Revue historique: volume 16 numéro 1Les frères Béliveau et le ranching à la Butte du ParadisAu pays du ranch et la ruée vers l'or du Klondyke un texte de Laurier Gareau Vol. 16 - no 1, septembre 2005
Ernest et Alphonse Béliveau sont parmi les premiers colons à s'établir dans la région de Paradise Hill à la fin du 19e siècle. Leur histoire a bel et bien commencé à Port-Royale en Acadie avant le Grand Dérangement de 1755. Plus tard, la famille de David Béliveau et Marie Gaudet s'établit à Bécancour au Québec. Un petit-fils de David et Marie, Uldoric Béliveau épouse Marie-Delphine Prince, fille de Joseph Prince et Julie Doucet, le 27 octobre 1845, probablement à Bécancour où Uldoric est marchand. Pendant que la famille grandit, Uldoric est commerçant à Bécancour jusqu'en 1850 et à Saint-Christophe d'Arthabaska de 1851 à 1865. Ensuite, il est fermier à Saint-Félix de Kingsey de 1866 jusqu'à sa mort en 1878. Dans des notes généalogiques préparées en 1983 par Jean Prince, Uldoric Béliveau aurait perdu son commerce «à cause de son trop grand amour de la bouteille»(1). Quatorze enfants sont nés de l'union entre Uldoric et Delphine. Après la mort de son mari, Delphine quitte le Québec et se dirige vers l'Ouest canadien avec la plupart des membres de sa famille. Leur première destination est Oak Lake au Manitoba où ils font la connaissance de la famille Marcotte. En 1878, Édouard est âgé de 19 ans, Alphonse a 10 ans et Ernest a 8 ans. En plus de ces trois fils, sept filles ont aussi accompagné Delphine: Malvina, Rose, Laura, Hortense, Ida, Julie et Delphine. Trois enfants de Uldoric et Delphine étaient morts à la naissance et une fille, Virginie, est déjà mariée et établie aux États-Unis lors du déménagement vers l'Ouest.
Après un bref séjour à Oak Lake, Delphine installe sa famille à Saint-Boniface où elle tient une maison de pension avec son fils, Joseph-Édouard. La fille d'Ernest, Gabrielle Béliveau, a décrit cette maison de pension comme étant une résidence pour jeunes garçons aux études.(2) Dans une entrevue, Édouard Béliveau, fils d'Ernest, raconte que les gars commencent vite à s'embêter à Saint-Boniface. Ils se dirigent plus vers l'Ouest, vers l'ancienne capitale des Territoires du Nord-Ouest à Battleford. «Ils ont monté à Battleford. Ils avaient... j'pense... un petit magasin là eux autres, papa puis mon oncle Alphonse. Puis là,
la rébellion s'est déclarée... puis les «sauvages»(3) sont arrivés puis ils étaient pour les poigner ça fait qu'ils leur ont donné du tabac puis tout ce qu'ils voulaient avoir dans le magasin, ça fait que les «sauvages» les ont laissé tranquille.»(4) Au temps de la rébellion en 1885, Ernest a à peine 15 ans et Alphonse 17 ans. À part cet incident, ni l'un ni l'autre des frères participent activement à la résistance de 1885. Il est probable que plusieurs membres de la famille Béliveau, en plus des frères Alphonse et Ernest, sont à Battleford à cette époque. Gabrielle Béliveau nous informe qu'après son épisode avec les guerriers de Poundmaker, Alphonse aurait pris refuge au Fort Battleford avec sa soeur Rose, l'épouse de Siméon Morin.(5) La famille serait venue à Battleford à la demande du neveu de Madame Béliveau, Benjamin Prince. Il est tout à fait probable que Benjamin Prince, rancher et commerçant dans la région, ait aidé ses cousins dans leurs entreprises à Battleford. Gabrielle Béliveau écrit au sujet de Joseph-Édouard qu'il «était employé de M. Prince et plus tard fut propriétaire d'un hôtel.»(6) Alphonse travaille pour son cousin pendant quatre ans. Au début des années 1890, il décide de se lancer dans l'élevage du bétail. Il y a, à cette époque, de vastes terres inhabitées dans les Territoires du Nord-Ouest. De plus, ce terrain n'a pas encore été arpenté. «C'était du Free Range. Y pouvait aller n'importe y où. Ça fait que, y voyageait de Horse Hill à Turtleford. Les animaux étaient tous mêler ensemble. Y avait pas de clôture.»