Des gensPhilippe ChamberlandEn lisant la Généalogie des familles de la paroisse de St-Isidore de Bellevue, Sask., on trouve la description suivante d'un des pionniers de la région: «Monsieur Philippe Chamberland fut une figure légendaire à Bellevue en raison de son titre de pionnier, sa participation forcée à la Rébellion, son caractère et son vieil âge.»(1) Marie-Blanche Chamberland était la fille aînée de Philippe Chamberland et de Rosanna Gareau de Bellevue. Originaire de Saint-Patrice de Rivière-du-Loup, Québec, Philippe Chamberland n'est âgé que de 21 ans lorsqu'il part à l'aventure vers 1882 pour venir exercer son métier de peintre dans les Territoires du Nord-Ouest. On connaît peu à propos de sa jeunesse, mais son père Charles viendra prendre un homestead à Bellevue vers la fin du XIXe siècle. Philippe s'établit premièrement à Prince Albert, mais selon la généalogie de Bellevue, il quitte cette ville vers 1884 pour venir s'établir à Batoche. «À Batoche il était l'employé de Xavier Letendre.»(2) Toutefois, en 1944, Philippe Chamberland rend visite à des parents à Montréal où il fait la connaissance du journaliste René Villon. Un article de Villon au sujet du pionnier de Bellevue dans la Revue Moderne de novembre 1944 suggère que Chamberland serait arrivé à Batoche vers 1883 et non pas en 1884. «Batoche (Xavier Letendre) ne résidait que quelques mois par année à son village. L'hiver il se fixait au Fort Lacorne (sic) pour y faire la traite avec les sauvages. En son absence, quelqu'un assumait la direction de son magasin général à Batoche, et apprêtait les repas de la maisonnée. C'était Jean-Philippe. Il remplissait déjà ces fonctions depuis plus d'un an à l'arrivée de Riel.»(3) Riel est arrivé à Batoche en juillet 1884; un an plus tôt fixerait l'arrivée de Philippe en 1883. C'est à cette époque, à Batoche, que Philippe Chamberland fait la connaissance de ses futurs beaux-frères, Azarie, Ludger et Napoléon Gareau. Ludger et Napoléon sont occupés à construire le presbytère (1883) et l'église (1884) de Batoche, deux bâtiments qui sont les derniers de l'époque à Batoche, tandis que le frère aîné, Azarie, s'est pris un homestead environ dix kilomètres à l'est de Batoche, dans ce qui est aujourd'hui Bellevue. Après la résistance des Métis, Philippe Chamberland ira aussi se prendre un homestead à Bellevue. En 1883-84, tout le Nord-Ouest bourdonne d'activités. Métis, Blancs et Indiens ont tous des griefs légitimes contre Ottawa. Pétitions sur pétitions ont été envoyées au gouvernement du pays, mais les politiciens n'ont même pas pris le temps de répondre à ces plaintes des habitants du Nord-Ouest. Pour empirer la situation, la disparition des bisons menace la survie des Indiens et des Métis tandis qu'une crise économique fait de même pour les commerçants blancs. Enfin, alors que la majorité des habitants du Nord-Ouest habitent dans le district de la Saskatchewan, le Canadien Pacifique a décidé de construire sa ligne transcontinentale dans le district d'Assiniboia. Selon le journaliste René Villon, Philippe Chamberland lui aurait confié, en 1944, la présence d'agitateurs dans le Nord-Ouest à la veille de la résistance des Métis. «Le cadre et la nature du présent article ne nous permettent pas de nous attarder sur l'énumération des droits métis et sur toutes les causes de la rébellion. Il convient toutefois de souligner qu'à leurs griefs d'ordre territorial venait s'ajouter la pression d'agitateurs étrangers croyant qu'une bonne petite guerre aurait, comme toujours, la vertu de grossir le flux d'argent et de mettre fin à une mauvaise période économique pour la province.» (4) Ces agitateurs étrangers étaient peut-être à l'emploi du Canadien Pacifique qui essayait justement de convaincre Ottawa de lui accorder d'autres fonds. Philippe Chamberland aurait assurer au journaliste montréalais que «ce serait même sur leurs conseils que les mécontents auraient demander l'appui de Riel, alors réfugié au Montana.»