Contact
Société de la Saskatchewan
Société historique de la Saskatchewan

Revue historique: volume 1 numéro 1

Les Gareau dans l'Ouest

Gens du pays - Spécial généalogique
par Laurier Gareau
Vol. 1 - no 1, octobre 1990
Les Gareau furent une des premières familles canadiennes-françaises à venir s’installer dans le district de la Saskatchewan, Territoire du Nord-Ouest. Les premiers sont venus dans la région de Batoche et signaient leur nom “Gareault”.

Les Gareau sont au Canada depuis 1670. Le chercheur montréalais, Robert Gareau, a entrepris des recherches généalogiques durant les années 60 et 70 et j’ai obtenu une copie de son travail en 1978. Cette généalogie couvre la période 1670-1760. D’autre part, le Père Denis Dubuc publiait, en 1962, sa “Généalogie des familles de la paroisse de St-Isidore de Bellevue, Saskatchewan”. Cette dernière fut retravaillée en 1970 par l’abbé Roland Gaudet et M. Paul-Émile Gaudet de Bellevue. Dans cette oeuvre, on retrace la famille Gareau jusqu’à Antoine Gareau, né circa 1820. Entre ces deux travaux de recherche, il y a un laps d’environ 60 ans - deux ou trois générations.

En utilisant ces deux généalogies, est-il possible de tracer une ligne directe des Gareau au Canada? C’est ce que je veux essayer de faire. Toutefois, ce sera peu concluant pour le moment.


Selon le chercheur Robert Gareau, le premier Gareau en Nouvelle-France fut Jean St-Onge Gareau. Fils de Dominique Gareau et de Marie Pincault, Jean St-Onge est né dans la paroisse de Ste-Marguerite de Cogne dans la région de La Rochelle, région située dans le centre-ouest de la France. Il est déjà installé en Nouvelle-France en 1670, car le 2 novembre de cette année, il épouse Anne Taibot à Boucherville.

Son frère, Pierre, vient le rejoindre à Boucherville et son mariage à Barbe de Montreuil est béni dans cette communauté le 3 novembre 1684. Les Gareau de l’Ouest sont sans doute descendants de cette union.

Dominique, le père de Jean St-Onge et de Pierre, vient aussi s’établir au Canada, à Port-Royal en Acadie. En 1686 il épouse, en deuxième noce, Marie Gaudet, fille de Jean Gaudet et soeur de Denis Gaudet qui est l’ancêtre de tous les Gaudet de St-Isidore de Bellevue.

Entre-temps, à Québec, Jean St-Onge Gareau eut quatre fils : Pierre, l’ainé, se marie en 1696 à Montréal à Marie Guertin et en deuxième noce en 1720 à Marie-Anne Mauge; Dominique a épousé Geneviève Bounay en 1706 à Boucherville; François s’est marié une première fois en 1711 à Boucherville avec Marie-Marguerite Montribout et en deuxième noce à Bécanville en 1723 avec Marguerite Chedevergue; le cadet, Jean St-Onge, se marie à Boucherville le 12 janvier 1712 à Thérèse Bau. La troisième génération, les fils de Pierre, Dominique, François et Jean St-Onge (2), s’est établie dans les régions de Contrecoeur et Chambly.

Entre-temps, les fils de Pierre Gareau et Barbe de Montreuil quittent Boucherville pour s’établir à Terrebonne. L’ainé, Pierre(2), se marie à Madeleine Renaud à l’île St-Jean aujourd’hui l’île du Prince Edouard), mais revient s’installer à Terrebonne où ses quatre fils sont baptisés. Afin de relier les deux généalogies (celle de Robert Gareau et celle du Père Denis Dubuc), il serait sans doute

Les Gareau au Québec
Les Gareau au Québec

logique de suivre cette lignée. Le troisième fils de Pierre, Antoine, s’est marié à Marie-Josephte Jouin à Terrebonne le 9 janvier 1757. Puisqu’il était commun à cette époque de reprendre le nom du père ou du grand-père, il est probable qu’Antoine Gareau de St-Jacques de l’Achigan (ancêtre des Gareau de Bellevue) était un descendant de cet Antoine.


