Revue historique: volume 7 numéro 4Les Oblats et le Collège Mathieupar Lise Lundlie Vol. 7 - no 4, avril 1997
La formation Tout importants que fussent les diplômes, ils ne suffisaient pas pour être un bon professeur dans un collège classique. Les rapports inter-personnels, les talents dans divers domaines, la convivialité, le goût d'une vie réglementée et mouvementée étaient d'une aussi grande importance. Ce qui rendait l'éducation reçue dans un collège classique supérieure aux autres écoles, c'était la qualité de la formation. Une éducation classique signifiait une formation totale de la personne avec, en plus, une étude poussée de la religion, de la philosophie et de la théologie. Au collège Mathieu, comme dans les collèges classiques de l'est, la formation se faisait de trois manières: par l'enseignement du savoir-dire, du savoir-faire et des sports. L'art de s'exprimer avec aisance était l'un des idéaux de la formation classique. Il s'acquérait par la pratique de l'art oratoire et de l'art dramatique. Deux académies, l'académie française Saint-Pierre et
l'académie anglaise Saint-Édouard, assuraient l'apprentissage du bon parler au moyen de déclamations, récitations, discours, débats. Après une bonne préparation, les présentations étaient faites devant tous les élèves du collège. Le théâtre jouait un rôle important dans la vie du collégien. Chaque fête, visite ou occasion spéciale était l'objet d'une séance qui comprenait des morceauxjoués par la fanfare, du théâtre, des récitations ou déclamations. Pour développer le savoir-faire, il y avait la fanfare, le chant, la musique, les chroniques au journal le Patriote de l'Ouest (1910-1941) puis à La Liberté et le Patriote, les différentes publications telle que Le Trait d'Union, les mouvements de jeunes et les nombreux comités. Le plus populaire était le comité athlétique où les membres de l'exécutif étaient élus par vote de scrutin suite à une campagne électorale intense.
La fanfare, fondée en 1921p l'abbé Louis Lussier, a toujours été une gloire pour le collège. Elle participait aux concours provinciaux et inter-provinciaux avec beaucoup de succès. L'Annuaire de 1943 rapporte que sur dix participations, la fanfare avait remporté le trophée classe « B » dix fois, le trophée classe « Junior » huit fois et le trophée « Toddington » pour la plus haute note, trois fois. La fanfarejouait souvent dans les autres paroisses et a fait une tournée à travers la province en 1947 sous la direction du père Lacerte. Les chorales du collège ont toujours été très appréciées et ont gagné un grand nombre de prix au concours de la chanson française du sud de la province. Les collégiens apprenaient aussi le chant grégorien qui se chantait aux messes du jeudi, du dimanche et des fêtes solennelles. Enjuin 1965, le père Fernand Binette9
a entrepris une immense tournée avec la Grande chorale, « Les Alouettes ». Le père Omer Desjardins (1960-75) accompagnait les chanteurs au piano. En plus de la Saskatchewan, ils se sont rendus au Manitoba et jusqu'en Ontario. Ces tournées étaient une excellente publicité pour le collège. Le père Binette a également fondé « L'Octopus » en 1965, un petit groupe de huit chanteurs dont la réputation s'étendit à travers la province. « L'Octopus » a chanté à la grand-messe du 75e anniversaire du collège Mathieu en 1993. En plus du savoir-dire et du savoir-faire, il y avait les sports. Les collèges classiques croyaient à l'adage « Mens sana in corpore sano » (Une âme saine dans un corps sain). Tous les élèves participaient aux sports dont les plus populaires étaient le hockey et le ballonpanier. À l'automne et au printemps, les élèves dépensaient leur énergie à la balle-molle, balle-dure, balle au mur, soccer, football et tennis. Les meilleurs joueurs au hockey et au ballonpanier faisaient partie de l'équipe des « Alouettes ». Le club de hockey jouait dans la ligue Wood River formée des centres environnants. Le collège remportait le championnat presque tous les ans. L'équipe de ballon-panier se mesurait contre d'autres écoles secondaires. Elle a remporté le championnat provincial quatre ans de suite de 1959 à 1962 0 Toutes les victoires étaient célébrées en grande pompe. C'était la fierté du collège qui était en jeu!
