Contact
Société de la Saskatchewan
Société historique de la Saskatchewan

Revue historique: volume 3 numéro 2

Les battages en 1935

Source: Archives nationales du Canada
par Roland Pich�
Vol.3 - No.2, janvier 1993
Source
Source: Archives nationales du Canada

par Roland Pich�

Les battages! Ce mot excitant de mon enfance! Les battages ne durent que trois jours, une semaine tout au plus mais que d�activit�s. Mes fr�res, ma soeur et moi, � la grande fen�tre du salon, regardons les �batteux� s�acheminer vers notre ferme. Ils sont une douzaine d�hommes aux bras muscl�s conduisant leurs chevaux attel�s � des �racks� (des voitures dont les principales parties compos�es d�une charpente de bois de cinq pieds de haut, dix pieds de large et quatorze de long sont assises sur un train de voiture � grain). Suivent mon p�re, pr�pos� au transport du grain, et son attelage et enfin mon oncle Oscar, le propri�taire de la batteuse et du tracteur et directeur des travaux.
Aussit�t arriv� sur le terrain, vers dix-neuf heures, mon oncle aid� de mon p�re s�affaire � placer la batteuse en position et � aligner le tracteur. Une fois les roues de la batteuse bloqu�es, mon oncle Oscar d�croche le tracteur, lui fait faire un demi-tour et le recule d�une quarantaine de pieds en d�roulant la courroie d�actionnement large de dix pouces. Il passe la courroie sur la poulie de la batteuse, la tord � cent-quatre-vingt degr�s avant de l�enrouler autour de la poulie du tracteur. Pour augmenter la tension sur la courroie, il continue de reculer le tracteur. Il est important de bien aligner le tout correctement. Il est toujours dangereux de se blesser gravement quand une courroie de cette largeur quitte les poulies.
Sur le haut de la batteuse repose le souffleur, un tuyau de m�tal rond
Les battages
Les battages près de Sedley, Saskatchewan au début du siècle.
Photo: Archives de la Saskatchewan

d�un pied de diam�tre et long d�une quinzaine de pieds. Mon p�re tourne les deux petites roues qui contr�lent ses mouvements. La gueule du souffleur se dresse au-dessus de l�endroit choisi pour le d�p�t de la meule de paille. C�est fascinant!
Enfin, tout est pr�t! Mon oncle engage la poulie du tracteur. La courroie grince et la batteuse prend vie: les petites courroies bougent, les couteaux du chargeur tranchent les gerbes, le canevas roule, les sas remuent � gauche, � droite, en haut et en bas, les bras m�caniques cliquettent dans les deux sens et le souffleur gronde. Mon oncle et mon p�re compl�tent ensuite les travaux pr�paratoires pour le lendemain: faire le plein d�essence et d�eau, graisser les poulies, les essieux et les moyeux et r�parer les courroies.
Au lever du soleil, nous sommes d�j� debout et nous nous h�tons de faire nos travaux; nourrir les animaux, traire les vaches, et nettoyer les �curies et les �tables. Apr�s le d�je�ner, debout pr�s des cl�tures, impatients, nous guettons l�arriv�e du premier homme et de son attelage. Les �field men� responsables de lancer les gerbes aux hommes sur le haut de leur voiture, se rendent aux champs en automobile ou marchent. Les conducteurs de voiture s�arr�tent juste assez longtemps pour ramasser leur �field man�. Puis, ils se dirigent vers les champs et commencent imm�diatement leur t�che.
Une fois la voiture charg�e, c�est au conducteur de l�approcher aussi pr�s que possible de la table du chargeur sans toucher la batteuse. L�oncle Oscar le rappelle fortement � celui qui a la maladresse de heurter la table du chargeur. L�approche est plus compliqu�e et plus dangereuse encore lorsqu�un cheval fringuant et nerveux doit s�approcher de la courroie roulante. Le conducteur doit lancer ses gerbes sur le canevas roulant; vers le bas quand il commence, vers le haut quand il ach�ve. Celui qui laisse tomber une gerbe par terre entre la table et la voiture doit subir les taquineries embarrassantes de ses confr�res. Il faut travailler fort pour se maintenir au taux de consommation de la machine; assez souvent un deuxi�me homme aide au d�chargement. Habituellement, une ou deux voitures attendent leur tour.
Et c�est ainsi que se passe la journ�e; une procession continue de voitures qui s�approchent de la batteuse et d�chargent leurs gerbes. Le bl� (ou l�avoine ou l�orge) est d�vers� dans les bo�tes de grain que l�attelage de mon p�re transporte aux entrepots. Et la monticule dor�e de paille grossit � vue d�oeil.
Nous, les enfants aidons notre m�re et notre grand-m�re � placer deux cuves sur les tables, � l�ombre, et � les remplir d�eau; une pour se laver et l�autre pour se rincer. Au signal de l�oncle Oscar, les machineries s�arr�tent pour le d�ner. Les chevaux sont vite d�teler, attach�s en un lieu convenable, et nourris de paille et d�avoine distribu�e plus t�t par mon p�re. Nous regardons les �batteux� se savonner et se lancer de l�eau sur la figure et le torse. D�un commun accord, ils jettent sur le plancher les chapeaux et les casquettes et entrent dans la maison s�asseoir � la grande table.
Les hommes, avec app�tit et vitement mangent et boivent tout ce qui leur passe sous le nez. L��tiquette laisse � d�sirer mais c�est chacun pour soi. Si quelqu�un n�a pas le temps de se servir lorsque l�assiette passe, il s��l�ve un peu de sa chaise, �tend le bras et saisit ce qu�il peut; s�il en reste! Les bols de salades, de l�gumes, de pommes de terre, les plats de deux ou trois sortes de viande, la sauci�re et les cruches d�eau, de th� et de lait font le tour de la table. On mange beaucoup de pain et de beurre. Les dames s�emparent des plats et les remplacent au fur at � mesure qu�ils se vident.

