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Des gens

Louis Cochin, o.m.i

Louis Cochin, o.m.i.
1ère rangée: Horse Child, Big Bear, A.D. Stewart, Poundmaker; 2e rangée: Const. Black,Père Cochin, R. Burton Deane, Père André, B. Robertson, 1885 (Archives de la Saskatchewan)
Le rôle du père Louis Cochin, o.m.i., lors du soulèvement de 1885 a été déterminant, sinon dans l'issue finale des affrontements, du moins dans leur prompte conclusion. En effet, n'eût été son ascendant sur le grand chef indien Poundmaker, ce dernier aurait vraisemblablement choisi de poursuivre le combat contre les troupes du colonel Otter et un effroyable bain de sang s'en serait sans nul doute ensuivi.
Louis Cochin naît le 8 décembre 1856 dans le département de la Marne et il entre au noviciat de Nancy en 1879, pour ensuite passer au Canada l'année suivante. Il est ordonné prêtre le 1er mai 1882 par Mgr Vital Grandin, o.m.i., évêque de Saint-Albert. On l'envoie d'abord dans le district de Battleford, avec mission d'évangéliser les Cris. Le jeune Oblat s'installe sur la réserve du chef Poundmaker dans le but d'apprendre le cri. Seul, sans interprète et avec pour seuls outils la grammaire et le dictionnaire cris du père Lacombe, il maîtrise bientôt le dialecte local. Il peut ensuite élargir son ministère pour inclure les réserves avoisinantes de Sweet Grass, Little Pine, Thunderchild et Moosomin. Dans ses réminiscences, il peint un tableau particulièrement sombre des conditions d'existence dans les campements indiens à cette époque:

«L'hiver de 1883 à 1884 fut un hiver dur. Il nous arriva avec la misère, et la famine se fit sentir parmi les Indiens malgré les rations qui leur étaient distribuées de temps en temps chaque semaine par leurs fermiers instructeurs. Le «bacon» et la galette faite avec la mauvaise farine, après la disparition du buffalo ne satisfaisaient pas l'appétit des Indiens qui n'y étaient guère accoutumés. Je voyais les enfants arriver chez moi pour se faire instruire, nus, décharnés, soi-disant mourant de faim. Ces pauvres petits venaient au Catéchisme et à l'école malgré un froid de 30 à 40 degrés au-dessous de zéro, le corps à peine couvert de quelques haillons troués. C'était pitié de les voir. L'espoir d'avoir un petit morceau de bonne galette sèche, plus sans doute que le désir de s'instruire était le mobile du cruel sacrifice qu'ils imposaient chaque jour. La privation en fit périr plusieurs.»

Vers 1884, un important groupe de Métis vient s'installer près des réserves indiennes, de l'autre côté de la rivière Bataille, dans une colonie appelée Bresaylor. Le père Cochin y fait construire une chapelle et va régulièrement y célébrer le saint sacrifice. Mais la situation est tendue et un rien pourrait faire exploser le baril de poudre sur lequel vit toute la région. Déjà, lors d'une «Danse de la Soif» sur la réserve de Poundmaker, l'animosité entre les clans indiens, exacerbée par une distribution peu judicieuse des rations, a provoqué une première effusion de sang.

Le printemps suivant quand la nouvelle du soulèvement de Batoche se répand, le père Cochin et plusieurs Métis sont faits prisonniers et deviennent des témoins impuissants de la bataille de Cut Knife, remportée par les Indiens sur la Police à cheval. Dans la fièvre du sang et de la victoire, une bande d'Indiens se présente un jour à la chapelle dans le but évident de faire un mauvais parti au missionnaire. Lorsqu'ils arrivent, le père Cochin est assis à l'harmonium et il joue des hymnes sacrés. Les Indiens déposent leurs armes, s'étendent sur le plancher et écoutent le missionnaire jouer et chanter une grande partie de la journée, avant de repartir la nuit venue. Jamais autant que cette journée-là le père Cochin est-il convaincu que la musique adoucit les moeurs de l'homme!

