Des histoiresLe suffrage fémininUn bout d'histoire....(64) Pour se débarasser des suffragettes. Le ministre de l'Intérieur en Angleterre, M. McKenna, paraît s'être enfin avisé du véritable bon moyen de débarasser son pays du fléau des suffragettes; il propose de déporter tout simplement sur des rives lointaines, dans un milieu moins sensible à leurs exploits, ces viragos peu désirables. Le Patriote de l'Ouest le 10 avril 1913 Le mouvement pour établir l'égalité entre les hommes et les femmes perdure depuis des siècles, mais c'est surtout depuis le début du XXe siècle que la femme a réussi à faire une véritable perçée dans un monde qui se voit beaucoup trop dominé par les hommes. En Amérique du Nord, un seul territoire avait reconnu la femme comme égale à l'homme avant le XXe siècle; le territoire du Wyoming avait admis au suffrage toutes femmes dès 1869. Ce droit accordé aux femmes du Wyoming a même été entériné dans la constitution de l'état en 1889. Au Canada, les femmes devront attendre jusqu'à la première guerre mondiale avant d'obtenir le vote. Au début du siècle, le mouvement du suffrage féminin canadien, mené par des femmes comme Nellie McClung, Agnès Macphail et Emily Howard Stowe, est souvent rattaché aux mouvements de tempérance (prohibition) même si on voudrait lui donner une allure plus grande. «Nellie McClung disait que les femmes devaient utiliser leur droit de vote pour consolider la vie de famille, améliorer les conditions de vie à la campagne et en ville et obtenir l'égalité avec les hommes.»(1) Fait intéressant à noter, la prohibition est adoptée dans toutes les provinces canadiennes avant même que les femmes obtiennent le droit de vote. «Avec l'initiative de la Saskatchewan en 1915, toutes les provinces, sauf le Québec, adoptèrent en 1916 la prohibition dans les limites de la juridiction provinciale. Le Québec, en 1918, passa une loi prohibitionniste, mais celle-ci fut remplacée par une loi plus faible avant que la première devienne effective.»(2) Bien sûr, la prohibition sera obtenue durant la guerre grâce au travail des femmes, même si elles n'ont pas encore le droit de vote. Malheureusement, une fois qu'elles auront le suffrage, les femmes canadiennes ne pourront rien faire pour assurer que les lois de prohibitions (provinciales et fédéral) ne soient pas une à une abolies au début des années 1920. C'est dans l'Ouest canadien que les femmes réussissent à premièrement gagner le droit de vote: en 1916, les gouvernements des trois provinces des prairies accordent le droit de vote aux femmes. L'année suivante, d'autres provinces (l'Ontario et la Colombie-Britannique) accordent le suffrage aux femmes et même le premier ministre fédéral, Robert Borden, en fait autant: «En 1917, cherchant des appuis en faveur de la conscription, le Premier ministre du Canada Robert Borden présenta au Parlement sa loi des Élections en temps de guerre. Cette loi, fort controversée, accordait le droit de vote aux parentes des soldats se battant en Europe et, en même temps, l'enlevait à un grand nombre de Canadiens nés à l'étranger... Au début de 1918, Borden étendit à toutes les femmes le droit de vote.»(3) Une fois le droit de vote obtenu, la prochaine étape, pour les femmes canadiennes, est de gagner le droit de siéger à la Chambre des communes à Ottawa et dans les législatures provinciales. C'est en 1919 qu'une première femme est élue à l'assemblée législative de la Saskatchewan. «Mme Ramsland a été élue député de Pelly, battant le caporal Whelan, candidat indépendant du comté. Veuve de l'ancien représentant du comté, elle était la candidate du gouvernement... Le résultat de l'élection a causé un certain émoi. Les partisans du caporal Whelan, désappointés de leur échec, prétendent que leur candidat a obtenu la majorité dans tous les districts où les électeurs de langue anglaise dominent et que Mme Ramsland doit son élection au vote 'étranger'. Des scènes de désordre se sont produites à Kamsack le jour de l'élection. Des 'étrangers' ont été maltraités; les quartiers généraux de l'élue ont été bombardés à coups d'oeufs.»