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Société de la Saskatchewan
Société historique de la Saskatchewan

Revue historique: volume 2 numéro 3

Les crises scolaires à l'école Éthier et à l'école Moose Pond

texte de Laurier Gareau
Vol. 2 - no 3, mars 1992
texte de Laurier Gareau

L'enseignement du français a souvent créé de la controverse en Saskatchewan, comme ce fut le cas en Ontario et au Manitoba. Parfois même, des commissaires d'école canadiens-français étaient traduits devant un juge de paix et accusés d'avoir encouragé l'enseignement du français pour une période de temps dépassant les limites imposées par la loi. En voici deux cas typiques, celui de l'école Éthier dans le nord et de l'école Moose Pond près de Willow Bunch.


Tout au long de leur histoire, les Franco-canadiens de la Saskatchewan ont eu à lutter pour obtenir le moindre service d’enseignement dans leur langue. Et, ils ont souvent eu recours aux tribunaux pour obtenir gain de cause. Nous connaissons tous la décision du juge Wimmer qui, en 1988, a déclaré que les Fransaskois avaient droit à la gestion de leurs écoles. Plusieurs autres cas judiciaires mériteraient d’être étudié: ceux des écoles de Frenchville en 1923 (où les commissaires avaient renvoyé pré-maturément une institutrice qui ne parlait pas le français) et de l’école de Gouverneur en 1928 (où les commissaires étaient accusés d'avoir trop permis l'enseignement du français). Cet article va traiter de deux cas; celui de l'école Éthier en 1922 et celui de l’école Moose Pond en 1928.

Le cas du district scolaire Éthier # 1834
Lorsque le gouverne-ment de la Saskatchewan adopte un amendement à la Loi des Écoles en 1918, et interdit l’enseignement des langues étrangères dans les écoles de la province, les Canadiens français réussissent à convaincre le gouvernement de William Martin de leur faire certaines concessions. Ils pourront continuer à enseigner la première année en français, ils auront une heure de français par jour pour les autres grades; et le catéchisme, la dernière demi-heure de la journée, pourra être offert en français.

La majorité des colons du district scolaire Éthier ne parlaient que le français et il n’est donc pas surprenant que les contribuables tenaient à maintenir l’enseignement du français dans leur école. Au début des années 1920, il ne semble y avoir qu’un seul contribuable anglophone dans tout le district, un certain William Mackie. Ses enfants fréquentent l’école Éthier. En 1912, Mackie se plaint auprès du premier ministre Martin que l’école «n’était que “l’antichambre de l’église du village”, et on y enseignait le français “du matin jusqu’au soir”.»(1)

Mackie demande au premier ministre d’envoyer un «honnête inspecteur pro-testant» pour examiner les élèves de l’école. Selon lui, «le commissaire d’école, Rémi Éthier, ne savait ni lire ni écrire l’anglais, et qu’un autre commissaire, Léger Boutin, ne voulait que du français et du catéchisme à l’école.»(2) Le colon anglais maintient avoir l’appui de deux Canadiens français, Adélard Éthier et Omer Houle. Mackie déclare que les trois acceptent de défrayer les coûts de l’inspecteur si la plainte n’est pas justifiée. L’enseignante à ce moment est la soeur d’Omer Houle, Marie-Annette Houle.

Le premier ministre Martin demande
Quelques-uns des élèves de l'école Éthier
Quelques-uns des élèves de l'école Éthier en 1918. Annette Houle est dans la troisième rangée, à gauche. En 1918, elle n'est pas enseignante à l'école. C'est son frère, Albert, qui est instituteur. Mlle Houle sera l'institutrice durant la crise en 1921.
Photo: Archives de la Saskatchewan

alors à l’inspecteur A.W. Keith de visiter l’école. Keith rapporte que Mlle Houle fait l’enseignement selon la Loi des Écoles. Les contri-buables mécontents deman-dent alors la création d’un deuxième district scolaire. Un autre inspecteur, S.M. Jean, explore cette nouvelle requête. Jean affirme dans son rapport qu’un deuxième district scolaire serait inutile: «le frère de l’institutrice, Omer Houle, avait apparem-ment signé la requête à la suite d’une querelle entre sa soeur et son épouse, et son geste visait en partie à forcer sa soeur à abandonner son poste; Adélard Éthier, de son côté, avait appuyé la requête après une dispute avec son frère Rémi au sujet de l’administration de l’école.»(3)

Mackie n’est pas satisfait des rapports des deux inspecteurs. Selon lui, Keith devait être un catholique: «l’école n’avait été, depuis ses débuts, qu’une “crèche à catholiques”, et que quiconque défendait un tel lieu devait lui-même être catholique.»(4) Raymond Denis et bien d’autres n’auraient cer-tainement pas été d’accord avec M. Mackie. Selon les Franco-canadiens de la Saskatchewan, Keith était le plus anti-français et le plus anti-catholique parmi les inspecteurs d’école.

