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Société de la Saskatchewan
Société historique de la Saskatchewan

Revue historique: volume 17 numéro 4

Lepage en Saskatchewan

par Louis J. Lepage et Pauline Lepage-Côté
vol. 17 - no 4, juin 2007
La communauté de Saint-Denis a vu le jour l'année de la fondation de la Saskatchewan, en 1905. Clotaire Denis, père, en fut l'un des premiers habitants. À partir de 1908, Saint-Denis a reçu des contingents de colons canadiens français et franco-américains. Avec le temps, le village aura son église, son école, son magasin général et son bureau de poste.

Le transfert des terres de la Compagnie de la Baie d'Hudson au gouvernement canadien en 1869 a ouvert la voie à la colonisation du Nord-ouest. À la fin du XIXe siècle, plusieurs colons belges, suisses et français, nobles et prêtres, sont arrivés dans l'Ouest. Puis, sous l'influence de l'Église catholique, l'arrivée de colons parlant français s'est intensifiée au début du XXe siècle.

En 1872, les colons pouvaient bénéficier de la Loi des terres du Dominion (Dominion Land Act), qui permettait à ceux qui le voulaient d'obtenir un homestead, un lot de colonisation de 160 acres, soit 64 hectares, de terres dans le Nord-Ouest. Le colon payait 10 $ pour l'inscription de son homestead ; la terre était gratuite. Au bout de trois ans, il devait avoir défriché 30 acres (12 hectares) et construit sa maison. Il ne recevait ses titres de propriété que si ces conditions étaient remplies.

En 1869, le gouvernement de John A. MacDonald adoptait le système américain des townships, ou cantons. Le Manitoba et le Nord-Ouest devenaient un immense damier et chaque canton avait 36 sections ou 640 acres (259 hectares), soit six milles carrés. Les townships étaient divisés en 36 sections qui, à leur tour, étaient divisées en quatre carreaux de 160 acres (64 hectares). Un homestead était un carreau de 160 acres.
(Source : Roland Lelièvre, émission radio.)


Préparé par: Louis J. Lepage tel que raconté par ses parents, Zénon Lepage et Rose Denis, d'après des notes que son père avait commencé à écrire en 1978. Une très belle histoire d'amour et de reconnaissance à ses parents et grands-parents Lepage, qui par tant de sacrifices en s'expatriant dans une province en développement pour offrir à leurs descendants une meilleure qualité de vie dans un avenir prometteur. Je vais essayer de vous faire un résumé de cette belle histoire d'une famille qui a été parmi bien d'autres Canadiens français à aller s'établir en Saskatchewan.

Zénon Lepage est né à St-Germain de Rimouski le 10 février 1903. Il était le fils de Louis Zénon et d'Athala Morrissette. Louis Zénon Lepage était né a Rimouski le 3 avril 1880. Il est décédé à Léoville, Saskatchewan le 5 septembre 1953.
Athala Morrissette, la mère du jeune Zénon, est décédée le 17 janvier 1907. Son père, Louis Zénon, s'est remarié à Albertine St-Pierre à Rimouski le 19 août de la même année. Zénon fils n'avait que quatre ans à la mort de sa mère et sa sœur Émilie en avait que trois. Étant trop jeune pour se souvenir de leur mère, ils ont considéré Albertine comme «mère».
Morrissette et Lepage
Athala Morrissette et Zénon Lepage, père, vers 1900. (photo: Louis Lepage)

Dix enfants se sont rajouté à la famille, Philippe (mort à la naissance), Marie-Hélène (1910-1999), Louis-Philippe (1911-1960), Paul-Émile (1913-1997), Adéoda (1914-1995), Armand (mort à la naissance), Berthe (1916-1980), Robert (1918-2000), Thérèse ( 1921——) et Maurice (1923-1990). Jusqu'en 1909, la famille Lepage est demeurée à Rimouski où Zénon, le père, travaillait comme ingénieur dans un moulin à scie, puis comme beurrier et barbier. Cette même année, la famille est déménagée à Fontenelle en Gaspésie où Zénon avait acheté un magasin.

