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Pierre-Elzéar Myre

Pierre-Elzéar Myre
Le père Achille-Félix Auclair et l'abbé Myre (Archives de l'Alberta)
L'abbé Pierre-Elzéar Myre est un des membres les plus énigmatiques du clergé du diocèse de Prince-Albert. Né le 23 mars 1869 dans le comté québécois de Beauharnois, il est ordonné prêtre en 1897. De santé plutôt frêle, il enseigne quelques années au Collège de Valleyfield, puis il exerce le ministère dans le diocèse de Valleyfield; c'est au printemps de 1902 qu'il arrive à Prince-Albert. Son arrivée était selon toute apparence attendue depuis l'automne précédent: on ignore les motifs exacts de son départ pour l'Ouest, mais on peut supposer que des raisons de santé n'y étaient pas étrangères.
«Il est petit de taille, porte la barbe, il n'est pas grand prédicateur. Il disait souvent: «Instruisez-vous donc; lisez donc ça comme c'est bien écrit; c'est comme si ça venait de la bouche de Dieu.» Plusieurs de ses «sermons» étaient la lecture d'une encyclique papale, bien écrite, mais les paroissiens auraient eu besoin d'explications. Il arrive à Garonne au printemps de 1902.»

Garonne est à l'époque un humble établissement situé sur la rive droite de la rivière Saskatchewan-Sud, à quelque distance de Batoche. Blancs et Métis y vivent d'agriculture, d'élevage et de jardinage. Dès que l'on apprend la venue d'un prêtre résidant, les colons affluent de toutes parts et l'embryon d'une belle paroisse est ainsi formé. L'abbé Myre se réserve un homestead, l'abandonne presque aussitôt sous le prétexte qu'on n'y trouve ni eau ni bois et, en février 1903, s'en réserve un autre sur lequel s'élèvent une ancienne école et un maisonnette délabrée. En attendant mieux, la maisonnette servira de presbytère et l'école, «rebousillée» et blanchie à la chaux, fera office de chapelle.

Il est tout probable que, le premier hiver, l'abbé Myre se soit installé chez un certain Isidore Dumas, un colon d'origine canadienne française, marié à une Métisse. De cette façon, il ne paraîtra pas favoriser l'une des communautés aux dépens de l'autre. Dans un document, il déclare toutefois qu'il a commencé à habiter sur sa terre en juillet 1902, sans s'en absenter, sauf pour un voyage d'un mois au Bas-Canada.

La population est bien pauvre et la chapelle mal ornée. Mais pour le premier Noël, les paroissiens réservent une surprise à leur curé. Un paroissien confectionne une crèche en rondins et un groupe de jeunes pratique des cantiques de Noël. Enchanté de sa première messe de minuit dans l'Ouest, l'abbé Myre fait les frais d'une soirée aux Rois: on s'amuse ferme et toutes les chansons à répondre y passent. Le jeune curé rêve déjà à ce que Garonne va devenir: une riche paroisse, bien organisée, comme celles qu'on trouve dans les vieux comtés «d'en bas».

Le printemps venu, le curé fait construire un presbytère en «logues» et, l'année suivante, il obtient du gouvernement la création d'un district postal – Saint-Isidore de Bellevue – et devient lui-même le premier maître de poste.

En 1906, l'abbé Myre présente une demande de lettres patentes pour son homestead. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il n'a pas perdu son temps: il possède maintenant 6 chevaux et plus de 80 têtes de bétail. Il n'a cependant cassé que tout juste assez de terre pour faire un petit potager. C'est ce terrain qui, regrettablement, va être à la source de toute une série de difficultés aboutissant à son départ.