(5) Louis Riel arrive à Batoche en juillet 1884, ayant été demandé de venir dans le Nord-Ouest par une délégation menée par Gabriel Dumont. À cette époque, Batoche n'est autre qu'un centre d'approvisionnement pour les Métis du district de la Saskatchewan. Le centre de la petite colonie métisse est Saint-Laurent de Grandin, environ dix kilomètres au nord-ouest. Batoche avait été fondé en 1871 par le commerçant métis, Xavier Letendre, dit Batoche. Cette année-là, alors que le père Alexis André établissait la mission de Saint-Laurent, Batoche Letendre avait ouvert un magasin et commencé à traverser les voyageurs à travers la rivière Saskatchewan Sud. En 1884, il y a une demi-douzaine de commerçants à Batoche, entre autres Georges Fisher, Baptiste Boyer, Emmanuel Champagne et, bien sûr, Letendre lui-même. Moins d'un an plus tard, en mars 1885, la situation éclate en guerre sanglante. Philippe Chamberland se voit alors surpris par la résistance des Métis. «Louis Riel s'assura de sa 'neutralité' en le mettant de force à son service, soit à sa cuisine, soit au comptoir du magasin général. Une tentative de fuite lui valut une menace de mort.»(6) Qu'avait-il fait pour se mériter une telle menace? Selon une histoire qu'il aurait racontée au père Denis Dubuc, o.m.i., auteur de la Généalogie des familles de la paroisse de St-Isidore de Bellevue, Sask, il lui était pénible d'être forcé d'aller voler des animaux pour la table du Conseil provisoire. La tradition orale dans la région de Bellevue veut que Philippe Chamberland ait essayé de s'évader de Riel et compagnie en se cachant sous une peau de bison ou de renard. L'abbé Roland Gaudet de Saint-Louis raconte une autre histoire à propos de Chamberland dans un volume préparé pour fêter, en 1977, le 75e anniversaire de fondation de Bellevue. Selon cette histoire, Chamberland «est conscrit comme cuisinier par les anglais; il traite si bien les prisonniers métis qu'il en aura la vie sauve lorsqu'il se fera prendre par les métis.»(7) Êtes-vous confus? Philippe Chamberland a-t-il été conscrit comme cuisinier par Riel ou par Middleton? Ajoutons un troisième élément à cette histoire. Tel que mentionné dans la dernière chronique, Chamberland rencontre le journaliste René Villon à Montréal en 1944. L'histoire qu'il aurait raconté à cette époque est la suivante: «Celui-ci (Riel) constitua un Conseil formé de lui-même, de son lieutenant et ami Gabriel Dumont, Moïse Ouellet, Baptiste Boyer, Jean-Baptiste Boucher, et de quelques autres. Ils étaient ainsi onze à tenir de fréquentes réunions chez Batoche, alors absent...»(8) Rappelons que Philippe Chamberland est responsable du magasin d'Xavier Letendre durant l'absence du fondateur de Batoche. Selon l'histoire racontée en 1944, Riel aurait demandé à Philippe Chamberland de se joindre à eux. «Mais je lui répondis que leurs griefs n'étaient pas les miens, et que je n'avais aucun motif de prendre les armes.»(9) Devant ce refus, Riel l'aurait alors fait prisonnier et obligé d'agir comme cuisinier. Toutefois, dans l'histoire qu'il a raconté à René Villon, il y a une contradiction avec celle racontée au père Dubuc. Dans la version qu'il conte à Villon, Chamberland déclare: «le fait d'avoir une pitance quotidienne assurée n'était pas pour lui déplaire. D'autant que ces messieurs aimaient le bon. Il consentit.»