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Société historique de la Saskatchewan

Revue historique: volume 11 numéro 1

Les enjeux d'une pratique théâtrale et dramaturgique francophone à Saskatoon. Notes pour un historique d'Unithéâtre et de La Troupe du Jour

par Louise H. Forsyth,
Université de la Saskatchewan, mai 2000
Vol. 11 - no 1, octobre 2000
La Troupe du Jour célèbre cette année ses 15 ans et elle propose une saison ambitieuse aux spectateurs de la Saskatchewan. À l'occasion de cet anniversaire, nous avons cru bon vous raconter l'histoire de la seule troupe de théâtre professionnelle française en Saskatchewan. Mais, nous avons aussi pensé que l'histoire d'Unithéâtre vous intéresserait. Cette troupe amateur universitaire de Saskatoon avait tellement fait parler d'elle avant l'arrivée de la Troupe du Jour. Nous sommes redevables à madame Louise Forsyth, professeure de l'Université de la Saskatchewan à Saskatoon pour cet article.


Remarques sur le théâtre francophone en Saskatchewan
On faisait déjà du théâtre en français en Saskatchewan dans les dernières décennies du 19e siècle. Dans les écoles, les paroisses, et, plus tard, les collèges, les soeurs et les prêtres considéraient la pratique du théâtre comme un outil pédagogique capital. Qui plus est, ces soeurs et ces prêtres partageaient avec leurs élèves et leurs familles le plaisir, simple mais profond, qu'on éprouve à faire du théâtre.

Il y avait aussi, dans de nombreuses petites communautés fransaskoises, des familles dont les membres étaient passionnés du théâtre et, dans d'autres familles, de la musique. Ce qui caractérise donc l'activité théâtrale dans cette province, plus que des objectifs pratiques ou utilitaires, c'est la joie de collaborer ensemble dans une soirée de variétés, une création ou une production dramatique. Dès le départ, on montait des pièces de théâtre parce qu'on aimait jouer ensemble - et jouir ainsi de la représentation et du reflet de ce qu'on était. Laurier Gareau me suggéra même que le théâtre est resté aussi vigoureux qu'il l'est en Saskatchewan précisément parce qu'on préservait cette joie de vivre et qu'on n'y imposait pas des fins utilitaires ou des objectifs trop pratiques.
Laurier Gareau et David Granger
Photo: Troupe du Jour
Laurier Gareau et David Granger dans un tableau d?une pièce de Félix Leclerc présentée par la Troupe à la Fête fransaskoise à Vonda, août 1999.


Unithéâtre (fondé en 1969)
Dans les années 1960 c'était le théâtre universitaire, Unithéâtre, à l'Université de la Saskatchewan, qui ouvrit encore du terrain dans le champ des activités dramatiques scolaires, paroissiales et communautaires. Et, depuis 15 ans, il y a à Saskatoon une compagnie professionnelle, La Troupe du Jour. Un certain nombre de personnes en Saskatchewan parviennent à gagner leur vie au théâtre. Mais ce n'est jamais facile, et il faut toujours avoir de multiples talents. Il n'est pas possible de trop se spécialiser.

C'était et c'est encore de nos jours les capacités, le dévouement, la vision et la ténacité de certaines gens qui assurent la survie, la qualité et la vitalité du théâtre à Saskatoon. Je mentionnerai quelques-uns et quelques-unes de ces gens dans cet article au cours duquel j'évoquerai le déroulement historique depuis 1969, la programmation et le public, les lieux, et, ce dont on est particulièrement fier, les créations, c'est-à-dire, les nouvelles pièces, les ateliers, les festivals, les tournées.

