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Société de la Saskatchewan
Société historique de la Saskatchewan

Revue historique: volume 13 numéro 3

Les Desnoyers de Coderre - Les migrations d'une famille canadienne-française

par Laurier Gareau
Vol. 13 - no 3, mars 2003
Aujourd'hui, les gens voyagent beaucoup. Partir pour un long voyage, en avion, en train ou en voiture, c'est chose commune. Ce n'était certainement pas le cas au temps des pionniers.

La Vérendrye a mis des années pour se rendre de Montréal à la Rivière Rouge. Lorsque Louis Riel se rendit au collège dans l'Est en 1858, le voyage entre St-Boniface et Montréal a pris 35 jours. À cette époque, un tel voyage se faisait par les États-Unis en charrette de la Rivière-Rouge, en bateau à vapeur et en train. Au début du XXe siècle, quand beaucoup de nos ancêtres sont venus s'établir en Saskatchewan, un voyage en train de Montréal à Moose Jaw pouvait prendre entre quatre à dix jours.

Mais malgré ça, il est tout de même fascinant de voir jusqu'à quel point les gens se déplaçaient d'une région à l'autre. Je lisais dans Le Patriote de l'Ouest de 1911 que des colons de Ferland étaient retournés à Ste-Claire de Dorchester pendant l'hiver puisqu'ils n'avaient qu'à passer six mois sur leur homestead en Saskatchewan.


Chez les Fransaskois, lorsqu'on parle des grandes migrations, on pense généralement à la venue des colons français vers la Saskatchewan au début du siècle. Ils sont venus par milliers, de France, Belgique, Suisse, Québec, Nouvelle-Angleterre, Manitoba et même du Mid-Ouest Américain, c'est-à-dire du Minnesota et du Dakota. Ils sont venus prendre des terres dans la prairie canadienne.

Il y a toutefois eu une autre grande migration, celle qui s'est produite durant la crise économique et la sécheresse de la Grande Dépression des années 1930. Lorsque j'étais jeune à Bellevue au début des années 1960, on contait encore l'histoire d'un éleveur de la région de Ponteix qui était venu avec un gros troupeau de chevaux passer du temps dans le coin de la Montagne Minichinas pour nourrir son troupeau car, à cause de la sécheresse, il n'y avait plus d'herbe dans son coin du pays. Je me demande parfois qui était cet éleveur et pourquoi il avait choisi la région de Bellevue com-me destination. Durant la Dépression, d'autres fermiers du sud sont allés se rétablir dans le Nord-Ouest de la province, à Makwa par exemple, ou dans la région de Zenon Park. Plusieurs autres ont pris la route vers l'Alberta ou la Colombie Britannique.

C'est le thème de cette histoire. Partir sur la route durant la Dépression pour aller se rétablir ailleurs. Antonio Desnoyers, anciennement de Coderre, nous raconte le voyage qu'il a entrepris en 1935 avec sa femme et ses enfants pour aller rejoindre d'autres membres de sa famille qui étaient déménagés à Bonnyville dans le Nord-Est de l'Alberta.

La famille Desnoyers
D'abord, racontons un peu l'histoire de la famille Desnoyers de Coderre. La famille était originaire de St-Damase, Québec où Philias Desnoyers, père d'Antonio, est né le 7 juin 1871, le fils de Philias (père) et Eximase Coderre(1). Philias (père) travaillait dans une usine de fabrication de vêtements. En 1899, Philias (fils) a épousé Adelaide Grégoire de Tingwick, Québec et peu de temps après plusieurs membres de la famille Desnoyers, Philias (fils), son père et plusieurs de ses frères, ont déménagé à New

Photo de mariage de Philias Desnoyers (fils) et Adelaide Grégoire
Photo: Claude Desnoyers
Photo de mariage de Philias Desnoyers (fils) et Adelaide Grégoire au printemps 1899 à Tingwick, Québec


Les enfants de Philias Desnoyers (père)
Photo: Claude Desnoyers
Les enfants de Philias Desnoyers (père) vers 1920. 2e rangée, de g à d.: Willie, Albia, Eugène, Rosilda et Albert. 1re rangée: Gracia, Exilda, Philias, Arsilia et Ada.


Bedford, dans l'état du Massachusetts aux États-Unis pour travailler dans les usines de la Nouvelle-Angleterre. Ils ont passé quelques années à New Bedford, puis il y a eu un autre déménagement, cette fois vers Thorne dans le Dakota Nord.