(7) Les deux frères, Alphonse et Ernest Béliveau, établissent deux ranchs: un dans la région de Horse Hill, six milles au nord et quatre milles à l'ouest d'Edam, l'autre près de l'actuel village de Turtleford. Les ranchs étaient situés près de la rivière Turtle et de l'ancienne piste du Fort Pitt. Selon Édouard Béliveau, il s'agit de «Free Range» où les deux frères peuvent laisser leur bétail aller librement sur le terrain, sans se préoccuper de «homesteads». «Ils étaient probablement les seuls ranchers sur l'ancienne piste du Fort Pitt entre Battleford et Onion Lake.»(8) S'il s'agit de garder le bétail sur du «Free Range», Édouard Béliveau affirme que son père et son oncle étaient propriétaires de terrain, possiblement obtenu avec des «scrips» que
les frères auraient achetés de Métis après les événements de 1885. Cette notion de propriété de terrain est confirmée par madame Béliveau qui se souvient que le premier ranch d'Ernest avait été vendu à une famille Bélanger en 1897. Leur cousin, Benjamin Prince, leur a prêté de l'argent pour se lancer dans l'élevage du bétail et les deux frères font bonnes affaires. À un temps, ils ont plus de 250 têtes de bétail. Il est possible d'imaginer un ranch semblable à ceux décris dans les films américains avec de grandes étendues de terrain, des corrals et des tas de foin. Édouard, le fils d'Ernest, raconte qu'il «y avait en masse du foin. Puis y restait dans des «shacks»... des «shacks» de «logs».»(9) Il est fort probable que les frères Béliveau aient embauché des cow-boys Métis pour aider sur le ranch. Plus tard, il est possible de confirmer la contribution d'un Métis, Pierre Villeneuve, au succès du deuxième ranch d'Ernest Béliveau. Puisqu'il y a de nombreuses familles métisses dans la région, à Bresaylor à l'ouest de Battleford et aussi près du Fort Pitt, ces derniers sont une excellente source de
main d'oeuvre pour les jeunes ranchers canadiens-français. Selon Édouard Béliveau, son père et son oncle entretenaient d'excellentes relations avec les Métis de la région.(10) Quand ils décident de partir pour le Yukon en 1897, ils ont de l'argent en poche. Ils vendent leur terrain aux Bélanger et négocient une entente de partage avec ces derniers pour le bétail. «Ils avaient vendu le ranch aux Bélanger, mais ils avaient gardé les animaux en parts. Ça fait que ces Bélanger ont gardé les animaux pour eux-autres en parts durant le temps qu'ils étaient partis dans le Yukon.»(11) La fille d'Ernest Béliveau, Gabrielle, soutient que le ranch de son père est vendu à une madame LeChat.(12) Dans un autre livre d'histoire local, celui de la région de Vawn-Edam, on réussit à obtenir d'autres renseignements au sujet de cette entente entre les Béliveau et les Bélanger-LeChat. Andy Bélanger, fils de Georges Bélanger, raconte que son père est arrivé dans la région de North Battleford en 1894 en compagnie de son oncle et de sa tante, Pierre et Marie LeChat. Les parents de Georges étaient venus l'année précédente. En 1894, Georges Bélanger est âgé de 12 ans. «En 1898, la ruée vers l'or du Klondyke a commencé et les frères Béliveau cèdent leur ranch situé près de la piste du Fort Pitt dans la région de Horse Hill à mon père (Georges), à mon oncle Placide (frère de Georges) et à M. et Mme LeChat. L'entente était qu'ils garderaient un certain nombre de veaux chaque année pour s'occuper des animaux. C'est ainsi qu'en 1898, Georges (papa), 16 ans, oncle Placide et les LeChat se retrouvent seuls. Ils avaient mis tout leur argent ensemble pour acheter les bâtiments des Béliveau.»