Des gensOlivier-Elzéar Mathieu
Olivier-Elzéar Mathieu naît à Saint-Roch de Québec le 24 décembre 1853. À l'âge de douze ans, il entre au Petit Séminaire de Québec et s'y distingue par ses talents naturels et son application à l'étude. Il entreprend ensuite ses études au Grand Séminaire, occupant en même temps le poste de professeur, puis d'assistant-procureur au Petit Séminaire. Ayant obtenu le doctorat en théologie de l'Université Laval, il reçoit l'onction sacerdotale au début de juin 1878 et est nommé professeur de philosophie à la même université. En 1882, il part pour Rome et en revient l'année suivante avec le titre de docteur en philosophie de l'Académie Saint-Thomas d'Aquin. Il reprend l'enseignement de la philosophie, qu'il n'interrompra plus jusqu'à son départ pour Régina. Sa carrière est brillante; successivement directeur du Petit Séminaire et supérieur du Grand Séminaire, il est nommé recteur de l'Université Laval en 1899. À l'occasion des cérémonies du cinquantenaire de l'université en 1902, Rome le nomme protonotaire apostolique, Londres lui confère la médaille de Compagnon de l'Ordre de saint Michel et de saint Georges il est le premier prêtre catholique à recevoir un tel honneur , et Paris le fait Chevalier de la Légion d'honneur. Son «prestige ( ... ) et les amitiés que suscitent partout son nom et son grand coeur» amènent les anciens de Laval à offrir à leur alma mater un «cadeau jubilaire de cent mille piastres», somme énorme à l'époque.
Le Vatican a déjà mené un recensement en vue de la création d'un nouveau diocèse dans les plaines du sud de la Saskatchewan, où se jette depuis dix ans un fort courant d'immigration. Les chiffres indiquent que les Franco-Canadiens y forment le plus important groupe ethnique de foi catholique, suivi des Ruthènes, des Allemands et, au bas de la liste, des Anglais. Mais certaines factions réclament la nomination d'un évêque de langue anglaise et la presse émet même des doutes sur l'exactitude des chiffres. L'archevêque de Saint-Boniface, Mgr Adélard Langevin, fait jouer son influence depuis quatre ans et il n'entend pas lâcher prise: le prélat de Régina sera de sang français! La Consistoriale organise un second recensement qui confirme en tous points le premier. Olivier-Elzéar Mathieu n'est pas le candidat de Mgr Langevin, mais malgré cela ou peut-être à cause de cela il reçoit ses bulles d'évêque de Régina en juillet 1911. Sacré en la Basilique de Québec par le cardinal Bégin, il est intronisé à Régina le 23 novembre. Il avoue n'avoir «jamais désiré le lourd fardeau de l'épiscopat», mais il se soumet et accepte «en tremblant mais en aimant, cette couronne de l'épiscopat qui a ses épines comme celle de Jésus-Christ». On croit généralement que son séjour dans l'Ouest sera de courte durée et que Rome le prépare à la succession du cardinal Bégin à Québec. Les cérémonies et les célébrations de son installation à Régina ne sont pas encore terminées que l'opposition entre catholiques français et anglais donne lieu à un incident disgracieux. «Quelques Irlandais mécontents de ce qu'un Canadien français avait été nommé évêque à la place de l'un des leurs, qu'ils attendaient, ont poussé l'indélicatesse jusqu'à aller trouver le lieutenant gouverneur pour lui demander d'user de son influence pour forcer (l'évêque) à prendre un vicaire général de leur nationalité». Mgr Mathieu apaise d'abord les esprits en annonçant aux prêtres diocésains, lors d'un banquet, qu'il ne prendra aucune décision avant d'avoir «réfléchi, prié et consulté». Puis, quelques semaines plus tard, il désarme les critiques en se choisissant trois conseillers de nationalités différentes: le père Suffa, un Allemand, l'abbé Maillard, un Français, et le curé Gillis, un Anglais. Le nouvel évêque a fort à faire. Il doit d'abord faire la connaissance des personnalités politiques et des notables, et se pencher sur le cas de chacun