(4) Malheureusement même si elles ont le droit de vote et de siéger au Parlement et dans les législatures canadiennes, les femmes ne sont pas encore reconnues comme des «personnes». Nombreux sont les politiciens et autres hommes de l'époque qui maintiennent que l'article 24 de la Loi de l'Amérique du Nord britannique ne reconnaît pas les femmes comme «personnes». Ce sont Nellie McLung, Emily Murphy, Henrietta Muir Edwards, Louise McKinney et Irene Parlby qui, en 1927, ont demandé à la Cour suprême du Canada de clarifier cette question. En avril 1928, la Cour (composé exclusivement d'hommes) se prononce contre les cinq femmes. Même si le gouvernement libéral promet d'amender la constitution pour permettre la nomination de femmes au sénat, il ne fait rien. En 1929, les femmes se rendent donc devant le Conseil privé à Londres pour défendre leur cause. En octobre 1929, le Conseil privé renverse le jugement de la Cour suprême du Canada et reconnaît les femmes comme étant des «personnes» au même titre que les hommes. La lutte pour le suffrage féminin est menée au Canada par les anglophones; le Québec est la dernière province à accorder le droit de vote aux femmes, en 1940. Dans la prochaine chronique, on parlera de l'attitude du clergé vis-à-vis cette question. (1) Hallett, Mary, «Un combat qui ne finit jamais», Horizon Canada, Saint-Laurent (Qué): Centre d'Étude en Enseignement du Canada, Inc. 1984. Volume 1, No. 10, p. 233. (2) Decarie, Graeme, «Mon pays, mouillé ou sec», Horizon Canada, Saint-Laurent (Qué): Centre d'Étude en Enseignement du Canada, Inc. 1984. Volume 1, No. 6, p. 139. (3) Hallett, Mary, op. cit., p. 232. (4) Le Patriote de l'Ouest, le 6 août 1919. Sources: Decarie, Graeme, «Mon pays, mouillé ou sec», Horizon Canada, Saint-Laurent (Qué): Centre d'Étude en Enseignement du Canada, Inc. 1984. Volume 1, No. 6. p. 139. Hallett, Mary, «Un combat qui ne finit jamais», Horizon Canada, Saint-Laurent (Qué): Centre d'Étude en Enseignement du Canada, Inc. 1984. Volume 1, No. 10. p. 233. Le Patriote de l'Ouest, le 6 août 1919. Si dans l'Ouest canadien, les femmes obtiennent le droit de vote durant la première guerre mondiale, sa consoeur canadienne-française dans le Québec catholique devra attendre jusqu'en 1940 pour gagner le même privilège. Pour le clergé catholique canadien-français, le suffrage féminin serait une menace à la survivance culturelle du peuple. Au Québec, c'est grâce aux efforts de femmes comme Thérèse Casgrain que la femme québécoise gagne enfin le droit de vote en 1940. Deux ans plus tard, en 1942, Mme Casgrain devient la première femme canadienne-française à se présenter comme candidate lors d'élections fédérales. Comme candidate libérale-indépendante elle est défaite, mais elle poursuit une longue carrière en politique. Elle devient plus tard chef du parti CCF au Québec. Dans l'Ouest canadien, les femmes canadiennes-françaises suivent les directives de leur curé et ne s'impliquent pas dans les mouvements de suffragettes. La position du clergé est souvent exposée dans les pages du Patriote de l'Ouest, un journal qui ne se gêne pas d'afficher ses couleurs catholiques. Si en 1912 la position du journal semble être plutôt favorable au suffrage féminin, il en est tout autre en 1916 à la veille de l'affranchissement des femmes de la Saskatchewan. En 1912, le Patriote de l'Ouest croit que le suffrage féminin aurait même des effets bienfaisants sur la politique. «Le Northwest Review cite le témoignage de quelques évêques américains et de plusieurs notables en faveur du suffrage féminin. On assure que là où les femmes exercent le droit de vote, elles ne se mêlent point de politique active et que leur influence se montre plutôt bienfaisante.»