(13) Le début d'une aventure C'est ainsi que les deux frères quittent la région de Paradise Hill en 1897 pour se diriger vers le Yukon et la ruée vers l'or du Klondyke. Il est probable que la première partie du voyage est faite en compagnie de leur frère Joseph-Édouard et de leur soeur Laura, madame J.W. Lachambre. Cette dernière déménage à Edmonton avec ses enfants, Annette et Paul et deux neveux orphelins, Maurice et Robert Désilets. Ces derniers sont les enfants de leur soeur Julie et Louis-Henri Désilets. Julie était décédée à Trois-Rivières le 13 décembre 1894 et Joseph-Édouard, toujours célibataire, avait la charge des deux garçons. Depuis le milieu des années 1880, Édouard opérait un hôtel à Battleford. Selon Edna Béliveau, l'hôtel est vendu en 1897 aux Soeurs de l'Assomption qui transforment l'édifice en couvent. Joseph-Édouard se dirige vers Edmonton avec le groupe et il a l'intention d'accompagner ses frères jusqu'au Klondyke. Le groupe voyage en bateau à vapeur sur la rivière Saskatchewan-Nord. «Le voyage dura 17 jours. Ils arrêtèrent à Fort Saskatchewan, Territoires du Nord-Ouest, à l'est d'Edmonton.»(14) D'Edmonton, Ernest et Alphonse Béliveau se dirigent vers Calgary afin d'acheter des chevaux pour le voyage vers le Klondyke et pour apprendre à charger les chevaux de bât. «Ils avaient plusieurs mille piastres... parce qu'ils ont acheté vingt-deux têtes de chevaux à Calgary, puis y ont toutes domptés ces chevaux-là. Y étaient
toutes domptés pour des «pack horses». Y ont resté-là pour à peu près un an, j'pense, pour apprendre comment paqueter les chevaux puis après ça y ont parti-là.»(15) Ils reviennent à Edmonton avant de se diriger vers le Klondyke. Puis, les frères empruntent la route via Athabaska Landing, 160 kilomètres au nord d'Edmonton, et le lac des Esclaves. Ce trajet est d'environ 2 000 milles (3 200 kilomètres) et quelque 775 prospecteurs vont tenter leur chance en 1898 via le «Overland Trail» ou le «Trail of 98». Parmi les Klondykers qui ont emprunté cette route, au moins 35 sont morts en route, soit noyé dans un lac ou une rivière, ou mort du scorbut. Seulement 160 des quelque 775 se rendront jusqu'au Klondyke, dont nos deux frères Béliveau. Édouard Béliveau raconte les difficultés que son père et son oncle ont rencontré une fois rendue dans les Rocheuses. «Quand ils sont arrivés aux Montagnes, y étaient pris-là, dans la neige-là. Y pouvaient pu aller plus loin. Puis y voulaient pas r'virer d'bord. Mon oncle Eddy (Joseph-Édouard) était parti avec eux-autres... lui y a dit «que l'diable emporte ça». Y a r'viré d'bord avec son cheval, puis le «pack-horse» puis y s'est en revenu. Là, pour traverser les Montagnes, y ont toutes tués leurs chevaux, puis y ont accroché les selles dans les arbres, puis y ont toutes laissé leur bagage là, dans les montagnes.»(16) Ils se trouvent donc dans les Montagnes Rocheuses, durant l'hiver, la neige jusqu'aux ceintures. Ils n'ont plus de nourriture. Ils tuent ce qu'ils peuvent trouver de gibier. «Puis là, ils commençaient à avoir le scruvy (le scorbut). Ça fait que papa y dit à son frère: «Prends la carabine puis tue-moi parce que j'peux pu marcher. J'suis fini.» «Ah non. On va marcher encore une journée, y dit à Ernest.» Y l'a traîné avec lui.»(17) Selon Édouard, son oncle Alphonse était un gros homme fort. Pas longtemps après, ils trouvent une piste de traîne de chiens et sont bientôt découvert par des Indiens qui les emmènent dans leur camp. Ils passent le reste de l'hiver dans le camp indien. «Ces «sauvages-là» y faisaient leurs remèdes eux autres mêmes. Ils les ont soigné (contre le scorbut). Y'étaient tout correct après ça.»(18)
Le printemps suivant, les frères (et possiblement d'autres prospecteurs) se bâtissent un bateau et descendent la rivière Whitehorse jusqu'à Dawson. Ils arrivent ainsi dans le Klondyke en 1899, deux ans après leur départ de leur ranch dans la région de Turtleford. Pendant ce temps, leur frère Joseph-Édouard est revenu à Edmonton, a pris le train jusqu'à Vancouver où il a pris un bateau pour se rendre au Yukon. Les trois frères Béliveau sont donc prêts à se lancer à la recherche des pépites d'or à l'aube d'un nouveau siècle. L'aventure de la ruée vers l'or durera presque sept ans pour les frères Béliveau.
