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Société de la Saskatchewan
Société historique de la Saskatchewan

Revue historique: volume 14 numéro 2

Louis Veillard

Un savoyard en Saskatchewan
par Richard Lapointe
Vol. 14 - no 2, décembre 2003
(N.d.l.r.: Cet article est tiré du volume 100 NOMS de Richard Lapointe publié par la Société historique de la Saskatchewan en 1988. Il est possible de trouver tous les articles de ce volume dans le Musée virtuel francophone de la Saskatchewan, www.societehisto.org.)

Le hameau de Veillardville, situé à une dizaine de kilomètres à l’ouest de Hudson Bay sur la voie ferrée du Canadien National, a été fondé par un colon d’origine savoyarde, Louis Veillard. Né le 28 février 1890 à Chateauneuf en Savoie, il est très tôt orphelin. On croit qu’il a néanmoins la chance d’acquérir une formation supérieure avant son départ pour le Canada en 1908. Il s’établit dans le district français de Saint-Claude au Manitoba. Là, il s’initie à la culture en prenant du service pour 100 $ par année chez un fermier savoyard. Puis, en novembre 1910, une fois les battages terminés, il part pour les forêts du parkland et se trouve divers emplois dans les «moulins à scie» de la région de Greenbush, à vingt kilomètres à l’ouest de Hudson Bay. L’Ouest canadien connaît à cette époque un essor d’une rapidité inouïe et on abat des forêts entières sans parvenir à suffire à la demande de bois de construction. De très nombreuses scieries, quelques-unes gigantesques mais la plupart de construction artisanale, fournissent ainsi de l’emploi à des milliers d’agriculteurs à la morte-saison.

Au tout début de 1911, Louis Veillard doit repasser l’Atlantique afin d’accomplir son service militaire. Il sert en Algérie et en Tunisie où, pendant plus de deux ans, il effectue la livraison du courrier entre les avants-postes militaires, à dos de chameau. Point besoin de dire qu’il n’a pas souvent l’occasion de voir de neige! Libéré en 1913 ou au début de l’année suivante, il épouse Angèle Nicollet, qui habitait la ferme voisine de la sienne en Savoie. Leur voyage de noces, c’est le long trajet vers le Canada, et le jeune couple s’installe à Greenbush.

Lorsque la guerre est déclarée le 3 août 1914, ils repartent immédiatement pour la France, mais Mme Veillard doit s’arrêter à Winnipeg, car tous les navires sont réservés au transport des soldats et du matériel de guerre. Louis Veillard continue seul, rejoint son régiment et devient chef de section. Dès la fin d’août, il subit le baptême du feu et, à Verdun, «son héroïsme devient légendaire». Il est «décoré de la Médaille militaire par le maréchal Joffre, et promu officier sur le champ de bataille le 13 avril 1916». Il reçoit aussi la Croix de Guerre et est cité à l’ordre de l’armée: «Le 28 janvier 1916, Louis Veillard a, par son courage personnel et son autorité, maintenu ses hommes sous un bombardement extrêmement violent. Fait prisonnier après l’explosion d’une mine qui avait décimé sa section, il a pu tromper la surveillance de l’ennemi et ramener dans les lignes françaises 10 hommes non blessés.» Il est réformé quelques semaines plus tard, après avoir été gazé.

Louis et Angèle Veillard
Photo: 100 NOMS
Louis et Angèle Veillard vers 1913.


Au printemps de 1916, les Veillard reviennent à Greenbush et Louis signe une formule d’entrée pour un homestead situé à une dizaine de kilomètres à l’est, à un endroit connu sous le nom de White Poplar Siding. Ils explorent leur concession avant de marquer l’endroit où s’élèvera la maison. Cet été-là, ils ont tout juste le temps de défricher un jardin. Durant l’hiver, M. Veillard embauche quelques hommes pour couper du bois de corde à peu de distance de là et il en effectue le charroi jusqu’à la ligne de chemin de fer avec un attelage de boeufs. Ce sera pendant encore plusieurs années la seule source de revenus.

Dès le retour des beaux jours, il démantèle une grande maison à Greenbush et transporte le bois à White Poplar afin de se construire une maison. Lorsqu’il présente sa demande de lettres patentes à l’été de 1919, il a déjà cassé plus de 30 acres de terre et il possède un beau troupeau de 85 bêtes à cornes et huit chevaux. Il n’en demeure pas moins que la culture est encore passablement difficile dans la région et que les récoltes sont régulièrement endommagées par des gelées tardives au début de l’été ou hâtives à la fin d’août.

