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Société de la Saskatchewan
Société historique de la Saskatchewan

Revue historique: volume 2 numéro 1

Marie Gaudet, née Gareau

autobiographie
par Marie Gaudet
Vol. 2 - no 1, novembre 1991
Marie Gaudet, née Gareau, de Domrémy parle des difficultés qu'elle rencontre lorsqu'elle quitte sa famille et ses amies pour aller défricher du terrain dans le nord de la Saskatchewan. Heureusement, on peut toujours revenir chez nous.


Mon grand-père maternel, Samuel Rock, venait de St-Lambert, Minnesota, dans les États-Unis. Il est arrivé au Canada en 1903 et s'est établi sur un homestead à Bellevue. Il était accompagné de ses six enfants. Il était devenu veuf avant son départ. Aux États-Unis, il avait travaillé dans les mines; des mines d'or, je crois.

Mon grand-père paternel, Azarie Gareau venait de St-Jacques l'Achigan, Comté de Montcalm, province de Québec. Aux États-Unis,(1) il avait marié Alexina-Octavie Houle et ils avaient eu un fils, Napoléon. Peu de temps après la mort de sa première femme, il a marié Julie Beauchemin. De cette union, il y a eu neuf enfants; mon père, Camille, était le septième.

Azarie est venu rejoindre son frère Ludger dans l'ouest en 1882 et a constaté que la vie était plus prometteuse dans les Territoires du Nord-Ouest. Il s'est pris un homestead dans la région de Batoche et a fait venir sa famille de l'Est en 1883.(2)

Mon père, Camille Gareau, est né le 10 mai 1894 à Bellevue et a été baptisé à Batoche. Il a fréquenté l'école de St-Antoine-de-Padoue à Batoche où Mlle Onésime Dorval était institutrice.

Après ses études, mon père a fréquenté et épousé Eugénie Rock, fille de Samuel Rock et Malvina Fortier. Camille et Eugénie ont élevé une famille de 15 enfants.

Je suis née à Bellevue le 25 octobre 1916. Mon frère, Médéric est l'aîné de la famille; moi, je suis la deuxième. Avant que Méderic ait un autre frère, nous serons sept filles. Alors, les filles doivent aider à faire le train quotidien, soit soigner les cochons, traire les vaches, voir à la basse-cour en plus de vaquer aux soins ménagers.

Un bon jour, nous désertons, Médéric, moi-même et la troisième de la famille, Rhéa. Nous partons sans le dire à personne pour aller jouer avec nos cousins, les enfants de mon oncle Rosario(3) qui vivent à trois quarts de mille à l'est de chez nous. On se sauve à travers le champ, mais maman nous aperçoit et elle téléphone chez mon oncle Rosario. Aussitôt arrivé, mon oncle nous déclare que maman veut que nous retournions immédiatement à la maison. Pas de temps pour jouer une minute. Nous sommes retournés, mais sans nous presser. Maman nous attendait:

- Médéric, Marie, Rhéa! Mettez-vous à genoux et dites votre chapelet, les bras en croix!
C'était difficile... les bras baissaient et on voulaient s'asseoir sur nos pieds, mais maman demeurait ferme:
- Relevez-vous et les bras en croix!

Je vous assure que c'était une grosse pénitence que nous n'avons pas oubliée. Nous n'avons jamais plus déserté.

Une autre de mes soeurs, Alexandrine, et moi avions la tâche, un été, de charroyer de l'eau en chariot, pour arroser le jardin. Il fallait aller chercher l'eau à un demi mille à l'ouest de chez nous. Une fois, comme nous repartions du lac, le cheval, le mors aux dents, a pris l'épouvante et pas moyen de l'arrêter. Je vous assure que notre ballade a été rabotteuse. Lorsque le cheval s'est arrêté à la barrière de la ferme, nous n'avions plus d'eau dans notre baril et nous étions trempées et bien déçues.

