Contact
Société de la Saskatchewan
Société historique de la Saskatchewan

Revue historique: volume 2 numéro 3

Les Fransaskois et le système scolaire -- un bref historique

texte de Laurier Gareau
Vol. 2 - no 3, mars 1992
À travers l’histoire de la Saskatche-wan, l’éducation a été la cause de nombreux conflits entre francophones et anglophones. Ces conflits sont parfois au niveau provincial (et même national) et dans d’autres cas au niveau local et régional.

1875: Acte des Territoires du Nord-Ouest
Avant l’adoption de l’Acte des Territoires du Nord-Ouest en 1875, les seules écoles existantes en Saskatche-wan sont des écoles de mission. Les Soeurs Grises, par exemple, avaient établi, dès 1860, une école à l’Île-à-la-Crosse. D’autre part, les missionnaires oblats enseignent souvent eux-mêmes le catéchisme aux jeunes Métis, à la Montagne de Bois, à la Montagne de Cyprès, à la Prairie Ronde (Dundurn), à la Petite Ville (le clan Dumont s’établit à cet endroit au sud de Batoche en 1868) et à Saint-Laurent de Grandin.

Lorsque l’Acte des Territoires du Nord-Ouest est adopté en 1875, il prévoit des dispositions pour la création de districts scolaires. «... il y sera toujours pourvu qu’une majorité de contribuables d’un district ou d’une partie des Territoires du Nord-Ouest, ou d’aucune partie moindre ou subdivision de tel district ou partie, sous quelque nom qu’elle soit désignée, pourra y établir telles écoles qu’elle jugera à propos, et imposer et prélever les contributions ou taxes nécessaires à cet effet...»(1) Les Canadiens français catholiques peuvent aussi établir des districts scolaires séparés où leur langue et leur foi feraient partie du programme d’enseignement.

Le premier district scolaire public catholique des Territoires du Nord-Ouest est mis sur pied à Bellevue en 1885. «Que l’arrondissement composé des Sections vingt-quatre, vingt-cinq et trente-six, et de telles parties des Sections vingt-trois, vingt-six et trente-quatre non comprises dans la réserve des sauvages, connue sous le nom de la “Réserve du chef sauvage Une Flèche” dans le Township quarante-trois au Rang vingt-huit...»(2)

L’année précédente, le Conseil des Territoires avait établi un système scolaire semblable à celui du Québec et avait mis sur pied un Conseil de l’Instruction publique.

1905: Acte de la Saskatchewan
En 1905, lors de la création de la province de la Saskatchewan, la loi ne prévoit aucune nouvelle disposition au sujet de l’éducation française. «Le 21 février 1905, Sir Wilfrid Laurier, Premier Ministre du Canada, déposa en première lecture les projets de loi décrétant l’autonomie des deux nouvelles pro-vinces. Le paragraphe 2 de l’article 16 original du Projet de Loi No 70 prévoyait le respect des principes et traditions inscrits dans l’Acte des Territoires du Nord-Ouest de 1875.»(3) Cet article crée des divisions au sein du cabinet libéral et Wilfrid Laurier se voit obligé de retirer cette clause. La nouvelle Loi de la Saskatchewan prévoit seulement «le droit d’établir des écoles séparées, non-confessionnelles, sujettes aux règlements du Ministère de l’Éducation.»(4)

1918: Amendements à la Loi sur l'éducation
Jusqu’au début de la grande guerre en 1914, il ne semble pas y avoir de tension ouverte entre francophones et anglophones en ce qui concerne les écoles. Toutefois, avec la guerre, les relations francophones/anglophones changent en Saskatchewan. Des organismes comme la Saskatche-wan Grain Growers, la Saskatche-wan School Trustees’ Association et la Saskatchewan Association of Rural Municipalities demandent ouvertement qu’on interdise l’usage des langues étrangères dans les écoles de la pro-vince. On s’en prend surtout aux Allemands, mais les Canadiens français n’y échappent pas, en grande partie à cause de la réaction des Canadiens français du Québec à la conscription.

Dans ses mémoires, Raymond Denis raconte l’atmosphère à cette époque: «Nous ne pouvions pas assister à une assemblée quelconque sans entendre crier “les Frenchmen dans Québec” et dans toutes les réunions, commissaires d’écoles, personnel enseignant, même chez les “Grain Growers” on n’entendait qu’un cri qui était devenu un slogan: “Une langue, une école, un drapeau”, c’est-à-dire la langue anglaise, l’école anglaise et le drapeau anglais.»(5)

Walter Scott
Walter Scott est élu premier ministre après la création de la Saskatchewan en 1905.
Photo: Archives de la Saskatchewan


La contestation anglophone s’amplifie et au congrès de la Saskatchewan School Trustees’ Association à Saskatoon en 1918, les délégués demandent que l’anglais deviennent la seule langue d’enseignement en Saskatchewan. À la suite de ce congrès, le gouvernement libéral de William Martin décide d’adopter un amendement à la Loi des écoles.Martin est premier ministre et ministre de l'Instruction publique.