Laurier Gareau - dramaturge talentueux, historien, journaliste, metteur en scène parla de sa famille passionnée par le théâtre, d'expériences théâtrales à son école primaire à St-Isidore de Bellevue, de soirées théâtrales et musicales au sous-sol de l'église, de son initiation plus formelle au théâtre grâce aux Oblats du Collège Mathieu à Gravelbourg, de sa formation comme écrivain dans un programme de maîtrise à l'Université de l'Alberta, de ses propres créations et pièces publiées, de sa participation aux activités et aux tournées théâtrales, et de ses nombreuses interventions communautaires. Adrienne Sawchuk, soeur de Laurier - comédienne, maquilleuse, costumière, directrice administrative pendant plusieurs années au théâtre Le BasCôté - évoqua de riches souvenirs de ses expériences au théâtre. Comme Laurier, elle mentionnait avec force et conviction le rôle joué par son père, ses tantes, ses cousins et cousines comme organisateurs, metteurs en scène, auteurs, acteurs. costumiers, décorateurs, etc.

Ian C. Nelson
Photo: Ian C. Nelson
Ian C. Nelson dans le rôle titre de Tartuffe de Molière, présentée par l?Unithéâtre au printemps 1975

Quand Ian Nelson bibliothécaire, comédien, metteur en scène, adaptateur scénique et quelques étudiantes et étudiants francophones et francophiles de l'Université de la Saskatchewan décidèrent en 1969 de préparer un spectacle en français, ils rejoignaient et nourrissaient cette passion communautaire pour le théâtre profondément enraciné dans le sol saskatchewannais. Ian Nelson et les autres formèrent une nouvelle compagnie universitaire, qu'on appelait Urtithéâtre à cause des riches connotations de ce néologisme. La première pièce présentée par les membres d'Unithéâtre était Huis clos de Jean-Paul Sartre, mise en scène de Brenda Anderson.' Ian Nelson dit que le Département d'études françaises de l'Université de la Saskatchewan avait prêté à Unithéâtre 50$ pour lancer l'initiative. La compagnie finit non seulement par rembourser cette somme mais aussi par se doter des moyens financiers pour reprendre l'année suivante la même initiative dans une production du Bal des voleurs de Jean Anouilh, présentée à Saskatoon et à Regina.

C'était le début d'une excellente tradition de théâtre universitaire dont les spectacles, montés initialement à Saskatoon, continuaient grâce à des tournées dans plusieurs régions de la province.

Unithéâtre continue encore aujourd'hui ses activités, bien que plus sporadiquement. Ses membres présentèrent au moins un spectacle au printemps de chaque année entre 1969 et 1987. Parmi les 24 spectacles offerts par Unithéâtre au cours de cette période de presque 20 ans, figurent des titres de Sartre, Anouilh, Obaldia, Ionesco, Feydeau, Molière, Audiberti, Romains, Musset, Loranger, Leclerc, Tremblay, Barbeau, Languirand, Maillet, des pièces médiévales et des créations.

France Martel, Stan Argue et Anne Kernaleguen
Photo: Ian C. Nelson
France Martel, Stan Argue et Anne Kernaleguen dans un chat est un chat de Jeannine Worms, produite par Unithéâtre au printemps 1973

La troupe remporta ses premiers prix en 1973 lors du Festival Theatre Saskatchewan (concours provincial du Dominion Drama Festival) avec Un chat est un chat de Jeannine Worms dans une mise en scène d'Ian Nelson'. C'était la première fois qu'une compagnie francophone participait à ce concours provincial, qui, au départ, ne voyait pas la possibilité de l'y admettre, faute de juges suffisamment bilingues.

Lynn Robinson
Photo: Ian C. Nelson
Lynn Robinson dans la pièce Du vent dant les branches de sassafras de René de Obaldia, présemtée par Unithéâtre en 1971.

Les premiers titres québécois montés par Unithéâtre étaient Encore cinq minutes de Françoise Loranger en 1974 et Le p'tit bonheur de Félix Leclerc en 1976. En 1979, Ian Nelson fit la mise en scène en anglais pour les Saskatoon Gateway Players de Bonjour là, bonjour de Michel Tremblay. Ce spectacle était organisé en parallèle avec une lecture dramatique en français de la même pièce, mise en lecture également par Ian Nelson. C'était la première à Saskatoon de nombreuses initiatives bilingues et de collaborations entre compagnies théâtrales pour faire du théâtre en français, tout en facilitant la compréhension d'un public à grande majorité anglophone.