Les étoiles du ballon-panier étaient en général des réfugiés du hockey. Excellents athlètes, fisse qualifiaient pour l'équipe-étoile du hockey et du ballon-panier mais devaient choisir l'un ou l'autre sport. Or, l'équipe de hockey voyageait dans un camion équipé d'une boîte où les joueurs s'entassaient avec l'équipement. La boîte n'était pas chauffée, de sorte que les joueurs se métamorphosaient en glaçons durant le trajet. De leur côté, les joueurs de ballon-panier se rendaient dans les autres centres dans des voitures bien chauffées. Après un voyage dans le camion, les athlètes optaient vite pour le ballon-panier! Les entraîneurs étaient les pères. Plusieurs étaient d'excellents athlètes, surtout au hockey et à la balle. Tous les ans, à la fête des Oblats, il y avait la traditionnelle partie de hockey entre les pères et les élèves. Les pères ne ménageaient pas les coups de coude (le père Alain Piché était renommé et craint pour ses coups de coude), et remportaient la victoire plus souvent qu'autrement. Les sports en commun aidaient à créer de bons rapports entre les pères et les étudiants, surtout au niveau universitaire.
Les pères menaient une vie très active. En plus de leur enseignement, il y avait maintes tâches à remplir: préfets, surveillants, entraîneurs, directeurs de diverses associations. Le sommeil en souffrait, souvent réduit à six heures ou moins. Plusieurs pères ont laissé leur marque au collège Mathieu. Le plus renommé était le père Piédalue. Arrivé au collège en 1927, ii enseigne la philosophie pendant 38 ans (1927-1964). Ii se préoccupait de tout ce qui touchait au collège, à la foi catholique, à la culture et à la langue françaises. Il compte parmi les pionniers de la radio française en Saskatchewan. Sa réputation comme grand philosophe et défenseur du fait français rehaussait celle du collège. Dans son enseignement, il suivait rarement le manuel qu'il avait lui-même rédigé, mais le fil de ses pensées. Il répétait sans cesse aux élèves qu'ils « étaient destinés à être des chefs et qu'en cette qualité, ils devaient en savoir davantage »'. Les anciens disent qu'il leur a enseigné à penser, à réfléchir, à raisonner, à être responsable. Le père Arthur Lacerte, professeur pendant 13 ans, a exercé beaucoup d'influence sur les élèves. Homme instruit, extrêmement doué et d'une énergie infatigable, il se donnait dans tous les domaines: directeur de l'académie Saint-Pierre, directeur de la fanfare, directeur du chant religieux et folklorique, instructeur des Cadets, entraîneur au hockey et au ballon-panier. Les anciens parlent de lui avec respect, enthousiasme et admiration. Selon eux, c'était « un homme supérieur, d'un charisme incroyable » 12 Le père Eugène Dubreuil, professeur pendant 30 ans dont huit comme recteur (1936-1966) était, selon les anciens, excellent professeur de mathématiques. Le père Gérald Labossière, professeur pendant les années cinquante, le décrit comme « grand mathématicien et architecte extraordinaire 13 Il travaillait sans relâche au recrutement et aux souscriptions pour aider l'institution. Doué en musique, il dirigeait le chant aux offices religieux. Le père Henri Desrochers, professeur d'anglais et directeur de l'académie anglaise Saint-Édouard, a enseigné au collège pendant 28 ans (1933-1960). Il adorait le théâtre et montait régulièrement deux pièces par année, une en français et une en anglais, habituellement du Shakespeare, son auteur favori. Il choisissait quelquefois des pièces grandioses qui comprenaient une vingtaine d'acteurs costumés selon l'époque. Les décors appropriés étaient soigneusement préparés par les élèves. Après son départ en 1960, le théâtre a été un peu délaissé. Cependant, en 1966, le père Binette a monté quelques pièces dont l'opérette Trial by Jury qui exigeait des rôles de jeunes filles. Ces rôles étaient joués par les collégiens, bien maquillés, avec perruques et talons hauts, au grand amusement des spectateurs.
