le compte de lACFC (28), Raymond Gauthier estimait quenviron 60 % des Fransaskois ne regarderaient jamais CBKFT alors que 40 % la regarderaient régulièrement. Il soulignait que parmi ceux-ci la télévision française avait une cote découte légèrement supérieure à celle de la radio française. Les interlocuteurs de Gauthier se disaient généralement plus satisfaits que moins de la programmation de CBKFT. Il faut dire, comme le notait Gauthier, quà cette époque la télévision française était un fait nouveau et quun élément de curiosité jouait en sa faveur. Les téléspectateurs interrogés par Gauthier étaient satisfaits des émissions pour enfants et des émissions de sport. Par contre, ils déploraient le trop grand nombre démissions daffaires publiques et de nouvelles dintérêt québécois, labsence dune programmation destinée aux adolescents et le trop grand nombre démissions traduites. Dautres, enfin, se plaignaient durement à la direction locale de Radio-Canada, au Conseil de direction de la SRC et même au premier ministre du Canada de la programmation de la télévision française. Des téléspectateurs, qui ont autrefois fortement appuyé la presse et la radio française, pensaient que CBKFT, quils captaient enfin dans leurs maisons ou leurs foyers pour personnes âgées, leur appartenait en quelque sorte. Quel ne fut pas leur étonnement de voir aucun reportage «sur les pèlerinages de Sainte-Anne-de-Beaupré, mais plutôt des films québécois ou français présentant des scènes osées de nudité totale (29) ». Les téléspectateurs ont surtout déploré labsence dune programmation fransaskoise. Ils regardaient la production locale du Manitoba diffusée par CBKFT, quils trouvaient dailleurs plutôt satisfaisante comme a révélé lenquête de Gauthier, mais ils estimaient quelle reflétait davantage la réalité des Franco-Manitobains que la leur. Selon les personnes interrogées par Gauthier, la télévision française devrait jouer un rôle de «miroir» de la réalité fransaskoise. Elle devrait rendre manifeste la présence des francophones dans la société saskatchewanaise, et plus largement, canadienne. Les revendications de lACFC reflétaient ce besoin des Fransaskois pour la production locale. Elle réclamait une telle production depuis 1968. Au lendemain de louverture de CBKFT en 1976, lACFC a repris ses pressions «pour hâter lobtention dune programmation locale(30) » en français en Saskatchewan. Les Fransaskois exprimaient les mêmes besoins que tous les francophones hors Québec de lépoque. Partout au Canada, on jugeait que la production locale devait fournir aux minorités francophones des moyens pouvant permettre une prise de conscience de leur identité, leur permettant déchanger, de se divertir et de sinformer à leur façon(31). En dautres mots, la production locale devait assurer la fierté de ses origines et de sa culture française, qui se veut vivante, tout en freinant leffet assimilateur des médias anglophones. En labsence dune production locale radio-canadienne répondant à leurs besoins, des Fransaskois ont entrepris de produire eux-mêmes un contenu télévisuel qui leur ressemblait. Cela a donné lieu aux expériences Saskébec et SaskOntario (voir page 5) ainsi quà la production de quelques émissions à la télévision communautaire (voir page 10). En 1979, la Fédération des Francophones Hors Québec (FFHQ) a exprimé plusieurs griefs, qua appuyé lACFC, à propos de la situation de la production locale dans lensemble du réseau français de la SRC: «éloignement des centres de décision, centralisation excessive de la programmation et de la production, absence de représentations régionales dans les postes locaux tant au niveau de la direction que de la production, déficiences techniques qui entravent la visibilité télévisuelle des minorités francophones(32) ». Selon lACFC et la FFHQ, cette situation éloignait les postes de base comme Regina de leur mission qui consistait à refléter le milieu dans lequel ils se trouvaient. Ces postes devaient produire «dabord et avant tout des émissions dinformation et daffaires publiques. En second lieu, ils devaient voir au développement des talents locaux, doù les émissions de variétés quun poste de base peut être appelé à produire(33) ».
