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Société historique de la Saskatchewan

Des histoires

«Ouinechargeurs»

Depuis le milieu du siècle dernier, le moulin à vent est le gardien solitaire des prairies nord-américaines. Invention capitale dans l'expansion de l'élevage sur des terrains où le bétail n'aurait pu trouver le moindre point d'eau sûr, le moulin à vent est un modèle de simplicité et de fiabilité. Une roue formée d'un grand nombre d'ailettes - habituellement dix-huit - est montée au sommet d'une tour métallique.
Un système d'engrenages transforme le mouvement circulaire de la roue en un mouvement de va-et-vient, transmis à une longue tige qui actionne le piston de la pompe située entre les pattes de la tour. Des centaines de ces éoliennes sont encore debout, solides, dans les campagnes, quoique devenus inutiles par suite de l'emploi des pompes électriques.

L'agence Bilodeau
L'agence Bilodeau, de Laflèche, annonçait en 1928 qu'elle avait installé un générateur Hebco à des fins de démonstration (Le Patriote, 29 février 1928)
Mais il existe un autre type d'éolienne que l'on voit très rarement de nos jours, le «ouinechargeur». Conçu, lui, pour produire de l'électricité, il se distingue facilement du premier par la forme de l'organe de propulsion: deux ou trois grandes pales seulement, plutôt que de nombreuses ailettes. Ses plus belles heures ont duré à peine vingt-cinq ans, du milieu des années 1920 jusqu'au début des années 1950. Il provenait des grandes usines américaines du Mid-West, de petits ateliers installés dans les villages de la Saskatchewan et même de la forge de fermiers inventifs. Le «ouinechargeur» - c'est bien sûr la prononciation à la française de windcharger - a été inventé alors que les réseaux électriques n'atteignaient pas encore les régions rurales et les petits villages. Désireux de tirer profit des multiples avantages de l'électricité, autant pour l'éclairage que pour actionner les outils et les pompes, plusieurs agriculteurs installèrent vers le début des années 1920 des systèmes Delco de 32 volts, mus par un «engin stationnaire», c'est-à-dire par un petit moteur à explosion. Les frais d'entretien et d'opération de ces systèmes se révélèrent pourtant inacceptablement élevés, une fois la nouveauté passée.

La compagnie Windcharger, de l'Iowa, commercialisait une génératrice à vent de 1000 watts qui s'accouplait au système Delco, de telle sorte qu'il n'était pas nécessaire de changer la filerie des maisons ou d'acheter de nouveaux appareils électriques. Les «ouinechargeurs» gagnèrent donc immédiatement en popularité. Lorsque l'argent vint à manquer durant la sécheresse et la crise économique des années 1930, un grand nombre d'agriculteurs installèrent une génératrice à vent. Elle fournissait la plus grande partie du courant de la maisonnée, le Delco n'étant utilisé que par temps calme ou lorsque la demande dépassait la capacité du «ouinechargeur».

La firme Windcharger n'était pas la seule à produire ces appareils en grande série; les compagnies Parris-Dunn, Air Electric et WinPower, toutes trois de l'Iowa, ainsi que Hebco et Jacobs avaient elles aussi leur part du marché. Quant au magasin Eaton, il vendait un modèle appelé «Viking», qui était en fait un Windcharger sur lequel on avait apposé l'emblème Eaton. La génératrice n'était pas très dispendieuse, une centaine de dollars au plus, quoiqu'il ait fallu compter une bonne quarantaine de dollars supplémentaires pour la tour. Ce sont les batteries rechargeables pour accumuler l'électricité produite qui coûtaient le plus cher, soit environ 275 $ pour un ensemble de capacité suffisante; contenues dans des bocaux de verre épais, elles pesaient plus de 400 kilos, et c'est pourquoi on les installait généralement au sous-sol de la maison. De construction soignée et solide, le «ouinechargeur» pouvait cependant être endommagé par les grands vents, alors que les pales se mettaient à tourner si rapidement qu'elles auraient littéralement explosé sans un système compliqué de freinage incorporé à la machine. Les jours de grésil, les accumulations de glace au bout des pales pouvaient aussi déséquilibrer l'appareil et, souvent même, causer le bris d'une pale.

Avec la construction du réseau provincial de la Saskatchewan Power au début des années 1950, on démantela les «ouinechargeurs», devenus inutiles. Vingt ans plus tard, le renouveau d'intérêt envers les nouvelles formes d'énergie suite à la crise du pétrole amena quelques «patenteux» à découvrir ce que nos pères savaient déjà durant les années 1930: le vent est gratuit, surtout en Saskatchewan...

(adapté de Don Gavton, «Before the grid», Farm Light & Power, mars 1986, p. 20)





 
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