Le déménagement s'est fait par navire « Le Gaspésien ». Zénon, fils, se souvient qu'en ce temps-là,
Zénon et Émilie
Zénon Lepage, fils de Zénon Lepage et Athala Morrissette, (né 1903) avec sa soeur Émilie (née 1904) vers 1906. (photo: Louis Lepage)
il n'y avait pas de port à Rimouski, donc les navires qui devaient prendre des passagers à Rimouski, ancraient au milieu du fleuve et les passagers étaient transportés du rivage aux navires en chaloupes. Ils devaient monter à bord à l'aide d'une échelle suspendue au navire. Zénon, fils, se souvenait d'avoir monté cette échelle juché sur les épaules de Zénon, son père.

À Fontenelle, après trois années dans le commerce, Zénon, père, a vendu son magasin et a acheté un lot en bois debout dans le 2e rang. Il a été obligé de défricher le terrain pour y construire une petite maison en bois sur une fondation de gros pins de 15 pouces de diamètre. Pendant l'hiver il abattait les arbres à la hauteur de la neige et le printemps venu, il ne restait que 3 à 4 pieds de haut à terminer d'enlever. Zénon, père, avait acheté une petite hache à Zénon, fils, qui n'avait que 9 ans. Ils partaient tôt le matin et ne revenaient qu'après la tombée de la nuit. À l'heure du midi, Zénon, père, faisait du feu et montait un trépied pour faire bouillir de l'eau pour faire du thé pour le repas qui consistait de pain recouvert de graisse (des grosses tranches de lard blanc. C'était bon, disait Zénon, fils. Le printemps venu, après avoir empilé les arbres abattus et ce qu'il y avait à brûler, le terrain était ensemencé à la main entre les souches, puis hersé avec une herse à ressort tirée par un cheval qu'il fallait conduire d'une main pour que l'autre puisse contrôler la herse entre les souches. Les récoltes de l'orge, du millet et du trèfle se coupaient avec la faucille.

En 1913, Zénon, père, s'est rendu en Saskatchewan pour faire la moisson. Il a acheté une demi section à Saint-Denis. À son retour au Québec, il a commencé les préparatifs du déménagement. En février 1914, la famille quittait Fontenelle pour ne plus y revenir.

En route pour la Saskatchewan, la famille Lepage comptait cinq enfants. Voici ce que Zénon, fils, a raconté dans son livre à propos de ce voyage: «La première journée, peu de temps après avoir passé Saint-Moïse, le tender a déraillé et le train a dû reculer de sept milles. Nous avons donc passé la première nuit à Saint-Moïse. Les wagons passagers avaient des sièges faits de lattes de bois à peu près de deux pouces de large. Ils étaient rendus bien durs après la première journée. Il y avait une fournaise à charbon à chaque bout du wagon et on y faisait réchauffer les repas que maman avait préparés pour le voyage. Dans le haut de chaque wagon, au-dessus des sièges, il y avait des compartiments pour dormir. J'en partageais un avec Émilie. Elle bougeait beaucoup et m'empêchait de dormir. Alors, sans avertir personne, j'ai déménagé dans un autre compartiment qui n'était pas occupé et je me suis vite endormi profondément. Au cours de la nuit, mon père a décidé d'aller voir si nous étions bien. Ne me trouvant pas, il a sonné l'alerte et tout le monde s'est mis à ma recherche. Le conducteur était sur le point de faire arrêter le train lorsqu'un brakeman a annoncé qu'il y avait un enfant qui dormait dans un compartiment dans un autre wagon. C'était bien moi! Il va sans dire qu'on m'a averti que ce n'était pas à recommencer.»
Denis et Lepage
Rose Denis, fille de Clodomir et Justa Haudegand de Saint-Denis, et Zénon Lepage, fils, vers 1930. (photo: Louis Lepage)

Il y a eu un arrêt d'une semaine à Winnipeg chez de la parenté. Arrivé à Vonda, il n'a pas été long de constater qu'il y avait peu de neige et beaucoup de vent, en plus de l'éloignement des maisons les unes aux autres, éparpillées partout. Et celles-ci n'étaient pas en rangées comme au Québec. Le lendemain de leur arrivée à Vonda, un monsieur Germain Lepage (aucun lien de parenté) est venu chercher la petite famille qu'il a amenée chez lui pour une semaine, le temps que la maison acheté l'année précédente soit prête. C'était une maison construite avec de la tourbe prise sur le bord des sloughs. Avec une charrue, la tourbe se découpait en lisière de 14 pouces de large par 3 pouces d'épais, en morceau de 20 pouces de longs, placés les uns sur les autres pour former les murs. Par contre, le plancher était en bois. Cette maison chauffée avec le poêle de la cuisine, en faisait une maison chaude. Ça n'a été que temporaire car la priorité a été de construire une maison en bois de 18 par 22 pieds le plus vite possible.
Maison à Batoche
Rose et Zénon Lepage devant le maison à Batoche en 1973. (photo: Louis Lepage)