Ne recevant justice du ministère de l’Instruction publique, William Mackie et Omer Houle se tournent vers le médecin de Wakaw, R.-G. Scott. À son tour, le docteur Scott écrit au premier ministre Martin pour faire état de la situation dans le district scolaire Éthier. Selon lui, Mackie, Houle et Adélard Éthier sont d’honnêtes hommes. De plus, il demande «la présence d’un commissaire
John G. Diefenbaker
Un jeune avocat de Wakaw, John G. Diefenbaker mène l'appel des deux commissaires de l'école Éthier en 1922.
Photo: Archives de la Saskatchewan

officiel, nommé par le gouvernement et chargé d’administrer l’école jusqu’à ce qu’on puisse corriger les abus.»(5) Scott termine sa lettre en signalant qu’il ne pourrait jamais y avoir de coexistence des deux langues dans un même district scolaire pour permettre aux deux de prospérer.

Le premier ministre répond que la nomination d’un commissaire officiel avait tendance à multiplier les tensions et que, puisque les Canadiens français faisaient un effort pour se conformer aux règlements de la Loi des Écoles, «la seule réponse à toute cette question était d’accorder quelques privilèges à la langue française.»(6)

N’ayant reçu satisfaction du premier ministre, William Mackie change son fusil d’épaule. Le 25 janvier 1922, il dépose une plainte formelle, contre Rémi Éthier et Léger Boutin, devant un juge de paix de Wakaw. «Les commissaires étaient tous deux accusés d’avoir permis l’enseignement du catéchisme avant la dernière demi-heure de la journée et l’usage du français comme langue d’instruction au-délà de la première année.»(7) Le 11 février 1922, les deux accusés se présentent devant le juge de paix où ils sont trouvés coupables d’avoir permis l’usage du français comme langue d’instruction et condamnés à 15 $ d’amende chacun et aux dépens. Le juge refuse de se prononcer sur la question du catéchisme.

Les deux accusés, appuyés de l’A.C.F.C. et du Patriote de l’Ouest, décident de faire appel au jugement. Ils demandent à l’avocat John G. Diefenbaker de mener leur appel. Diefenbaker prépare sa défense sur deux points: «la partie appellante niait les allégations de faits et, même si on parvenait à les prouver, aucune dérogation à la Loi des Écoles n’avait eu lieu.»(8) Les deux hommes se présentent devant le juge Doak de la Cour de District le 23 mai 1922. Onze témoins se présentent à la barre pour témoigner en faveur des accusés; la plupart sont des élèves. «Les deux enfants de William Mackie affirment, au contraire, que les classes et les explications de la maîtresse sont à peu près entièrement en français.»(9)

Dans son jugement, Doak maintient qu’il y avait vraisemblablement une prédominance du français à l’école Éthier. Par contre, il doit juger en faveur des appellants sur le deuxième point soulever par M. Diefenbaker; y a-t-il véritablement eu dérogation à la loi? Selon la Loi des Écoles, un commissaire peut être passible d’amende s’il refuse ou néglige d’accomplir un acte ou un devoir. Diefenbaker soutient toutefois que cette clause de la Loi est restreinte par ce qui la précède, c’est-à-dire «fournir une information, faire un rapport ou une déclaration par écrit au département.»(10) Le juge Doak partage l’opinion de John Diefenbaker. Même s’il est persuadé que Rémi Éthier et Léger Boutin sont coupables d’une violation flagrante de la loi, il renverse le jugement contre les deux hommes.

La situation ne se règle pas immédiatement. En 1923, le ministère de l’Instruction publique menace de nommer un commissaire officiel et Mackie continue de se plaindre, sans succès, pour quelque temps.

L'affaire de l'école Éthier est importante dans l'histoire de la Saskatchewan française parce que c'est la première fois que des commissaires d'école canadiens-français sont traduits en justice pour avoir permis l'enseignement du français.

