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Société historique de la Saskatchewan

Des gens

Ovide Charlebois, o.m.i.

Mgr Ovide Charlebois
Mgr Ovide Charlebois fut surnommé 'l'Évêque Errant' (Archives de la Saskatchewan)
L'immensité des distances entre les points habités dans la portion de la province qui s'étend au nord du 54e parallèle demeure difficile à saisir encore de nos jours. L'avion, le moteur hors-bord, la motoneige et le tracteur à chenilles facilitent aujourd'hui les déplacements et l'approvisionnement des petites communautés éparpillées. Mais à la fin du siècle dernier, c'était encore l'époque du canot, de la raquette et du traîneau à chiens. Celui qu'on a surnommé «l'Évêque Errant», Mgr Ovide Charlebois, o.m.i., a ainsi parcouru en tous sens ces terres encore sauvages.
Né le 17 février 1862 à Oka, Ovide Charlebois suit sa famille qui s'installe dans un territoire de colonisation non loin de Saint-Jérôme, au nord de Montréal. Il ne lui est pas donné de fréquenter régulièrement l'école primaire et, à cause de la pauvreté de la famille, il doit tout d'abord renoncer aux études classiques. Mais après que son père ait obtenu un emploi à la ferme modèle de l'Assomption, Ovide peut suivre les cours du Collège de l'endroit. Il prend la résolution de se faire Oblat et est ordonné prêtre le 17 juillet 1887. Il s'est offert pour les missions du diocèse de Saint-Albert, qui couvre à cette époque une grande partie du Nord-Ouest. Le jeune prêtre est doué d'une forte constitution, il connaît bien le travail de la terre et il pratique avec une habileté consommée plusieurs métiers manuels; toutes ces qualités en font un sujet de choix pour des régions où le missionnaire doit presque tout faire par lui-même.

Son évêque, Mgr Vital Grandin, o.m.i., le destine à la mission du lac Pélican, à plus de 300 kilomètres au nord-est de Prince-Albert. En cours de route, ses supérieurs le retiennent à la mission Saint-Joseph de Cumberland, sur le cours inférieur de la rivière Saskatchewan. Toutefois, comme il ne parle aucune langue indienne, il lui est difficile de travailler efficacement à l'évangélisation des populations de l'endroit, sauf des quelques Métis de langue française. Après la Noël, il part pour le lac Pélican, rejoindre un autre Oblat chargé de lui enseigner la langue crise. Le jeune prêtre revient ensuite au Cumberland; c'est le début de douze années durant lesquelles il est en courses presque ininterrompues entre les missions de Cumberland, du Pas, du Grand Rapide à l'endroit où les eaux du lac des Cèdres se jettent dans le lac Winnipeg, du lac Pélican, de Pakitawagan sur le fleuve Churchill, de l'Entrée du Lac Caribou, de Saint-Pierre à l'extrémité nord du même lac, de Nelson House et de Norway House beaucoup plus à l'est. C'est un territoire de près de 200 000 kilomètres carrés. L'été, il voyage le plus souvent en canot, mais quelquefois aussi à bord d'une «barge» de la Compagnie de la Baie d'Hudson, surtout quand il s'agit de traverser de grands lacs où le vent et les vagues risquent de faire chavirer un esquif plus fragile; l'hiver, il faut partir en raquettes ou en traîneau à chiens et dormir à la belle étoile, même par 40 degrés de froid. La hache, la scie de long et la varlope font partie de ses bagages au même titre que son autel portatif, et il érige plusieurs chapelles dans les missions qu'il visite.

Après un court repos parmi sa famille à l'été de 1899, il retrouve sa mission de Cumberland inondée et en bien triste état. C'est le début d'une période pénible, car des inondations sévissent partout dans les bassins du fleuve Churchill et de la rivière Saskatchewan. La crue des eaux a détruit les jardins et les pâturages établis autour des missions, forçant la dislocation des communautés déjà établies et amenant sa triste suite de problèmes sociaux, dont l'abus de l'alcool n'en est que le signe le plus visible.