L'année 1980 marqua le début d'une série de saisons où Unithéâtre remporta de nombreux prix dans des festivals en Saskatchewan et ailleurs pour des mises en scène de pièces québécoises contemporaines: Manon Lastcall de Jean Barbeau, Surprise! Surprise!, L'effet des rayons gamma sur les vieux-garçons, À toi pour toujours, ta Marie-Lou, toutes ces dernières de Michel Tremblay, Les grands départs de Jacques Languirand, Le bourgeois gentleman d'Antonine Maillet(4).

La première création collective montée par Unithéâtre, dans un programme de pièces courtes, était C'est ben ifun (1976), mise en scène de David Edney et Philip Headley(5). La première création d'une pièce originale d'auteur offerte par Unithéâtre date de 1982: Visions de Madeleine Costa et Eveline Hamon, qui en firent la mise en scène.

Unithéâtre présenta ce spectacle au 4e Festival fransaskois à Prince Albert. Une création collective, Moissons/ Harvest Anthology, dramatisations de textes, poésies, sketches fransaskois, fut présentée en 1984 à Saskatoon et à Prince Albert. Elle figurait au programme «University on the Move». Plus récemment, Unithéâtre créa Les extraordinaires visions d'Antonin Martin de Cécile Boukhatmi en 1993.(6) Unithéâtre a créé deux textes d'Alain Pomerleau, l'un pour adultes (Le treizième étage, 1994) et l'autre pour enfants (Quelle vie de chat!, 1994-95), mises en scène de Pomerleau et Denis Rouleau, en collaboration avec La Troupe du Jour.

Marie-Diane Clarke, professeure à l'Université, produisit des spectacles à partir de 1993. Elle et ses étudiants et étudiantes montèrent en 1995 une création collective, Une vie de couple à travers les siècles, dans un nouveau lieu: la salle du College St. Thomas More, lieu qu'Unithéâtre occupa pour tous les spectacles que Marie-Diane Clarke et les membres du Cercle français de l'Université ont montés jusqu'ici: La mercière assassinée d'Anne Hébert (1996) et Joualez -moi d'amour de Jean Barbeau (1997).

En 1969, Unithéâtre commença par choisir surtout des pièces du répertoire français contemporain. Cinq ans plus tard, il ouvrit deux nouveaux volets: le théâtre québécois contemporain et le théâtre français classique (Molière et le théâtre médiéval, au moment de l'arrivée de David Edney). Grâce à un public fidèle, composé non seulement d'une clientèle universitaire mais aussi de francophones et de francophiles de plusieurs régions de la province -ceux et celles dont les origines montaient loin dans le passé de la Saskatchewan non moins que ceux et celles qui étaient de passage de plusieurs pays francophones, Ian Nelson put offrir un programme théâtral varié qui convenait à tous les goûts et qui évoquait des résonances culturelles dans le contexte des expériences francophones en Saskatchewan. Au même moment, Unithéâtre ouvrit un troisième nouveau volet, celui de la création de nouvelles pièces. L'importance accordée à la création dans le théâtre francophone de Saskatoon s'accrut au cours des années 1980 et 1990 à La Troupe du Jour. La création de nouvelles pièces n'a cependant jamais été facile en Saskatchewan à cause de la diversité du public et à cause également de la grande variété des niveaux de compétence en français, ce que le dramaturge et homme de théâtre, Guy Michaud appelle un problème de langages.7 Les élèves anglophones en immersion, par exemple, ne possèdent pas les mêmes intérêts, expériences et le langage que ceux et celles dont la première langue est le français. En plus, comme le remarqua Alain Pomerleau, ceux et celles qui se passionnent le plus pour la culture francophone n'ont pas toujours la culture du théâtre.

