Revue historique: volume 9 numéro 2Portrait de chez nousVol. 9 - no 2, décembre 1998 Un membre de la Société historique, monsieur Maurice Duval de Charlesbourg (Québec), nous a envoyé les lettres suivantes, écrites par sa grand-mère, Aurélie Dubois, à un neveu, André Gripon, en France. Il écrit: «Une photocopie de l'original de ces lettres m'a été envoyée par une cousine de France, Blanche Gripon. J'ai pensé vous distraire.» Aurélie et son mari, Jean-Baptiste Duval, sont venus au Canada de Mayenne (France) en 1907. La famille est arrivée à Bellevue en 1913. Jean-Baptiste est mort en 1919. Baptiste, dans la lettre, était leur fils Jean-Baptiste. St-Isidore-de-Bellevue, 9 octobre 1927 Mon cher neveu, J'ai reçu, le 2 septembre, 12 journaux qui avaient été mis à la poste le 2 août à Craon et j'ai pensé que c'est vous qui me les aviez expédiés ; je vous en remercie, et surtout, il me fait plaisir de voir que vous avez assez d'esprit pour voir qu'il n'y a pas de raisons valables pour garder rancune à la vieille tante, comme l'a fait Jeanne et Marie Buttier. J'ai cru que c'était la critique de la mode dans une lettre à Marie Buttier mais cette critique était générale et je ne visais personne ; et je le redis encore, il est plus sage de la suivre de loin la mode, que la suivre à l'excès, car elle a toujours été laide quand elle exagère ; puis faut excuser les vieux: ça condamne le modernisme à fond de train. Comme je fais part de mes conseils à mes enfants ; Baptiste me disait : mais ma Mère, si tout le monde était comme vous, il y a longtemps que les chemins de fer ne rouleraient plus. (Il y a du vrai) mais je réplique croyez-le ; là j'en veux aux aéroplanes, que veulent y voler et dépenser nos taxes tous ces embarras qui cherchent la gloriole ; tant pis s'ils se tuent, et comme vous voyez, je suis méchante et pas à la veille de voyager en avion, mais en cercueil. Baptiste me disait ceci causant de Lindberg, que vous avez si bien fêté: c'est incroyable ce qu'autrefois ça avançait lentement mais depuis 50 ans, ça évolue de façon prodigieuse ; et c'est vrai ; reste à savoir si les gens vivent plus heureux. Ce que je sais c'est que les gens ne chantent plus comme autrefois ; ils ont l'esprit trop fatigué par les machineries. 2 gros fermiers de nos parages avaient acheté une nouvelle machine (la combine) qui coupe et bat le blé en même temps. 1000 boisseaux par jour, 2 hommes : 1 à l'engin et l'autre à la batteuse. Il faut que le blé soit mûr autrement il chauffe. L'année a été extra pluvieuse et croiriez-vous qu'aujourd'hui, 9 octobre, le blé est presque tout dans le champ, ce qui n'est pas drôle. Ces 2 fermiers vont éprouver de grosses pertes ayant tardé à couper. La pluie, la neige a fait tomber les épis et ils n'en coupent que la moitié. L'un a repris sa lieuse et met en quintaux. J'en ris car Baptiste trouvait ça si pratique et si beau ; mais là il en rabat et va mettre son achat de combine à plus tard. Nous avons 260 boisseaux de blé, une espèce pour semences de battus et notre orge. Puis le grand champ comme 110 journaux est là ça noircit et l'on se demande si l'on va battre. Si vous me souhaitez la bonne année, je vous en remercierai et vous donnerai le résultat, si Dieu me prête vie. Je vous aurais écrit plus tôt mais nous étions si occupés à rentrer nos légumes, des quantités, par cette année mouillée, à ne savoir qu'en faire. Vous seriez bien aimable de m'envoyer une pièce de ganse en laine et une en coton, et un crochet en os pour travailler la laine. Je fais des petites robes à mes petites filles et elles m'ont perdu le mien, ce qui m'ennuie ne pouvant finir un travail commencé. Aurélie vous paiera. (Aurélie Dubois, sa nièce de La Morinière à Soulgé.) Et ce pauvre Louis (son neveu Louis, lefrère de Jeanne), que devient-il ?je n'en ai pas de nouvelles. Je pense que vous allez attirer la clientèle et désire tant que vous fassiez des affaires vous, malgré que je crois que c'est difficile. Bon courage, bonne santé, le bonjour de la part de mes enfants, aussi à Jeanne et à Marie Buttier. Aurélie Dubois Vve Duval Voici notre nouvelle adresse : P.O. St Isidore de Bellevue, Sask. Canada. Extraits d'une lettre de juin 1928 Vous me disiez dans votre dernière : comment faites-vous avec l'eau par les gros froids ? Nous avons une pompe qui marche par un petit engin. Le puits a une profondeur de 87 pieds et donne de l'eau tant qu'on veut l'hiver. On abreuve les animaux et les 1 1 chevaux toute l'année. Ils aiment mieux cette eau qui est inservable pour nous. Les pompes ne gèlent pas l'hiver. Dès que vous arrêtez de pomper, l'eau descend et par là ne gèle pas. C'est la plus grande calamité, que nous n'ayons pas d'eau potable. L'hiver on ramasse la neige et la fait fondre. Il y a dans la cuisine une tinque (réservoir), c'est un peu plus grand qu'une barrique. L'été, l'eau de gouttière, c'est-à-dire que très souvent