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Marie-Antoinette Papen

Marie-Antoinette Papen
Marie-Antoinette Papen (Archives de la Saskatchewan)
Bien peu de femmes ont été mêlées de près aux travaux, aux luttes et aux campagnes de financement menant à la création des postes de radio française dans l'Ouest et en Saskatchewan, car la société de ce temps-là leur réservait un rôle plus effacé qu'aujourd'hui. Néanmoins, quelques-unes ont poussé à la roue et apporté une contribution marquante sinon déterminante. Marie Antoinette Papen a ainsi laissé une empreinte profonde sur l'histoire du poste de radio C.F.N.S. de Saskatoon.
Marie-Antoinette de Margerie naît à Sainte-Anne des Chênes au Manitoba, le 9 juin 1907, benjamine de la famille de Eugène de Margerie et de Bellona Généreux. Son père, ancien critique littéraire et professeur de littérature à l'université de Lille, était venu dans l'Ouest canadien une vingtaine d'années auparavant afin de se refaire une santé. Il meurt toutefois au début de 1908, alors que Marie-Antoinette n'a pas encore un an. L'aîné de la famille, Antonio, âgé d'à peine une douzaine d'années, le remplace du mieux qu'il le peut; sa petite soeur lui vouera toujours une profonde affection et une indéfectible admiration. La jeune fille poursuit ses études à Sainte-Anne des Chênes et dans d'autres villages, au hasard des emplois qu'occupe sa mère pour assurer la subsistance de la famille. Elle fréquente ensuite l'École normale de Brandon, dans le but d'obtenir un brevet d'enseignement, suivant ainsi l'exemple de son grand frère. Elle lui succède d'ailleurs à l'école du village de Hoey, en Saskatchewan, alors que celui-ci devient chef du secrétariat de l'Association Catholique Franco-Canadienne de la Saskatchewan en 1929.

C'est là qu'elle fait la connaissance d'un jeune fermier d'origine belge, Charles Papen. Elle l'épouse à la Noël de 1934. Mais à cause des difficultés financières qui frappent la ferme familiale, le jeune couple prend le parti de s'installer en Belgique en 1937 avec le premier-né, Jean. Les nuages de la guerre commencent déjà à s'amonceler à l'horizon et le début des hostilités empêche les Papen de reprendre le chemin du Canada. Charles en profite pour compléter des études en comptabilité et gestion d'affaires. La famille, qui compte maintenant trois enfants, revient au Canada en 1947.

Marie-Antoinette Papen accepte un poste d'institutrice à l'école Knapton, au sud de Prud'homme. Pendant ce temps, son époux est employé comme comptable dans diverses maisons d'affaires de Saskatoon. Il est entre autres secrétaire et gérant de la Caisse populaire française de la ville. Sa famille le rejoint dans la Ville des Ponts en 1950. Mme Papen devient alors secrétaire de la grande campagne de souscription pour la radio française. La campagne a pour but de recueillir les 300 000 $ nécessaires pour la construction des postes de radio de Gravelbourg et de Saskatoon, dont on est certain de bientôt recevoir les permis d'exploitation. C'est ainsi que s'ouvre un autre chapitre de sa vie, chapitre qui devait durer plus de deux décennies en tout.

Le poste des Canadiens Français du Nord de la Saskatchewan, C.F.N.S., entre en ondes au début de novembre 1952. Antoinette Papen a la charge de la discothèque, du service de la vente des annonces commerciales et de la traduction des bulletins quotidiens de nouvelles, que l'on reçoit en anglais par téléscripteur. Elle anime aussi l'émission féminine quotidienne «Au fil de l'heure».

En 1952, la famille part pour Melfort, où M. Papen a accepté le poste de gérant d'une grande compagnie concessionaire d'automobiles. Trois ans plus tard, elle revient à Saskatoon, où Charles Papen devient gérant du poste de radio C.F.N.S. Mme Papen travaille alors de concert avec son époux afin de liquider les lourdes dettes du poste et d'offrir à la population du nord de la province des programmes intéressants et variés. Elle reprend le micro et anime à nouveau l'émission féminine.

M. Charles Papen meurt subitement à l'été de 1961; son épouse assume la direction du poste pendant quelques mois, jusqu'à ce que M. Raymond Marcotte prenne la relève. Marie-Antoinette Papen continue néanmoins à travailler au poste et à animer «Au fil de l'heure», jusqu'à sa retraite en 1972. Au cours de sa dernière émission, elle examine le rôle de la femme dans une société en transition, expose avec clarté la différence entre servilité et le don de soi dans le mariage et exprime son soutien de l'engagement permanent des conjoints. Puis, la voix brisée par l'émotion, elle termine par ces paroles:

«Il y a vingt ans cette année, M. Ippersiel, notre directeur des programmes de ce temps-là, m'avait appelée dans son bureau et puis il m'avait dit: «Mme Papen, on va vous confier l'émission féminine lorsque le poste C.F.N.S. entrera en ondes. C'est votre bébé, occupez-vous en!» Eh bien, mon bébé a vingt ans et je pense qu'il est capable de voler de ses propres ailes, je l'espère du moins. Il y a vingt ans que vous êtes fidèles à votre émission féminine, alors je veux profiter des quelques dernières minutes qui me restent pour remercier toutes mes auditrices. J'aimerais remercier d'une façon particulière les religieuses des différentes communautés de la Saskatchewan qui nous ont aidé d'une façon ou d'une autre.

«Cette émission m'a gardé le coeur et l'esprit jeunes. Pour vous aider, j'essayais de me tenir au courant des changements dans la société, j'ai essayé autant que possible de vous faire comprendre surtout la grandeur de votre rôle de femme. Si j'ai pu faire un peu de bien de ce côté-là, j'en serai infiniment heureuse. Je veux vous remercier aussi de l'aide que vous m'avez donnée au cours des nombreuses campagnes en faveur des lépreux. Alors je vous en prie, chères auditrices, continuez d'être fidèles au poste, continuez d'être fidèles au français.

«Je reste à Saskatoon, ma porte vous est ouverte, continuellement; venez me voir et si je puis vous aider d'une façon ou d'une autre, vous n'aurez qu'à me le dire. Encore une fois, merci, merci au poste de m'avoir donné ce bébé il y a vingt ans et merci aussi à mes compagnons de travail. Je termine avec une chanson qui m'est particulièrement chère: «C'est beau la vie!»

En considération de son travail inlassable à la promotion de la langue et de la culture françaises en Saskatchewan, Marie-Antoinette Papen reçoit la médaille du Conseil de la Vie Française en Amérique. Elle contribue aussi de façon active à la vie paroissiale et elle devient même présidente du bureau de direction de la Caisse populaire. On lui décerne de plus la médaille Follereau, en reconnaissance de sa contribution à l'organisation, dans le Nord de la province, d'une campagne annuelle de souscription en faveur des lépreux. Toutes ces activités ne l'empêchent pas de continuer à donner de nombreux cours de conversation française aux adultes de Saskatoon.

Marie-Antoinette Papen, qui pendant plus de vingt ans a tiré une grande joie de sa communication quotidienne avec des milliers d'auditrices est subitement frappée en mars 1977 par un mal profond qui lui a fait perdre presque tout contact avec le monde autour d'elle. Elle termine ses jours à North Battleford, dans un isolement irréversible.

(transcription adaptée de l'enregistrement R-8620, Société Radio-Canada, aux Archives provinciales; renseignements: La Liberté et le Patriote, 18 août 1961, p. 8; dossier personnel de M. l'abbé Jean Papen, Battleford)





 
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