Pendant plusieurs années, les membres d'Unithéâtre et de La Troupe du Jour collaborèrent fréquemment. Je mentionne à titre d'exemple le rôle innovateur d'Alain Pomerleau pendant les années 1990 et le fait que Ian Nelson, fondateur d'Unithéâtre, joua le rôle principal et rédigea l'adaptation anglaise du plus récent spectacle de La Troupe du Jour en avril 2000. Néanmoins, il faut admettre que les priorités et les objectifs d'un théâtre universitaire ne sont pas toujours les mêmes que ceux d'une compagnie professionnelle, obligée de dépendre pour ses revenus d'une clientèle éclatée et de diverses agences gouvernementales, plus ou moins éloignées de Saskatoon. La difficulté à l'Université et en ville d'avoir accès de façon permanente à un lieu convenable rend encore plus difficile toute coopération.
Maureen Loucks et Normand Blais
Photo: Ian C. Nelson
Maureen Loucks et Normand Blais dans Mais n'te promène donc pas toute nue de George Feydeau produite par Unithéâtre en 1972.


La Troupe du Jour (fondée en 1985)
En 1985, un groupe de jeunes personnes, dont quelques-uns étaient des anciens et anciennes d'Unithéâtre, décida de former une nouvelle troupe et de l'appeler La Troupe du Jour. Alphonse Gaudet, comédien, enseignant et premier directeur artistique de La Troupe, indiqua l'importance dans cette décision d'un camp d'été organisé en 1985 par la Commission culturelle fransaskoise. La nouvelle troupe se présenta à son public comme un groupe de jeunes francophones dont le but était de refléter la réalité et d'encourager la créativité fransaskoises: La Troupe du Jour (...) regroupe des jeunes comédiens de (Saskatoon) dont le rêve est de faire du théâtre francophone, communautaire et professionnel, du théâtre qui reflète la réalité fransaskoise, par l'entremise de spectacles et d'animation théâtrale. C'est parla création et des représentations de textes fransaskois que la troupe espère développer un nouveau sens théâtral dans la communauté francophone.(8)

La nouvelle Troupe du Jour se dota d'une identité unique qui la situait dans son contexte socio-culturel spécifique, qui promettait de perpétuer ce qui se faisait déjà dans le domaine du théâtre fransaskois, et qui s'avérait réalisable à long terme. Les objectifs de La Troupe formulés par le Conseil d'administration et le Bureau de direction tenaient bien compte de la diversité de formation de ses membres et de la clientèle variée et géographiquement dispersée imposée par la démographie et l'emplacement de la ville de Saskatoon et les régions francophones de la Saskatchewan. Ces objectifs annonçaient ce que La Troupe allait devenir, c'est-à-dire une troupe qui favorise:

1) l'identité fransaskoise,

2) la participation communautaire,

3) des spectacles dramatiques de qualité artistique,

4) le théâtre pour enfants,

5) la formation dans tous les domaines du théâtre,

6) l'établissement d'une permanence avec des employés rémunérés et des locaux permanents.

Les défis relevés par ce groupe de jeunes comédiens et comédiennes étaient de taille.

Les premiers spectacles de la Troupe du Jour étaient surtout des créations collectives et des soirées de variétés. Ils attirèrent un public qui semble avoir beaucoup apprécié l'humour et la joie de jouer de la nou-velle compagnie. Le pro-gramme du premier spec-tacle, Aza rie (1986), portait déjà le logo de deux masques qu'utilise encore aujourd'hui La Troupe du Jour.

Le premier grand succès artistique arriva en 1988 quand Marion Lastcall, dans une mise en scène de Ian Nelson remporta le premier prix au concours provincial pour pièces en un acte. La Troupe présenta ce spectacle en tournée dans plusieurs villes de la province. L'année suivante Ian Nelson continua ce succès artistique avec la production de la nouvelle pièce française Puzzles de Michele Barbier, créée la même année au Festival d'Avignon.

Alphonse Gaudet, Jeff Soucy et Carmen Gareau
Photo: Troupe du Jour
Alphonse Gaudet, Jeff Soucy et Carmen Gareau dans Manon Lastcall de Jean Barbeau produite par la Troupe du jour en 1988.