Le mécontentement exprimé par les Fransaskois et les francophones du Canada à propos de labsence de production locale ainsi que la centralisation à la SRC ne se limitait pas à la francophonie canadienne. Les Canadiens anglais des maritimes et de lOuest, et plus spécifiquement les Saskatchewanais, se plaignaient eux aussi de la centralisation de la production dans lEst. «A result is that Saskatchewan contributes no regular programming to the CBCs national network and is even hardpressed to provide local pro-gramming (34) » peut-on lire dans un éditorial du Leader Post. Dans le même éditorial, la rédaction du journal demande impli-citement plus dautonomie pour Regina: «Not only is Saskatchewan the victim Photo 7: Radio-Canada La maquette de la future Maison de Radio-Canada proposée pour Regina. L'édifice sera enfin opérationnel en 1983. of Toronto-based centralism, it also comes out second best in the CBCs Prairie region which covers both this province and Manitoba and is headquartered in Winnipeg». Ces reproches auraient très bien pu être formulés par les Fransaskois. La SRC a réfuté ces accusations. La direction a expliqué que ses stations respectaient leur mandat de refléter le milieu dans lequel elles se trouvaient, mais elles le faisaient en tenant comptes des ressources disponibles. Or, les stations régionales nont jamais joui dun budget astronomique. De plus, peu de temps après louverture de CBKFT, la SRC a connu une période de compressions budgétaires qui sest étendue jusquau début des années 1980. Dans un tel contexte, les anglophones pouvaient toujours compter sur les stations affiliées à CTV pour obtenir une production locale. De leur côté, les Fransaskois ne pouvaient compter que sur CBKFT, doù les pressions exercées par lACFC pour accélérer la mise en place dune production locale en français. Notes et références (1) Leader Post, 20 octobre 1976. (2) Ibid. (3) Leader Post, 15 septembre 1978. (4) Mémoire présenté par la Société Radio-Canada au CRTC concernant sa demande en autorisation de se porter acquéreur des stations de télévision de Moose Jaw et Regina, 10 juin 1969, AS, R-621, Dossier XXXII (5g). (5) Mémoire de lACFC présenté au Secrétaire dÉtat le 30 novembre 1971, AS, R-621, Dossier XXXII (5d). (6) Rapport de lACFC du 23 janvier 1973, op. cit. (7) Rapport de lACFC du 23 janvier 1973, op. cit. (8) Bulletin de lACFC, vol. 3, no 1, février 1970. (9) Lettre de la famille Joseph D. Couture à René Rottiers, 24 novembre 1969, AS, R-621, Dossier XXXIV (6b). (10) Bulletin de lACFC, février 1970, op. cit. (11) Procès verbal du Conseil dadministration. Assemblée du 25 octobre 1969, AS, R-621, Dossier I (1b). (12) Mémoires préparés et soumis par lACFC, AS, R-621, Dossier XXXII. (13) LEau vive, 14 février 1974. (14) Entrevue accordée par lHonorable Pierre E. Trudeau, premier ministre du Canada à lACELF, SNA, FANE, SSTA, ASEQ, ACFO, SMF, ACFC, ACFA, FFC et un représentant de Terre-Neuve, AS, R-621, Dossier VII (13). (15) Discours prononcé par Hugh Faulkner le 14 février 1974 et reproduit dans lEau vive du 29 septembre 1976. (16) LEau vive, 26 novembre 1975. (17) Rencontre de la Direction de lexpansion de la Société Radio-Canada par les représentants du Comité ad hoc les 29 et 30 mai 1974 à Montréal, AS, R-1291, Dossier 731. (18) Leader Post, 18 novembre 1974. (19) LEau vive, 2 décembre 1974. (20) Leader Post, 18 novembre 1974. (21) Lettre de J. Hugh Faulkner à Réjeanne Blais, 2 décembre 1974, AS, R-1291, Dossier 739. (22) Rapport de travail-Novembre 1974 par Roger Lepage, AS, R-1291, Dossier 746. (23) LEau vive, 4 août 1976. (24) LEau vive, 4 août 1976. (25) Calcul fait à partir des horaires publiés par lEau vive entre 1976 et 1979. (26) Prince Albert Daily Herald, 29 avril 1978. (27) Moose Jaw Times Herald, 18 juillet 1978. (28) Raymond Gauthier, Comme blé dhiver: les Fransaskois et les médias électroniques, Regina, ACFC, 1980. (29) Bernard Wilhelm, «Médias québécois et médias francophones hors Québec: lOuest», dans Médias francophones hors Québec et identité. Analyses, essais et témoignages, sous la directions de Fernand Harvey, Québec, IQRC, 1992, p. 277. (30) Rapport de lACFC préparé pour le Conseil de la vie française en Amérique, août 1976, AS, R-621, Dossier XXXII (5j). (31) Proposition pour la formation de Comités daction régionaux pour la Société Radio-Canada. Document de travail préparé par Francine Lalonde à lintention de la FFHQ et de ses membres. Pour circulation interne seulement, septembre 1979, AS, R-1291, Dossier 697. (32) Francine Lalonde, op. cit. (33) Gauthier, op. cit., p. 88. (34) Leader Post, 28 janvier 1982.
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