Contact
Société de la Saskatchewan
Société historique de la Saskatchewan

Des gens

Louis-Pierre Gravel

Louis-Pierre Gravel
Louis-Pierre Gravel, colonisateur (Archives de la Saskatchewan)
Dans le but de favoriser l'immigration franco-catholique dans l'Ouest, le gouvernement central mit sur pied un système de missionnaires-colonisateurs en 1887. Chaque diocèse de l'Ouest avait son missionnaire-colonisateur, chargé du rapatriement des Franco-Américains et, d'une façon plus générale, du recrutement des colons et de leur groupement dans des paroisses de langue française. La principale faille du système, c'est que le village ainsi créé en pleine prairie ou dans le parkland dépendait pour sa survie et son progrès de la construction d'un embranchement de chemin de fer, cordon essentiel le reliant aux ports de mer. Or, l'humble missionnaire-colonisateur était habituellement loin de posséder l'influence nécessaire pour hâter de tels travaux. Il arriva plus d'une fois qu'un village ait périclité et se soit disloqué, soit que l'embranchement n'ait jamais été construit, soit qu'il l'ait été beaucoup trop tard, soit encore qu'il l'ait été à quelque distance de là. Il y eut pourtant une exception car, comme le soulignait Le Patriote de l'Ouest à l'occasion du décès de l'abbé Louis-Pierre Gravel en 1926, ce dernier pouvait compter sur l'appui «des accointances qu'il avait su se ménager dans les hautes sphères» pour faire progresser la colonie de Gravelbourg. Et ces accointances remontaient jusqu'au premier ministre du pays, Sir Wilfrid Laurier!
«M. l'abbé Louis-Pierre Gravel est décédé à l'Hôtel-Dieu de Montréal le mardi soir, 9 février 1926, à l'âge de 57 ans. M. Gravel est né à Arthabaska, le pays de Sir Wilfrid Laurier, le 8 août 1868. Son père était le Dr Louis-Joseph Gravel, qui exerça longtemps sa profession dans les Cantons de l'Est. Sa mère, née Jessie Bettez, était la fille unique du Dr Joseph Bettez.

«M. Gravel fit ses études classiques au Séminaire de Nicolet et obtint son degré de bachelier en 1888. Pendant les quatre années qui suivirent il étudia la théologie au Grand Séminaire de Montréal. Le 26 août 1892 il était ordonné prêtre dans l'église de sa ville natale d'Arthabaska.

«Pendant 14 ans, de 1892 à 1906, M. Gravel exerça le ministère paroissial dans la ville de New-York. C'est pendant son séjour dans la métropole américaine qu'il publia ses deux volumes de One Hundred Short Sermons on the Apostles' Creed, plusieurs conférences et pamphlets, et un certain nombre d'opuscules, dont Saint Antoine, Vie de Sainte Anne et Sainte Philomène.

«En 1906, M. Gravel qui n'avait que 37 ans était considéré comme l'un des prêtres les plus brillants de l'archidiocèse de New-York, où les hommes talentueux ne manquaient pas. Doué d'un talent oratoire remarquable, maniant l'anglais à l'égal du français, possédant une plume facile, il jouissait de la confiance de ses supérieurs et de l'estime de ses confrères. En 1906, il fit la rencontre, dans son presbytère de New-York, de Sa Grandeur Mgr Langevin, archevêque de Saint-Boniface. Le grand archevêque cherchait alors des recrues pour coloniser son vaste diocèse. Il comprit vite l'appui efficace que ce jeune curé pouvait lui apporter dans la mise à exécution des vastes entreprises qu'il dirigeait alors. Il résolut de l'attacher à son service. M. Gravel hésita un peu, mais la voix du patriotisme fut la plus forte et, en cette année 1906, il fut nommé agent d'immigration du gouvernement fédéral en même temps que missionnaire-colonisateur du diocèse de Saint-Boniface et vint établir ses quartiers généraux à Moose-Jaw.