Le directeur artistique actuel de La Troupe, Denis Rouleau, arriva en 1989. Sa première mise en scène fut Le géant Beaupré, specta-cle pour enfants, histoire d'Édouard Beaupré de Willow Bunch, écrite en anglais par Barbara Sapergia et Geoffrey Urseli, traduite et adaptée par Solange Lavigne. La tournée de ce spectacle dans plusieurs écoles marqua le début d'une série de tournées pour enfants et adolescents francophones ou en immersion en Saskatchewan et dans d'autres provinces. Il y en avait une chaque année entre 1989 et 1997.

Celle qu'on créa en français en 1991, La belle fille de l'aurore, traduction et adaptation de The Dream Beauty de Daniel David Moses, mise en scène d'Ian Nelson, voyagea à Montréal pour le «Fringe Festival». Elle fut aussi choisie pour représenter l'Amérique du Nord à Halden en Norvège au Festival mondial de théâtre amateur. La pièce pour enfants qui partira en tournée l'année prochaine en collaboration avec Le Théâtre de La Seizième de Vancouver porte le titre Fuego. Comme toutes les pièces pour enfants de La Troupe du Jour, celle-ci promet que «La magie du théâtre s'unira à la magie de l'imagination pour créer cette histoirefantastique et inoubliable. »

Denis Rouleau
Photo: CCF
Denis Rouleau, directeur artistique de la Troupe du jour depuis 1990

La Troupe du Jour se lança en 1990 sur une nouvelle piste, celle de spectacles bilingues, par une production de Balconville de David Fennario, dans une mise en scène de Laurier Gareau. Il y avait, bien entendu, des raisons pratiques pour jouer en français et en anglais. Malgré ces considérations pratiques, le bilinguisme n'occasionnait jamais des compromis sur le plan artistique. Au contraire, le défi d'un spectacle dans les deux langues servait de tremplin à une créativité variée et tout à fait exemplaire. Il va sans dire que Balconville était un excellent commencement. Le succès de Balconville encouragea La Troupe à présenter en 1992 Les Canadiens de Rick Salutin, dans une traduction de Laurier Gareau (qui assura un contenu français d'environ 60%) et une mise en scène de Denis Rouleau. C'était de nouveau une réussite artistique et un grand succès aux yeux du public. En 1994 La Troupe offrit en- I core une fois un spectacle bilingue, mais dans un autre registre. Il s'agissait cette fois de Les fourberies de Scapin de Molière, dans une traduction anglaise de David Edney et une adaptation et mise en scène d'Ian Nelson. Dans la version écrite de la pièce Nelson a expliqué les moyens employés «pour arriver à une mise en scène bilingue»:

Colette LePoudre, Bernard Chénier et Adrienne Sawchuk
Photo: Troupe du Jour
Colette LePoudre, Bernard Chénier et Adrienne Sawchuk dans Balconville de David Fennario Produite par la Troupe du Jour en 1990

1) «Certaines scènes ont été jouées dans une langue, puis reprises dans l'autre. 1... Après chaque reprise on a projeté une lumière stroboscopique sous laquelle les comédiens ont retracé à rebours leurs déplacements et leurs gestes avant de retourner au point de départ et de répéter la même scène dans l'autre langue.»

2) «Pour d'autres scènes, nous avons employé f... une boucle d'action: au milieu d'un passage, les comédiens se retrouvent inconsciemment ou comme par hasard, aux mêmes endroits qu'au commencement du passage, et ils enchaînent en répétant le passage dans une langue différente. »

3) «f... 1 le texte même de Molière nous avait suggéré des scènes où un personnage pouvait parler dans une langue tandis que son partenaire répondait ou commentait dans l'autre.

En 1997, La Troupe du Jour présenta En attendant Godot de Samuel Beckett, dans une mise en scène de Denis Rouleau, en alternance de soirées françaises et anglaises. Le même format fut utilisé en avril 2000 dans la création de Le six de David Hauclemont, mise en scène par Denis Rouleau. Une adaptation anglaise de cette pièce faite par Ian Nelson, Five, Six, Pick Up Sticks, mise en scène par Angus Ferguson, s'offrait en alternance. La distribution de En attendant Godot et de Le Six était la même dans les deux langues.