Les descendants de Jean St-Onge Gareau

Dans ses recherches, Robert Gareau de Montréal a découvert quelques descendants illustres de l'ancêtre Jean St-Onge Gareau. Les voici :

Emma Albani : illustre chanteuse d'opéra, Emma Albani est née à Chambly, Québec en 1851. Elle a connu une carrière d'opéra qui l'a menée sur toutes les grandes scènes d'Europe à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. Mme Albani était une des chanteuses d'opéra préférées de la Reine Victoria d'Angleterre. Mme Albani est décédée à Chambly en 1930.

Joseph Marie Robert Gareau : un fermier de St-Philippe de Laprairie au sud-est de Montréal, Joseph Marie Robert se joint aux Patriotes en 1837. Il est actif durant la Rébellion de 1837-1838. En 1839, il est un des officiers condamnés à mort pour avoir mené l'insurrection. Il fut exécuté à Montréal en 1839.

Albert Lozeau : célèbre poète canadien-français, il est né à Montréal en 1878 et est décédé en 1924.


Avant de faire le saut pour en arriver aux Gareau de l'Ouest, il faut mentionner que cinq autres Gareau ont immigré de la France au Canada, mais il est fort douteux qu’aucun ait eu des liens de parenté avec les Gareau de l’Ouest.

Jacques Philippe Vadeboncoeur Gareau était le fils de André V. Gareau et Suzanne Paluseau du diocèse de La Rochelle. Il est à Montréal en 1731 car les registres indiquent qu’il a épousé Marie Imbaut de cette ville le 3 février.

Jean-Pierre Gareau du diocèse d’Angers en France est à Boucherville en 1735. Son mariage à Charlotte Besnard est enregistré le 8 mai.

Pierre Gareau, fils de Pierre et de Marie Paguideau du département de Marne dans le nord-est de la France, épouse Marie Charlotte Jacques à St-Cuthbert, Québec, le 4 novembre 1788.

René Gareau, fils de Mathurin Gareau et de Julienne Marson du diocèse de Nantes dans le sud-est de la Bretagne, est un soldat à Montréal en 1759. Le 21 mai de cette même année, il épouse Marie-Anne Larivière à Bout de l’île.

Enfin, Jean-Baptiste Gareau, fils de Pierre et de Catherine Baron, est originaire de St-Jean d’Angely dans le sud-ouest de la France. Le 3 février 1722, il se marie avec Marguerite Godin à Pointe Claire, Québec.

Revenons à la “Généalogie des familles de St-Isidore de Bellevue”. Selon cette oeuvre, les familles Gareau sont venues de St-Jacques l’Achigan. Leur ancêtre québécois était Antoine Gareau marié à Marie-Louise Robichaud. St-Jacques est situé au nord-est de Montréal.

Ludger Gareau fut le premier des fils d’Antoine à venir tenter ses chances dans l’Ouest. (Voir article page 6.) Son frère, Azarie, naît à St-Jacques le 19 janvier 1854. À l’âge de seize ans, il décide d’aller chercher un emploi dans les villes industrialisées du nord-est des États-Unis. Installé dans l’État du Massachusetts, il rencontre et épouse Alexina Houle en 1873. En 1876, un fils, Napoléon, est né de cette union, mais Alexina meurt quelque temps après d’une pneumonie. Azarie décide alors de revenir au Québec. Là, il rencontre Julie Beauchemin, sa deuxième femme. Deux enfants, une fille, Diana, et un fils, Wilfrid, naissent au Québec. En 1882, Azarie choisit de venir rejoindre son frère Ludger dans l’Ouest canadien. Il s’installe à dix milles à l’est de Batoche dans la région qui deviendra en 1902 la paroisse St-Isidore de Bellevue.

En 1892, Azarie obtient ls lettres patentes de son homestead, le carreau nord-est, Section 10, Township 44, Rang 28. Dix ans plus tard, en 1902, il obtient le titre du carreau sud-ouest, Section 14, Township 44, Rang 28 sur lequel il a exercé son droit de préemption.