Dans un récit qu'il a écrit avant sa mort, Antonio s'est remémoré ses premiers jours d'école au Dakota. «J'me souviens quand j'ai commencé l'école au Dakota Nord. Nous vivions sur une ferme près du petit village de Thorne. J'avais 5 ans et nous marchions à l'école, avec ma sœur (Ernestine) et un frère plus âgé (Oscar). La deuxième année, il y avait un homme avec un «timme» de chevaux qui nous amènerait à une autre école; il avait un «covered wagon» et nous aimions monter avec lui car c'était plusieurs milles pour se rendre à cette école.»(2)

Au Dakota Nord, Philias Desnoyers (fils) n'était que locataire de terrain. Étant maintenant père de sept enfants, il a décidé en 1909 de venir visiter la Saskatchewan dans l'espoir d'y trouver une bonne terre. Une sécheresse sévissait alors sur le Dakota Nord. Son père, ses frères et autres parents ont décidé de le suivre. Ils ont choisi leurs homesteads dans la région de Coderre en 1909, puis ils sont retour-nés passer l'hiver au Dakota Nord. Ils sont revenus le prin-temps suivant pour commencer à défri-cher le terrain. En septembre 1910, Philias, quelques-uns de ses frères et son père sont retournés à Thorne chercher les autres membres de la famille. Ils ont voyagé en train jusqu'à Mortlach, environ 35 milles au nord de Coderre. Un incident cocasse s'est produit durant le voyage vers le Canada. Les hommes avaient chargé plusieurs wagons de chemin de fer avec de l'équipement agricole, des chevaux et du bétail pour le voyage de Thorne à Coderre. À l'époque, les compagnies de chemin de fer permettaient à une personne de voyager gratuitement avec chaque wagon d'animaux. Ni Philias (fils), ni son père, n'avaient l'intention de payer un billet pour chacun de leurs enfants. Ils ont donc décidé que deux des garçons de Philias (fils), Oscar et Antonio et un de ses jeunes frères, Eugène(3), se cacheraient dans une grosse boîte en bois. «Nous trois, un jeune oncle, mon frère aîné et moi, allions voyager avec eux dans un wagon d'équipement. Ils placèrent une grosse boîte dans un coin du wagon et nous nous cachions dedans pour éviter de payer les billets de passager. Quand le train était en route, nous sortions de la boîte pour rejoindre mon père et mon grand-père près de la grande porte du wagon.»(4) Bien sûr, il fallait alors déclarer toute personne, comme il fallait faire inspecter les biens, lorsqu'on traversait la frontière américaine. Les trois petits bons-hommes, bien cachés dans la boîte dans le wagon de machinerie agricole, n'ont jamais été déclarés. Plusieurs années plus tard, lorsqu'Antonio a voulu voyager à l'extérieur du pays, il a dû se faire naturaliser. Dans le cas de son frère et de son oncle, on n'a pas pu trouver de preuve de leur citoyenneté canadienne quand est venu le temps de recevoir la pension du Canada, car les trois petits Desnoyers avaient été des voyageurs illégaux en 1910.

À Coderre, les Desnoyers sont devenus propriétaires de terrain, car il était possible d'obtenir un homestead de 160 acres pour le frais d'inscription de 10$, plus un carreau de préemption, à 2$ l'acre. Selon Antonio, autant sa mère que son père se seraient prévalus de cette option pour acquérir une section de terrain. Après un voyage en chariot de Mortlach, ils sont arrivés à Coderre tard dans la nuit. Le lendemain, un jeune Antonio a aperçu pour la première fois ce qui deviendrait son chez-lui pour les 25 prochaines années: «Tout ce que nous pouvions voir c'était une prairie nue et quelques petits «shacks» ici et là. Quel étrange pays! Tout ce


Les trois petits voyageurs illégaux
Photo: Claude Desnoyers
Antonio Desnoyers, son oncle Eugène et son frère Oscar. Les trois petits voyageurs illégaux.


que nous avions pour brûler c'était du charbon et il devait être transporté de Mortlach, une distance de 35 milles. Mais peu importe, cette fois c'était notre maison. Le premier hiver fut bien dur. Froid et avec tellement de neige que l'étable était complètement enterrée. Mon père dut creuser une sorte de tunnel pour entrer dans l'étable. J'avais alors 7 ans.»(5)

Au début, ils font partie de la paroisse de Courval. Un cousin de Philias nommé Eudore Coderre a ouvert un magasin sur son homestead et un bureau de poste. Une école est

Philias Desnoyers (fils), à droite, avec son épouse Adelaide Grégoire
Photo: Claude Desnoyers
Philias Desnoyers (fils), à droite, avec son épouse Adelaide Grégoire et leurs trois enfants, Antonio (dans les bras de sa mère), Ernestine et Oscar, vers 1905.