«M. Gravel s'est mis, dès son arrivée à Moose-Jaw, en relations avec les autorités civiles du pays, et il ne tarda pas à acquérir auprès d'elles une influence qui n'a fait depuis que grandir. C'est grâce aux accointances qu'il avait su se ménager dans les hautes sphères, que ce fut dans le domaine des affaires, ou dans les bureaux de direction du chemin de fer, ou encore dans le monde politique, qu'il parvint à atteindre le but qu'il s'était assigné. Ce but, c'était d'emmener les nôtres en Saskatchewan et d'empêcher leur éparpillement sur une vaste étendue de territoire; c'était de les grouper ensemble sur quelques townships, afin qu'ils y fussent les maîtres, et pussent s'y développer et prospérer avec leurs églises et leurs écoles, et aussi avec les établissements commerciaux et industriels, avec leurs hommes de profession et de métier, et leur organisation municipale et politique. Tous ceux qui ont vécu à Gravelbourg entre 1906 et 1910 savent que ce n'était pas là une chose facile. Les colons de langue anglaise arrivaient alors en foule, et leurs yeux étaient bien vite attirés par la magnifique vallée sur laquelle s'étend aujourd'hui la paroisse de Gravelbourg. Mais le «Père Gravel» veillait sur sa colonie. Elle se remplit bientôt de colons de langue française. Qu'on se rappelle la construction des premiers ponts; la construction de la ligne de télégraphe du gouvernement jusqu'à Gravelbourg, et l'installation d'un agent local; la construction d'une salle d'immigration; la construction d'un bureau de poste; l'établissement d'une sous-agence des terres de la Couronne. Tout cela nous est arrivé avant le chemin de fer, et c'est Gravelbourg qui, de préférence aux établissements anglais des environs, fut l'objet de toutes ses faveurs. Pourquoi cette colonie naissante était-elle aussi favorisée? Tout simplement parce que le Père Gravel, son fondateur, veillait sur son berceau; c'est parce qu'il dépensait son temps, son énergie et les ressources de sa belle intelligence dans des démarches auprès des puissants du jour, dans les bureaux publics, chez tous ceux qui, de près ou de loin, pouvaient aider à sa cause, à Ottawa, à Régina, partout où il espérait trouver des hommes ou des institutions susceptibles de promouvoir les intérêts de Gravelbourg.

«Nous devons au Père Gravel, en grande partie, la construction de la ligne du Canadien Nord à travers Gravelbourg. Chacun sait que ce chemin de fer se bâtissait alors avec des subsides provinciaux. Quoique le Pacifique eût décidé de bâtir sa ligne tout près de nous, à Laflèche et à Meyronne, et que des prophètes de malheur nous prédisaient que nous serions longtemps, peut-être toujours à douze milles d'un chemin de fer, le Canadien Nord est venu chez nous quand même. L'on saura, un jour, toute la part de mérite qui revient au Père Gravel dans l'heureuse issue des négociations qui nous ont emmené le chemin de fer. Dès ce moment, Gravelbourg était assis sur des bases solides. Il ne devait plus guère craindre la concurrence. Sa marche a été, depuis lors, très rapide: le développement économique de la ville et de la campagne; l'augmentation de la population; la création d'un centre judiciaire avec un juge résidant; la venue des Religieuses de Jésus-Marie, et la construction de leur magnifique couvent où elles dirigent un pensionnat en même temps que notre école publique et notre High School. En accomplissant tout cela les citoyens de Gravelbourg ont eu dans le Père Gravel un aide actif et efficace; il faisait pour eux le travail que les villes de l'Ouest demandent généralement à leur chambre de commerce. Mais bien rares sont les chambres de commerce assez chanceuses pour s'assurer les services d'un homme aussi actif, entreprenant et aussi bien doué que le Père Gravel.»

(citation: Le Patriote de l'Ouest, 17 février 1926, pp. 1 et 7)





 
(e0)