Au cours des années suivantes, Azarie établit ses fils sur des terres avoisinantes.

Julie Beauchemin et Azarie Gareau
Collection Armelle Legrand
Julie Beauchemin et Azarie Gareau.


Jusqu’en 1902, les Gareau de Bellevue appartiennent à la paroisse de St-Antoine de Padoue, Batoche. Toutefois, Azarie travaille pour améliorer le sort des autres Métis de Bellevue. Il ouvre un bureau de poste qui reçoit le nom de Garonne. Il se fait instituteur et enseigne à ses enfants et à

Extrait des registres
Extrait des registres de Batoche Mariage de Ludger Gareault

d’autres jeunes Métis du coin. Puisqu’il veut que ses enfants reçoivent une bonne éducation, plusieurs sont placés en pension au presbytère de Batoche afin qu’ils puissent assister aux classes de Mlle Onésime Dorval.

Selon les registres de la paroisse de St-Antoine de Padoue, Batoche, Ludger et Azarie signaient leur nom “Gareault”. Seul leur jeune frère, Napoléon, arrivé à Batoche pour le mariage de Ludger en septembre 1884, refuse d’ajouter le “lt” à la fin de son nom. Notez dans les signatures des registres de la paroisse de Batoche que Napoléon a signé “Garau” lors du mariage de Ludger le 16 septembre 1884.

Nous savons que Ludger et Azarie sont demeurés neutres durant la résistance de 1885. Selon une courte histoire, rédigée par une de ses filles, Ludger aurait laissé son frère Napoléon en charge de sa maison à Batoche lorsqu'il était dans l’Est durant l’hiver de 1884-85.

Dans une liste préparée à la suite des troubles par le secrétaire de Riel, Philippe Garnot, nous retrouvons le nom de Napoléon comme étant un des soldats de Dumont. Napoléon aurait-il été membre de la petite armée de Gabriel Dumont ? Peut-être ! Toutefois, il ne faut pas oublier que Garnot était en prison et qu’il a probablement été forcé de rédiger sa liste.

Comme son frère Ludger, Napoléon rencontre une jeune Métisse de la région, Angélique Nolin, qu’il épouse en 1890. Celle-ci est décédée en 1894. Deux enfants nés de cette union meurent en bas âge. Napoléon quitte la région après la mort de sa femme et il est probable qu’il soit allé se rétablir en Colombie-Britannique, quoiqu’il n’existe aucun document à son sujet après 1894.

Un autre frère, Ernest, l'aîné des enfants d’Antoine Gareau, est aussi venu tenter ses chances dans l’Ouest. Deux de ses fils, Philippe-Wilfrid (1894) et Azarie-Jules (1897), sont nés et ont été baptisés à Batoche. Toutefois, Ernest et sa famille retournent au Québec.

Seul en Saskatchewan, Azarie fait venir deux de ses soeurs. Ernestine, célibataire, aide son frère sur la ferme et au bureau de poste jusqu’à sa mort en 1931. Une autre soeur, Rosanna, assume le poste d’institutrice à Bellevue. Elle enseigne pendant un an et rencontre un jeune Canadien, Philippe Chamberland, qu’elle épouse en 1892. Cette famille s’installe à Bellevue et y reste.

Lorsqu’il a préparé la “Généalogie des familles de la paroisse de St-Isidore de Bellevue”, le Père Denis Dubuc s’est surtout arrêté sur les Gareau qui étaient venus vivre en Saskatchewan. Toutefois, nous avons découvert deux autres enfants d’Antoine qui ne figurent pas dans cette généalogie.

Il y a quelques années, lorsque je faisais une recherche aux Archives de la Saskatchewan, j’ai découvert ce bref article dans le Patriote de l’Ouest du 29 août 1912: “BELLEVUE: M. Jules Gareau, 52 ans. Il est venu visiter ses frères et soeurs, établis ici, qu’il n’avait pas vus depuis 42 ans. Jugez de leur surprise et de leur joie.” Ailleurs, j’ai découvert que Jules Gareau était établi dans le comté de Jefferson dans l’État du Montana.