Une équipe de «batteux»
Une équipe de «batteux» sur la ferme de F.X. Loiselle dans le district de Vonda en 1914.
Photo: Archives de la Saskatchewan
Les conversations sont d�cousues et presque silencieuses. Seul domine le bruit des couteaux, des fourchettes et des cuill�res.
Enfin les desserts! Deux ou trois sortes de tartes, coup�es en larges triangles; des morceaux de g�teau, tranch�s et pr�ts � manger; des bols de confitures et de fruits; et sans restrictions! Tout cela arros� de th� ou de caf� ou de lait.
Les hommes quittent la table sans tarder et fument une derni�re cigarette, puis ils continuent les travaux jusqu�aux derni�res lueurs du cr�puscule... avec arr�t en plein milieu de l�apr�s-midi pour une copieuse collation. C�est un autre repas que cette collation transport�e par �buggy� jusqu�� la batteuse: des paniers de sandwiches, des grands plats de g�teaux et des bidons de caf�.
Le soir ma m�re et mon p�re font le bilan de la journ�e. Ma m�re s�inqui�te tout haut de son service. A-t-elle servi assez de desserts? Assez de l�gumes? Mon p�re est tout heureux (ou malheureux) de constater le nombre de minots � l�acre obtenus. Nous les gar�ons r�dons autour de la batteuse maintenant silencieuse. Nous nous bousculons dans le melon de paille en �vitant de trop d�ranger la paille.
Et c'est ainsi que continuent les travaux pendant trois jours ou une semaine. Puis les chevaux et les hommes nous quittent pour un autre endroit. Le souffleur est rabattu sur le dos de la batteuse; la batteuse elle-m�me est tra�n�e derri�re le tracteur. La ferme devient silencieuse, terne, sans int�r�t. Tout est routine jusqu'� l'an prochain.

(M. Roland Pich� est natif de Gravelbourg, Saskatchewan. Il est le fils de Dieudonn� Pich� et d'Armande Gaudard. Il a fait ses �tudes �l�mentaires au Jardin d'Enfance de Gravelbourg. Il fait ensuite ses �tudes classiques au Coll�ge Mathieu de 1939 � 1946. Il habite maintenant Ottawa.)

Une �quipe de �batteux� sur la ferme de F.X. Loiselle dans le district de Vonda en 1914.
Photo: Archives de la Saskatchewan






 
(e0)