Des gensOnésime Dorval
À l'été de 1877, une jeune femme d'apparence frêle quitte Montréal à destination de la lointaine colonie de la Rivière-Rouge. Sa santé est trop fragile pour les conditions habituelles de vie dans une communauté religieuse, et elle a fait le voeu de se consacrer au service des missions catholiques du Nord-Ouest. C'est la lecture des récits de mission du père Albert Lacombe qui l'a inspirée. Née en 1845 (d'autres documents mentionnent 1843 et même 1839, mais la première date est vraisemblablement la bonne) près de Saint-Jérome, au nord de Montréal, elle a en main son diplôme permanent de maîtresse d'école. Après avoir traversé les Grands Lacs jusqu'à Duluth en territoire américain, elle prend le train jusqu'au petit port fluvial de Fisher's Landing, où elle s'embarque sur un bateau à aubes qui descend la rivière Rouge jusqu'à Saint-Boniface. Elle arrive à destination au début d'août. Mgr Vital Grandin, évêque de Saint-Albert (aujourd'hui Edmonton), se prépare à partir pour la France. De santé chancelante depuis plusieurs années, il compte s'y reposer tout en travaillant à ramasser des fonds pour ses missions. Il prie donc la jeune institutrice d'attendre son retour avant de s'aventurer vers les missions en pays sauvage plus loin vers l'ouest. Mais il est si occupé là-bas, et sa santé lui cause tellement de soucis, qu'il ne pourra en revenir avant deux longues années. Pendant ce temps, Mlle Dorval enseigne à Saint-Paul, petit établissement métis élevé le long de l'Assiniboine à peu de distance de Saint-Boniface. En 1880, le jour de la Saint-Jean-Baptiste, elle se joint à une caravane en partance pour Saint-Albert. C'est encore l'ère des déplacements en charrettes à boeufs, criardes et inconfortables à souhait. Pour ajouter à la misère, il y a toujours la poussière, les moustiques, la nourriture fade, l'absence presque totale d'intimité, les feux de prairie et, même, la menace des Indiens en maraude. Après 45 jours de voyage, on en n'est encore qu'à Duck Lake, où le père Alexis André rencontre la caravane. Mgr Grandin, soutient-il, lui a fait tenir une lettre l'autorisant à garder la voyageuse pour l'aider à la mission de Saint-Laurent, à quelque distance de là, de l'autre côté de la Saskatchewan Sud. Mais l'Oblat a égaré le précieux document et ne peut le produire. Le chef du convoi refuse de laisser partir celle dont il a la charge. Après un autre mois de voyage – 72 jours en tout – on touche enfin au but. Quelques semaines plus tard, Onésime Dorval part pour le Lac Sainte-Anne, à 100 kilomètres à l'ouest, où elle passe un an. Elle refait alors une partie de son trajet original en sens inverse, car elle est toujours destinée à la mission de Saint-Laurent. L'arrivée de Mgr Grandin, qu'elle a accompagné depuis Saint-Albert, est l'occasion de célébrations d'un cachet tout particulier dans la petite mission sur les rives de la Saskatchewan Sud. Elle les décrit dans son journal personnel: «Comme je me préparais à faire un pâté, on entend un coup de fusil, puis un autre, un troisième. Comme la paix n'était pas fixée entre les cinq nations, je craignis une attaque. Comme des perdreaux, tout le personnel était disparu, caché, même le bon Frère Piquet que je n'avais pas encore vu courir à toutes jambes du côté de la Source se cacher. Que donc est la cause de cet émoi? Je m'avance vers la porte et j'aperçois une vingtaine de Sioux, installés dans le beau jardin, tous nus, des braies seulement, peinturés des pieds à la tête en barres rouge, vermillon, bleu et noir, le visage tout barriolé de couleurs, les uns portaient des chevelures suspendues par une corde à leur ceinture, etc... «M'armant de courage, je leur dis en les saluant Ki koy. Juste à ce moment, Mgr ignorant l'intention de ces sauvages sortait du presbytère pour venir nous trouver; à sa vue, une transformation se fit. La scène change, c'est une danse; rassurée sur l'intention