on a de la triste eau. Il y a des places dans le pays où il y a ce qu'ils appellent des salines. Il y a une blancheur sur la terre comme du sel séché. Là il ne pousse rien et sans doute qu'il y a de cela dans la terre puisque l'eau est alcaline et purge, ne lave pas. Ce petit vivier pas, loin de la maison est agréable. Il s'emplit d'eau par la fonte des neiges et fait de l'eau douce qui lave. Nous y avons fait un lavoir mais 6 mois de froid où il y a des enfants, il faut laver souvent. Puis ici, ce n'est plus comme autrefois en France où les armoires étaient pleines de linge. Ils ont 2 chemises, une sur le dos et l'autre sur la corde. Ils ont pour habitude de laver tous les lundis. Là ils demandent de la pluie pour la terre et pour la maison ; le temps est vilain, orageux, puis des grands vents dispersent les nuages et pas de pluies. Mon garçon charrie du blé (il ne l'avait pas tout charroyé cet hiver) et il ramène des matériaux pour bâtir; c'est bien du tracas ; aussi, je fais ce que je peux pour aider -jardin, allée bordée de 2 rangées d'arbustes qu'ils appellent garaganas ; j'entretiens, c'est beau. Je passe à la politique ; votre lettre et ce qu'ont dit les journaux ici donne la même impression ç'a aurait pu être meilleur. Je dis comme vous: heureux que ce n'est point pire ; quel combat la vie de toutes façons, mais la politique c'est le plus terrible de tout ce que je remarque dans mes vieux jours. C'est que malgré progrès, modernisation, machineries de toutes sortes, les humains se combattent de toute façon. Aussi et je ne saurais dire qui est le bon du vieux temps ou ce fameux modernisme. Je me suis demandée et aimerais savoir lequel était mieux de l'état sauvage, où notre civilisation y chassait, y pêchait, y serraient les fruits, sauvages il est vrai mais pas de mal à les cultiver. Il n'y avait qu'à se baisser et les prendre: des belles fraises en quantité, des framboises, cerises et poires petites extra, des groseilles moitié grosseur des cultivées. Nous avons fait venir des plants ; il faut pulvériser car les chenilles mangent tout et infectent à faire mourir les plants. Alors vive le sauvage ! pas de beaux fruits, pas d'embarras ni de mal.
Si je vous disais, question de religion, que le sauvage, son grand manitou et son petit manitou, pas de frais et pas d'argent. Et nous, mon pauvre ami, ici toute notre religion ça ne se fait qu'avec de l'argent et c'est triste à dire, votre vieille tante s'y perd parfois dans les façons de faire du clergé d'ici. Tous les moyens sont bons pour que l'argent tombe. Bâtir notre église nous a endetté de 21700 dollars ; c'est beaucoup pour une soixantaine de fermiers dont peut-être dix qui ne sont pas endettés. Et ce curé, un canadien du bas Québec et en ayant tous les principes, c'est-à-dire un aristo d'avant 93, coupe et tranche et dépense comme ça lui plait. Puis ça fait la comédie, je dirais, pour l'argent. Tous les dimanches dans le soubassement de notre église, il y a soirée: cinéma, pièces jouées par les jeunes de la paroisse, puis la roulette. Ils achètent des petites affaires (le curé) puis ils font prendre des planches. Le prix varie selon l'objet puis on fait tourner la roue et dit le numéro gagnant. Ça rapporte. Vous me direz que c'est au profit de notre église; c'est vrai; mais il y a des abus de luxe, de gaspillage et que l'on veut couvrir par des moyens que je désapprouve. Dimanche, un homme seul, tout de même, a dansé une gigue. Ma cave fait partie de ma maison; le soubassement de l'église fait partie de la maison de Dieu. Et je me dis ces paroles de l'évangile où Dieu Jésus-Christ chassant les vendeurs du temple disait « ma maison est une maison de prière et vous en faites une caverne de voleurs ». Je lisais dans la Presse un article disant qu'un comité de catholiques en France signe une protestation contre la guerre religieuse qui existe au Mexique. Le pape a fait appel à tout et à tous et rien n'advient ni ne bouge. Ça va où et pourquoi? parce qu'il y a eu des injustices et des abus des peuples comme 93 en France. Exploiter le trappeur sur ses fourrures, le planteur de café pour se faire des millions n'a qu'un temps. Deux grands ministres disaient à Louis 16 : «Sire, il y a des abus et le peuple souffre». «Oui» disait-il mais sa noblesse ne voulait rien savoir des réformes. Dieu était fatigué d'eux, si je puis dire ainsi, et il les a répudiés car clergé et royalistes avaient toujours espérance au vieux régime et je crois que la grande guerre leur donnait un espoir. Elle les a trompés, le Kaiseur détrôné et bien d'autres. Je n'ai de parti pris ni pour le roi ni la république mais pour les honnêtes gens, la justice et l'ordre. Je suis vieille et c'est triste la vieillesse et on voit triste; et je vois injustice et désordre, extravagance du haut en bas de l'échelle. Aurélie Dubois Vve Duval |
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