L’autre enfant d’Antoine Gareau qui ne figure pas dans la Généalogie de Bellevue est Diana (Soeur Marie-Wilfrid), religieuse avec les Soeurs de Sainte-Anne à Lachine, Québec.

Comme religieuse, Diana a enseigné aux États-Unis et dans la province de Québec. Née à St-Jacques l’Achigan en 1863, elle est décédée en 1941 après 57 ans de vie religieuse. Une de ses nièces, Adrienne, la fille d’Azarie, est aussi devenue Soeur de Sainte-Anne à Lachine.

Entre 1890 et 1920, le gouvernement fédéral veut encourager l’immigration vers l’Ouest. Des campagnes de recrutement sont lancées dans la plupart des pays de l’Europe. Afin de recruter des colons de langue française, on fait appel aux colons déjà établis dans l’Ouest canadien. Plusieurs colons, désireux de voir les propriétés voisines prises par des colons de langue française, écrivent des lettres chantant la beauté et la prospérité des terres de l’Ouest.

Azarie Gareau, établi à Bellevue depuis 1882, écrit la lettre suivante en 1904. Cette lettre est reproduite dans des brochures publicitaires distribuées au Canada et en Europe. Même si Azarie décrit la valeur de sa propriété en dollars canadiens, il mentionne aussi le franc français dans sa lettre.

Garonne, le 7 mars 1904
M.
Je suis venu m’établir ici en 1882, sur la Section 10, dans le Township 44, Rang 28, à l’ouest du 2e Méridien, dans la vallée de la Saskatchewan. Je venais alors de Chicopee-Falls, dans l’État de Massachusetts où j’ai demeuré douze ans.

Je suis né à St-Jacques, dans le comté de Montcalm, dans la Province de Québec; j’avais seize ans quand je suis parti de là pour aller au Massachusetts. J’avais une centaine de dollars (Frs 500) quand je suis arrivé au Nord-Ouest; j’y ai toujours bien vécu et j’ai élevé ma famille d’une manière satisfaisante. J’ai onze enfants; mes fils sont tous établis ici et réussissent très bien.

Mes trois fils, lorsqu’ils ont été d’âge à prendre avantage des offres de terrain faites par le gouvernement du Canada, ont pris chacun un “homestead” qu’ils améliorent continuellement et sur lequel ils ont une vie heureuse.

Quant à moi, je possède 320 acres de belle terre. J’ai obtenu du Gouvernement sans aucun trouble, mes lettres patentes de ces terrains qui sont en culture et en pâturage. J’ai 46 têtes de bêtes à cornes, 15 moutons, 50 cochons. J’ai quatre pairs de chevaux et de boeufs pour les travaux de la terre, ainsi que toutes les voitures et les instruments d’agriculture pour cultiver avec avantage.

Ma maison est finie en dehors et en dedans et est de 20 pieds sur 34. Je ne vendrais pas ce que j’ai en propriétés pour vingt mille dollars (100 Francs).

Mon adresse est le bureau de poste de Garonne, Saskatchewan, Canada. Je suis moi-même le maître de poste.

Le terrain ici donne en récoltes, sur un grand champ, de 25 à 30 minots de blé à l’acre, de 60 à 70 minots d’avoine, de 50 à 60 minots d’orge, de 400 à 500 minots de pommes de terre, tous ces produits sont de première qualité. Je suis plus que satisfait d’être venu ici. Je ne veux pas partir, mes enfants non plus.

Le climat est très salubre et la température est loin d’être aussi dure que certaines personnes, qui ne connaissent pas le pays, se plaisent à la représenter. Il n’y a pas de différence notable entre la température du Bas-Canada et celle d’ici.

Azarie Gareau
Garonne, Saskatchewan, Canada

(Document obtenu des Archives de la Saskatchewan)





 
(e0)