Le père Albert Girard, professeur pendant 21 ans (1936-1955) était un grand athlète: excellent joueur et entraîneur au hockey. Les anciens disent de lui: « il était des nôtres «14 c'est-à-dire, un ami, même pendant les années où il était préfet de discipline. Il s'était acheté une motocyclette et il s'en servait pour faire du recrutement. Habillé d'une veste et casquette de cuir, il devait faire sensation dans les petits villages de la province. Les rues n'étant pas pavées, son arrivée était signalée par un nuage de poussière. Un élève qui habitait à Willow Bunch, à quelques kilometres de Gravelbourg, avait l'immense plaisir d'être amené chez lui en moto les jours de congé. Plusieurs autres pères ont contribué à la vie du collège et au fait français dans la province, entre autres, le père Benoît Paris, professeur de français pendant 17 ans, fondateur de Foyer-école et de cours d'été pour adultes; et le père Albert Gervais, professeur d'anglais pendant 24 ans, directeur de l'académie SaintÉdouard et instructeur des Cadets. D'autres ont passé toute leur vie au collège, tels les pères Nestor Massé (1920-1957) et le père Charles Brûlé (1941-1979), tous deux professeurs pendant 37 ans. Les élèves avaient surnommé le père Charles Brûlé « Charley Burns ». Professeur de chimie, il était imperturbable au laboratoire où les élèves faisaient quelquefois des expériences explosives.
Il faut aussi mentionner le frère Raymond Deschênes ou « Ti-Frère » qui a oeuvré au collège pendant 23 ans. Officiellement infirmier, il s'occupait de tout et de tous. Ami et père-substitut des élèves,, il les aimait de tout son coeur et ils le lui rendaient au centuple. L'un d'eux, Laurier Gareau, lui a rendu témoignage en écrivant la pièce de théâtre « J'vais t'blaster avec amour», Ti- Frère. La pièce a été jouée onze fois en 1988 par la troupe collégiale, les Franskataires. Elle a été présentée en Saskatchewan, en Alberta et au Manitoba. Plusieurs des enseignants du collège Mathieu se sont distingués par une brillante carrière. Chez les recteurs, le père François-Xavier Marcotte a été reçu Chevalier de la Legion d'honneur, le père Joseph Guy a été sacré évêque et quatre ont exercé la charge de Provincial du Manitoba: les pères Josaphat Magnan, Édouard Lamontagne, Philippe Scheffer et Jean-Paul Aubry. Le père Arthur Lacerte a oeuvré comme recteur du collège Saint-Jean à Edmonton, puis comme Provincial des Oblats du Manitoba. Il a reçu l'Ordre du Canada en février 1997 pour son travail en éducation. Les diplômés Le collège Mathieu avait été fondé dans le but de former des chefs pour répondre aux besoins du diocèse et de la province. Est-ce qu'il y a réussi? Que sont devenus les diplômés? Sont-ils restés en Saskatchewan? Le collège a bien rempli son mandat. Il a formé des chefs dans le sacerdoce et les carrières libérales qui ont joué un rôle actif dans le monde francophone de la province. Les anciens ont eu de belles, et même de brillantes, carrières au Canada et à travers le monde. L'Annuaire de 1965-66 contient les données suivantes: 119 prêtres et religieux, 60 médecins et dentistes, 23 dans le droit, 28 ingénieurs, 9 scientifiques et 100 enseignants. Il n'y a pas de statistiques pour les diplômés depuis 1966 mais nous savons que le collège a continué à former des chefs qui s'impliquent dans l'éducation française et dans les associations francophones. Plusieurs occupent des postes importants en Saskatchewan. Dans le sacerdoce, 30 diplômés ont choisi la congrégation des Oblats dont 18 ont enseigné au collège. Plusieurs ont reçu des honneurs. Chez les Oblats, le père Henri Légaré a été sacré archevêque en 1972 et le père Paul Piché, évêque en 1956. Les pères Aimé Lizée et Irénée Tourigny ont été nommés recteurs du collège, puis provinciaux des Oblats du Manitoba. Trois autres anciens ont servi et servent encore comme Provincial des Oblats du Manitoba: les pères Alvin Gervais' (1982-88), Alain Piché (1988-94), professeur au collège pendant 19 ans, et Jean-Paul Isabelle, nommé en octobre 1994. Chez les prêtres séculiers, Norman Gallagher a été sacré évêque de Thunder Bay. Trois ont été élevés à la dignité de prélat domestique: Lionel Mondor, Louis Lussier, fondateur de la fanfare au collège, curé de Ponteix, puis vicaire général du diocèse de Gravelbourg, et Dominique Dugas, curé de Gravelbourg. Roy Larrabee