L’affaire de l’école Moose Pond
L’arrivée en Saskatchewan du Ku Klux Klan vers la fin des années 1920 cause d’autres problèmes pour les francophones de la province. Le Klan est farouchement anti-français et anti-catholique. Le mouvement clandestin trouve vite des adeptes auprès de la population de souche britannique dans la province. On encourage les gens à se plaindre au ministère de l’Instruction publique contre «l’enseignement excessif du français et la présence de symboles religieux dans les écoles publiques.»(11) En 1928, ces plaintes aboutissent à des poursuites contre des commissaires d’école canadiens- français, comme à Moose Pond.

Moose Pond est un district scolaire dans la région de Willow Bunch dans le sud de la province. La population dans le district est mixte, francophone et anglophone. Jusqu'en 1927, les Canadiens français réussissaient rarement à élire plus d’un commissaire d’école. Lorqu’ils aboutissent avec deux des trois commissaires en 1927, ils décident d’engager une enseignante canadienne-française qui pourra offrir le cours de français conformément à la Loi des Écoles.

Si cette décision n’aurait causé aucun remue à un autre moment dans l’histoire de la province, ce n’est pas le cas en 1927. «Il est probable qu’en temps ordinaire la paix aurait continué à régner comme auparavant, mais c’était au moment où les chevaliers du capuchon, les K.K.K., rêvaient de révolutionner la province et d’en faire disparaître jusqu’au dernier vestige de l’enseignement du français.»(12)

En 1928, les choses se gâtent dans le district scolaire de Moose Pond. Selon Raymond Denis, les «chevaliers du capuchon» se réunissent à Constance, près de Moose Pond, pour parler de la question de l’école. À la suite de cette réunion, les commissaires du district scolaire de Moose Pond sont traduits en justice et accusés d’avoir enfreint la Loi des Écoles. Comme Rémi Éthier et Léger Boutin, ils sont accusés d’avoir autorisé «l’enseignement du français pour une période de temps dépassant celle prévue par la loi, et pour avoir également permis la conversation française durant les heures de classe et de récréation.»(13)

La cause doit être entendue à Verwood le 29 février 1928 devant le juge de paix Gunsen. Le choix du juge ne plait pas aux Canadiens français. On accuse Gunsen d’être membre du Ku Klux Klan et d’avoir assister à la réunion qui a eu lieu à Constance.

Le jour du procès, l’avocat de la défense fait deux objections: d'abord, la plainte n’est pas recevable à cause de la multiplicité des charges et deuxième-ment, les accusés ont été assermentés collectivement au lieu d’individuellement. L’avocat de la poursuite est prêt à accepter les arguments de la défense, mais le juge Gunsen refuse de les considérer. Il doit toutefois ajourner la séance puisque l’enseignante n’est pas présente pour répondre aux accusations.

Dans un article du Patriote de l’Ouest, on rapporte que les deux avocats se réunissent avec le juge après la session. La couronne accepte de laisser tomber toutes les accusations sauf une: «que l’institutrice se servait du français comme langue de communication avec ses élèves.»(14) L’enseignante nie cette accusation; elle «n’emploie le français que durant l’heure autorisée par la loi, ou avec les commençants.»(15)

Les deux avocats sont également d’accord que le cas est suffisamment important pour être jugé par un magistrat de police et non pas un juge de paix. Ils présentent leur recommandation au ministère de la Justice qui propose au juge Gunsen de se retirer en faveur du juge Martin de la cour du banc du roi. Le juge de paix de Verwood ne répond pas immédiatement à la requête du Procureur général, puis, il refuse de se retirer de la cause.

L’avocat de la couronne et son homologue de la défense se mettent à nouveau d’accord que c’est le juge Martin qui devrait entendre la cause et non pas le juge de paix Gunsen. «Le samedi suivant, le juge Gunsen, qui ouvre la cour à 10 heures du matin, ajourne le cas jusqu’à une heure de l’après-midi pour permettre au magistrat d’arriver. Mais que ce passe-t-il entre 10 heures et 1 heure?... Mystère!... Gunsen qui, à 10 heures, ajourne pour attendre le magistrat Martin, à 1 heure décide de siéger dans la cause et le magistrat Martin doit retourner à Weyburn.»(16)

Devant cette situation, les avocats se rendent à Moose Jaw où on questionne la compétence du juge Gunsen dans l’affaire devant un juge de la cour du banc du roi. Le juge Brown de Moose Jaw déclare que la partialité du juge de paix n’a pas été prouvée par la défense. La défense demande alors «l’autorisation d’interroger les témoins de la poursuite qui avaient assermenté les affidavits lus en témoignage en cour.»(17) Le juge Brown refuse cette requête. On se rend alors à la cour
William Martin et Walter Scott
William Martin et Walter Scott. En 1921, William Martin est premier ministre et également ministre de l'Instruction publique. En 1928, il est juge de la cour du banc du roi.
Photo: Archives de la Saskatchewan

d’appel de la Saskatchewan où l’ancien premier ministre de la province, William Martin, juge en faveur de la défense et l’autorise d’interroger les témoins.