Ont-ils fait fortune dans le pays de Jack London et le «Midnight Sun»? Pas vraiment. Mais ils ont trouvé de l'or et ils ont définitivement laissé leur marque sur le Territoire du Yukon. Ernest Béliveau a enregistré plusieurs claims dans le Yukon entre 1901 et 1906. Un claim près de la mine Discovery est enregistré en mars 1901. Le 26 mars 1906, il inscrit un claim sur le ruisseau Barker, un tributaire de la rivière Stewart. Le 16 mai de la même année, il enregistre un autre claim sur le ruisseau Dominion. Alphonse enregistre au moins un claim sur le ruisseau Dominion, le 27 mars 1905. Les frères sont aussi actifs dans la région de Mayo, Yukon. La ville de Mayo est située sur une concession de 185 acres qui était d'abord la propriété d'Ernest Béliveau et J.-D. Bell. Ils vendent ce terrain à Joseph Eugène Binet, un entrepreneur de Charlesbourg, au Québec. Avec Narcisse Alfred Lefebvre, son associé, ce dernier ouvre une scierie à Mayo donnant ainsi du travail à beaucoup d'ouvriers.(19) Ils ont donc trouvé de l'or dans le Klondyke. Selon le fils d'Ernest, «Ils minaient. Ils faisaient leur vie avec ça... Y'ont tout dépen-sé... Ça gamblait puis ça prenait un coup. Hard-time Charlies.»(20) Enfin, le plus grand leg des frères Béliveau est leur nom qui figure encore sur une montagne, le Mont Béliveau, et un ruisseau, Beliveau Creek. Beliveau Creek est un tributaire du ruisseau Duncan au sud-ouest du Mont Béliveau. Ernest Béliveau a dcouvert de l'or en tamisant quelques poignées de sable aurifère sur Béliveau Creek le 7 janvier 1902. Mais, tôt ou tard l'aventure doit prendre fin. En 1907, les frères Béliveau, dépourvus, reviennent en Saskatchewan et se lancent à nouveau dans l'élevage du bétail. La découverte de Paradise Hill Selon l'épouse d'Édouard Béliveau, fils d'Ernest, les deux frères ont dû à nouveau emprunter de
l'argent de leur cousin, Benjamin Prince, à Battleford lorsqu'ils sont revenus en Saskat-chewan en 1907. Puis, il y avait toujours le bétail qu'ils avaient laissé avec les jeunes Bélanger à Horse Hill. «Puis quand ils sont revenus (du Yukon), y sont revenus chercher leurs parts d'animaux puis là y sont r'partis commencer un nouveau ranch.»(21) Les deux hommes se sont fait des amis au Yukon. Ils reviennent cha-cun avec un partenaire. Selon un livre au sujet de Paradise Hill, Paradise Hill & District Homecoming 1980, Alphonse revient avec un nommé Albert Bilodeau et Ernest avec un nommé Pierre Villeneuve.(22) Qui sont ces deux hommes? Selon Edna Béliveau, «y ont formé une petite commu-nauté canadienne (à Mayo) ça fait que ça doit être ces
types-là qui étaient toutes avec eux-autres.»(23) Albert Bilodeau et Pierre Villeneuve avaient été du groupe de prospecteurs canadiens à Mayo avec Ernest et Alphonse. L'amitié s'est poursuivie en Saskatchewan. Alphonse et Ernest Béliveau établissent de nouveaux ranchs dans la région de Bolney et Spruce Lake au nord-ouest de Battleford. Un jour, plusieurs têtes d'animaux disparaissent du ranch d'Ernest. Il part à la recherche des animaux égarés. Il suit une vieille piste indienne qui le mène jusqu'au sommet d'un grand plateau, environ 12 milles de long par six ou sept de large, blotti dans une courbe de la rivière Saskatchewan Nord. Il trouve les animaux à cet endroit, là où il prendra un homestead... La première chose qui lui vient à l'idée c'est que «c'est un paradis pour un rancher.»