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Société de la Saskatchewan
Société historique de la Saskatchewan

Revue historique: volume 17 numéro 2

Retrouver la patrie !

par Laurier Gareau
vol. 17 - no 2, décembre 2006
Thérèse Lefèbvre Prince raconte que sa mère, Blanche Lefèbvre de Dollard, ainsi que son frère, Jean-Marie (18 mois), ont pris part au 3e Voyage de la survivance franco-canadienne en 1927. Ces voyages, organisés entre 1925 et 1928 par l'Association catholique franco-canadienne de la Saskatchewan, comptaient des voyageurs de l'Alberta, de la Saskatchewan et du Manitoba. En 1927, Madame Lefèbvre avait pris le train, soit à Gull Lake, soit à Moose Jaw, pour rejoindre les autres voyageurs à Regina.

Il est intéressant de noter que l'idée d'un Voyage de la survivance franco-canadienne avait vu le jour en Saskatchewan, à l'ACFC. Raymond Denis racontait dans ses mémoires qu'il y avait eu des excursions vers l'Ouest organisées au Québec en 1923 et 1924, l'une par l'Université de Montréal, l'autre par les Missionnaires colonisateurs. Hélas, ces voyages s'arrêtaient seulement dans les grandes villes où il y avait peu de Canadiens français et les visiteurs repartaient avec «une pauvre impression de leur voyage de l'Ouest».(Denis p. 253.)

L'ACFC, sous la présidence de Raymond Denis, avait donc décidé en 1925 d'organiser son propre voyage vers le Québec. «Nous y voyions deux avantages. D'abord, faire de la publicité dans Québec, montrer que nous étions encore bien vivants et que nous continuions à parler français, ensuite y faire connaître nos luttes, dont dans Québec on n'avait qu'une bien faible idée, faire compren-dre l'importance des sacrifices que nous devions consentir et suggérer qu'on nous accorde une aide financière et morale qui serait bien appréciée.
Denis
Raymond Denis, président de l'ACFC de 1925 à 1934. (photo: Denis, une histoire de famille, p. 29)
Ensuite faire connaître Québec à nos jeunes qui ont grandi dans l'Ouest, qui dans nos écoles ont étudié une histoire qui ressemble bien peu à celle qui est enseignée dans Québec, leur montrer que dans Québec on est aussi civilisé que dans l'Ouest. Les rendre plus fiers enfin d'être Canadiens-français.» (Denis, p.255.) Le deuxième avantage des voyages ressemble beaucoup aux arguments mis de l'avant 40 ans plus tard par le père André Mercure, o.m.i., pour vendre ses voyages SEV.

Au départ, le voyage devait être une initiative de la Saskatchewan, mais face aux demandes de l'Alberta et du Manitoba, il avait été décidé d'en faire un projet des trois provinces des prairies. Toutefois, la grande majorité des voyageurs la première année étaient de la Saskatchewan, soit 216 des 305 passagers.

Puisque le voyage de 1925 était prévu pour le temps des Fêtes, les évêques de la Saskat-chewan ne pouvaient pas accompagner la délégation de l'Ouest. Ils envoyaient donc leurs souhaits; celui de Mgr Joseph Prud'homme de Prince Albert ajoutait une autre raison pour ces voyages de la survivance :
«Puisse ce voyage porter ses fruits, resserrer les liens entre Québec et les groupes français de l'Ouest, et diriger vers nos Prairies un courant de sympathie vraiment pratique !» (Denis, p.257.)

Les voyages se faisaient par train avec des arrêts dans plusieurs villes. À Regina, le premier ministre libéral, Charles Dunning, s'était même rendu à la gare pour saluer les voyageurs et envoyer un message à son homologue québécois. À Winnipeg, la délégation était invitée à l'Assemblée législative du Manitoba où elle a été adressée en français par l'honorable Talbot, président de l'assemblée. Puis le voyage se poursuivait à Hearst, Ottawa, Montréal, St-Jean, Sherbrooke, Thetford Mines, Lévis pour enfin atteindre la ville de Québec.

Au Parlement du Québec, les voyageurs étaient accueillis par l'Honorable Louis-Alex-andre Taschereau, premier ministre du Québec, qui ne pouvait s'empêcher de taquiner les visiteurs de l'Ouest et leur «Voyage de la Survivance Franco-Canadienne». «Vous, fermiers de l'Ouest, seriez-vous les derniers survivants des minorités canadiennes-françaises. J'espère que non, mais si vous êtes en danger comme je le crois, revenez dans l'Est, je vous assure que nous vous ouvrirons les bras bien grands et nous tuerons le veau gras pour célébrer le retour des enfants prodigues.» (Denis, p.270.) Ces paroles rappellent celles de René Lévesque quelque 50 ans plus tard quand il décrit les francophones de l'Ouest comme des «dead ducks». Raymond Denis, ne voulant pas commencer une polémique avec Taschereau se contentaient «d'affirmer la survivance, non pas d'un groupe, mais de toute une race.» (Denis, p.270.) Cette affirmation de Raymond Denis serait le lien entre le Québec et le Canada français jusqu' aux États généraux de 1967.
L-A Taschereau
L'honorable Louis-Alexandre Taschereau. (photo: www.education.mcgill.ca/EDEE-382-01/sabourin/pquatre.html)


Trois autres voyages ont été organisés entre 1926 et 1928. En 1926, la délégation de l'Ouest était si nombreuse qu'il avait fallu deux trains pour transporter les quelque 400 voyageurs. Cette année-là, Raymond Denis expliquait à ses hôtes québécois que la survivance française dans l'Ouest s'imposait parce qu'il y avait eu des politiques d'immigration défectueuses. Il leur rappelait aussi que «nos luttes sont vos luttes». (Denis, p.330.) L'occasion était toute belle pour Raymond Denis de rappeler au peuple québécois qu'il fallait fortifier les groupes français de l'Ouest. Les voyages étaient donc devenus une belle occasion pour promouvoir l'immigration vers l'Ouest canadien. C'était aussi une occasion pour recruter des instituteurs et des institutrices, des notaires, des médecins et même des prêtres pour les villages francophones de la Saskatchewan.

Après le deuxième voyage, les organisateurs croyaient avoir atteint leur objectif de faire connaître les problèmes et les luttes des minorités francophones de l'Ouest. Toutefois, selon Raymond Denis, deux autres voyages seraient organisés en 1927 et 1928 parce les Québécois «affirmaient que nos voyages réveillaient le patriotisme des foules même dans la vieille province.» (Denis, p. 95.) Puis, en 1929, la crise économique qui sévissait sur l'ensemble du pays a mis fin aux voyages de la survivance franco-canadienne.


Bibliographie : «Mes mémoires» de Raymond Denis dans Vie française, Volume 23, No 9 et 10, mai-juin 1969 ; Volume 23, no 11 et 12, juillet-août 1969 ; Volume 24, no 1 et 2, septembre-octobre 1969.





 
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