L'expérience s'avéra un succès; La Troupe trouva même que plusieurs spectateurs revenaient pour voir le spectacle dans l'autre langue et dans une autre mise en scène.

La Troupe du Jour resta fidèle à son objectif de refléter la communauté fransaskoise et d'en favoriser l'identité en créant des spectacles historiques. La première année où La Troupe annonça une saison théâtrale entière et introduisit une formule d'abonnement (199394), elle lança sa saison par la création d'une pièce qui évoque une tranche de l'histoire des francophones de la Saskatchewan (1896-1950), De blé d'inde et de pissenlits de Lorraine Archambault, mise en scène par Denis Rouleau. La dernière pièce de la même saison était une adaptation par Claude Dorge et Irène Mahé de La petite poule d'eau de Gabrielle Roy, mise en scène d'Alain Pomerleau.

Nicole Lavergne-Smith, Adrienne Sawchuk, Ian Nelson, Myriam Nadeau et Alexandre Lalonde
Photo: Troupe du Jour
Nicole Lavergne-Smith, Adrienne Sawchuk, Ian Nelson, Myriam Nadeau et Alexandre Lalonde dans la petite poule d?eau de Claude Dorge et Irène Mahé produite par la Troupe du Jour en 1994.

La pièce historique montée par La Troupe du Jour qui attira le plus d'attention et quelques controverses était La trahison de Laurier Gareau, mise en scène de Denis Rouleau.

C'est l'histoire, en français et metchif, d'une confrontation fictive entre le curé de Batoche et Gabriel Dumont, quelques jours avant la mort de ce dernier. Gareau dit qu'il «con cult cette pièce comme un monument à Gabriel Dumont, pour qu'il soit reconnu pour ce qu'il avait fait: [pour avoir consacré] sa vie aux Métis.»' Cette pièce avait commencé comme texte dramatique radiophonique en 1982. Gareau l'adapta pour la scène à Batoche en 1984 et ensuite le «Fringe Festival» à Edmonton en 1985; elle fut reprise en 1995 par La Troupe du Jour, création à StIsidore de Bellevue, dans une nouvelle version beaucoup plus critique du rôle joué par les Oblats au moment du soulèvement des Métis en 1885. La Troupe reprit en 1998 une nouvelle version de La trahison et fit une tournée avec cette pièce à Regina, Gravelbourg, Prince Albert, Winnipeg, Edmonton et Rivière La Paix.
Marc Bru et Alain Pomerleau
Photo: Troupe du Jour
Marc Bru et Alain Pomerleau dans La trahison de Laurier Gareau jouée à la Troupe du Jour en 1995.


La programmation de La Troupe du Jour montre que Denis Rouleau, directeur artistique, évite toujours dans ses choix la facilité. Les critères artistiques, ceux qui vont encourager la créativité de la communauté ou faire le plaisir de ses nombreux publics l'emportent de loin sur des facteurs purement pratiques.

La programmation continue à comporter des pièces canadiennes, québécoises, classiques et internationales, par exemple: La tempête de William Shakespeare (1994), Les reines de la réserve de Tomson Highway (1996, traduite par Jocelyne Beaulieu), Eva et Eveline et L'homme gris de Marie Laberge (1991), La mort de Danton de Georg Büchner (1998), quatre pièces courtes d'Anton Tchekhov (1999). Pour encourager l'activité théâtrale en Saskatchewan, La Troupe du Jour organisa chaque année entre 1991 et 1994 un Festival théâtral communautaire, auquel participèrent des compagnies de North Battleford, St-Denis, St-Isidore de Bellevue, Regina, St-Louis, et Prince Albert. Ces compagnies présentèrent souvent des pièces originales.

David Granger, Lisa Christie et Rachel Duperreault
Photo: Troupe du Jour
David Granger, Lisa Christie et Rachel Duperreault dans La Tempête de William Shakespeare produite par le Troupe du Jour en 1994

En effet, Denis Rouleau et ceux et celles qui sont membres de cette troupe fransaskoise sont particulièrement fiers de tout ce que La Troupe du Jour a fait pour encourager une dramaturgie originale et locale.