(24) C'est ainsi que la région prend le nom de la butte du Paradis, Paradise Hill. Alphonse et Ernest Béliveau déménagent leur opération à Paradise Hill. Alphonse prend le carreau sud-ouest 22-51-23 à l'ouest du 3e Méridien comme homestead et obtient avec son droit de préemption le carreau nord-ouest de la même section. De plus, il est co-propriétaire du carreau sud-ouest 23-51-23 à l'ouest du 3e Méridien avec Victor Savage. Pour sa part, Ernest prend le carreau sud-est 24-51-24 à l'ouest du 3e Méridien comme homestead et obtient comme droit de préemption les carreaux sud-ouest et nord-ouest de la même section. Il y a environ 8 kilomètres entre les deux fermes. Pour répondre aux exigences du Bureau des terres du Dominion, les deux frères cassent le carreau du homestead avec des boeufs et ils en ensemencent une partie en céréales. Mais, ils sont d'abord et avant tout des ranchers. Ils louent du terrain de la couronne et augmentent leur troupeau de bétail. Le fils d'Ernest soutient qu'il y avait au moins mille têtes dans le troupeau de son père à un certain temps. Le bétail est expédié à Winnipeg et à Chicago par rail, un tronçon du Canadian Northern ayant été construit dans la région de North Battleford vers 1907. Alphonse et Ernest élèvent aussi des chevaux et des cochons. Les frères Béliveau rebâtissent leurs fortunes. Parfois, ils envoient des wagons de chemin de fer remplis de bétail et effectuent des ventes à Chicago de l'ordre de 40 000 dollars. Alphonse fait mieux que son
frère. Tous les deux, Édouard et Edna Béliveau, décrivent Ernest comme un personnage «mou». Comme son père, un trop grand amour de l'alcool fera perdre à Ernest Béliveau plusieurs fortunes. Alphonse doit s'occuper de son frère à plusieurs reprises. «Le plus vieux avait soin de ton père, parce que ton père avait un peu... un problème d'alcooli-que. Et puis... l'autre, j'pense bien qu'y buvait aussi mais pas autant que ton père. Si ton père commençait à faire des choses qu y'était pas supposé faire, bien c'est lui qui en avait soin.»(25) Ernest pouait partir sur une «brosse» de deux-trois semaines. Toutefois, selon son fils, Ernest pouvait aller des semaines et des mois sans toucher d'alcool. Ce sont parfois des membres de sa famille qui vont prendre avantage de ce petit penchant pour la «piquette». Un neveu s'est payé des actions dans un hôtel à
Jasper en Alberta en buvant avec lui. Aucune poursuite n'a été intentée contre le neveu. Comme le dit Edna Béliveau: «ils savaient faire de l'argent, mais ils savaient pas la garder. Ils faisaient toujours de la charité aux autres, dans ces années-là... quand il était seul... avant de se marier puis tout ça, il a fait beaucoup de charité. Y a aidé beaucoup de monde.»