L'année suivante, «l'abbé Myre vend son terrain à Honoré Beaulieu; celui-ci ouvre un magasin général et prend le bureau de poste. Dans le contrat de vente, l'abbé Myre a oublié de réserver le morceau de terrain de l'église et du presbytère: tout appartient à Beaulieu. Celui-ci en profite pour faire la guerre au curé. Le curé se trouvait pris entre les paroissiens et Beaulieu. Les paroissiens réclamaient ce qui leur appartenaient, mais légalement ça appartenait à Beaulieu. L'affaire s'est réglée par intérêt: on menace de construire la nouvelle église chez Rosario; dans ce cas le magasin de Beaulieu va en souffrir. Beaulieu cède le terrain, on va construire à la même place, mais entre le curé et Beaulieu, jamais entente se fera.» Quel regrettable et, à vrai dire, inexplicable oubli! Au cours des années suivantes, l'abbé Myre en vient à se persuader qu'il n'y a plus rien à espérer de la situation et qu'il vaut mieux réclamer son affectation à une autre paroisse.

En mai 1910, l'abbé Myre arrive à Marcelin, village en pleine expansion, situé à 70 kilomètres au nord-ouest de Bellevue. Les années s'écoulent, tranquilles. Les idées du curé de Marcelin s'ajustent bien à celles du principal de l'école indienne de Duck Lake, Ovide Charlebois, o.m.i., qui deviendra plus tard l'évêque du Keewatin. Ils sont parmi les premiers à suggérer la création d'un journal de langue française et l'abbé Myre contribuera généreusement à ce journal, Le Patriote de l'Ouest, autant de sa plume que de sa bourse.

Au début des années 1920, la population a tellement grandi qu'il faut songer à construire une autre église. Mais au moment même où la décision est prise et alors qu'on s'apprête à entreprendre les travaux, la soeur de l'abbé Myre succombe au cancer. Le coup est dur: c'est elle qui avait été la véritable mère de Pierre-Elzéar et de ses frères et soeurs, après le décès prématuré de leur mère. «Nul autre de sa famille, rapporte Le Patriote, ne ressent plus le vide de ce départ que son très cher frère, M. le curé de Marcelin.»

Ajoutée aux soucis de la paroisse et de la nouvelle construction, cette perte vient à bout de la résistance de l'abbé Myre. Il est condamné au repos forcé pour plusieurs mois à l'hôpital des Soeurs à Missoula, au Montana. Il prend un peu de mieux, part visiter la parenté à Montréal, se repose ensuite un temps à Sainte-Rose-du-Lac, au Manitoba, avant de démissionner comme curé de Marcelin en novembre 1923.

Il revient dans le diocèse plusieurs années plus tard et est curé de Batoche jusqu'à ce que son état de santé le force à se retirer à l'hospice Taché à l'été de 1932. C'est là qu'il décède le 9 janvier 1942.

Le bon curé Myre était impétueux, c'est certain, et ses paroles dépassaient quelquefois sa pensée. On raconte par exemple qu'au beau milieu d'une grande assemblée de l'A.C.F.C., il avait narré l'histoire suivante, afin d'illustrer ce qu'était un vrai patriote. Un vieux bûcheron, qui avait travaillé toute sa vie dans les chantiers de la Gatineau pour des patrons anglais et irlandais, était allé se confesser. Le prêtre lui avait dit que s'il voulait la rémission de ses péchés, il devait pardonner à tout le monde. Le bûcheron était aussitôt sorti du confessionnal en claquant la porte et en clamant à tue-tête qu'il ne pardonnerait jamais aux Anglais. Et le curé Myre de conclure: «C'est ça, un vrai patriote!». On entendit aussitôt des murmures de protestation de la part des évêques qui partageaient l'estrade avec lui. Comprenant que le bûcheron de son histoire venait de manquer à la charité chrétienne la plus élémentaire en plus de violer une des obligations de tout bon catholique, l'abbé Myre balbutia un «ben sûr, y'aurait dû leu pardonner!» puis ajouta d'une voix forte: «N'empêche que c'est ça un vrai patriote!». L'auditoire tout entier, y compris les monseigneurs, ne pouvait que pardonner au vieux curé...

(citations: Roland Gaudet (?) St-Isidore de Bellevue, 1902-1977, s.l.n.d., p. 6 et 9; Le Patriote de l'Ouest, 2 août 1922, p. 8; renseignements: R. Bonin et M. Grenier, History of Marcelin and District, Marcelin, 1980, p. 16; La Liberté et le Patriote, 14 janvier 1942, p. 4).





 
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