Pierre Larivière, pionnier de Gravelbourg, et la plus vieille maison du village

Plusieurs ont tenté, au fil des ans, de se couronner le premier colon établi à Gravelbourg. Le clan Gravel aurait voulu se donner ce titre, ce qui aurait supposément mené à la chicane entre les abbés Gravel et Royer. Edmond Gauthier, pour sa part, avait bel et bien mené un groupe de colons de Cantal vers la Rivière La Vieille au printemps de 1906, quelques mois avant l'arrivée de l'abbé Louis-Pierre Gravel et de son frère Émue. Selon un article publié dans Le Patriote de l'Ouest en 1919, Gauthier était venu visiter la région en 1905 avec un nommé Lepage et aurait décidé à ce moment-là de revenir le printemps suivant avec d'autres francophones de Cantal (voir texte ci-joint). Toutefois, ni les Gravel, ni les Gauthier, méritent le titre de premier habitant de Gravelbourg. En effet, dès la fin du 19e siècle, le territoire de Gravelbourg était visité régulièrement par les cow-boys du ranch Turkey-Track, un énorme ranch qui recouvrait une très grande partie du sud-ouest de la Saskatchewan et qui appartenait à des intérêts du Texas. Un ancien résident de Gravelbourg, Charlie Coots, était arrivé dans le district en 1903 comme cow-boy pour le Turkey Track.

Si on exclut les cow-boys, les Indiens et les Métis qui visitaient régulièrement le district de Gravelbourg, l'honneur d'avoir été le premier colon dans la région devrait peut-être revenir à Pierre Larivière. Voici à ce sujet les propos de son petit-fils, l'abbé Richard Larivière. «En effet, mon grand-père, Pierre Larivière, accompagné de son futur gendre, Adam Godin, venus en train de la vallée d'Ottawa, et partant à pied de Moose Jaw, vinrent visiter les rives de la rivière La Vieille, dès 1902.» (1)

La maison de Pierre Larivière a été la première construite dans ce qui deviendrait quelques années plus tard le village de Gravelbourg. Pierre Larivière est né le 10 décembre 1852 dans une île dans la rivière Outaouais, 111e-des-Allumettes. En 1868, à l'âge de 16 ans, il avait épousé une fille de la région, Hermine Gaudet, aussi âgée de 16 ans.

Photo: Irène Lafrance Pierre et Henri Larivière

Pierre et Hermine ont élevé une famille de onze enfants dans une petite ferme vingt milles à l'ouest de Chapeau (Québec). Puisqu'il n'y avait plus de terre disponible dans la région, les fils de Pierre avaient dû se trouver du travail comme bûcherons. C'est sans doute pour cette raison que Pierre serait venu à la rivière La Vieille en 1902 avec Adam Godin. Fermier, il était intéressé à établir ses fils... et ses gendres... sur des fermes près de lui.

Pierre Larivière et Adam Godin sont donc parmi les premiers à venir explorer la région de la rivière La Vieille avec le souhait de s'y établir. En 1902, ils sont retournés dans l'Est pour discuter avec les autres membres de la famille de la possibilité de venir s'établir dans le district d'Assiniboia dans les Territoires du Nord-Ouest. De plus, ils sont retournés pour le mariage d'Adam Godin à Adiose Larivière, quatrième des enfants de Pierre et Hermine. Chose intéressante, Adam Godin et sa famille seront les derniers du clan Larivière à venir s'établir à Gravelbourg.

Pierre Larivière aurait fait plusieurs autres voyages d'exploration à la rivière La Vieille entre 1902 et 1906. Il aurait trouvé de bonnes terres pour établir chaque membre de sa famille.

C'est probablement en 1905 qu'il passe à l'action et se réserve un homestead à La Vieille et quiI exerce son droit de préemption sur un deuxième carreau (probablement pour 2$ l'acre). En effet, lorsque Pierre se dirige vers l'Ouest canadien, au printemps 1906, avec ses quatre fils aînés (Pierre, Georges, Salem et Wilfrid) et un gendre, David Gauthier (l'époux de Joséphine), douze carreaux de terre les attendent à La Vieille, soit chacun un homestead de 160 acres et un carreau de préemption.

Il est probable que Pierre avait réservé les homesteads l'année précédente puisque nous savons que Salem aurait obtenu ses lettres patentes pour son carreau le 25 mai 1908.

Pour se conformer aux exigences de la loi des terres, les hommes construisent des maisons de tourbe sur chaque homestead. Puis, ils se rendent à Moose Jaw où ils achètent du bois de construction.

