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Société de la Saskatchewan
Société historique de la Saskatchewan

Revue historique: volume 7 numéro 2

Noël à la campagne

Fiction: par Roland Piché
Vol. 7 - no 2, décembre 1996
C'est déjà sombre! Et pas chaud! Nos doigts sont gelés! Et nos figures aussi! J'entends mon père: «Vingt-cinq sous zéro, sans doute!» La neige crisse sous les patins de la carriole. Heureusement, mon père avait placé des chaufferettes sous nos pieds.

Les trois aînés, Cécile, Paul et moi-même, sommes recouverts de la tête aux pieds d'une 'robe de carriole', grande couverture d'un seul tenant en peau de vache. Nos chapeaux et pantalons, faits d'imitation de peaux de chameau, nous couvrent la tête et les jambes. Mes parents et bébé René occupent le siège avant de la carriole, eux aussi vêtus pour les bourrasques et les tempêtes du Pôle Nord!

Il est cinq heures de l'après-midi. Nous nous rendons à l'école Jesmond pour une fête organisée surtout pour les enfants. Nous ne sommes partis que depuis quinze minutes et déjà le ciel est devenu gris et une tempête
Au début du siècle
Source: Christmas in the West Westen Producer Prairie Books
Au début du siècle, les parents commandaient souvent les cadeaux pour leurs enfants du catalogue de ka compagnie T. Eaton?s

s'annonce. Puis, ce sont les vents qui soufflent en violentes rafales et qui hurlent intensément. Nous sommes assis sur le siège arrière de la carriole, nous nous blottissons les uns contre les autres et ne soufflons pas un mot. Nous nous cachons sous la robe de carriole et essayons de nous garder au chaud. Les grains de neige, comme des grains de sable, nous lacèrent le visage. Nous ne voyons plus rien. Les deux chevaux, aveuglés par les neiges, tirent le traîneau à contre-coeur, laissant échapper des vapeurs de leurs narines et trottent aussi vite que le permet la profondeur de la neige. Nous nous cachons sous la robe de carriole et essayons de nous garder au chaud. Enfin, après une heure en traîneau, nous glissons rapidement les quelques cent pieds qui nous séparent de l'École Jesmond. Nous passons nos têtes au dessus de la robe de carriole et voyons les lumières et les ombres qui s'agitent à mesure que nous approchons.

Heureux d'être enfin arrivés, nous entrons dans l'école où nous attendent les gens et leurs enfants venus des environs. Mes parents saluent la maîtresse et badinent avec les invités. Il est six heures et demi. Les élèves ont décoré l'unique grande salle de l'école. À gauche, on a placé des jouets et des fruits sur une grande table. Avant même de nous dévêtir, nous nous attardons près de cette table et contemplons tout ce qui s'y trouve, les yeux «grands comme des piastres!» Paul lorgne une petite automobile rouge un bon moment. Cécile, une poupée qu'elle couche dans son ber. Quant à moi, j'ai un regard d'envie pour un petit cheval de bois attelé à un buggy. On nous invite à pendre notre linge dans le porche à l'entrée, ce que nous faisons immédiatement, à la course, ajoutant nos manteaux aux autres qui s'y trouvent déjà.

On a déjà servi le souper. Nous sommes les derniers arrivés et nous devons nous contenter des restes. Nous n'avons pas très faim. Mais nous mangeons un peu de tourtière, de tarte au sucre et buvons des verres de chocolat au lait. Il reste beaucoup de tartes et de tourtières et nous nous servons. Mais, en raison de notre lassitude, nous n'avons pas le coeur à manger et laissons nos assiettes de côté.

Il est maintenant sept heures et les spectacles vont commencer. Le maître de cérémonies, un anglais, invite l'assemblée à s'asseoir: «Would you please be seated? The program will begin in a few minutes.»

