Contact
Société de la Saskatchewan
Société historique de la Saskatchewan

Des histoires

Patenteux et inventeurs

Le patenteux est un personnage attachant de la tradition franco-canadienne. Sans formation technique dans la plupart des cas, travaillant généralement avec des matériaux et des outils simples, il invente sans cesse toutes sortes de nouvelles machines pour faciliter les tâches quotidiennes, il adapte à des besoins particuliers une machine qui existe déjà, ou encore il produit à peu de frais une version d'une pièce d'équipement vendue en commerce. Deux traits fondamentaux de sa personnalité frappent lorsqu'on aiguille la conversation vers son sujet préféré : une imagination débordante, néanmoins vite canalisée par un profond sens pratique.
Le résultat de ses réflexions et de ses bricolages est quelquefois d'une utilité au mieux marginale, très souvent amusant ou farfelu, mais toujours intéressant. Il faut bien se garder de confondre le patenteux et celui dont on dit souvent qu'il fait du travail «de broche à foin». Alors que celui-ci ne fait que réparer à la diable et avec les moyens du bord ses machines et ses outils, le premier s'attache à produire des objets de belle apparence et, même, de facture soignée.

roue à chien
Cette roue à chien, d'Ernest Marcotte de Prud'homme, servait à pomper l'eau du puits (Archives de la Saskatchewan)
Il y a eu et il existe encore un grand nombre de patenteux franco-canadiens dans notre province. En 1915, par exemple, les citoyens du village de Ponteix furent étonnés d'entendre par une belle journée d'hiver la pétarade d'une motocyclette. Un patenteux, dont on ne sait aujourd'hui le nom de façon certaine, avait meublé les soirées de la morte saison en bricolant sa fidèle monture de marque Indian: il avait remplacé la roue avant par un patin pivotant, et monté une série de crampons en acier sur la jante arrière pour assurer la propulsion. Deux grands patins latéraux, rattachés à la motocyclette par un solide arceau de bois, garantissaient la stabilité de l'engin. Pour une belle «patente», c'était une belle patente! Et quand la neige était dure et pas trop épaisse, le casse-cou devait s'accrocher ferme aux guidons: la motocyclette pouvait filer à belle allure et se cabrer comme un broncho de la prairie. Bien sûr, même un «capot de chat sauvage» ne suffisait pas à préserver du froid et il fallait se contenter d'une course de quelques minutes si on voulait éviter les engelures. On ne connaît pas aujourd'hui le sort de cette motocyclette des neiges, mais si l'inventeur québécois J.-Armand Bombardier avait visité Ponteix en 1915, peut-être aurait-il perfectionné sa moto-neige trente ans plus tôt!
Motocyclette des neiges
'Motocyclette des neiges' fabriquée et conduite par un patenteux de Ponteix, 1915 (Collection Lise Perreault, Val Marie)


En 1926, un citoyen en vue de Laflèche, Eugène Bachelu, décide d'entreprendre un grand voyage en Californie en compagnie de son épouse Marie. L'aventure doit durer un an ou plus; il n'est donc pas question de vivre dans les hôtels ou de s'en remettre à l'hospitalité de gens rencontrés en chemin. Qu'à cela ne tienne! Les Bachelu apporteront leur maison avec eux. Eugène dresse les plans d'une maison mobile montée sur un châssis de camion Ford. Une fois terminée, la maison mobile n'a rien de luxueux, mais elle est certainement confortable: on a même prévu un toit qui coulisse verticalement afin de ne pas avoir à se pencher lorsqu'on circule à l'intérieur. On ne sait trop quels aménagements avaient été prévus, mais on croit qu'il y avait un petit réchaud à kérosène et une glacière, en plus d'un lit et d'espaces de rangement. Les Bachelu font un voyage inoubliable que plus d'un, même encore aujourd'hui, aurait toutes les raisons d'envier.