des soixante prêtres du diocèse. Il lui faut ensuite voir à la constitution légale de l'évêché et des paroisses en corporations, veillant en même temps à prévoir des mécanismes originaux pour faciliter leur administration financière rendue difficile par les tiraillements entre fidèles de différentes nationalités. Il doit en outre songer à préparer une visite des paroisses et des missions du diocèse. Ce qui complique par-dessus tout le choix des prêtres et leur affectation aux différentes paroisses, en plus de rendre «l'exercice du saint ministère aussi ennuyeux que difficile, soutient-il, c'est qu'il n'y a presque pas de paroisse où le curé n'ait à parler qu'une seule langue. Il doit en savoir au moins deux, souvent trois ou quatre. Dans ma visite à Kenaston, fait-il une fois remarquer, huit petites filles sont venues me lire un compliment en huit langues différentes». Le nouveau prélat travaille aussi à renforcer la pratique religieuse et la piété, s'attachant surtout à convaincre les fidèles de s'approcher plus souvent de la Sainte Table. L'arrivée de Mgr Mathieu coïncide avec l'annonce d'un Congrès de la Langue française, devant regrouper tous les franco-catholiques de l'Amérique du Nord à Québec en juin 1912. Les chefs de la minorité en Saskatchewan décident de tenir à Duck Lake, à la fin de février, le congrès de nomination d'une délégation à ces grandes assises nationales. Mgr Mathieu, semble-t-il, hésite à s'y rendre: cette hésitation ne s'explique pas facilement. Peut-être juge-t-il que son devoir, dans un diocèse où cohabitent des dizaines d'ethnies, est de ne pas s'identifier de trop près aux revendications de la population de langue française. Peut-être estime-t-il prudent de se tenir à l'écart des organisateurs, étroitement associés pour une bonne majorité au parti libéral, afin de ne pas s'attirer inutilement l'antipathie du nouveau gouvernement conservateur d'Ottawa, qui a promis des changements dans le domaine de l'immigration. Peut-être aussi est-il tout simplement débordé de travail. Quoi qu'il en soit, il faut l'intervention personnelle du procureur de la province, F.-A. Turgeon et celle du vicaire apostolique du Keewatin, Mgr Ovide Charlebois, pour le décider à faire le voyage. Il accepte alors la présidence du groupe de délégués à Québec et il invite les congressistes à se réunir l'année suivante dans sa ville épiscopale. Entre deux séances aux assises de Québec, il convie des Québécois influents à une réunion pour y discuter de l'émigration vers l'Ouest. Il est permis de penser que Mgr Mathieu n'a jamais cru à l'opportunité d'encourager un grand nombre de Québécois à venir s'installer en Saskatchewan. «Nos gens de l'Est eussent rnieux fait de venir il y a une trentaine d'années», écrit-il; «s'il en est quelques-uns qui désirent s'y fixer, qu'on leur donne une bonne direction, et qu'on fasse en sorte de les placer au milieu des gens de leur race, de leur religion, afin qu'ils ne soient pas exposés à perdre leur langue et surtout leur foi». Son manque d'enthousiasme dans le champ de l'immigration commence à lui valoir des reproches de la part des chefs de la minorité; c'est ce qui le pousse finalement à obtenir du gouvernement fédéral la nomination d'un missionnaire-colonisateur pour son diocèse, démarche qui lui vaudra d'ailleurs mille contretemps. L'Ouest n'est déjà plus à l'époque des pionniers et des longs voyages à dos de cheval ou en charrette: les chemins de fer relient la plupart des centres et l'automobile raccourcit les distances. Mgr Mathieu voyage beaucoup. Dans la mesure du possible, il se rend à intervalles réguliers dans «toutes les paroisses où il y a des prêtres résidants et aussi dans quelques-unes des principales missions», et il y donne la confirmation. Il visite Edmonton et Calgary en février 1914, avant de partir pour Québec, d'où il s'embarque pour un périple qui le mène en Italie et en