Et puisque nous sommes à quelques jours de la fête de Noël, le premier tableau, vivant, montre l'Enfant Jésus couché dans une crèche dans l'étable de Bethléem, entourée de Marie et Joseph, d'un âne et d'un boeuf, et de quelques agneaux. Un choeur d'enfants entonne le «Gloria». Nous écoutons attentivement comme si nous disions une prière. Nous applaudissons au terme du Gloria. Je trouve étrange que nous applaudissions; selon moi, on n'applaudit pas quand on chante des «chansons d'église».

Et c'est maintenant au tour de la chorale de se faire valoir. Elle chante: »White Christmas», «Silent Night», «Oh! Come All Ye Faithful», «Ave Maria», «O Little Town of Bethleem» et quelques autres chants encore moins connus. Évidemment, Paul et moi avons peine à accompagner la chorale mais Cécile connaît tous ces chants et s'en donne à coeur joie. À la fin de la série de chansons, Paul et moi sommes à bout de patience et nous nous agitons sur nos chaises dures et attendons impatiemment la distribution des cadeaux.

Nous y arrivons enfin. Nous nous demandons si le Père Noël nous passera les cadeaux que nous avons choisis lorsque nous sommes arrivés. Il semble que tous nos petits voisins ont eu leur cadeau bien avant nous. Que restera-t-il lorsque notre tour viendra? Nous observons d'un regard inquiet que la table est presque nue. On n'a pas entendu le nom d'un seul d'entre nous. Enfin, le Père Noël tire le nom de Paul. Il a obtenu la petite automobile rouge qu'il convoitait. Le Père Noël crie le nom de Cécile. Elle va vers lui d'un pas ferme et reçoit une grosse boîte de ses mains. Elle revient vers nous et se hâte à déchirer le papier qui entoure la boîte. Elle y voit sa poupée et, toute heureuse et souriante, nous la montre. Il ne reste plus que moi. Si Paul et Cécile ont obtenu ce qu'ils désiraient, je n'ai pas raison de craindre que ce soit different pour moi. En effet, j'entends mon nom. Je vais chercher mon cadeau et je découvre qu'on a bel et bien enveloppé le petit cheval et le buggy. Il y a même quelque chose pour René, une boîte contenant une petite étable. Pendant les quelques minutes qui suivent, sous l'oeil de nos parents et de nos voisins immédiats, nous nous amusons avec nos jouets. Nous sommes heureux de les montrer à tous ceux qui expriment un semblant de désir de les voir.
Christmas

Les élèves nous servent un délicieux goûter. Les invités continuent de parler et de rire. Quelques-uns se donnent rendez-vous en ville au salon-bar de l'Ambassador et de la Kings' où ils entendent continuer les célébrations le lendemain.

Et puis, c'est l'heure du retour. Nous ramassons nos jouets, mettons nos manteaux et chapeaux et nous nous rendons au traîneau auquel mon père a attelé les chevaux. Nous nous endormons quelque peu mais le froid nous tient éveillés. Et surtout, nous n'avons pas les chaufferettes que nous avions lorsque nous sommes partis de la maison. C'est la nuit! Bien froide mais claire. La tempête nous a laissés. La pleine lune illumine notre route et nous suit jusqu'à la maison.

Nos parents étaient vraiment courageux! C'est toute une soirée! Imaginez! Un froid glacial! Une famille de quatre enfants, tous en bas âges! Deux voyages d'une heure chacun en traîneau ouvert pendant une tempête! De grands vents du Nord comme il y en a si souvent dans l'Ouest! Le retour de nuit à une maison sans chaleur! Et, pourtant, nous avons tous survécus! Je ne sais pas si j'aimerais répéter l'expérience! Le froid et les vents, je crois bien, me feraient reculer! J'étais heureux de retrouver mon lit, même s'il n'était pas chaud. Nous nous sommes vite endormis.

Que de tribulations dans une famille qui vit à la campagne! Que d'événements inattendus, reflets de la diversité des gens et des circonstances! Ce 15 décembre 1933 demeure gravé dans mon esprit. Ce fut sans aucun doute une journée mémorable.







 
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