Une journée, nous étions tous sur le balcon, à regarder une tempête qui montait rapidement. Tout à coup, papa nous a dit de rentrer. On a juste eu le temps de rentrer et de se remettre à nos tâches quotidiennes... moi, je filais... puis, un coup de tonnerre nous a fait frémir. Nous avons vu filer une boule de feu qui s'est abattu sur un bâtiment en logs et l'a mis en feu. Nous sommes partis à la course avec des seaux d'eau mais il pleuvait

Yvon et Marie devant l'église

Yvon et Marie devant l'église de Bellevue.

si fort que nous n'en avons pas eu besoin. Le feu s'est éteint par lui-même.

Lorsque je vais à la petite école... je suis en 4e ou 5e année... nous faisons des mathématiques... des problèmes d'algèbre, des divisions et des soustractions. Je n'arrive pas à comprendre. La maîtresse a beau me taper les doigts, m'enlever mes récréations, rien n'aide.

Mais les mathématiques ne sont rien comparativement à l'anglais. Je passe un ans au pensionnat du couvent de St-Louis, chez les Filles de la Providence. Je réussis à passer ma huitième année en français et... ma sixième année en anglais. Nous avions à apprendre la fameuse histoire de « Moses at the Fair » et en donner la définition. Nous sommes douze dans la classe et personne n'arrive à trouver la définition de cette histoire.

Pour nous punir, la maîtresse nous envoit tous les douze, en ligne, en avant de la classe. Cela dure toute une semaine; tous les jours, à l'heure de la leçon, nous sommes debout devant la classe. Je suis contre un garçon et il me dit:
- Don't cry, Marie, it will come.
Et je pense:
- It will come, yes.
But it never did!

* * * * *
J'ai rencontré l'homme qui deviendrait mon mari, Yvon Gaudet, chez mon oncle
La maison de logs
La maison de logs d'Yvon et Marie à Norbury.

Wilfrid, le frère de papa. C'éait le jour des noces de sa fille, Alexina, à Alfred Gaudet.

Puisqu'il n'y a pas de salle paroissiale à Bellevue à cette époque, on a construit une plate-forme dehors, où nous nous amusons à danser des danses carrées, toute la veillée. Il y a 50 ans, il y avait beaucoup de veillées chez mes oncles à Bellevue, où nous, les jeunes, avions beaucoup de plaisir.

Deux ans plus tard, Yvon me demande en mariage. C'est sérieux! Il s'achète un homestead à Norbury, environ 120 kilomètres au nord-ouest de Bellevue.(4) Il défriche son terrain avec des chevaux. Trois ans passent avant notre mariage. Il bâtit une maisonnette en logs et même s'il n'a pas beaucoup d'argent, il parvient à nous faire un nid.

On se marie le 21 octobre 1937, après avoir dû remettre la date de deux jours car papa est au lit avec une vilaine grippe et je tiens absolument qu'il me serve de père le jour de mes noces.

Enfin, le 21 octobre, papa et maman me conduisent à l'église en démocrate. Nous vivons à deux milles à l'ouest de l'église de Bellevue. La célébration du mariage a lieu à 10 h le matin. Après, nous nous rendons chez les parents d'Yvon, pour le repas du midi. Lucien Gaudet et Marie-Blanche Chamberland vivent à deux milles au sud de l'église et un demi-mille à l'ouest.

Pendant l'après-midi, nous nous dirigeons chez mes parents où doit se dérouler la noce. Alors, en file, nous partons en buggy. Il y a d'abord Yvon et moi, ensuite les garçons et filles d'honneur, Antoine Gareau et Reine-Aimée Chamberland et Alban Gaudet et Anna Gaudet.(5)

Le Père Beaulac, curé de la paroisse, et mon oncle Wilfrid m'ont donné un petit cochon pour mon souper de noces. Ils l'ont tué, nettoyé et cuit avec pattes, oreilles et tête. Ils l'ont placé debout dans une grande assiette. Bien décoré, on aurait dit qu'il était encore bien vivant. C'est le met principal du souper de noces et c'est succulent.

Après avoir ouvert nos petits cadeaux (pas gros comme aujourd'hui), Joseph et Georges Rock jouent de la musique et tous s'amusent bien.(6) Ce soir-là, nous restons à coucher chez mes parents. Le lendemain, nous retournons ramasser nos bagages chez mon beau-père.