On présenta chaque année à Saskatoon et fréquemment dans d'autres endroits des créations de nouvelles pièces pour enfants et pour adultes. En plus des créations déjà discutées, il faudrait mentionner Raymond Dents et l'Association de Trente Sous (Laurier Gareau, 1988), Biblto a perdu son livre (Pierre Drolet, 1991), L'homme à tout faire (Frank Moher, traduction et adaptation de Laurier Gareau et Simone Verville, 1991), Monsieur tout gris (Joel Richard, 1991), Le voyageur solitaire (Claude Émond, 1992), Julien et la légende du dragon (Jocelyn Forgue, 1993), Le vieux fou (Main Pomerleau, 1993), La fin d'un amour (Louise Branger, 1995) , Mis à part (Guy Michaud, 1996), Via le net [opéra rock d'Alain Pomerleau, 1998), Le costume (Raoul Granger, 1999).

En 1996 une subvention pour deux ans du Saskatchewan Arts Board permit qu'Alain Pomerleau soit nomme artiste en résidence en écriture dramatique (collaboration avec l'Association des artistes de la Saskatchewan), avec le mandat d'<
Un dernier mot sur La Troupe du Jour et ses lieux
Jocelyn Forgues
Photo: Troupe du Jour
Jocelyn Forgues comme le dragon dans sa pièce intitulée Julien et la Légende du dragon produite par la Troupe du Jour en 1993.

Les premiers spectacles de La Troupe étaient des créations, présentées d'abord au Persephone Theatre ou dans d'autres lieux. La Troupe s'installa dans ses premiers locaux en 1987, mais dut quitter ce lieu l'année suivante, faute de fonds. Ce premier théâtre était un ancien salon funéraire juif dont le plafond bas et le caractère sombre suggéraient le nom du Bas-Côté. C'était à ce moment que La Troupe adopta ce nom pour son théâtre, nom qu'on espère aujourd'hui associer à un autre édifice. Une situation financière améliorée grâce à des subventions permit à La Troupe de s'installer de ce qu'on espérait façon permanente dans son deuxième Théâtre le Bas-Côté en 1990. C'était un espace qui lui convenait et que ses membres reconstruisirent radicalement. La première pièce de la saison 1990, Balconville, jouée dans cette nouvelle salle, semblait promettre un meilleur avenir pour La Troupe du Jour, ce qui était vrai jusqu'en 1996, moment où des ennuis financiers l'obligèrent à quitter son théâtre pour aller partager une série de lieux insuffisants avec Twenty-Fifth Street Theatre.

Aujourd'hui, La Troupe du Jour a ses propres locaux, au sous-sol de l'édifice où se trouve Le Relais, centre francophone de Saskatoon. La Troupe offre ses spectacles dans une salle paroissiale, espace scénique qu'on partage encore aujourd' hui avec Twenty-Fifth Street Theatre et tous les groupes de l'église.

Mais l'avenir s'annonce plus prometteur. La Troupe du Jour s'associa formellement en 1999 avec les trois autres compagnies professionnelles de Saskatoon: Persephone Theatre, Shakespeare on the Saskatchewan. et Twenty-Fifri Street Theatre. dans la formation du Saskatoon Theatre Facility Group (le STFG). Pas une de ces

Edith Gendron et jacques Poulin-Denis
Photo: Troupe du Jour
Edith Gendron et jacques Poulin-Denis dans Mis à part de Guy Michaud produit par la Troupe du jour en 1996.

compagnies n'a un lieu théâtral adéquat et permanent. Dans une conférence de presse du 23 mai 2000, le STFG annonça la fin d'une première étape: une étude de faisa-bilité. Selon ceux qui ont fait cette étude, il paraît possible de ramasser les fonds nécessaires pour la construction de deux salles, l'une à l'italien-ne (450 places) et l'autre un espace théâtral flexible (150 places) dans un nouvel édifice près du centre-ville au bord de la rivière Saskatchewan. Le coût: 14 million. Chacune des compagnies voit l'avantage de travailler en collaboration avec les autres, tout en protégeant le caractère et le mandat uniques de chacune. On prévoit l'ouverture des nouvelles salles pour 2004 ou 2005.