a été élevé à la dignité de protonotaire apostolaire. L'abbé Arthur Marchildon, fondateur de la paroisse française à North Battieford, a reçu l'Ordre du Canada pour son travail auprès de la francophonie. Dans les carrières libérales, trois ont reçu l'Ordre du Canada: Raymond Marcotte pour son travail auprès de la francophonie de l'Ouest; Paul Crépeau, professeur de droit international à l'université McGill; et Leonard Legault, ambassadeur. Deux ont été des Rhodes Scholars : Paul Crépeau et Jean de Margerie, ce dernier spécialiste en opthalmologie et professeur à l'université de Sherbrooke. On retrouve des juges dont Omer Archambault d'abord à Prince Albert puis à Regina depuis 1996; des médecins dont Rosario Morn, médecin officiel du collège pendant toute sa vie active et un des piliers de l'institution; plusieurs professeurs d'université, dont François Gallays, auteur de trois ouvrages sur la littérature québécoise; des scientifiques renommés tel que Léon L'Heureux qui termina une brillante carrière comme président du Conseil de la Recherche pour la Défense du Canada (1971-1977); plusieurs directeurs ou présidents d'instituts; et même un chanteur de réputation internationale, Émile Belcourt. Bref, un bilan tout à fait remarquable. Le pourcentage des diplômés qui sont restés en Saskatchewan est estimé à 25 pour cent. C'est peu. Cependant, plusieurs ont occupé ou occupent présentement des postes-clefs dans la province, entre autres, René Archambault, directeur du Bureau de la Minorité de langue officielle, bureau qui s'occupe des programmes de français dans les écoles; Paul Heppelle, premier directeur laïc du collège Mathieu, directeurgénéral de l'Office de coordination des programmes français en Saskatchewan et, plus récemment, concepteur de programme au BMLO; Réal Forest, deuxième directeur laïc du collège, a de nouveau accepté ce poste à compter du lerjuillet 1995; Richard Marcotte, directeur de la radio française en Saskatchewan; Alain Clermont, directeur des affaires aborigènes pour SaskPower; et André Moquin, directeur d'éducation pour les conseils fransaskois du nord de la province. Ce bref aperçu des carrières des diplômés du collège Mathieu montre combien les efforts, les sacrifices et le travail des Oblats, souvent dans des conditions pénibles, ont été récompensés. Les Oblats sont fiers, et à juste titre, de leurs anciens élèves. De leur côté, les diplômés reconnaissent, que sans le collège Mathieu à Gravelbourg, ils n'auraient pas bénéficié d'une éducation post-secondaire et d'une belle carrière. Ils gardent d'excellents souvenirs de leurs années au collège où ils ont formé de belles amitiés. Ce qui ressort de la vie au collège, c'est la camaraderie. « Il y avait une ambiance extraordinaire, c'était comme une grande famille «16 disent les pères et les anciens.
Conclusion Le collège Mathieu a été une pépinière de chefs pour la province et le pays, l'inspiration des jeunes qui y ont fait des études, et l'élément essentiel de la survivance de la foi catholique, de la culture et de la langue françaises en Saskatchewan. « Les Oblats disait récemment un ancien, « c'étaient des faiseurs d'hommes! «17 Ces quelques mots captent l'essence du travail admirable accompli par ces missionnairesenseignants au collège Mathieu. Notes 9 Fernand Binette a quitté par la suite la congrégation. '°L'équipe était composée desjoueurs suivants: Claude Allard, Roger Blais, Henri Bouvier, Réal Forest, Denis l'Heureux, Henri Léost, Raymond Marchand, Gérald Marchand, André Moquin et Leo Pinel. Le gérant et l'entraîneur étaient, respectivement, le père Martial Charest, omi et Daniel Couture. ' Corwerttum 1957, témoignage de Réal Forest, Gravelbourg, 15 mai 1991. '2Témoignage de Donald Sirois, Régina, 18 avril 1991. '- 'Témoignage de Gérald Labossière, omi, Edmonton, 19 mai 1990. '4Témoignage d'Albert Roy, Ottawa, 17 mai 1994. '5Aivin Gervais a quitté la congrégation en 1989. '6Témoignages d'anciens professeurs: Fernand Binette, ancien Oblat; Albert Gervais, omi, Arthur Lacerte, omi, Saint-Boniface, 26 août 1994; Martial Charest, ancien Oblat, Ottawa, 30 mai 1995. Témoignages de diplômés : Roland Piché, Laurent Isabelle, Leon L'Heureux, Ottawa, 30 août 1994; Jean Bérard, Montréal, 24 mai 1994. 17 Paroles de Raymond Marcotte, 30 mai 1995 |
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