Puis, c'est la journée du grand départ pour Norbury. Le 29 octobre, nous partons pour notre nouveau domicile. Adrien Gaudet(7) avait dit à Yvon qu'il nous déménagerait comme cadeau de noces. De bon matin, Jacques Gaudet(8) arrive au volant du camion. Yvon a deux vaches, trois moutons, quelques poules, un grand plat de lard salé et un peu de nourriture que nous devons charger dans le camion.

Papa m'a donné une vache qu'on a surnommée Moïsie. Elle n'a qu'un petit bout de queue et d'oreilles, les ayant gelées quand elle était jeune. Mais elle est une très bonne vache à lait et précieuse pour moi. Donc, on l'a fait monter dans la boîte du camion avec les autres. Une grosse boîte est suffisante pour mon trousseau et mes cadeaux. J'emporte aussi une ancienne armoire que papa avait achetée à un encan, et un peu de jardinage.

Mon départ est assez triste car maman n'est pas là. Elle est chez ma soeur Rhéa, qui doit accoucher de son premier bébé. Chemin faisant, nous nous arrêtons un moment chez Rhéa (Mme Louis Gaudet (9) ) pour embrasser maman.

* * * * *
Nous arrivons à Norbury assez tôt dans la journée, afin de permettre à Jacques de retourner à Bellevue le même jour. Je rentre donc dans ma nouvelle demeure pour la première fois. Je regarde partout. Le plancher est construit avec de la grosse planche raboteuse; la porte de cave n'est pas encore posée; la table est faite avec de la grosse planche rude et est recouverte d'une nappe de papier journal. Il y a une petite fournaise en tôle pour se chauffer, faire la cuisson et la cuisine. Il y a un poêlon couvert de suie. Je me salie jusqu'aux coudes à essayer de le dégraisser avant de pouvoir commencer le repas du soir. Les murs sont bousillés avec de la terre; de grosses craques laissent pénétrer le froid. Heureusement que j'ai une bonne couverture.

Les étables sont aussi en logs avec des toits de terre et de tourbe. Mais cela suffit pour garder les animaux à l'abri de la pluie, de la neige et du froid. Nous travaillons longtemps pour tout réparer! Puisque la toiture de la maison est en tourbe, il faut la réparer presque chaque année.

Bien installé, le fun commence! Je dois rencontrer les voisins qui sont tous des anglophones de l'Angleterre. Tout ce que je peux dire en anglais c'est « yes » et « no ». (On se souviendra de l'histoire de mon séjour au couvent à St-Louis.) Au début, j'ai de la difficulté à m'adapter à mon nouvel environnement. Je sors presque pas. C'est bien ennuyant, mais petit à petit, j'apprends à parler l'anglais.

Nous allons à la messe à Mildred ou à Spiritwood. Nous arrêtons souvent dîner chez Maurice Beaulac. Il demeure à quatre milles de chez nous. Un autre couple francophone que nous fréquentons assez souvent est Bruno Bélanger et son épouse qui demeurent à trois milles de chez nous.

Comme nous ne sommes pas riches, nous trayons les vaches et vendons de la crème - une canne à crème par semaine qui nous rapporte deux dollars et demi. La première année de notre mariage est plutôt difficile. Yvon chasse les poules de prairie afin de nous nourrir et varier notre menu de lard salé. L'été de 1938, nous jouissons de légumes frais du jardin que j'ai semés au printemps.

Je deviens enceinte peu de temps après mon mariage. Pour l'accouchement de mon premier bébé, Yvon me conduit chez mes parents à Bellevue. Quelque temps après la naissance d'Arthur, mon premier de treize, je retourne à Norbury pour vaquer aux soins du ménage, du bébé et souvent m'occuper des animaux.

Peu de temps après, je suis à nouveau en famille. Ce sera comme ça pour les dix-huit prochaines années. Les années passent et les enfants commencent à vieillir. Il faut penser à les envoyer à l'école. Pour leurs deux premières années scolaires, Arthur et Thérèse demeurent chez les parents d'Yvon et vont à l'école de Bellevue. L'école de Norbury est protestante et Yvon et moi désirons donner une éducation catholique et française à nos enfants. Quand la troisième doit commencer l'école, c'est trop; on les envoit tous à l'école anglaise de Norbury.