(26) À plusieurs reprises, Alphonse et Ernest vendent des chevaux à crédit mais ils ne sont jamais payés. Les deux frères aident à établir leur neveu orphelin, Maurice Désilets, sur une ferme près d'eux à Paradise Hill. C'est un fils de Julie Béliveau qui était décédée à Trois-Rivières en 1894. Maurice et Robert étaient venus rejoindre leur oncle, Joseph-Édouard, à Battleford après un bref séjour au Collège de Nicolet. À cette époque, avec l'arrivée de nouveaux colons français, allemands, russes et autres, plusieurs nouvelles communautés se développent dans la région: la Butte des Français ou Frenchmen Hill, Charlotte, Emmaville, la Butte Saint-Pierre. Butte Saint-Pierre est à 16 kilomètres au sud-est de Paradise Hill, Emmaville était à une même distance à l'est. tandis que Charlotte était encore plus à l'est, près de l'actuel St. Walburg. En 1913, la vie de bachelor prend fin pour Ernest Béliveau. Il épouse Eugénie Prince, une distante cousine de Benjamin et Alphonse Prince. La famille Prince a été recrutée au New Hampshire par l'abbé Philippe-Antoine Bérubé. Comme bien d‘autres, les Prince sont destinés pour la nouvelle paroisse de Debden. Mais, n'étant pas satisfait du terrain, ils se chicanent avec l'abbé Bérubé qui aurait, selon Edna Béliveau, quitté le groupe dans la nuit pour regagner Prince Albert. Albert Prince et les Brassard communiquent avec Benjamin Prince à North Battleford. Selon Édouard: «Il les a envoyé chez les Béliveau... y vont vous trouver du terrain. C'est là que papa... quand les Béliveau... les Prince ont mouvé des États... les filles ont arrivé... y avaient des filles... les bachelors y avaient les yeux pas mal rond, hein... des créatures... Ça fait que papa y en a poigné une.»(27) Quatre enfants, deux filles et deux garçons, naissent de cette union entre Ernest (43 ans) et Eugénie Prince (28 ans). Il s'agit de Lucille, Paul, Gabrielle et Édouard. Alphonse et Joseph-Édouard demeurent vieux garçons. En 1917, la maison d'Ernest Béliveau est détruite par un incendie. La famille doit se sauver dans la
nuit. Quelques années plus tôt, Alphonse avait fait construire une belle grande maison moderne sur sa ferme. Ernest et sa famille déménagent chez lui en attendant de se construire une nouvelle maison. Au début des années 20, les frères Béliveau jouent un rôle clé dans l'établissement d'une ligne téléphonique de Turtleford à Paradise Hill. En 1928, Ernest communique avec son beau-frère, l'Honorable Jacques Bureau, ministre fédéral des Transports, pour obtenir une ligne de chemin de fer de Spruce Lake à Frenchman's Butte. Jacques Bureau est marié à Ida Béliveau. Durant ces mêmes années, le seul et unique rodéo de Paradise Hill a lieu sur le ranch d'Ernest Béliveau. En 1922, Alphonse est victime d'une apoplexie qui le laisse partiellement paralysé. Trois ans plus tard, il décide d'abandonner sa ferme à Paradise Hill et déménage à Edmonton avec sa soeur Malvina Legris. Mais il n'aime pas vivre dans la grande ville et il revient à
la Butte en 1927. Il demande à Ernest de déménager chez lui pour s'occuper de sa ferme. Malgré la réticence d'Eugénie, Ernest Béliveau vend sa ferme à un nommé Labrecque et déménage dans la maison de son frère. Deux ans plus tard, c'est le «kratch» de 1929; les Labrecque font faillite et Ernest ne sera jamais payé pour sa ferme. «Y ont perdu durant la dépression... y ont pas été capable de les payer... y ont tout perdu.»