Lors de cette interroga-tion à Moose Jaw, l’avocat de la défense ouvre à nouveau le cas de compé-tence du juge de paix Gunsen. Il faut retourner devant un autre juge de la cour d'appel de la Saskatchewan. Cette fois-là, le juge Taylor donne gain de cause aux commissaires d’école et interdit le juge Gunsen de siéger dans l’affaire de Moose Pond. Le juge Taylor, dans son jugement, signale qu’il aurait aimé savoir qui avait préparé les plaintes et quelle connaissance le juge en avait. Selon le Patriote de l’Ouest , «l’Hon. Juge Taylor est arrivé à la conclusion inévitable que toute l’affaire a été montée ou suggérée par le K.K.K. et que, par conséquent, un homme qui a prêté serment d’allé-geance à cette organisation
J.-T.-M. Anderson
Photo: Archives de la Saskatchewan
J.-T.-M. Anderson, premier ministre de la Saskatchewan de 1929 à 1934.

ne peut pas être impartial dans la cause.»(18)

Le cas traîne pendant de longs mois. Le Patriote de l’Ouest fait appel à la population de langue française de souscrire des fonds pour la défense des commissaires de Moose Pond. La population répond généreusement.

Éventuellement, la plainte est retirée et selon Raymond Denis, «si nos commissaires de Moose Pond eussent été seuls, ils auraient dû capituler parce qu’ils n’auraient eu ni l’argent nécessaire pour continuer les procédures, ni personne pour les conseiller.»(19)

Malgré cet échec, le Ku Klux Klan ne renonce pas à ses plans de transformer la province. En 1929, le Klan se joint aux conservateurs de J.-T.-M. Anderson pour assurer la défaite des libéraux de J.-G. Gardiner, le 6 juin 1929. Après sa victoire, Anderson passe immédiatement à l’attaque et supprime progressivement les droits des francophones et des catholiques dans les écoles publiques de la province. Certains de ces droits sont restaurés à la suite du retour au pouvoir des libéraux en 1934, mais la lutte est loin d'être finie.


Notes:

(1) Huel, Raymond, «L’enseignement du français dans les écoles publiques de la Saskatchewan, Une étrange dérogation aux dispositions de la Loi des Écoles dans l’Arrondissement scolaire d’Éthier #1834; 1921-1923», Perspectives sur la Saskatchewan française, Regina: Société historique de la Saskatchewan, 1983. p. 222.
(2) Ibid. p. 222.
(3) Ibid. pp. 222-223.
(4) Ibid. p. 223.
(5) Ibid. p. 223.
(6) Ibid. p. 224.
(7) Ibid. p. 224.
(8) Ibid. pp. 226-227.
(9) Ibid. p. 227.
(10) Ibid. p. 227.
(11) Ibid. p. 230.
(12) Denis, Raymond, Mes Mémoires, Volume deux, Copie du manuscrit aux Archives de la Saskatchewan, p. 242.
(13) Ibid. p. 242.
(14) Ibid. p. 243.
(15) Ibid. p. 243.
(16) Ibid. p. 244.
(17) Ibid. p. 244.
(18) Ibid. p. 245.
)19) Ibid. p. 246.


Bibliographie de la revue:

Huel, Raymond, L'Associa-tion Catholique Franco-Canadienne de la Saskatchewan: un rempart contre l'assimilation cul-turelle, 1912-1934, Regina: Association culturelle franco-canadienne de la Saskatche-wan, 1981. Traduction de René Rottiers.

Huel, Raymond, «L’enseignement du français dans les écoles publiques de la Saskatchewan, Une étrange dérogation aux dispositions de la Loi des Écoles dans l’Arrondissement scolaire d’Éthier #1834; 1921-1923», Perspectives sur la Saskatchewan française, Regina: Société historique de la Saskatchewan, 1983.

Lapointe, Richard et Tessier, Lucille, Histoire des Franco-Canadiens de la Saskatchewan, Regina: Société historique de la Saskatchewan, 1986.

Rottiers, René, Soixante-cinq années de luttes... Esquisses historiques de l'oeuvre de l'A.C.F.C., Regina: Association culturelle franco-canadienne de la Saskatchewan, 1977.





 
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