France. Ses malles tout juste défaites, il doit repartir pour l'Est, en revient et, d'avril à septembre, il est «en courses à travers le diocèse.» Lors du décès de l'archevêque de Saint-Boniface en juin 1915, des rumeurs circulent à l'effet que Mgr Mathieu doit lui succéder. Mais il est plutôt nommé archevêque de Regina, avec l'évêque de Prince-Albert comme suffragant, en décembre 1915. Les revers de la Première Guerre mondiale ont aigri une partie de la population, qui s'attaque alors à tout ce qu'elle ne considère pas comme Canadian: les Allemands sont les premiers visés, mais toutes les minorités ainsi que les catholiques en général sont des cibles de choix. C'est dans ces circonstances que le doigté et la diplomatie du prélat servent le mieux les intérêts des franco-catholiques. Par des discours adroits devant des cercles d'hommes influents, il émousse du mieux qu'il peut la pointe des flèches et rassure l'opinion anglo-canadienne sur l'attachement des Canadiens français à la couronne britannique. Il ne manque jamais de rappeler que si le Canada appartient encore à l'Empire, c'est bien grâce aux Canadiens français qui ont d'abord fait la sourde oreille aux appels de Lafayette durant la Révolution américaine et ensuite défendu le territoire par les armes sous les ordres de Salaberry, à Carillon. Il continue aussi ses tournées pastorales; ainsi, au début de l'été 1917, il doit «parcourir près de mille milles à travers la prairie pour aller d'une mission à l'autre, et cela souvent par un mauvais temps et par des chemins affreux.» C'est à cette époque que se manifestent les premiers troubles cardiaques qui vont assombrir ses dernières années. Le médecin ordonne un repos et le prélat part pour Québec, d'où il ne revient qu'à la mi-août. L'année suivante, il doit retourner dans l'Est en avril afin de travailler à la solution de l'épineux problème de la conscription. Selon les dispositions de la loi nouvellement votée, les tonsurés sont conscrits au même titre que les autres jeunes gens. Lors de démarches délicates auprès du gouverneur général, le duc de Devonshire, et de plusieurs ministres, il parvient à obtenir l'exemption des tonsurés, en échange de son intervention personnelle auprès du clergé du Québec, opposé à la conscription et déjà disposé à aider les jeunes hommes à s'y soustraire. Selon le procureur général Turgeon, l'opinion publique était tellement montée contre les Canadiens français que la disparition du français dans l'Ouest devait être considérée comme une conclusion inévitable; seule l'intervention de Mgr Mathieu réussit à «sauver notre langue dans la Province.» La création de deux collèges classiques, l'un français et l'autre anglais, pour la formation de l'élite religieuse et laïque hante l'esprit du prélat depuis son arrivée dans l'Ouest. «Si je pouvais avant de mourir, écrit-il, organiser ces deux collèges, j'aurais fait l'oeuvre la plus importante de ma vie.» Il ne veut absolument pas d'un collège bilingue qui ne servirait, en fin de compte, qu'à angliciser les Franco-Canadiens. Il décide donc en 1918 d'établir un collège anglais à Regina, sous la direction des Jésuites, et un autre à Gravelbourg, où l'enseignement sera assuré par le clergé séculier du diocèse. Mais il devient presque tout de suite évident que le clergé n'est pas suffisamment nombreux et, dès l'année suivante, Mgr Mathieu remet aux Oblats la direction du «Collège catholique de Gravelbourg», bientôt connu sous le nom de «Collège Mathieu». Le prélat de Régina ne peut confirmer son action aux seuls problèmes de son archidiocèse. Après la mort de Mgr Legal, évêque de Saint-Albert, il entreprend un voyage à Rome pour exposer aux cardinaux de la Curie romaine la situation délicate de l'Eglise de l'Ouest canadien. Aux fatigues considérables du déplacement s'ajoutent les inquiétudes au sujet de son collège de Gravelbourg: les Oblats ne consentent à