(10) Voici comment Philippe Chamberland décrit à Villon l'épisode de sa fuite: «Un jour Jean-Philippe monta une belle jument, propriété récente de ces messieurs du Conseil suprême, pour aller quérir la galette habituelle (on ignorait le pain là-bas). Parvenu devant 'la maison de Parenteau, son fournisseur,' un désir véhément de liberté l'envahit. Il lui faut de l'espace, du changement, de l'aventure. Bien loin de ralentir sa monture, il lui imprime une allure accélérée. Aux Métis qui font la garde, disposés en ceinture autour du village, le jeune homme jette le mot de passe 'Ti-Rat' (sobriquet à Dumont), qu'il connaissait pour l'avoir appris chez Batoche, de la bouche même des chefs. On lui répond 'Kaoka' (autre sobriquet de Batoche) et on le laisse filer.»(11) Le soir, le Conseil se serait aperçu de la fuite du cuisinier et on l'aurait enfin rejoint à Saint-Laurent. Traduit en justice devant le Conseil provisoire, comment a-t-on décidé de son sort? «En mettant dans un plateau de la balance son évasion, et dans l'autre sa jeunesse, ses talents culinaires et sa bonne intelligence avec les Métis.»(12) L'histoire raconte que le Conseil le menace qu'une nouvelle tentative d'évasion lui mériterait le peloton d'exécution. Il est fort possible que Philippe Chamberland n'ait jamais été prisonnier en 1885 et même qu'il ait été un partisan de Riel. Son nom figure dans une liste des combattants métis à Batoche (13) préparée par Philippe Garnot, lorsque ce dernier est en prison à Regina. Rappelons que Philippe Chamberland vivait à une époque où il n'y avait ni radio, ni télévision. Les gens se divertissaient en racontant des histoires et il est fort possible que Philippe Chamberland ait embelli sa participation à la résistance des Métis en 1885 pour amuser ses enfants. Après la bataille de Batoche, Chamberland prend un homestead, le SE 16-45-28-W2, environ un kilomètre à l'ouest de la ferme d'Azarie Gareau. Vers 1891, Gareau fait venir sa soeur Rosanna du Québec comme institutrice dans l'école de Bellevue. Elle fait la connaissance de Philippe Chamberland et les deux sont mariés à Batoche le 30 août 1892. Ils auront sept enfants, dont Marie-Blanche qui épouse Lucien Gaudet en 1912. Philippe Chamberland est décédé à Bellevue en 1954 à l'âge de 93 ans. Notes (1) Dubuc, Denis, o.m.i et Gaudet, abbé Roland, Généalogie des familles de la paroisse de St-Isidore de Bellevue, Sask, Duck Lake: Roland Gaudet, 1970, p. 3. (2) Ibid., p. 3. (3) Villon, René, Rebelle malgré lui, Article publié dans la Revue Moderne, novembre 1944, p. 1. (4) Ibid., p.1. (5) Ibid., p.1. (6) Dubuc et Gaudet, op. cit., p. 3. (7) Gaudet, abbé Roland, St. Isidore de Bellevue, 1902 - 1977, Saint-Louis: Roland Gaudet, 1977. p. 2. (8) Villon, René, Rebelle malgré lui, Article publié dans la Revue Moderne, Novembre 1944. (9) Ibid. (10) Ibid. (11) Ibid. (12) Ibid. (13) Payment, Diane, «Combattants Métis En 1885», Bulletin, Regina: Saskatchewan Genealogical Society, March, Volume 23, Number 1, 1992. p. 21. Sources: Dubuc, Denis, o.m.i et Gaudet, abbé Roland, Généalogie des familles de la paroisse de St-Isidore de Bellevue, Sask, Saint-Louis: Roland Gaudet, 1970. Gaudet, Roland, St. Isidore de Bellevue, 1902 - 1977, Saint-Louis: Roland Gaudet 1977. Payment, Diane, «Combattants Métis En 1885», Bulletin, Regina: Saskatchewan Genealogical Society, March, Volume 23, Number 1, 1992. Villon, René, Rebelle malgré lui, Article publié dans la Revue Moderne, Novembre 1944. |
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