Revue historique: volume 7 numéro 3Les Oblats et le Collège Mathieupar Lise Lundlie Vol. 7 - no 3, février 1997
Historique Dès son arrivée en Saskatchewan en 1912, Mgr Olivier- Elzéar Mathieu, premier évêque de Regina, avait constate que la province manquait d'hommes instruits pour servir aux besoins des paroisses et des associations. La religion catholique et les droits des Francophones étaient menacés par les anglo-protestants et il fallait des chefs pour contrer leurs attaques. Mgr Mathieu essaya d'abord de faire venir ces chefs du Québec, mais sans succès. Il décida alors de les former sur place. En décembre 1917, Mgr Mathieu a obtenu une charte de la législative provinciale qui lui donnait l'autorisation légale de construire deux collèges dans son diocèse: un pour les Anglophones et un pour les Francophones. Mgr Mathieu avait fait ses études au séminaire de Québec et il tenait à ce que ses collèges soient établis selon les règles et le mode de vie du collège classique dans l'est'.
Mgr Mathieu choisit d'établir son Collège francophone à Gravelbourg parce qu'il s'y trouvait deux hommes en qui il avait toute confiance et sur qui il pouvait compter: les abbés Pierre Gravel et Charles Maillard, respectivement fondateur et curé de Gravelbourg. Ils sont, avec Mgr Mathieu, les fondateurs du collège Mathieu. Le Collège est fondé en 1918 sous le nom de «Collège Catholique de Gravelbourg», mais prend officiellement le nom de «Collège Mathieu» quatre ans plus tard en reconnaissance à son fondateur principal, Mgr Mathieu. Il ouvre ses portes le 12 décembre 1918 à 67 élèves: 52 pensionnaires et 12 externes. L'enseignement est confié à trois prêtres séculiers: l'abbé Charles-N. Deslandes, supérieur; l'abbé Adolphe Erny, curé de Rosetown; et l'abbé Pierre Gravel. Six séminaristes complètent le personnel enseignant. La bénédiction solennelle a lieu le 19 janvier 1919. Mgr Mathieu met alors son Collège sous le patronage de Saint Pierre-Apôtre sous le titre de la Chaire de SaintPierre de Rome, en l'honneur de l'abbé Pierre Gravel, premier instigateur de l'oeuvre. Le Collège devient ainsi une institution canonique. Deux mois plus tard, le 19 mars 1919, Mgr Mathieu affilie son Collège à l'université Lavai. Quatre jours après l'obtention de la charte, l'abbé Maillard, curé de Gravelbourg, réunit le Conseil municipal afin de proposer d'offrir à Mgr Mathieu le soubassement destiné à recevoir la deuxième église de la ville et de bâtir plutôt une belle grande église à l'extrémité de la rue principale. Cette proposition est acceptée à l'unanimité.
Cependant, la construction du collège sur le soubassement doit attendre car la grippe espagnole fait des ravages dans la communauté et la salle doit servir de clinique. Une résidence est construite pendant l'été 1918(2). Les classes se donnent dans deux maisons différentes. Le Collège est érigé l'année suivante au coût de 60 000 $: un bâtiment en briques de trois étages mesurant 100 pieds sur 55. L'hypothèque, comme celle de la résidence, est assumée par la Corporation épiscopale. Mgr Mathieu se rend vite compte que le Collège ne pourra fonctionner sans une communauté religieuse pour en assurer la continuité et la survie. Il s'adresse aux Oblats de Marie Immaculée qui, en août 1920, acceptent cette lourde responsabilité mais à condition que les propriétés leur soient cédées sans aucune hypothèque. Ceci représentait une valeur de 150 000 $. Comment recueillir une telle somme? Mgr Mathieu s'adresse à l'Association catholique franco-canadienne (A.C.F.C.), association provinciale des Francophones. Son secrétaire, Mgr Z.H. Marois, V.G., embrasse le projet de tout coeur et lance la campagne de souscription pour « l'aide au Collège ». Ses efforts sont d'abord dirigés vers les Francophones de la province, puis il se rend au Québec. De son côté, Mgr Mathieu fait appel à ses anciens élèves et connaissances. Leurs efforts portent fruit. Dans un geste d'une grande générosité, les Chevaliers de Colomb du Québec acceptent d'assumer la moitié de la dette, soit 75 000 $. La dette est ainsi liquidée en deux ans. La reconnaissance de Mgr Mathieu et des Fransaskois est exprimée dans l'Annuaire de 1921-22: Nos compatriotes du Québec... se sont tournés avec une vive sympathie vers leurs frères de l'Ouest etleur ontditd'une