Maison mobile
Maison mobile (Collection de la famille Bachelu)
Si bon nombre de patenteux ne songent guère à tirer quelque profit de leurs créations, d'autres tiennent à obtenir les brevets d'invention qui leur en assureront la propriété exclusive. Les brevets sont accordés par le gouvernement canadien et ils donnent à l'inventeur le droit exclusif de fabriquer, d'utiliser ou de vendre l'invention en question durant une période de 17 ans. Depuis 1905, environ 3200 brevets ont été décernés à des Saskatchewannais et des Saskatchewannaises de tous les groupes ethniques. Il faut croire que les années 1920 étaient particulièrement favorables à l'esprit de création, puisque le tiers des brevets a été accordé durant cette seule décennie. Et comme on peut se l'imaginer, le courant inventif s'est considérablement ralenti au cours de la décennie suivante, avec la sécheresse et la crise économique; on n'a alors même pas atteint le seuil des 400 brevets. C'est surtout dans le secteur agricole que les inventeurs ont été actifs; on ne compte plus les épierreurs et les autres machines à andainer et ramasser les roches, non plus que les pièges à gopheurs, les moyens de faciliter les déplacements en hiver, les améliorations aux moteurs à combustion interne et les poêles à paille.

On relève les noms d'au moins 185 inventeurs de souche franco-saskatchewannaise; il est toutefois fort possible qu'il y en ait eu quelques dizaines d'autres, car il n'est toujours pas possible de déterminer avec certitude la nationalité à la simple lecture du nom. Le pourcentage d'inventeurs et d'inventrices de souche française correspond à peu près à la proportion de la population de langue française, soit entre cinq et six p. 100 de la population totale. On relève, entre autres, les noms et les inventions suivantes:

* Hector Boutin et Joseph Lemée, caisse à oeufs, Wauchope, 1935
* Zotique Chevrier, porte arrière de chariot, Mazenod, 1929
* Hormidas Côté, vilebrequin et porte-mèches, Delmas, 1942
* Blanche Crépeau, étui à cigarettes, Gravelbourg, 1924
* Cyprien Deschamps, jambe artificielle, Conquest, 1933
* Éloge Dion, réfrigérateur, Blaine Lake, 1919
* Louis Gagné, burette à huile, Willow-Bunch, 1924
* Wilfred Giroux et Joseph Potvin, piège à gopheurs, Ponteix, 1920
* Edgar et Ovila Goddu, machine à former les meulons, Filiatrault, 1915
* Émile Guillon et Joseph Perrault, bougie d'allumage, Val-Marie, 1938
* Pierre Hounjet, générateur à acétylène, Vonda, 1912
* Jean Labossière, cadenas à réservoir d'essence, Albertville, 1937
* Joseph Lanovaz, binette de jardin, Rosthern, 1969
* Élizabeth Lepage, détersif et poudre à laver, Vonda, 1918
* Maurice Marcotte, lame de scie à double tranchant, Hudson Bay Junction, 1945
* Onésime Nadon, appareil à aléser les cylindres de moteur, Saint-Hippolyte, 1925
* Marc Noël, accessoire pour appareil de photo, Willow-Bunch, 1922
* William Pinet, porte pour wagon de chemin de fer, Vonda, 1921
* Arthur Régnier, poulie, Saint-Hippolyte, 1917
* Louis Rocher, entonnoir, Saint-Brieux, 1937

Les Courteau
Les Courteau, de Zénon Parc se rendaient à l'école en 'cabouze'; un poêle à bois, dont on distingue la cheminée, servait à réchauffer les passagers (Archives de la Saskatchewan)
Un bon nombre sinon la plupart des villages de langue française ont été le site d'une ou de plusieurs inventions. Dans le sud de la province, les inventeurs habitaient ici et là dans le grand arc de cercle qui va de Willow-Bunch à Dollard et Val-Marie, en passant par Gravelbourg et Ponteix. Une bonne dizaine de brevets ont aussi été accordés dans la région de Montmartre-Lajord. Dans le nord, la région de North-Battleford, qui comprend aussi Delmas, Vawn et Saint-Hippolyte, a fourni à elle seule une vingtaine d'inventeurs, soit un peu plus que Saskatoon. Enfin, le petit village de Vonda étonne: au moins onze de ses habitants ont reçu un brevet d'invention!

De nos jours, même s'il est possible de trouver facilement et à bon compte toutes sortes d'objet en commerce, la tradition du patenteux semble se maintenir. Et, surtout dans les régions rurales, on ne manque pas d'inventeurs; ils disposent aujourd'hui dans la plupart des cas de moyens techniques importants - ateliers complètement outillés, avec soudeuses et appareils de levage - et ils concentrent leurs activités dans la création et le perfectionnement de la machinerie agricole.

(renseignements sur les brevets tirés de Made in Saskatchewan: a story of invention, Saskatchewan Western Development Museum, 1980)





 
(e0)