(28) À cause du moratoire sur les dettes, Ernest Béliveau ne peut pas poursuivre les Labrecque et il perd tout. Il s'agissait d'une ferme de trois carreaux de terre. Ernest louait aussi du terrain de la couronne, ce qui lui avait permis de maintenir un gros troupeau d'animaux. Quant à lui, Alphonse est propriétaire d'une section de terre et, comme Ernest, il loue du terrain de la couronne. La crise des années 30 touche moins durement les Béliveau que d'autres familles de la région. Édouard raconte qu'à la veille du «kratch», son père avait conseillé aux Labrecque de vendre leur blé. Lui-même venait de vendre le sien à 2,50 $ du minot. Mais madame Labrecque s'obstine croyant pouvoir obtenir trois dollars du minot. Elle vendra éventuellement ses 10 000 minots de blé à 16 cents du minot. Le bétail ne valait pas beaucoup durant la crise, mais selon Édouard, il était encore possible d'obtenir 25 ou 30 dollars pour un veau. Alphonse Béliveau meurt le 5 août 1935 à l'âge de 67 ans. Ernest est décédé le 4 juin 1938 à l'âge de 68 ans. Le troisième frère Béliveau, Joseph-Édouard est décédé le 11 avril 1932 à Edmonton, Alberta. Il était âgé de 72 ans. Édouard Béliveau se souvient de sa jeunesse sur le ranch de son père à Paradise Hill. Il s'occupait des animaux puis des chevaux. Mais c'est son frère Paul qui a hérité de la ferme. Édouard a éventuellement quitté la ferme pour travailler ailleurs. Il est devenu charpentier. Il a abouti à Edmonton où il habite toujours. Notes et sources (1) Notes généalogiques préparées par Jean Prince en 1983. Source: Denise Macdonald. (2) Echoes of an Era: The Histories of Bolney, White Eagle, River Junction, Butte St. Pierre, Frenchman Butte, Albion, North Bend, Perch Lake, Sylvan Hill, St. Albert, Paradise Hill, Big Hill, Tangleflags, Meadow Dew, Pyramid Hill. — Paradise
Hill & District Historical Society — 1991 — p. 250. (3) Le terme «sauvage» pour parler des autochtones n'est pas utilisé de façon dérogatoire, mais seulement dans le sens descriptif comme l'utilisaient autrefois les Métis du Nord-Ouest et les premiers colons canadiens-français. (4) Entrevue réalisée par Laurier Gareau avec Édouard et Edna Béliveau le 9 juin 2005 à Edmonton. (5) Op. cit., Echoes of an Era. — p. 251. (6) Ibid., Echoes of an Era — p. 250. (Traduction de l'auteur.) (7) Op. cit., Entrevue avec Édouard et Edna Béliveau. (8) Ibid., Monsieur Béliveau. (9) Ibid., Monsieur Béliveau. (10) Ibid., Monsieur Béliveau. (11) Ibid., Madame Béliveau. (12) Op. cit., Echoes of an Era. — p. 252. (13) Their Hopes-Our Heritage: Cole, Cordelia, Dix, Edam, Horse Hill, Poplar Dell, Spenceville, St. Hippolyte, St. Cyril, Valley Springs, Vawn, Vyner. — Edam Historical Society. — 1992. — p. 587. (Traduction de l'auteur.) (14) Ibid., — p. 250. (15) Op. cit., Entrevue avec Édouard et Edna Béliveau. (16) Ibid., Monsieur Béliveau. (17) Ibid., Monsieur Béliveau.
(18) Ibid., Monsieur Béliveau. (19) Lynda E. Macdonald. — Gold and Galena. — Mayo Historical Society. — 1990. — p.102 et 105. (20) Op. cit., Entrevue avec Édouard et Edna Béliveau. (21) Ibid., Madame Béliveau. (22) Paradise Hill & District Homecoming 1980. — Paradise Hill History Book Committee. — 1980, — p. 8. (23) Ibid., Madame Béliveau. (24) Op. cit., Their Hopes-Our Heritage — p. 585. (Traduction de l'auteur.) (25) Op. cit., Entrevue avec Édouard et Edna Béliveau. (Madame Béliveau) (26) Ibid., Madame Béliveau. (27) Ibid., Monsieur Béliveau. (28) Ibid., Madame et Monsieur Béliveau. |
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