* * * * *
Un jour, nous recevons une lettre de papa nous disant que le terrain de Sanche, au nord de l'église de Batoche est à vendre.(10) Yvon décide d'aller voir. Le terrain représente trois lots le long de la rivière. Sans tarder, Yvon fait les marchés et achète la terre. Il faut maintenant vendre notre terre à Norbury; le voisin l'achète.

Nous avons demeuré à Norbury pendant onze ans. Pendant ce temps, une église anglicane avait été bâtie en coin avec notre propriété. Le ministre venait régulièrement chercher du pain chez nous pour ses offrandes.

On se prépare donc à déménager. On emballe nos effets. Des camions arrivent et on les charge de ménage, etc. Le frère d'Yvon, Emmanuel et notre aîné, Arthur, emmènent du bagage dans un wagon avec un rack à foin, traîné par des chevaux. Ça leur prend deux jours pour se rendre à Batoche.

Je suis bien heureuse de partir de Norbury où je m'ennuie d'être si loin de mes parents et amis. Mais, encore une fois, à Batoche, nous devons recommencer à neuf! Il faut traire les vaches, soigner les cochons, les poules et les moutons. Il faut aussi s'occuper de travailler le terrain. Ce n'est pas toujours drôle! Nos récoltes sont grêlées deux fois;

La famille d'Yvon Gaudet
La famille d'Yvon Gaudet se prépare à quitter Norbury pour aller se rétablir à Batoche. Le frère d'Yvon, Emmanuel, est sur le rack à foin.

nous n'avons pas d'assurances contre la grêle. Heureusement que nous avons le bétail et les vaches.

La famille pousse, grandit; les enfants se marient... parfois trois la même année.

* * * * *

Nous sommes restés à Batoche pendant 26 ans. Puis, comme les enfants étaient tous partis, nous avons vendu notre terrain à l'aîné, Arthur, et nous nous sommes acheté une maison à Domrémy en 1974. Bien que nous vieillissons, nous nous impliquons dans la communauté de Domrémy. Nous sommes des membres actifs du club d'âge d'or. Nous jouons aux quilles régulièrement, surtout l'hiver. Mon mari adore le bricolage et moi je m'occupe à façonner des articles d'artisanat.

Nous avons fait quelques voyages et nous visitons aussi nos enfants qui sont au loin. Malgré nos peines et nos misères, nous avons vécu une belle vie.

Notes:

(1) Vers 1870, Azarie Gareau se rend à Chicopee Falls, Massachusetts où il demeure pendant 12 ans.
(2) À part Napoléon, Azarie est maintenant le père de deux autres enfants, Diana et Wilfrid.
(3) Rosario Gareau est un des frères aînés de Camille. Il est le premier des enfants d'Azarie Gareau à naître dans l'Ouest canadien en 1884.
(4) Norbury était à huit milles au sud-ouest de Spiritwood. Pour s'y rendre de Bellevue, il fallait passer par Duck Lake et Marcelin.
(5) Antoine Gareau (Joseph Gareau et Alba Roch) est le cousin de Marie et Anna Gaudet (Eugène Gaudet et Laura Roch) est sa cousine. Reine-Aimée Chamberland (Philippe Chamberland et Rosanna Gareau) est la cousine d'Yvon et Alban Gaudet (Joseph Gaudet et Cécile Melançon) est le cousin d'Yvon.
(6) Joseph et Georges Roch (Wellie Roch et Eulalie Bremner) sont des cousins de Marie.
(7) Adrien Gaudet est l'oncle d'Yvon. Il a été le propriétaire du magasin général de Bellevue pendant de nombreuses années.
(8) Jacques Gaudet est un autre cousin d'Yvon. À cette époque, il travaillait au magasin général de Bellevue.
(9) Louis Gaudet est un deuxième cousin d'Yvon.
(10) Au temps de la Rébellion de 1885, ces lots de rivière appartenaient à Edouard Dumont, le frère de Gabriel.









 
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