manière non équivoque: ,Nous sommes avec vous!,, Et Québec a consolidé l'Oeuvre (sic) du Collège de Gravelbourg(3). La communauté oblate était un choix judicieux pour le collège Mathieu. Ces pères avaient acquis une excellente réputation dans l'Ouest du pays comme enseignants, missionnaires, curés et vicaires. La Maison provinciale se trouvait tout près, à Saint-Boniface. En 1924, la direction du Collège transfère l'affiliation à l'université d'Ottawa, institution dirigée par leurs confrères oblats, dont le programme bilingue reflétait mieux les besoins de leur Collège. En effet, les Oblats croyaient fermement que les jeunes d'une province anglophone devaient recevoir une éducation bilingue afin de pouvoir trouver un emploi chez eux. L'affiliation se continuera pendant 44 ans, jusqu'en 1968. Les inscriptions augmentent chaque année. Elles passent de 67 en 1918 à 105 en 1923 et le Conseil de direction décide d'agrandir le Collège. En 1924, on ajoute une aile au bâtiment principal, ce qui double la superficie du collège. En 1927-28, les inscriptions se chiffrent à 158 et les Oblats, toujours soucieux de l'éducation des jeunes Fransaskois, créent une section agricole au niveau de l'immatriculation afin de mieux répondre aux besoins des jeunes qui désiraient rester sur la ferme. Ainsi, de 1928 à 1930, le Collège offre trois sections au niveau de l'Immatriculation (9e - 11e année): classique, agricole, et commerciale.
La dépression des années trente vient interrompre les progrès du Collège. La sécheresse sévit sur les plaines de l'Ouest. Les fermiers ne peuvent se permettre d'envoyer leurs enfants au Collège même si les frais sont minimes et même si les pères acceptent les frais d'inscription en espèces: un boeuf, un cheval, des légumes, ou tout ce qui pouvait servir. Toujours endetté, le Collège sombre dans l'encre rouge et est sur le point de fermer ses portes. Une atmosphère de désespoir règne, à l'image du paysage où la terre séchée n'est plus que poussière pénétrant par toutes les fissures du bâtiment. Un commerçant de la ville donne le charbon nécessaire à chauffer le Collège. Le recteur, le père Édouard Lamontagne, sauve l'institution en allant quêter tous les étés soit au Québec soit en France (4).
Au début des aimées quarante, les élèves commencent a revenir au College et les inscriptions se chiffrent à 158 en 1944. Le Collège manque d'espace, il faut l'agrandir. Mais, oùtrouver l'argent? La providence n'abandonne pas ses bâtisseurs. La guerre est finie et le centre des forces armées de Mossbank, situé à quelques kilomètres de Gravelbourg, offre trois huttes militaires au Collège qui s'empresse de les acheter. Elles vont servir de dortoirs. L'année suivante, la direction achète, de Mossbank toujours, un hangar militaire et l'aménage en gymnase, une dépense de 30 000 $ que le Collège ne pouvait guère se permettre, mais qui était d'une absolue nécessité. Cette immense bâtisse est, en fait, un achat providentiel. Elle va servir de gymnase, de théâtre, et de lieu de rencontre pour toutes les grandes occasions. Le Collège connaît ses meilleures années pendant la décennie cinquante. Les inscriptions atteignent un niveau jamais vu par le passé: au-dessus de 200. Le Conseil de direction juge le moment propice pour ouvrir une école d'Arts et Métiers, projet caressé depuis un certain temps déjà. Cette école voit lejour en 1953. Elle « est destinée à la jeunesse qui se propose de retourner à la vie rurale. La formation à l'atelier est donnée comme complément à une culture plus vaste dans le domaine religieux, académique et social ». En 1963, le recteur, le père Eugène Dubreuil, fait construire une bibliothèque, un bâtiment de trois étages relié à l'édifice principal par une passerelle. C'est luimême qui en dessine les plans et qui veille à la construction. D'importants événements surviennent au début des années soixante qui vont sérieusement affecter les collèges classiques: Vatican II et l'ouverture d'écoles secondaires publiques au Québec. Ces écoles entraînent la fermeture d'un grand nombre de collèges classiques. Une diminution alarmante des vocations s'ensuit. Les Oblats ne sont pas exempts de cette hémorragie. Le collège Mathieu manque de personnel et ne peut plus se permettre d'offrir de cours au niveau post-secondaire. Il