Il est urgent que La Troupe du Jour ait un lieu convenable et permanent. Ses membres ont déjà fait des miracles sur le plan artistique dans des conditions plus que difficiles. Il est certain que cette situation ne peut pas continuer. En plus de toutes les difficultés techniques et matérielles que Denis Rouleau et les autres sont constamment obligés d'aborder, comment assurer la fidélité de son public si on n'a pas de lieu? Les chiffres suggèrent qu'il s'est produit depuis qu'on dut quitter le Théâtre le Bas-Côté en 1996 une baisse inquiétante du nombre de spectateurs.

On attend avec impatience l'ouverture du Théâtre le BasCôté III et le renouveau des fortunes de La Troupe du jour, compagnie théâtrale fransaskoise essentielle.



Notes et références
Rachel Duperreault, Bijou
Photo: Troupe du Jour
Rachel Duperreault, Bijou (manipulé par Léa Labrie et Jean-Marie Michaud dans la fin d?un amour de Louise Branger Produite par la Troupe du Jour en 1994.

1 Je tiens à remercier celles et ceux qui ont si gentiment partagé avec moi au cours des recherches pour cet article leur temps, leurs souvenirs, leurs documents et autres archives, et leurs passions: Denis Rouleau, lan Nelson, Adrienne Sawchuk, Laurier Gareau, Alphonse Gaudet, Alain Pomerleau, Frédérique Baudemont, Marie-Diane Clarke, et, par enregistrement, Guy Michaud.

2 Je remercie M. Ian Nelson qui m'a passé la Chronologie et d'autres renseignements qu'il a préparés luimême sur Unithéâtre entre 1969 et 1993. Mme Marie-Diane Clarke m'a fourni des renseignements supplémentaires sur les productions d'Unithéâtre au cours des années 1990. M. Denis Rouleau et Mme Frédérique Baudemont de La Troupe du Jour ont mis à ma disposition une liste de productions, des documents, des photos, des vidéos, et des archives précieuses.

Un chat est un chat remporta le grand prix du festival, un 2e prix pour la mise en scène, des prix pour meilleure comédienne et meilleur comédien dans un rôle d'appui.

Charles Dumont et anaïs de Bourayne
Photo: Troupe du Jour
Charles Dumont et anaïs de Bourayne dans la demande en mariage d?Anton Chekhov produit par la Troupe du Jour en 1999.

On créa en 1979 le Festival fransaskois. Ce Festival continua tout au long des années 1980 et permit à Unithéâtre et à d'autres troupes de la province de présenter des spectacles à des publics variés et géographiquement dispersés. Unithéâtre remporta des grands prix, des prix pour les mises en scène, pour les meilleurs comédiens et comédiennes, pour la présentation visuelle, même un prix donné à la discrétion du juge (ce dernier prix gagné par Éveline Hamon).

En 1974 Unithéâtre avait créé pour la première fois au Canada Le dernier train de Chiem Van Houweninge, traduction française et mise en scène de Miche! Caillol.
Alphonse Gaudet et Charles Dumont
Photo: Troupe du Jour
Alphonse Gaudet et Charles Dumont dans Le Costume de Raoul Granger produite par la Troupe du Jour en en 1999. La pièce fut Présentée dans le cadre des Quinze du jours de la Dramaturgie en région à Ottawa en juiin 1999

6 Lors du Festival théâtral communautaire, Alain Pomerleau a remporté pour ce spectacle le prix pour la meilleure mise en scène.

7 Dans une interview avec Marie-Diane Clarke, mai 2000.

8 Au dos du programme de la saison 1987-88.

9 Dépliant publicitaire.

10 «Notes pour la mise en scène» (inédit).

11 L'eau vive (le 10 août 1995): p.6.

On a dit:
«Rien de plusfutile, de plusfawc, de plus vain, rien de plus nécessaire que le théâtre.»

Louis Jouvet 1887-1951.





 
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