Zénon Lepage avait apporté du Québec, une charrue, une herse, un disque (disker), une semeuse, trois bœufs, un cheval, des vaches, des cochons et des poules. Une moissonneuse-lieuse était incluse dans l'achat de la terre. Zénon, fils, n'avait que 12 ans et avait commencé à faire à peu près tous les travaux de la ferme, lorsque son père est tombé malade en 1917. Il se trouvait prêt à prendre la ferme en charge mais comme il n'était pas bien grand, lorsqu'il labourait, ses jambes n'étant pas assez longues pour s'appuyer sur le frame de la charrue, il était comme un pion sur le siège, ce qui donnait beaucoup de difficulté à se tenir en place.

En 1918, Zénon, fils, s'est installé sur un morceau de la terre que son père avait acheté avec une charrue à une oreille de 14 pouces et un attelage de bœufs et un cheval. Il y cassait deux acres par jour. L'année précédente, alors qu'il n'avait que 14 ans, il avait fait ce même travail à six milles de la maison paternelle. Il partait le lundi matin pour ne revenir que le samedi soir. De plus, il devait faire ses repas. Après avoir vendu cette terre en 1923, la famille Lepage s'est retrouvée à trois milles à l'Ouest de St-Denis, Saskatchewan. Pendant l'hiver de 1923-24, Zénon, fils, a acheté un livre sur les engins à combustion interne qu'il a étudié, de sorte que le printemps venu, il était accepté au poste d'ingénieur pour opérer la machine à battre et le tracteur, un Titan à deux cylindres.
Famille Lepage
La famille Lepage en 1955: 1re rangée: Yvette, Guy, Rose, Monique, Zénon, Sylvianne, Marie-Rose, Denis et Paul. 2e rangée: Albert, Louis, Lucille, Gérard, et Albertine. (photo: Louis Lepage)

C'est le 6 novembre 1930 que Zénon, fils, a marié, en l'église de St-Denis, Rose Denis, fille de Clodimir Denis et de Justa Haudegand. Ils ont eu une belle famille de 16 enfants: Guy, Albertine, Louis, Denis, Gérard, Albert, deux bébés morts nés, Lucille, Yvette, Marie-Rose, Paul, Sylvianne, Monique, Marc et Nicole. Parmi eux, Guy, Louis, Gérard, Albert, Paul et Marie-Rose sont membres de l'Association des Lepage.

À cause du manque de récolte et la dépression, la famille de Zénon, père, Lepage, à l'exception de Robert, a déménagé à Debden, Saskatchewan en 1932. Ce déménagement s'est fait à pied, à cheval et en wagon. Philippe, Robert et Buck (Adrien Laliberté) sont donc partis avec le trou-peau de bêtes à cornes. Suivait un wagon, un rack à foin tiré par des chevaux, un homme à pied derrière le troupeau et l'autre à cheval, prêt à aller récu-pérer un animal qui essaye-rait de laisser le troupeau. Les veaux avaient été chargés dans le rack et les vaches suivaient admirablement bien. Ils ont dû traverser la rivière Saskatchewan Sud et la Saskatchewan Nord sur des bacs. Ce n'était pas chose facile, car les bacs n'étaient pas assez grands pour prendre tout le troupeau. Il a fallu séparer les animaux en petits groupes. Ce déménage-ment s'est fait en deux semaines avec une moyenne de 20 milles par jour.
Élévateur
L'élévateur à grain National à Vonda. (photo: Louis Lepage)

En 1933, encore la sécheresse et une récolte manquée. Dès octobre, Zénon, fils, sa femme Rose Denis enceinte de 7 mois et le bébé Guy, âgé de 17 mois, ont pris la route pour Batoche, Saskatchewan. La petite famille a vécu bien des difficultés à cause de conditions pas toujours favorables, mais ça s'est replacée pas la suite. Ils ont fixé domicile sur la ferme de l'oncle Raymond Denis à Batoche et y ont passé dix ans.