La Robe Noire fait valoir à Poundmaker qu'il ne peut espérer remporter la victoire finale contre les armées du Canada et de la Grande-Bretagne, et que son peuple sera inévitablement anéanti s'il persiste dans la voie de la violence. Le chef indien, qui admire le courage de ce petit homme venu d'outre mer, le charge alors de négocier les termes d'un cessez-le-feu avec le colonel Otter. Il le prie également de l'accompagner lors de sa soumission au général Middleton; l'Oblat est à cette occasion le témoin du geste mesquin du général anglais, qui s'abaisse à traiter le fier chef indien en vulgaire criminel et ne réussit par le fait même qu'à laisser paraître son propre manque de dignité. Jamais il ne lui pardonnera ce geste. Durant les procès de Louis Riel et de Poundmaker à Régina, il doit aussi témoigner devant le tribunal.

En 1889, il se réserve un homestead sur le site actuel du village de Delmas, à l'époque la réserve indienne de Thunderchild. Il en fait son principal point d'attache, à partir duquel il rayonne vers les réserves indiennes des alentours et vers d'autres villages, y compris Saint-Hippolyte, de l'autre côté de la rivière Saskatchewan-Nord. Sa congrégation lui envoie quatre jeunes pères, dont Henri Delmas, pour qu'il leur enseigne la langue crise. Mais vers 1900, les Indiens décident de vendre leur réserve au gouvernement canadien et de s'installer sur une nouvelle réserve plus au nord.

Privé de ses ouailles, le père Cochin est appelé à l'évêché de Prince-Albert pendant un an, puis affecté successivement aux missions de Muskeg Lake, de l'Île-à-la-Crosse et de Jackfish Lake. En 1908, il fonde la mission du Lac-des-Prairies, aujourd'hui Meadow Lake, et y demeure jusqu'en 1916, alors qu'il revient aux «Détroits», sur le lac Jackfish, dans une mission qui porte le nom de Cochin. C'est là qu'il meurt le 15 mai 1927.

Sa distraction est légendaire. Un dimanche, par exemple, il prépare avec soin un plat de viande avant sa messe dominicale, car un compatriote établi à Meadow Lake doit venir partager son repas du midi. Comme il craint que son chat ne puisse résister à la tentation de faire honneur au plat durant son absence, il juge plus prudent de le mettre dehors. Il l'attrape par la peau du coup et, distrait, le jette dans le four. Une heure plus tard, il revient en compagnie de son invité et allume le poêle. Quelques minutes plus tard, des bruits étranges se font entendre, mais il n'y prête guère attention. Ce n'est que lorsqu'ils deviennent insistants qu'il se lève pour ouvrir la porte du four: un boule de fourrure en sort en balle de fusil et toutes griffes dehors, à la grande surprise de l'incurable distrait.

On rapporte aussi l'incident selon lequel il laisse jeûner son évêque. Mgr Charlebois est une fois de passage à Meadow Lake pour y donner la confirmation et le père Cochin a invité le prélat et quelques citoyens en vue à partager son repas. De son jardin, il tire les ingrédients d'une salade fraîche, qu'il prépare dans un immense saladier. Il présente une assiette à Monseigneur et, absorbé par la conversation, il attire à lui le saladier et se met à manger à belles dents, pendant que ses invités, voyant l'occasion belle de se moquer gentiment de leur hôte, font mine de rien et continuent la conversation. Ce n'est que lorsqu'il est bien repu qu'il revient finalement à la réalité et qu'il se rend compte de son étourderie.

Le père Cochin est un musicien accompli, jouant de l'harmonium, de la musique à bouche et d'autres instruments, en plus de composer des hymnes, paroles et musique, ainsi que de plaisantes ritournelles. Mais il n'a pas la patience d'accepter les talents musicaux moins... évidents de quelques-uns des membres de sa chorale, et à la moindre fausse note, le coupable est vertement rappelé à l'ordre!

Un jour, Céleste Flamand, une Métisse qui aime les beaux hymnes religieux, continue de chanter pendant que le père Cochin entame un nouveau couplet. Oubliant qu'il est à l'église, il se retourne vivement et lui lance à tue-tête: «Céleste, ferme ta g..., c'est moi qui chante!»

Son penchant artistique l'amène aussi à s'intéresser à la photographie, et il nous a légué une série de clichés fort réussis sur la vie quotidienne des Indiens au tournant du siècle.

(Citation: The Reminiscences of Louis Cochin, O.M.I., Canadian North-West Historical Society, Battleford, 1927, p. 36 [quelques sections en français]; renseignements: Footsteps in Time, Meota History Book Committee, 1980, p. 208-209; Le Patriote de l'Ouest, 18 mai 1927, p. 1; dossier Yvonne Sergent-Casgrain aux Archives provinciales).





 
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