La première maison en bois de Gravelbourg est construite durant l'été de 1906 sur le homestead de Pierre Larivière, le carreau SO-I1 1-5-W3. La maison se trouve aujourd'hui dans la ville de Gravelbourg, mais en 1906 il n'y avait rien d'autre dans les environs. Les fils de Pierre étant des bûcherons, il s'agissait d'une maison à deux étages solidement construite. La maison mesurait 20 pieds par 20 pieds. Au premier étage, il y avait deux petites chambres, un salon et une cuisine. Le deuxième étage était une seule grande pièce. Au fil des ans, on a ajouté à la maison. Le toit a été levé de trois pieds pour donner plus d'espace au deuxième étage. On a construit une cuisine d'été au nord de la maison et, durant les années 1930 ou 1940, Charlie Coots a ajouté une galerie intérieure au sud. La maison était isolée avec de la paille de lin. Elle l'est toujours en 1998.

Photo: Irène Lafrance La maison de Pierre Larivièere, 1950

Ayant répondu aux exigences immédiates de la Loi des terres, Pierre Larivière laisse ses quatre fils en Saskatchewan et retournent dans l'Est avec David Gauthier. Il se propose revenir le printemps suivant avec sa femme et ses deux plus jeunes enfants, Victor (16 ans) et Victoire (14 ans) et la famille Gauthier. Pierre Larivière espère encore pouvoir convaincre ses trois autres gendres, Alfred Lafrance, Adam Godin et Albert Prud'homme de venir s'établir à. La Vieille. Pendant l'hiver, les quatre fils bûcherons travaillent dans une cour à bois à Moose Jaw.

Au printemps 1907, Pierre Larivière revient avec sa famille et celles de David Gauthier et Albert Prud'homme. Alfred Lafrance viendra les rejoindre en 1908 et Adam Godin en 1909. Ainsi, Pierre Larivière aura réussi à établir l'ensemble de sa famille à Gravelbourg. Le benjamin, Victor, reçoit aussi son homestead et sa préemption dès qu'il atteint l'âge de 18 ans.

Pendant les cinq prochaines années, jusqu'à sa mort en 1912, Pierre Larivière s'implique dans le développement de sa nouvelle communauté. D'abord, il faut établir une paroisse canadiennefrançaise comme celles de la vieille province de Québec. «La première réunion paroissiale au village La Vieille fut convoquée le 15 septembre, 1907, sous la présidence du premier Curé, l'abbé A. Magnan. C'est alors que Pierre Larivière, Napoléon Aussant, Antoine Ross et Charles Archambault furent élus pour diriger la construction d'une maisonchapelle. La future église sera construite à même le 'Homestead' de l'abbé Magnan: (sec. 36 -canton 10-rang 5-ouest du 3e), près du Collège Mathieu actuel. Cette petite église, appelée dès le début 'Chapelle blanche', fut bénie à l'été de 1908. C'est alors que l'Évêque de Saint-Boniface, Monseigneur Langevin, dédia la nouvelle proisse à Sainte Philomène.»

Ensuite, même si ses enfants ont fini leurs études, il y a les petits-enfants. Il est élu premier président du district scolaire public de Gravelbourg en 1908, poste qu'il détenait encore à sa mort en 1912. La plus jeune de ses filles, Victoire, maintenant âgée de 18 ans, devient la première institutrice du hameau de La Vieille en 1910.

Enfin, il fallait assurer l'ordre dans la petite communauté de La Vieille. Pierre Larivière devient le premierjuge de paix de la région en 1908.

Pierre Larivière est décédé le 24 juillet 1912 à l'âge de 59 ans. Croyant qu'il serait imprudent de laisser sa mère seule dans la maison construite en 1906, Salem Larivière, toujours célibataire, ferme les portes de son «shack» de tourbe et déménage dans le nouveau village de Gravelbourg avec sa mère.

Hermine Larivière continue à contribuer au bienêtre de sa famille. Les plus vieux des petits-enfants sont maintenant d'âge scolaire et, puisque dans certains cas les homesteads sont éloignés de l'école, les enfants vivront chez grand-maman pendant la semaine pour pouvoir assister aux classes. Hermine Larivière est décédée le 10 mars 1918.

Photo: Laurier Gareau La Maison de Pierre Larivière, comme elle est aujourd?hui.

La maison, construite en pleine campagne en 1906, était maintenant dans le village de Gravelbourg. En effet, les Soeurs de Jésus-Marie venaient de construire un beau grand couvent immédiatement de l'autre côté de la route. La maison et deux acres de terrain sont légués à la plus jeune de la famille, Victoire, maintenant mariée à Archie Gaudet, tandis que les autres 158 acres du homestead de Pierre Larivière sont vendus au Canadien Northern.

Les Gaudet sont propriétaires de la maison pendant deux ans, puis Victoire vend la maison à sa soeur Emma Lafrance. La famille Gaudet quittera Gravelbourg durant la crise économique des années 1930 pour se rétablir aux États-Unis. En effet, Victoire est la seule des enfants de Pierre et Hermine Larivière qui n'a pas été enterrée à Gravelbourg.