(1) Avant cette date, les femmes de l'état du Wyoming sont les seules avec le droit de vote sur le continent nord-américain; ce n'est qu'en 1925 que cet état élira une première femme gouverneur. Puisqu'en 1912, les femmes ne semblent pas s'être mêlées de politique, là où elles ont le droit de vote, les évêques américains peuvent ainsi être favorable au suffrage féminin. Deux ans plus tard, en 1914, l'archévêque de Cincinnati et l'épouse d'un ex-président américain se prononcent publiquement contre le vote pour les femmes et semblent réorienter la position du Patriote de l'Ouest. «Une lettre de S.G. Mgr Moeller archevêque de Cincinnati, Ohio, engage toutes les femmes catholiques à lutter avec courage et vigueur contre tout mouvement en faveur du suffrage féminin. Le digne archevêque, conforme en cela à la doctrine de l'Église, soutient que ce mouvement de suffragiste fait perdre à la femme son titre de reine du foyer, et lui enlève la dignité et le respect qui conviennent à la mère de famille.»(2) Dans ce même article du Patriote de l'Ouest, les Franco-Canadiennes de la Saskatchewan apprennent que l'épouse de l'ex-président américain, William H. Taft, s'oppose elle aussi au suffrage féminin. «Mme William H. Taft, femme de l'ex-président des États-Unis, se joint à la ligue anti-suffragiste et combat de toutes ses forces le suffrage féminin. Cette ligue compte plus de 10,000 femmes.»(3) C'est en janvier 1916 que le Patriote de l'Ouest informe ses lecteurs du dépôt prochain à l'Assemblée législative de la Saskatchewan d'un projet de loi visant à accorder aux femmes de la province le droit de vote. «Après l'Alberta et le Manitoba, la Saskatchewan sera appelée à se prononcer sur la question du suffrage féminin... Il est certain que la femme ne gagnera rien au changement, qu'elle y perdra même beaucoup si elle abandonne la souveraineté du foyer pour l'arène politique.»(4) Le rédacteur du Patriote de l'Ouest a maintenant adopté le langage de Mgr Moeller dans ces articles: 'reine du foyer' et 'souveraineté du foyer'. Bien sûr, le clergé catholique de l'Ouest canadien continue d'être confiant de son influence sur les femmes canadiennes-françaises. «Le type suffragette ne sera jamais, Dieu merci! l'idéal des Franco-Canadiennes. Que la population anglo-protestante ait fait suffisamment d'agitation pour amener cette mesure devant le parlement, voilà un fait dont elle n'a guère lieu d'être fière. 'Suffrage universel, bétise universelle' c'était déjà pourtant assez évident.»(5) Toutefois, malgré cela, le mouvement du suffrage féminin fait son chemin et le Manitoba est la première province à adopter une mesure donnant le vote aux femmes. «La législature du Manitoba a adopté la loi du suffrage féminin. Ces dames pourront voter, devenir 'députées' (au féminin) et même 'ministresses'. Quant à faire! Et voilà même qu'on parle de proposer cette mesure au parlement fédéral.»(6) Comme le dit l'article cité plus haut, les Franco-Canadiennes de la Saskatchewan n'ont jamais eu l'idéale suffragette. Toutefois, il faut se souvenir que les femmes canadiennes-françaises de l'Ouest ne sont pas les seules femmes qui demeurent indifférentes au mouvement du suffrage féminin. «Les chefs du mouvement de suffrage, sauf dans les prairies, se plaignaient généralement que leur plus grande pierre d'achoppement n'était pas l'hostilité des hommes mais plutôt l'apathie des femmes.»(7) (1) Le Patriote de l'Ouest, le 14 novembre 1912. (2) Le Patriote de l'Ouest, le 23 avril 1914. (3) Ibid. (4) Le Patriote de l'Ouest, le 20 janvier 1916. (5) Ibid. (6) Le Patriote de l'Ouest, le 3 février 1916. (7) Grolier of Canada Limited, Encyclopedia Canadiana, Toronto: Grolier of Canada Limited, 1966. Volume 10 «Woman Suffrage», p. 351. (Traduction) Sources: Grolier of Canada Limited, Encyclopedia Canadiana, Toronto: Grolier of Canada Limited, 1966. Le Patriote de l'Ouest, le 14 novembre 1912, le 23 avril 1914, le 20 janvier 1916 et le 3 février 1916. |
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