En 1937, Zénon a été nommé Juge de paix à Batoche. N'ayant jamais eu à juger de cas, il remplissait des contrats et des certificats de naissance. À l'automne de la même année, Zénon et Rose ont obtenu leur première automobile, une Ford Model T 1923 à un coût de 50 $. En 1938, ils ont acheté leur premier tracteur, un Twin City sur roues de fer à un coût de 500 $.

Louis se souvient de cette époque à Batoche: «Le bois de chauffage: les hommes allaient chercher des arbres dans les bois près de la maison, des arbres de 5 ou 6 pouces de diamètres à la souche et de 25 à 30 pieds de long. Une fois les arbres rendus dans la cour, papa installait le tracteur, Twin City, sur la scie ronde. C'était une scie de 36 pouces en diamètre et toute la machine devait avoir 36 pouces de haut. Devant la scie, il y avait un rack qui basculait vers la scie, quand tout le monde était en place, deux hommes pour poser les arbres sur le rack et un autre pour ramasser le bois au fur et à mesure qu'il était coupé; 3 ou 4 arbres étaient placés sur le rack de sorte qu'ils déplaçaient la scie de 15 ou 16 pouces. L'homme en charge du rack le poussait et les arbres étaient coupés en de beaux morceaux uniformes ».

En 1940, Zénon a été engagé comme inspecteur pour le programme de Prairie Farm Assistance (Aide aux fermiers en difficulté) pour la région de Middle Lake, Saskatchewan. La même année, la première machine à laver avec un moteur gaz a été achetée par la famille Lepage.
maison de Denis
La maison de Raymond Denis à Vonda où la famille Lepage a déménagé en 1944. (photo: Laurier Gareau)
Il a fallu couper une section d'environ 6 pouces dans un rondin d'un mur de la maison pour passer le tuyau d'échappement. Ça faisait beaucoup de bruit, mais c'était mieux que faire les lavages à la main.

Puis, il y a eu l'achat de la première radio de marque Marconi. C'était pendant la guerre, donc ils pouvaient suivre le déroulement des informations sur une carte du monde placée sur un mur.

En 1943, la famille est déménagée à Vonda où Zénon avait accepté un emploi comme agent d'élévateur pour la compagnie National Grain.

Il y a eu un dernier déménagement en 1944, jusqu'à la retraite de Zénon, en 1970, après une longue carrière comme agent d'élévateur, agent d'assurance, et vendeur et installateur de paratonnerres. Louis écrit: «Au mois de juillet 1944, papa et maman ont acheté la maison de mon oncle Raymond Denis, là où la famille Steve Willet demeurait comme locataire. C'était vraiment mieux que chez Hnatyk, mais il n'y avait toujours pas de toilette ou d'eau courante, Pendant 10 ans, maman a rêvé de retourner à Batoche. Elle n'aimait pas demeurer au village et avait gardé un profond attachement à la ferme de Batoche avec ses grands bois et la rivière tout près.»
Zénon Lepage, fils, est décédé à Vonda le 4 mars 1987.

Rose Denis est décédée le 2 novembre 1995 au Foyer Ste-Anne à Saskatoon.
Le livre sur l'histoire d'amour de Zénon Lepage et Rose Denis, qui raconte la venue en Saskatchewan, les beaux comme les mauvais moments de leur vie avec de touchants témoignages de leurs proches: Louis, Madeleine C. Lepage, Marie-Rose, Lucille, Paul, Guy, Gérard, Albertine, Nicole, Monique, Yvette, Sylvianne, Albert et Johanne M. Buissière, incluant une très belle collection de photos anciennes, quel bel hommage rendu à des parents exceptionnels!
Félicitations à cette belle famille Lepage.

Les paroles s'envolent mais les écrits restent. (Proverbe français)

Cet article, publié d'abord dans la revue Pages des Lepage de l'Association des Lepage d'Amérique est reproduit avec l'autorisation de Louis J Lepage, du président de l'Association des Lepage d'Amérique Inc, Charles Lepage, et de la recherchiste-rédactrice du journal, Pauline Lepage.





 
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