de ces gens qui venaient saluer Mgr, je pus en paix suivre de vue cette fantasmagorie indienne... Les sauts et ritournelles se succédaient, la danse dura assez longtemps. Las de leurs contorsions, ils revinrent s'asseoir sur l'herbe pendant que je leur distribuais plusieurs galettes et tout le lait caillé que je pus trouver dans la maison. C'était la seule chose que je pusse leur offrir et ils paraissaient contents; après le repas, ils partirent tous à cheval, ébranlant l'air d'une vive fusillade.» L'institutrice se mit immédiatement à la tâche. «L'école de Saint-Laurent végétait depuis sa fondation, soit à cause de l'incompétence des maîtres, soit à cause de l'indifférence des paroissiens. En peu de temps, Mademoiselle Dorval grâce à son tact, à sa bonté, à son dévouement, réussit à la remettre sur un bon pied. C'est la première année que nous avons pu tenir une école en règle, écrit le P. Fourmond à la date du 14 décembre 1881, grâce au dévouement d'une pieuse tertiaire de St-François; elle peut enseigner le français et l'anglais et diriger un ouvroir. Elle veille aussi à notre ménage et se multiplie pour mettre de l'ordre partout.» Son séjour fut pourtant de courte durée, car une congrégation religieuse vint fonder un couvent dans le petit village métis. Mlle Dorval avait reçu l'ordre de se rendre à Battleford, encore à cette époque la capitale des Territoires du Nord-Ouest. On dit que le père André était si reconnaissant de ses bons services qu'il lui fit don de la plus belle vache de son troupeau. À Battleford, «ce fut le 3 septembre 1883, le lendemain de son arrivée, que Mlle Dorval ouvrit sa classe dans sa petite cuisine éclairée de six petites vitres. Comme élèves, elle n'avait que cinq ou six petits Métis qui pour la plupart ne comprenaient que le cri. Un seul des enfants pouvait entièrement comprendre la maîtresse, c'était le petit Joe Burke, fils du clairon de la caserne. «Les conditions s'améliorèrent rapidement et l'école catholique de Battleford fut bien vite au niveau des meilleures écoles du pays. En 1894, les Soeurs de l'Assomption vinrent s'établir à Battleford. En attendant qu'elles eussent obtenu leur brevet, Mlle Dorval resta parmi elles. Puis, en 1896, elle revint à ses chers Métis.» La petite colonie de Saint-Laurent s'était entre temps disloquée et bon nombre de ses anciens habitants s'étaient installés à Batoche. C'est là qu'elle poursuivit son oeuvre à l'école du district n° 1, pendant encore 18 années. Elle avait maintenant plus de 70 ans et elle méritait un repos. Parce que les besoins étaient si grands, elle accepta de passer une année à Notre-Dame-de-Pontmain, à Aldina, avant de se retirer à l'école Saint-Michel de Duck Lake, sur l'invitation du père Delmas, principal de l'institution. On sait par ailleurs qu'elle reprit l'enseignement, de façon intermittente semble-t-il, entre 1916 et 1921, à l'école du district catholique public Fourmond, situé aux abords des «lots de rivière» au nord de Batoche. On sait peu de choses sur sa vie personnelle, sauf qu'aux dires de ses anciens élèves, elle ne plaisantait pas avec la discipline. Elle avait aussi un certain talent pour la peinture; elle peignait apparemment sans pinceau, avec les doigts et les ongles, des tableaux aux couleurs vives et qui plaisaient énormément aux familles métisses. Elle décéda à l'hôpital de Rosthern le 10 décembre 1932, à l'âge de 87 ans, et ses funérailles eurent lieu «dans la chapelle attenante à l'école indienne de Duck Lake le mardi 13 décembre, devant une foule considérable composée de Blancs et d'Indiens.» Pour honorer sa mémoire, le gouvernement a donné son nom à une série de quatre petites îles de la rivière Saskatchewan Nord, un peu en aval de North Battleford. (citations: Le Patriote de l'Ouest, 14 décembre 1932, sauf première, Journal de Mlle Dorval aux Archives de l'Alberta) |
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