En plus du carreau de homestead SO- 1-IL-5-W3, Pierre Larivière avait obtenu en 1905 le carreau SE-2-lI-5-W3. Voici un aperçu rapide des autres membres de la famille.

Pierre fils est né en 1872 et est décédé célibataire le 24 février 1940. Il était propriétaire des carreaux NE34-iO-5-W3 et SO-35-iO-5-W3.

Joséphine est née en 1874. Elle était l'épouse de David Gauthier qui était propriétaire des carreaux SE16-11-4-W3 et NE-9-11-4-W3. Joséphine est décédée le 5 février 1914. Elle était mère de sept enfants.

Emma est née en 1876 et a épousé Alfred Lafrance. Les Lafrance étaient installés sur les carreaux NO-15-11-4-W3 et NE-16-11-4-W3. Emma est décédée le 5 août 1949. Elle était mère de cinq enfants.

Adiose est née en 1878. Elle était l'épouse d'Adam Godin. Les Godin étaient établis sur les carreaux SO35-l0-5-W3 et SE-34-l0-5-W3. Adiose est décédée le 5 mai 1969, mère de sept enfants.

Anastasie est née le 7 mars 1880 et a épousé Albert Prud'homme qui s'est fixé sur les carreaux NO-2-11-5-W3 et NE-3-11-5-W3. Anastasie est décédée le 9 juillet 1967. Les Prud'homme ont eu sept enfants.

Georges est né en 1881. Il s'est établi sur les carreaux SO-3-li-5-W3 et NO-34-10-5-W3. A Gravelbourg, il a épousé Célina Ross. Après le décès de celle-ci, il a épousé Bertha Powell. Il est décédé le 2 janvier, 1956. Georges a eu trois enfants avec Bertha.

Athanase est né le 4 janvier 1884 et est décédé célibataire le 17 janvier 1911. Il avait cassé les carreaux SO-18-li-4-W3 et NO-7-11-4-W3.

Salem est né le 18 septembre 1885. Il a épousé Louisa Vaudry en 1919, un an après la mort de sa mère. Il est décédé le 5 août 1966. Il était le père de huit enfants. Il est devenu propriétaire des carreaux SE- 1811-4-W3 et SO-i7-li-4-W3.

Wilfrid est né le 19 novembre 1888. Il est décédé célibataire le 1er mars 1910. Wilfrid avait cassé les carreaux SO-2-1 1-5-W3 et SE-311-5-W3.

Victor est né en 1890. Il a épousé Bertha Maheu le 10 février 1914. Il est décédé le 6 novembre 1950. Victor et Bertha ont eu onze enfants. Victor était propriétaire des carreaux NO-1-ii-5-W3 et NE-2-ii-5-W3.

Enfin, Victoire est née en 1892. Elle a épousé Archie Gaudet et est décédée le 22 septembre 1955 à San Francisco, États-Unis. Archie et Victoire ont eu trois enfants.

Puisque Alfred et Emma Lafrance demeuraient toujours à la ferme lorsqu'ils ont acheté la maison de Victoire en 1920, l'immeuble a été loué jusqu'en 1942. Selon le fils d'Emma Lafrance, Pierre, il arrivait souvent que les locataires ne puissent pas payer à la fin du mois, surtout durant les années de la crise, et souvent les Lafrance devaient débourser de leur poche pour remplacer des fenêtres cassées ou réparer autres dégâts à la maison.

Alfred et Emma sont déménagés dans la maison en 1942. En 195i, deux ans après la mort d'Emma, Pierre et Irène (Coots) Lafrance sont devenus les derniers à y habiter.

La maison est abandonnée depuis plus de vingtcinq ans. Vers 1975, un incendie a endommagé le toit de la vieille cuisine d'été et aujourd'hui, à cause de cet incendie, on peut y voir la paille de lin qui servait d'isolation.

Pierre Lafrance, le petit-fils de Pierre Larivière, tient toujours à maintenir la vieille maison dans sa cour, mais il sait qu'après sa mort, la première maison de Gravelbourg sera sans doute démolie comme les autres premières habitations des Gauthier, Gravel, Ross et Larivière, premiers colons de La Vieille.

Sources:
Gravelbourg Historical Society, Héritage, GravelbourgDistrict, 1906-1985, Gravelbourg (SK): Gravelbourg Historical Society, 1987. Pierre et Irène Lafrance, Entrevue août 1997. L'abbé Richard Larivière.

(1) Gravelbourg Historical Society, Héritage, Gravelbourg - District, 1906-1985, Gravelbourg (SK): Gravelbourg Historical Society, 1987. p. 452.
(2) Ibid. p. 453. (L'information provenait du livre du juge Georges Hébert, Les débuts de Gravelbourg.)