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Des histoires

Petite Montagne à la Biche devient la Butte du Paradis

Au nord-ouest de la zone agricole de la Saskatchewan, à l'endroit où la rivière Saskatchewan-Nord termine sa première grande boucle après avoir traversé la frontière de l'Alberta, s'élève un vaste plateau qui porte le nom, aujourd'hui anglicisé, de Butte du Paradis. Il lui a été donné par des ranchers d'origine québécoise qui y faisaient l'élevage du bétail et des chevaux.
Les Métis fréquentaient la région de longue date. Ils avaient donné à la hauteur de terrain le nom pittoresque de «Petite Montagne à la Biche». C'est là qu'ils chassaient l'élan quand la viande de bison se faisait plus rare de l'autre côté de la rivière ou qu'ils souhaitaient tout simplement un changement au menu quotidien. Les familles métisses venaient aussi y cueillir des oignons, d'autres racines et une grande variété de baies sauvages. La piste d'Onion Lake passait à proximité de la Petite Montagne à la Biche; quelques Métis et un Hollandais s'y établirent en permanence pour faucher le foin des marais et le vendre aux rouliers métis et, après 1880, aux membres de la Police à cheval en patrouille. Le foin était si abondant, la contrée si bien arrosée et le territoire si immense que plusieurs Bas-Canadiens y établirent des ranches. Benjamin Prince, qui allait plus tard devenir sénateur, et Michel Côté étaient de ceux-là. Ils se réservèrent d'énormes étendues de terre sur lesquels ils laissaient errer leurs troupeaux de bétail et leurs chevaux. Les Métis, trop heureux de trouver un emploi en accord avec leur tempérament rude et aventureux, fournissaient une main d'oeuvre abondante et à bon marché. Les deux hommes aidèrent aussi d'autres nouveaux arrivants à devenir ranchers en leur cédant du bétail à bon prix ou à des conditions avantageuses sans argent comptant. C'était moins par pur altruisme que pour faire grandir plus rapidement les troupeaux. En effet, les acheteurs de bestiaux de Winnipeg ne se dérangeaient pas à moins qu'il y ait un nombre intéressant de têtes de bétail dans un district. Vers la fin du siècle dernier, il existait donc une poignée de ranches, dont ceux des frères Alphonse et Ernest Béliveau, de Michel Côté, d'Étienne Roussel et de Joe Amirault.

À l'automne, les acheteurs parcouraient la contrée, achetant de préférence des bouvillons de deux ans et demi. Le printemps suivant, les hommes de la compagnie passaient prendre les animaux achetés, commençant au ranch situé le plus à l'ouest et ramenant lentement le troupeau qui grossissait de ranch en ranch, jusqu'à la ligne de chemin de fer. Les animaux étaient entassés dans des wagons de chemin de fer pour le voyage vers les abattoirs et les salaisons de Saint-Boniface. Plus tard, avec l'arrivée du chemin de fer à North Battleford et à Turtleford, les ranchers prirent l'habitude d'expédier eux-mêmes le bétail aux abattoirs afin de s'épargner les frais d'un intermédiaire.

En 1897, la fièvre du Klondike se répandit dans l'Ouest et elle fit deux victimes, les frères Béliveau. Ils s'embarquèrent sur le bateau qui remontait la rivière Saskatchewan-Nord jusqu'à Edmonton et ils continuèrent leur trajet vers le Yukon. Entretemps, d'autres Canadiens français, pour une bonne part parents ou connaissances des premiers arrivants, s'installèrent dans la région. En 1903, pour faire face à l'afflux d'immigrants, le gouvernement fit arpenter les six cantons recouvrant et entourant la Petite Montagne à la Biche et les ouvrit à la prise de homesteads. Les ranchers se prirent donc des concessions gratuites et achetèrent plusieurs scrips des Métis et, après 1908, des anciens combattants de la Guerre des Boers. Mais comme il ne manquait pas de homesteads ailleurs dans les zones plus propices à la culture du blé, ils purent continuer leurs opérations pendant encore plusieurs années.

Après dix ans au Klondike, les frères Béliveau revinrent dans la région, probablement au printemps de 1906. Il faut croire que le séjour là-bas leur avait été financièrement profitable, car ils avaient suffisamment d'argent pour se faire construire des demeures confortables et des dépendances solides peu après leur retour. Beaucoup de leurs voisins devaient, eux, se contenter de cabanes et d'écuries bâties à la diable. D'autres «anciens» du Klondike - ils s'appelaient Bilodeau, Boulanger, Desilets, Pitre, Sauvage, Tardais - les suivirent au cours des semaines et des mois suivants. Alphonse et Ernest Béliveau étaient si heureux de revoir leurs ranches et le paysage verdoyant qu'ils proclamèrent la butte «un vrai paradis», de là «Butte du Paradis». Le nom resta.

Vers 1910, un important contingent de Franco-Américains vint renforcer la colonie française de la région. Un prêtre colonisateur, l'abbé Philippe-Antoine Bérubé, avait mené campagne de recrutement dans les états de la côte atlantique et il s'était mis en route vers le parkland de la Saskatchewan avec quelques centaines de colons et leurs familles. Pourtant, il ne connaissait presque rien à l'agriculture et il en savait encore moins sur les terres sablonneuses situées entre Prince-Albert et Shellbrook. Incapables de trouver de bons homesteads après un pénible circuit en chariots et à pied, les immigrants mécontents et épuisés parlaient même de pendre le pauvre abbé, haut et court. Ce dernier fila à l'anglaise à la première occasion.

Le beau-frère et l'un des cousins de Benjamin Prince faisaient partie du contingent. Ils vinrent donc lui rendre visite. Ce dernier leur indiqua alors les terres des environs de la Butte du Paradis et leur conseilla de s'y réserver des concessions au sud et au sud-est. Au fil des ans, d'autres familles de langue française s'aventurèrent dans le district ou vinrent rejoindre un parent, une connaissance ou un ancien voisin. Elles peuplèrent ainsi plusieurs hameaux: il y eut un Emmaville, en l'honneur de la femme d'un rancher, un Monnery pour rappeler le village de France* et, beaucoup plus tard, un Butte Saint-Pierre. Lorsque le Canadien National construisit un embranchement un peu au nord de ce village en 1928, on y déménagea le bureau de poste. Le nom devint alors officiellement Paradise Butte. Il rappelle encore le cri du coeur de deux Canadiens français revenant vers le coin de pays qu'ils considéraient comme leur vrai «chez-soi».

* Des recherches effectuées en 2002 montrent que, contrairement aux indications contenues dans l'album d'histoire locale consulté, aucune commune de France ne porte le nom de «Monnery».

(adapté de Paradise Hill & District Homecoming 1980, s.é., Paradise Hill, 1980, passim)





 
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