doit donc cesser son affiliation à l'université d'Ottawa en 1968. Le Collège devient une école secondaire bilingue, ce qui permet au Conseil de direction d'obtenir des subsides du gouvernement provincial pour la location des salles et les salaires des professeurs. Malheureusement, les inscriptions connaissent une baisse dramatique à partir de 1965. Elles chutent de 259 en 1964 à 137 l'année suivante, une diminution de 122 élèves en une seule année. Dans le but d'augmenter les inscriptions, le Conseil de direction décide, en 1970, d'ouvrir ses portes aux jeunes filles. La même année, le Collège reçoit l'appellation d'école « désignée », ce qui veut dire qu'il peut enseigner 80 pour cent de ses cours en français. La baisse des inscriptions exacerbe la situation financière. Les déficits s'accumulent. En 1972, la Corporation du Collège s'adresse au ministère de l'Éducation pour une aide financière. Le gouvernement refuse de donner au Collège les mêmes subsides qu'aux écoles publiques sous prétexte que l'institution est la responsabilité des Oblats. La Corporation décide alors d'établir un Bureau des Gouverneurs dans le but d'assister le Collège à poursuivre son oeuvre d'éducation chrétienne et française. Ce comité est d'abord composé de cinq Fransaskois6, d'un représentant du College', et du père Arthur Lacerte, provincial des Oblats de la province oblate du Manitoba. Malgré les efforts du Bureau des Gouverneurs, les finances ne s'améliorent pas et, en mai 1976, le père Lacerte avise ce comité de la décision des Oblats de se retirer du Collège. Ainsi, après 56 ans de dévouement, les Oblats quittent Gravelbourg. Acculé au pied du mur, le Bureau des Gouverneurs nomme un comité de trois personnes, Mgr Delaquis, évêque de Gravelbourg (1974-1994), M. Roland Pinsonneault et le père Jean-Paul Aubry, supérieur du Collège, pour dresser une liste de candidats qui consentiraient à devenir membres de la nouvelle Corporation du College'. Cette Corporation comprend d'abord 23 membres, représentant les différentes associations et régions de la province. Ce comité réussit à obtenir l'aide financière nécessaire du gouvernement provincial afin de continuer l'oeuvre des Oblats. Ce sont leurs anciens élèves qui prennent la relève. En effet, les deux premiers directeurs laïcs, Paul Heppelle (1976-1979) et Réal Forest (1979-1982), sont tous deux diplômés du Collège, ainsi que plusieurs membres de la Corporation. En mai 1988, le feu rase tout à l'exception de la bibliothèque. La Corporation du Collège réussit à recueillir les fonds nécessaires à la reconstruction et le collège Mathieu continue à prodiguer, de nosjours, une éducation et une formation françaises et catholiques aux jeunes Fransaskois.. Les enseignants gui étaient ces pères qui se sont dévoués pendant des années à la formation desjeunes de la Saskatchewan? Au début, ils venaient du Québec, mais à mesure que le Collège de Saint-Boniface et le collège Mathieu produisaient des diplômés, ces derniers prenaient la relève. En général, ces enseignants étaient jeunes. Ils venaient tout juste de terminer leurs études de philosophie et possédaient un baccalauréat ès Arts. Ils commençaient à enseigner dans les petites classes. Ceux qui ne s'y plaisaient pas partaient après un stage d'un an ou deux. Quelques-uns prenaient goût à cette vie exigeante et réglementée et décidaient de rester. Quarante-deux professeurs ont enseigné plus de cinq ans au collège Mathieu dont douze diplômés du Collège. Afin de se spécialiser pour pouvoir enseigner une matière au niveau post-secondaire, ces pères suivaient des cours d'été à l'université d'Ottawa ou à Lavai. Un petit noyau d'enseignants a ainsi obtenu une licence, une maîtrise ès Arts ou une maîtrise en pédagogie pendant les années quarante. Ils ont ensuite enseigné au Collège pendant de nombreuses années: les pères Pierre de Moissac (1941-57), Wilfrid Sicotte (1946-61), Albert Gervais (1944-68) et Benoît Paris (1946-62). Après 1950, le père Lacerte, alors préfet des études, prend