Au printemps de 1900, Ovide Charlebois est nommé Supérieur du district; ses nouvelles fonctions ne l'empêchent pas de visiter les missions même les plus éloignées. Cet automne-là, il décide de reconstruire la chapelle du lac Pélican, qui tombe en ruines. Avec l'aide d'un seul homme, il coupe le nombre de billots nécessaires pour le plancher de l'église. Les billots roulés à force de bras sur un bâti de fortune sont ensuite découpés à la scie de long en madriers épais. On abandonne le travail jusqu'au printemps, car il faut entreprendre la longue tournée de Noël. Le père Charlebois se met en route quelques jours avant Noël, conduisant son propre attelage de chiens. C'est toute une aventure, car il doit souvent battre le chemin à la raquette dans la neige épaisse, puis revenir guider les chiens et pousser le traîneau dans les côtes et les passages difficiles. Vers l'est jusqu'à Nelson House, ensuite vers le sud jusqu'au lac Cross, Norway House et le Grand Rapide, puis direction ouest en passant par Le Pas et Cumberland, avant de tourner les chiens vers le nord et le lac Pélican, quelques jours de repos, puis voyage-éclair à Prince-Albert avec un crochet au lac La Ronge et retour au lac Pélican, c'est une équipée de plus de 2500 kilomètres au creux de l'hiver!

À peine de retour, avec un confrère et deux autres hommes, il plante sa tente dans une épinettière afin d'y préparer le reste du bois de charpente. «Il s'agissait d'équarrir 400 morceaux. ( ... ) On se levait à 4 heures; on disait les messes dans la tente, on déjeunait au brochet, et à 6 heures les haches résonnaient sur les épinettes. Deux hommes abattaient les arbres, le Père Charlebois les équarrissait. En seize jours, le nombre y fut.» Après une autre visite à Prince-Albert, l'Oblat lève le carré de l'église qui mesure 18 mètres sur 10. À l'automne, toujours avec un seul homme pour l'aider, il coupe une bonne dizaine de cordes de bois et prépare un four à chaux. Durant l'hiver et au début du printemps, il varlope et embouvète les madriers du plancher, allume le four à chaux, prépare les lattes pour le crépi des murs et termine l'ornementation du choeur et des voûtes. Il n'en continue pas moins à visiter régulièrement les missions même les plus éloignées et à travailler à la construction d'autres chapelles. Il trouve même le temps d'enseigner l'écriture syllabique aux Cris les plus doués. Il semble qu'il n'y ait aucune limite à son énergie et à son endurance physique, bien qu'il souffre d'une douloureuse maladie de la peau qui nécessite plusieurs interventions chirurgicales et d'une affection chronique de l'estomac. Plus d'une fois il revient exténué d'un long périple en canot ou en raquettes et on le croit à sa dernière extrémité. Évacué sur l'hôpital de Prince-Albert, il en revient une quinzaine de jours plus tard, avec la force d'un Samson.

En 1903, le père Ovide Charlebois est nommé directeur de l'école indienne Saint-Michel à Duck Lake. L'institution est solidement établie, mais une dette énorme grève son budget. En moins de sept ans, à force d'économie et d'appels à l'aide aux catholiques plus fortunés de l'Est, la dette est éteinte. L'Oblat voit aussi à renforcer l'enseignement des sciences agricoles aux jeunes Indiens, afin qu'ils puissent exploiter avec profit leurs propres terres ou celles de leurs tribus. Il rédige à ce moment plusieurs manuels et autres ouvrages en langue crise. Le sort de ses compatriotes dans l'Ouest ne laisse pas non plus de l'inquiéter. Plusieurs membres du clergé réclament depuis déjà de nombreuses années un journal franco-catholique, afin que les colons de langue française et les Métis puissent mieux résister à l'assimilation. Il se joint aux abbés Pierre-Elzéar Myre et Constant Bourdel afin de lancer une souscription qui permet d'acheter le matériel d'un petit journal anglais en faillite et de créer Le Patriote de l'Ouest. Le personnel et quelques élèves de l'école Saint-Michel forment la main d'oeuvre lors de la publication des premiers numéros. L'oeuvre vient à peine de naître lorsque le père Charlebois apprend qu'il est nommé vicaire apostolique du Keewatin.