s'en charger définitivement que s'ils en reçoivent la propriété entière et libre de toute hypothèque. Ces 150 000 piastres, il lui faut les quêter, en Saskatchewan d'abord, puis au Québec. «Si je ne croyais pas travailler au salut des âmes en travaillant à sa fondation (celle du collège), avoue-t-il, je l'aurais lâché et mis à la disposition d'un hôpital les bâtiments qui servent au collège.» Il est permis de penser qu'il a écrit ces lignes dans un moment de fatigue, car ce n'est certainement pas dans les habitudes d'Olivier-Elzéar Mathieu de «lâcher». Homme de dossiers, organisateur hors-pair, il sait mener plusieurs luttes de front et il abat des quantités de travail remarquables. Il publie à chaque année au moins un ou deux livres sur des points de doctrine en plus de ses mandements et de ses contributions régulières au Patriote de l'Ouest, où il signe ses articles du pseudonyme «Canadien». Tôt dans sa carrière, il s'est donné comme règle absolue de répondre à tout son courrier le jour même; on affirme qu'il rédige et signe ansi plus de cent cinquante lettres par jour à l'occasion des Fêtes. S'il est un côté de la personnalité de Mgr Mathieu qui est moins facile à comprendre pour le lecteur moderne, c'est bien son rigorisme. Il accepte difficilement, par exemple, que ses prêtres ne portent pas la soutane dans toutes leurs activités, en privé et en public. Il tonne contre ses confrères anglais de Calgary et de Winnipeg qui, eux, ne l'exigent point. C'est à son corps défendant qu'il approuve, après plusieurs années et des demandes réitérées de son clergé, le port de la soutanelle, c'est-à-dire l'habit de clergyman. Par ailleurs, il s'oppose fermement à la danse, source de débauche et de péché selon lui. Il réprimande vertement, par exemple, tel prêtre qui a permis que les Knights of Columbus il n'a d'ailleurs à peu près rien de bon à dire à leur propos organisent une soirée dansante dans le soubassement de l'église paroissiale. Il entretient aussi, à l'égard des Irlandais, des sentiments plutôt acerbes. «Ils ont été trop lâches pour garder leur langue, écrit-il; ils ont pris celle de leurs persécuteurs et aujourd'hui ils voudraient l'imposer brutalement à tous ceux qui les entourent. Que ces Irlandais sont ingrats!» À ses yeux, ce sont des religieux de sang français qui ont, seuls, évangélisé l'Ouest et qui l'ont ouvert à la civilisation, au prix de mille souffrances. Les Irlandais sont arrivés une fois le travail pénible accompli et ils prétendent maintenant tout dominer; d'ailleurs, ajoute-t-il, ils «désirent plus les sièges épiscopaux que nos pauvres paroisses». Une pneumonie contractée lors d'un voyage à Gravelbourg en juillet 1927, l'amène à l'article de la mort. Il reçoit l'Extrême-Onction mais il parvient à reprendre suffisamment de forces pour célébrer son cinquantenaire de vie sacerdotale en juin 1928. Un grand nombre de personnalités, dont le pape Pie XI, le roi George V, le président Raymond Poincarré et le premier ministre Mackenzie King lui font parvenir à cette occasion des télégrammes de félicitations. Ses amis publient à Régina un recueil illustré, Gesta Dei: Some Account of the Day of Monseigneur Mathieu. Son entourage ne se fait néanmoins plus d'illusions; le prélat s'affaiblit de semaine en semaine et la fin approche. Depuis sa pneumonie, il ne quitte plus sa chambre à l'hôpital des Soeurs Crises qu'une heure ou deux par jour afin de voir à son courrier au palais épiscopal. Une grave crise cardiaque le terrasse en décembre 1928 et il s'éteint le 26 octobre 1929, à l'âge de 75 ans. (citations: Journal de Mgr Mathieu, sauf première dans Le Patriote de l'Ouest, 30 octobre 1929, p. 1; renseignements: Patriote, 30 octobre, 6 et 13 novembre 1929; The Morning Leader, 28 octobre 1929, p. 1 et 3; Gesta Dei: Some Account of the Day of Monseigneur Mathieu, passim). |
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