l'initiative d'envoyer quelques-uns de ses confrères oblats se spécialiser à plein temps dans les sciences profanes et ecclésiastiques à Paris, à Rome ou dans des universités nord-américaines. Ainsi, les pères Denis Comeau et Benoît Paris obtiennent un diplôme en culture française de la Sorbonne, et Léo Gauvin une maîtrise en sciences de l'université de Washington. D'autres encore suivent des cours d'été à l'université de Regina ou à l'université de la Saskatchewan afin d'obtenir un baccalauréat en pédagogie. Pendant les années soixante, trois pères obtiennent une maîtrise en pédagogie: les pères André Florentin, Laurent Godbout et Albert Bouffard, ce dernier diplômé du collège Mathieu. Quelques pères sont arrivés au Collège avec une licence en philosophie et deux avaient des doctorats: le père Wilfrid Piédalue, docteur en philosophie et en théologie et le père Paul Plamondon, docteur en théologie qui détenait également une maîtrise ès Arts. Les autorités oblates s'efforçaient, dans la mesure du possible, de maintenir quelques professeurs qualifiés au niveau des cours post-secondaires. La qualité de l'enseignement ne laissait rien à désirer et les diplômés du Collège étaient bien préparés lorsqu'ils choisissaient de poursuivre leurs études dans différentes universités. (Suite dans le prochain numéro) Source: Collège mathieu Le R.P. Wilfrid Piédalue, o.m.i. a été professeur au collège Mathieu pendant 38 ans, de 1927 à 1965 Source: Fr. Raymond Deschènes, o.m.i Le R.P. Arthur Lacerte, om.i., a encouagé ses confrères àpoursuivre leurs études en Europe ou aux États-unis alors quil était préfet des études durant les années 50. Dans le prochain numéro, Lise Lundlie parle de laformation dispensée aux élèves par les Oblats et des résultats de ce travail auprès de la jeunesse franco-canadienne de la Saskatchewan).
Notes (1) Lors de son ouverture, le Collège offre trois cours: un cours Préparatoire de quatre ans qui prépare au cours commercial ou classique; un cours commercial de deux ans qui permet à celui qui reçoit son diplôme d'exercer un emploi dans l'industrie, le commerce ou la finance; et un cours classique de six ans qui comprend quatre ans de grammaire (Éléments, Méthode, Versification et Belles-Lettres) et deux de philosophie (philosophie junior et senior). Le cours classique est couronné d'un baccalauréat ès Arts ou ès Lettres. Les Oblats, en 1920, divisent le cours classique en deux composantes: le cours d'Immatriculation (Éléments-latins, Syntaxe et Versification), et le cours classique (Belles-Lettres, Rhétorique, Philosophie junior et senior). Traditionnellement, le cours classique était de huit ans. Ce n'est qu'en 1945 que le Collège ajoutera une année au cours d'Immatriculation: Éléments-latins, Syntaxe, Méthode et Versification. Le cours préparatoire devient le cours intermédiaire en 1924 et est réduit à trois ans. En 1930, ce cours est réduit à un an et reprend la désignation de cours préparatoire. (2) Ce bâtiment est connu sous le nom de « Petit Collège ». Il s'agit d'une construction de briques à deux étages de 36 pieds sur 60. Il devient unjardin d'enfance sous la direction des Révérendes Soeurs Oblates en septembre 1920. Ii est agrandi par les Soeurs en 1927. Le nombre des élèves augmentant chaque année, elles font construire un nouveau bâtiment en 1929. De 1931 à 1946, le « Petit Collège » héberge le Grand séminaire de Mazenod, puis, on y installe le cours des Arts avec laboratoires de physique et de chimie. En 1949, il est aménagé en résidence pour les élèves du cours des Arts. (3) Avant-propos, p. 4. (4) Le gouvernement français avait accepté de donner une aide financière au Collège par le truchement du Consul de France à Vancouver, M. Paul Suzor. (5) Annuaire 1953-54, p. 52. (6) Les membres fransaskois comprenaient lejugeAllyre Sirois, président, et MM. Roger Lalonde, Albert Dubé, Raymond Marcotte et Raymond Piché. Ce dernier n'était pas à la première réunion où il fut décidé de le remplacer par Léo Piché de Gravelbourg. À cette réunion, il est question d'augmenter le nombre de représentants et de mettre sur pied une nouvelle corporation du Collège vu que les Oblats ne peuvent plus assumer toute la charge de la responsabilité, du personnel, etc. (Archives de l'archevêché de Regina). (7) Le représentant du Collège était le recteur, Léo Bosc, o.m.i. (8) Mgr Delaquis confia la tâche de recruter les membres de la nouvelle Corporation à M. Emery Allard, commerçant retraité de Gravelbourg qui s'en acquitta de façon admirable |
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