Contact
Société de la Saskatchewan
Société historique de la Saskatchewan

Des histoires

Maudit soit le Canadien Pacifique!

La mise en valeur des terres agricoles de l'Ouest canadien aurait été de toute évidence impossible sans la construction d'un réseau de voies ferrées pour acheminer le grain vers les ports de mer. Mais point n'est besoin d'ajouter que les agriculteurs n'ont jamais porté les compagnies ferroviaires dans leur coeur, celles-ci cherchant à augmenter leurs profits au dépens de ceux-là, qui en retour les tiennent responsables de bon nombre de leurs déboires. On rapporte le bon mot selon lequel un fermier qui venait de voir ses magnifiques champs de blé détruits par la grêle, leva le poing vers le ciel et s'écria: «Maudit soit le Canadien Pacifique!»
Ce fut sans nul doute aussi le cri de la famille Gaudreau, qui eut à endurer plusieurs privations à cause du Canadien Pacifique.

D'origine québécoise, Euclide Gaudreau, son épouse Angéline et leurs six enfants s'établissent en 1908 dans le district d'Olga, tout à fait au nord-est du Dakota-Nord. Euclide travaille comme «homme à gages» pour un agriculteur, sans possibilité de s'établir à son compte: les homesteads ont déjà tous été pris dans ce coin des États-Unis et les terres se vendent à bon prix. Après la naissance de son quatrième fils en 1911, il vient explorer à l'automne les environs de Naicam, se réservant un homestead dans un district déjà peuplé de Canadiens français et de Métis, au sud-ouest du village. Ces familles ont pour nom Beauchamp – c'est d'ailleurs le nom du bureau de poste –, Morin, Coutu, Messier, Chenail, Carrière, Perron, Tourond, Langevin, Turgeon, Gamache, Brindamour, Marchand, Didier, Corriveau, Savoie, Prince, Ménard, Ruest, Martineau, Bruneau, Desmarais et Chauvin. La famille Gaudreau se met en route au printemps suivant; le linge, le mobilier et les autres effets sont expédiés par chemin de fer, sauf quelques vêtements qu'on empile dans une valise pour le voyage.

Les débuts sont difficiles. La famille s'installe dans une cabane dont le toit fuit. Euclide achète une vache, son veau et trois porcelets; le lait doit être partagé avec le veau et les porcelets. Il fait labourer un bout de terrain pour planter un jardin, mais une gelée hâtive détruira la récolte à l'automne. Il s'occupe à creuser des puits dans la région et exerce aussi le métier de menuisier dans la colonie allemande d'Englefeld à une trentaine de kilomètres plus au sud. L'hiver approche à grands pas et la famille n'a pas encore reçu de nouvelles de ses effets: pas de vêtements d'hiver, pas de lits, pas même de poêle pour chauffer la cabane. On ne peut plus attendre. Gaudreau déniche un vieux poêle tout juste bon à jeter aux ordures, le rafistole tant bien que mal avec du fil de fer et l'installe dans une grande boîte de sable, placée au milieu de la cuisine. La famille s'y s'entasse, car c'est la seule pièce qu'on parvient à attiédir. Elle n'est pourtant pas au bout de ses peines. Entre la Noël et le Nouvel An, la maison des voisins, les Brindamour, est la proie des flammes. Les Gaudreau ouvrent généreusement leur porte: dix autres personnes s'installent alors dans la cabane. La nuit, les chaises sont empilées sur la table pour laisser plus de place sur le plancher. Heureusement que M. Brindamour parvient à rebâtir sa maison de «logues» en moins d'un mois, au creux de l'hiver!

Finalement, en février 1913, presque un an après leur départ des États-Unis, les Gaudreau apprennent ce qui est arrivé à leurs effets. Ils moisissent depuis belle lurette dans un entrepôt, car à la suite d'une erreur de calcul, il manque 1,75 $ pour acquitter les frais d'expédition et de douane, et la compagnie attend tout bêtement son dû. Que de sacrifices auraient pu être évités si seulement l'agent de la compagnie de chemin de fer s'était donné un peu de peine...

(adapté de Gleanings Along the Way: a history of Naicam, Lac Vert and surrounding districts, Intercollegiate Press, Winnipeg, 1980, p. 321-322)





 
(e0)