Le vicariat du Keewatin, érigé en mars 1910, est immense. Il comprend toute la province de la Saskatchewan prise sur sa largeur, du 54e parallèle jusqu'à la ligne de partage des eaux entre la Baie d'Hudson et la mer Arctique, ainsi que toute la province du Manitoba également prise sur sa largeur et un coin de l'Ontario, du 53e parallèle jusqu'au Pôle Nord. Le seul point desservi par le chemin de fer dans tout le vicariat est Le Pas qui est par conséquent choisi comme résidence du vicaire. L'Oblat assiste au grand Congrès Eucharistique de Montréal, où la vocation missionnaire du peuple canadien français est réaffirmée, puis il est sacré évêque le 30 novembre 1910. Le prélat entreprend alors la première de ses multiples visites pastorales. De Meadow-Lake en passant par le lac Vert et Beauval, il se rend en voiture à cheval et en canot à l'Île-à-la-Crosse, où les Indiens et les Métis l'accueillent par une vive «fusillade», marque traditionnelle de bienvenue pour les visiteurs importants. Après une visite à La Loche, Mgr Charlebois descend la rivière aux Anglais (c'est le fleuve Churchill), fait un détour vers La Ronge, reprend la descente de la rivière aux Anglais jusqu'à l'endroit où la rivière Caribou s'y jette, remonte cette rivière jusqu'à la mission de l'entrée du lac, traverse celui-ci jusqu'à son extrémité nord, redescend jusqu'au lac Pélican, puis prend la route de Pakitawagan et continue jusqu'à Nelson House, Cross Lake et Norway House, avant de rentrer au Pas.

Il écrit de sa plume le sommaire de sa visite: «J'ai parcouru trois cents milles en chemin de fer, quatre-vingt milles en voiture sans ressort, deux mille milles en canot, quarante à cinquante milles à pied, dans les portages à travers la forêt. J'ai couché soixante fois sur le sol, abrité par une petite tente et j'ai autant de fois célébré la sainte messe sous cette même tente. J'ai visité quatorze missions, comprenant une population de quatre mille cinq cents catholiques. Six de ces missions n'avaient jamais été visitées par un évêque. J'ai prêché sept retraites, de quatre à six jours. J'ai confirmé onze cents Sauvages, dont les bonnes dispositions m'ont beaucoup édifié.»

Pendant encore de nombreuses années, il traverse des dizaines de fois et de bout en bout son immense vicariat. Un printemps, il lui arrive même de faire à pied le trajet entre l'Île-à-la-Crosse et le portage La Loche, soit plus de 175 kilomètres à vol d'oiseau. Il visite aussi en plusieurs occasions les missions du Grand Nord, dont Baker Lake et Repulse Bay. Mais les distances sont par trop grandes et Rome prend la sage décision de séparer les missions des Esquimaux de celles des Indiens plus au sud. Dès le milieu des années 1920, l'évêque peut d'ailleurs voyager de plus en plus régulièrement en avion.

Les dernières années de sa vie sont consacrées à la fondation de nombreuses autres missions pour les Indiens. Mgr Ovide Charlebois, o.m.i., meurt le 20 novembre 1933 et est inhumé au Pas. Un lac du Nord de la Saskatchewan honore sa mémoire.

(citations: lettre du père Marius Rossignol, o.m.i., citée dans J.-M. Pénard, o.m.i., Mgr Charlebois, notes et souvenirs, Montréal, Librairie Beauchemin, 1937, p. 86; Ovide Charlebois, Débuts d'un évêque missionnaire, Montréal, Impr. des Sourds-Muets, 1913, cité dans Pénard, op. cit., p. 147; renseignements: Germain Lesage, o.m.i., L'évêque errant, Ottawa, Les éditions de l'Université d'Ottawa, 1950; Le Patriote de l'Ouest, 28 septembre 1910, p. 5, 16 juin 1914, p.1, 22 novembre 1933, pp. 1-3 et 6 décembre 1933, p. 4)





 
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