construite en 1911. La première institutrice vient du Québec et ne parle pas l'anglais. Les anglais s'y opposent et elle doit quitter pour être remplacer par l'épouse du ministre protestant: «Il fallait marcher à l'école, une distance de 3 milles. La première institutrice que nous avons eu à Coderre était une femme et son nom était Marie Allard et nous n'apprenions que l'anglais et pour les premières années nous n'avions que l'école pendant l'été.»(6)

Les premières années, les Desnoyers ont défriché de plus en plus de terrain. Les récoltes étaient bonnes, mais il fallait transporter le grain jusqu'à Mortlach, un voyage de trois jours. Finalement, en 1914, le Canadien Northern construit une ligne de chemin de fer de Moose Jaw à Gravel-bourg. Le voyage pour transporter le grain a été réduit à 25 milles et se fait en deux jours. Toutefois, il y avait moins de buttes et les pistes étaient meilleures. Pour la moisson, il fallait embaucher une équipe de batteux qui pouvait compter entre 10 et 15 personnes. En 1920, les Desnoyers ont acheté un tracteur à gaz et une plus petite batteuse. Bien sûr, il fallait encore embaucher des batteux pour aider à «stooker» et à battre le grain.

Philias Desnoyers reconnaissait l'importance d'une bonne éducation pour ses enfants. Antonio est donc allé au Collège de St-Boniface pendant trois ans. Mais il avait une certaine facilité à réparer des engins et lorsque son père a acheté un tracteur à gaz en 1919, il a abandonné ses études et est revenu travailler à la ferme avec son père. À l'âge de 19 ans, il travaillait à son propre compte à conduire des tracteurs et à opérer des machines à battre. Le salaire était bon et en 1925, il a acheté sa première voiture, une Model T Ford Coupe.

La maison Desnoyers à Coderre
Photo: Conrad Desnoyers
La maison Desnoyers à Coderre, vers 1935. La maison a été construite en 1909 et une ralonge en 1914. L?étable a été construite en 1925. Le bois avait été importé de la Colombie Britannique.


L'année suivante, il a épousé Florette Duguay(7) qui habitait Secretan, un arrêt du Canadien Pacifique situé quelques kilomètres à l'ouest de Mortlach. Le jeune couple a acheté une ferme près de Coderre. «Les choses allaient bien jusqu'en 1929, le début de la dépression et la première année de la pire sécheresse dans l'histoire du Canada. Les deux durèrent 10 ans. Nous vendions du blé à $1.40 le minot et le lendemain le prix avait tombé à 23 cents du minot. Le prix d'un bœuf vivant avait tombé à 5 cents la livre pour un «steer» puis les vaches et les taureaux ne rapportaient pas assez pour payer le «freight». Un bon cochon

Philias Desnoyers (fils) avec sa famille
Photo: Claude Desnoyers
Philias Desnoyers (fils) avec sa famille vers 1920. 2e rangée: Avila, Ernestine, Antonio, Donat, Oscar. 1re rangée: Yvonne, Philias, Rosario, Lucien, Adelaide, Alice.


se vendait à peu près pour $6.»(8)

Plusieurs membres de la famille Desnoyers ont quitté Coderre pour aller se rétablir dans la région de Bonnyville en Alberta. Antonio a persisté sur sa ferme à Coderre jusqu'en 1935, puis il est allé rejoindre les autres membres de sa famille en Alberta.

Dans ses mots, Antonio Desnoyers raconte l'histoire de son voyage vers le nord de l'Alberta à la page 5.

(1) Philias (père) et Eximase Coderre se sont mariés à St-Damase, Québec, le 22 janvier 1878.
(2) Desnoyers, Antonio, A story of my life since I was very young, Manuscrit, page 1. (Traduction)
(3) Eugène Desnoyers était du même âge que ses deux neveux, étant né le 5 septembre 1901.
(4) Ibid.
(5) Ibid.
(6) Ibid.
(7) Florette Duguay est née le 27 mars 1902 à Manchester, New Hampshire. Ses parents étaient Octave Duguay de Baie du Febvre, Québec, né le 4 février 1865 et Annie Descoteaux de St-Pierre de Durham, Québec, née le 26 août 1869. Ils étaient venus s'établir dans une ferme à Secretan. Annie est décédée à Moose Jaw le 26 juin 1936 et Octave est décédé à Edmonton plusieurs années plus tard.
(8) Ibid.

Clovis Duguay, père de Florette et son épouse Annie Descoteaux
Photos: Claude Desnoyers
Clovis Duguay, père de Florette et son épouse Annie Descoteaux, vers 1910.
Florette Duguay avec ses parents à Secretan
Photos: Claude Desnoyers
L'épouse et les beaux-parents d'Antonio Desnoyers, vers 1925.
Florette Duguay,
Photos: Claude Desnoyers
Florette Duguay, vers 1925.





 
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