Bientôt les Canadiens français apprennent que l’amendement Martin vise à limiter l’usage du français dans les écoles. «L’enseignement ne serait plus donné qu’en anglais dans toutes les écoles, bien que les commissions scolaires aient encore eu le droit d’autoriser l’enseignement d’une heure de français par jour.»(6)

Les francophones s’organisent, menés par Mgr Mathieu de Regina. On réussit à convaincre le gouvernement Martin à modifier son amendement pour permettre l’enseignement de la première année en français plus une heure par jour pour les autres classes.

Pour un jeune Raymond Denis, ce compromis est inacceptable. Il veut continuer la bataille contre le gouvernement et la Saskatchewan School Trustees’ Association dans l’espoir qu’il y ait une distinction de faite entre la langue française et les autres langues étrangères. Mgr Mathieu doit lui rappeler qu’au Manitoba et en Ontario, les francophones ont voulu tout avoir et ont abouti avec rien. Denis accepte la logique de l’Archevêque de Regina. «J’étais jeune dans ce temps-là, à peine 33 ans, d’humeur plutôt batailleuse, mais j’avais une confiance profonde dans le jugement de Mgr Mathieu et je m’inclinai.»(7)

Entre 1918 et 1928, les Franco-Canadiens de la Saskatchewan font tout en leur pouvoir pour améliorer leurs écoles. L'Association Interprovinciale est fondée pour recruter des enseignants et des enseignantes du Québec. Vers 1918, les commissaires d'écoles français fondent l'Association des commissaires d'écoles franco-canadiens (ACEFC). Enfin, l'A.C.F.C. commence à organiser son Concours de français en 1925.

Mgr Olivier-Elzéar Mathieu
Mgr Olivier-Elzéar Mathieu, archevêque de Regina.
Photo: Archives de la Saskatchewan

1929: Élection de J.-T.-M. Anderson
À la veille de la crise économique des années 1930, un nouvel élément vient menacer l’enseignement du français. Vers 1927, le Ku Klux Klan fait son apparition en Saskatchewan. Le Klan mène une campagne vigoureuse contre «l’enseignement du français, le port de l’habit religieux et la présence de crucifix dans les écoles.»(8) Aux élections de 1929, les conservateurs de James-Thomas-Milton (J.-T.-M.) Anderson prennent le pouvoir, appuyés des progressistes.

Anderson ne perd pas de temps à supprimer les droits des francophones. En septembre 1929, quelques mois seulement après ses élections, il abolit l’échange des brevets d’enseignement avec le Québec. En décembre de la même année, le gouvernement annonce que le catéchisme sera dorénavant enseigné seulement en anglais. (Anderson permettrait aux francophones d’enseigner la demi-heure de catéchisme en français, si la classe avait lieu après la fermeture officielle de l’école à trois heures et demie.) Le Bill 1 est déposé en février 1930. Ce projet de loi allait interdire l’affichage des symboles religieux et le port de l’habit religieux dans les écoles publiques de la Saskatchewan. En 1918, en plus d’avoir obtenu le droit à l’enseignement du français pendant une heure par jour, les Franco-Canadiens de la Saskatchewan avaient également obtenu la permission que l’enseignement de la première année se fasse uniquement en français. En mars 1931, le gouvernement Anderson vient abolir cette première année en français.

1944: Le CCF et les grandes unités scolaires.
En 1944, le parti CCF vient au pouvoir et prône l’établissement de grandes unités scolaires. La création de ces grandes unités scolaires voudrait dire la disparition des petits districts scolaires et la perte subséquente d’influence des francophones sur l’enseignement.

Enfin, en 1968, le gouvernement libéral de Ross Thatcher adopte une nouvelle Loi sur l’éducation qui permettra dorénavant l’établissement d’écoles désignées.

Aujourd’hui, en 1992, les parents francophones attendent toujours le droit de contrôler leurs écoles, comme le faisaient nos grands-parents au début du siècle.

Notes

(1) Lapointe, Richard et Tessier, Lucille, Histoire des Franco-Canadiens de la Saskatchewan, Regina (Sask): Société historique de la Saskatchewan, 1986, p. 34.
(2) Ibid. p. 35. (Extrait de la Proclamation d’Edgar Dewdney en 1885.)
(3) Rottiers, René, Soixante-cinq années de luttes... Esquisse historique de l’oeuvre de l’A.C.F.C., Regina (Sask): L’Association culturelle franco-canadienne de la Saskatchewan, 1977, p. 28.
(4) Ibid. p. 28.
(5) Denis, Raymond, Mes mémoires, Volume 1, Copie du manuscrit aux Archives de la Saskatchewan. p. 34.
(6) Lapointe, Richard et Tessier, Lucille, Op. cit. p. 219.
(7) Denis, Raymond, Op. cit. p. 83.
(8) Lapointe, Richard et Tessier, Lucille, Op. cit. p. 227





 
(e0)