Lorsque le gouvernement canadien met sur pied un programme d’octroi de homesteads aux soldats ayant combattu du côté des Alliés, Louis Veillard se réserve une autre terre. Mais comme la culture est d’un rapport insuffisant, il construit une scierie. Une réserve forestière un peu au sud est peuplée de grands arbres au fût droit et mesurant deux mètres et même plus à la base. Des bûcherons les abattent et les chargent sur des traîneaux tirés par quatre chevaux pour les apporter à la scierie. Là, ils sont débités en madriers et en planches, puis dégauchis et corroyés avant d’être expédiés par chemin de fer vers les marchés du sud.

Dès 1925, les Veillard ouvrent un petit magasin pour servir la campagne environnante et les camps de bûcherons situés beaucoup plus au nord. Trois ans plus tard, ils décident de vendre la scierie et d’ouvrir un grand magasin général, qui abrite aussi le bureau de poste. Mme Veillard servira comme maîtresse de poste pendant plus de 35 ans, jusqu’à la fermeture du bureau au début de 1964. L’arrondissement postal reçoit le nom officiel de Veillardville et bientôt le village de White Poplar Siding est aussi connu sous ce nom. Les soirs de «malle», on vient d’un peu partout et on se rassemble au magasin, afin d’effectuer quelques achats pendant que la maîtresse de poste achève le tri du courrier; les hommes, eux, se réunissent dans un coin pour jouer quelques bonnes parties de cartes et discuter de l’état des récoltes ou des derniers rebondissements politiques. La région est moins sérieusement touchée que le Sud par la sécheresse et les invasions de vers et de sauterelles au cours des années 1930, mais les récoltes sont quand même maigres et l’économie de la région souffre de la baisse marquée des marchés du bois de construction.

Jusque là, les catholiques doivent aller à la messe à Hudson Bay, à moins qu’ils ne s’entassent dans la grande résidence des Veillard pour entendre le service divin célébré par un missionnaire de passage. C’est qu’ils ne sont pas assez nombreux – une soixantaine en tout – pour se permettre d’ériger une église et de l’entretenir. Le frère de Mme Veillard, le chanoine Nicollet, recteur d’une université française, s’occupe d’amasser des fonds à Toronto et en France et, en 1939, les paroissiens entreprennent la construction d’une chapelle. La question du bois de construction est vite réglée, alors que M. Veillard obtient un permis de coupe et qu’une scierie de la région débite gratuitement les grumes. Une équipe lève rapidement le carré et termine les murs extérieurs afin que l’église puisse servir au culte avant la décoration de l’intérieur. La lampe du sanctuaire, autre don du chanoine Nicollet, est probablement le plus vieil objet liturgique de la Saskatchewan ou même de tout l’Ouest canadien, car elle aurait été façonnée au XIVe siècle. Lorsqu’on ajoute une galerie pour le choeur de chant quelques années plus tard, on fait preuve de sens pratique en prévoyant l’installation de niches et de berceaux suspendus au plafond. Les mères qui font partie du choeur y couchent le dernier-né et le bercent d’une main tout en tenant le recueil d’hymnes de l’autre. Peu après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les paroissiens font aussi l’achat d’une cloche aux grandes fonderies Paccard; le bronze, dit-on, vient des navires de guerre français sabordés à Toulon en 1942 pour empêcher qu’ils ne tombent entre les mains des Nazis.

Le hameau continue à prospérer et devient dans les années 1940 le centre d’une grande entreprise de coupe et de transport de bois. Des dizaines de camions y font escale pour des réparations et pour faire le plein, pendant que leurs conducteurs prennent quelques heures de repos dans les dortoirs de la compagnie. On y érige aussi un élévateur à grains au début des années 1950. Louis Veillard, lui, a déjà remis l’exploitation de sa terre à un de ses enfants. Il continue d’exploiter le magasin et le bureau de poste jusqu’en mai 1964, alors que son épouse succombe après une longue maladie. Le village connaît vers cette époque un déclin rapide; l’école, le magasin Veillard, l’élévateur, quelques autres magasins et boutiques ont déjà fermé ou vont très bientôt fermer leurs portes.

Un très grand honneur avait été décerné à M. Veillard en 1960, alors que le gouvernement français l’avait invité à représenter officiellement le Canada aux célébrations du centenaire de l’annexion de la Savoie à la France.

Lorsqu’une de ses filles s’installe en Colombie-Canadienne, M. Veillard l’accompagne et se joint à la paroisse du Saint-Sacrement de Vancouver. C’est là qu’il meurt le 29 mai 1967; conformément à ses dernières volontés, il est inhumé à Hudson Bay.

(citations: La Liberté et le Patriote, 15 juin 1967, p. 6; renseignements: Valley Echoes, Hudson Bay and District Cultural Society, Hudson Bay, 1982, p. 159-160 et 546-547; dossier Veillard et Homestead Files aux Archives provinciales)





 
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