Des histoiresMagasins à catalogueJusqu'à ce que le gouvernement entreprenne un premier programme de construction de chemins durant les années 1930 et même jusqu'à l'achèvement d'un réseau de routes de graviers toutes saisons durant les années 1950, un voyage à la ville était une occasion annuelle ou semi-annuelle pour bon nombre de familles. On en profitait pour faire quelques achats importants dans les grands magasins à rayons. Mais il ne faut pas penser que les familles isolées sur leur homestead n'avaient aucun moyen de s'approvisionner entre deux visites à la ville. Il existait bon nombre d'épiceries-magasins établies à la croisée de deux chemins ou à côté du bureau de poste. Le marchand général du village le plus proche offrait une bonne variété de denrées et de produits. On pouvait aussi consulter le catalogue d'un magasin de vente par courrier. Le mieux connu était T. Eaton Co., dont on s'arrachait le catalogue dès sa livraison: le père y vérifiait le prix des harnais, des outils, des voitures, de la machinerie de ferme dernier modèle et même des maisons vendues avec plans et tous les matériaux nécessaires, jusqu'au dernier clou; la mère s'attardait à la section linge de corps, robes, habits et tissus, afin de calculer mentalement combien il en coûterait pour habiller la famille cette année-là - «non mais c'est-y pas effrayant comment que le linge coûte cher astheure» - et afin aussi de vérifier si elle pourrait copier une robe à la dernière mode pour sa fille aînée - «à mi-cheville que j'le fais l'ourlet, pis pas un pouce plus haut ma p'tite fille; si ç'a-ti du bon sens de se montrer les jambes comme ça!» -; les enfants, eux, rêvaient devant tant de jouets merveilleux assemblés sur une seule page. À Winnipeg, la maison T. Eaton offrait un service en français aux clients qui préféraient correspondre dans leur langue maternelle («Veuillez toujours signer notre Nom de la même façon et envoyer toute commande sous le même Nom de famille»); mais elle ne jugea pas utile de publier un catalogue français avant 1927. Cela n'était donc pas pour faciliter la tâche de tous ceux qui lisaient mal l'anglais. Quant aux autres magasins, Hudson's Bay et Army & Navy en particulier, l'anglais était la seule langue utilisée. Il existait donc un marché relativement important dans l'Ouest canadien pour les maisons commerciales de langue française: on sait qu'au moins deux d'entre elles sollicitaient activement la clientèle franco-saskatchewannaise. La plus importante était Dupuis Frères Limitée, de Montréal, qui annonçait dans les pages du Patriote de l'Ouest: «Notre Magasin est aussi près de chez vous que votre Bureau de Poste». Elle avait nommé un représentant pour la Saskatchewan, chargé de la distribution des catalogues, du service après-vente, des réclamations et de la promotion du commerce. Les clients pouvaient aussi lui transmettre directement leurs commandes et, de passage à Prince-Albert, aller chez lui pour «examiner à loisir les échantillons de marchandises annoncées» dans le catalogue. Il semble que deux membres de la famille Béland, d'abord Albert, puis Donat, aient occupé ce poste durant les années 1920. La compagnie payait «les frais de transport dans toutes les parties du Canada». Mais il faut se rappeler que le service des colis postaux à la grandeur du pays n'existait que depuis 1914. Auparavant, l'expédition se faisait par messageries de chemin de fer. Dans les régions où le chemin de fer ne passait pas, cela signifiait souvent un long trajet jusqu'à la gare la plus proche. C'est aussi pour faciliter le commerce que le Service des Postes créa, à la demande expresse des compagnies, le courrier C.R. (contre remboursement) en 1922. Il existait aussi une entreprise commerciale connue sous le nom de La Maison Blanche, établie à Saint-Boniface au Manitoba, «la seule maison dans l'Ouest publiant un catalogue français pour la convenance des personnes de langue française.» On sait peu de choses sur cette compagnie, sauf qu'elle avait adopté un système à première vue un peu particulier; elle payait les frais d'expédition sur certains types de marchandises, mais pas sur d'autres. Pour éviter la confusion, elle publiait à chaque saison deux catalogues différents, afin que les clients sachent s'ils avaient ou non à payer les frais. En décembre 1923, la compagnie T. Eaton s'était réservé deux pleines pages dans Le Patriote de l'Ouest pour faire la publicité d'un grand solde où elle offrait, par exemple, des mouchoirs à 0,89 $ la douzaine, des mocassins pour hommes «en peau de boeuf tannée à l'huile» pour 2,95 $, des gants en chamoisette blanche à 0,29 $ la paire, du coton jaune à 0,29 $ la verge et un paquet de cartes à jouer pour seulement 0,30 $. Pour se rendre compte de l'importance de ces magasins à catalogue et du volume d'affaires qu'ils transigeaient, il suffit de considérer que du 1er avril 1911 au 31 mars 1912, soit exactement un an, le bureau de poste de Duck Lake a émis à lui seul 828 mandat-postes à l'ordre de T. Eaton Co., pour une somme totale de 10 530,22 $. À l'échelle de la province, cela équivalait à un chiffre d'affaires de plusieurs millions de dollars. On pourrait croire que la clientèle et les ventes par catalogues ont diminué à mesure que les communications avec le village et la ville sont devenues plus faciles et plus fréquentes, mais il n'en est rien. Les magasins des villages et des petites villes ne peuvent offrir le même choix de marchandises et surtout des prix aussi bas que ceux offerts par ces compagnies. C'est pourquoi elles ont toujours continué à servir une très nombreuse clientèle dans les régions éloignées, les campagnes, les villages et les petites villes de la province. (tiré du Patriote de l'Ouest, 5 décembre 1923, pp. 4-5, 4 mars 1915, p. 2; autres renseignements, Patriote, 4 avril 1912 et 12 septembre 1912, p. 6, 5 avril 1922, p. 5) |
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