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Société historique de la Saskatchewan

Revue historique: volume 3 numéro 4

Le dimanche au Jardin de l'enfance

par Roland Piché
Vol.3 - No.4, mai 1993
par Roland Piché

Dès la création du Collège Mathieu, les religieux séculiers et oblats sont soucieux du besoin d'offrir une éducation aux tous petits. Les Soeurs Oblates ouvrent donc un Jardin de l'enfance sur le campus principal du Collège Mathieu. Ce n'est qu'en 1929, à la veille de la crise économique qu'un nouvel édifice, situé près de la Cathédrale, est construit pour abriter le Jardin de l'enfance. Au cours des années, des centaines de garçons recevront leur éducation élémentaire avec les Soeurs Oblates. Un ancien du Jardin de l'enfance, M. Roland Piché d'Ottawa, nous raconte ici des souvenirs de ses jours passés au Jardin de l'enfance de Gravelbourg.


Pendant les années '30, au petit village de Gravelbourg, Saskatchewan, trois écoles se partagent la clientèle scolaire: l'école publique ou le couvent qui admet une clientèle mixte (quelques filles à titre de pensionnaires), le Jardin de l'enfance, école privée dirigée par des religieuses oblates pour les garçons de six à douze ans, (ce sont les jardiniers), un certain nombre à titre de pensionnaires et le collège pour les garçons âgés de douze ans et plus.

Le premier édifice du Collège Mathieu
Photo: Archive de la Saskatchewan
Le premier édifice du Collège Mathieu allait servir comme Jardin d?enfance durant les années 1920. Aujourd?hui, cet édifice est la résidence des garçons. (Collection: Réal Forest

De tous les jours de la semaine, le dimanche est tout à fait spécial pour les jardiniers. Les heures de classe sont remplacées par des heures passées en prières, tellement que les dimanches ne représentent pour les jardiniers qu'une journée d'exercices religieux. Du lever jusqu'au coucher, chaque exercice en entraîne un autre.

Dès six heures du matin, le son de la cloche nous éveille. Nous nous lavons et nous nous vêtissons le plus rapidement possible; puis, les bras croisés, nous descendons à la chapelle en silence. Nous récitons les prières du matin et assistons bien pieusement... à la messe. Suit le déjeuner de soupane (espèce de gruau léger) précédé et suivi d'une prière. On nous permet ensuite d'aller jouer dehors pour une heure après s'être assuré que chacun porte sa salopette, casquette et pardessus. L'heure terminée, la cloche nous appelle à l'intérieur. On se débarbouille, on passe la brosse sur nos vêtements et on se fait peigner les cheveux... séparés sur un côté, par la religieuse responsable.

Tout cela est important; il faut bien paraître à la grand'messe de l'église paroissiale où, tous les dimanches, nous nous rendons en colonnes de deux par deux supervisés par deux religieuses une à l'avant et l'autre à l'arrière. Le dimanche matin, les enfants du jardin entrent toujours par la sacristie à l'arrière de l'église.

Nous prenons place dans le choeur de l'église vêtus de nos soutanes et surplis, en compagnie des séminaristes, des prêtres de la paroisse et de Mgr l'Évêque. Les religieuses surveillent nos comportements de leur banc tout près de la balustrade; après la messe, une déviation de notre part, tel un coup de coude ou un chuchotement, est suivie d'une forte semonce et parfois d'une punition. Un jour, je dois m'absenter du choeur pour des raisons personnelles. Où vas-tu? me chuchote Jean-Luc. Tu es fou!

- Tu parles, lui dis-je, il faut que je sorte.

- Eh bien, si tu ne passes pas la récréation enfermé, je mangerai ma chemise.

Évidemment, la prophétie de Jeanluc se réalisant, j'eus le loisir de méditer pendant un bon trente minutes, des avantages de la rétention...

Cette punition n'est rien à côté de celle de Gilles qui s'est caché dans le vestiaire pour éviter de se rendre à l'église. Blotti dans un coin, il y est resté pendant toute la messe; c'est qu'il en a copié des pages du dictionnaire pendant les heures de récréation la semaine suivante!

Après la messe d'une durée de près de deux heures, nous retournons au Jardin de l'enfance pour la visite tant souhaitée des parents; nous les voyons arriver de la salle de récréation et vite nous nous précipitons au parloir au signal de la religieuse-portière. Vingt minutes plus tard, nous devons nous quitter.

- Passe une bonne semaine, Roland, me dit ma mère. Sois un bon garçon. Nous te reverrons dimanche prochain.

En 1929,les Soeus Oblates
Photo: Laurier Gareau
En 1929,les Soeus Oblates font construire un nouveau Jardin d? enfance près de la Cathèdrale.

les psaumes de l'ancien testament récités en latin d'une façon monotone par les séminaristes. Jean-Paul et Françoise se sont glissés des petits billets doux sans

- que la religieuse s'aperçoive de leurs

manoeuvres. L'office desvêpres terminé, il est suivi de la Bénédiction du TrèsSaint Sacrement; encore uneautre demiheure heure et tout sera fini. Heureusement, il ya de l'activité dans le choeur de l'église (chandelles à allumer, encensoir à agi-

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Photo: Laurier Gareau une dernière fois à la chapelle pour les Embrasse-nous bien fort! tance aux vêpres à l'église; passage au prières du soir; elles nous semblent

J'ai peine à retenir mes sanglots etje vestiaire pour se mouiller les cheveux et passablement longues et monotones et lui réponds: se les faire peigner encore une fois par la toujours récitées dans la pénombre. En-

-Je veux aller chez-nous, m'agrip- religieuse surveillante. Puis, la mise en fin, le coucher. Nous terminons la jourpant à son manteau. rang et le départ pour l'église dans le née un peu comme nous l'avons

-Mais on ne peut pas aujourd'hui. même ordre qu'au matin - une religieuse commencée; nousfaisons nos ablutions,

Et de sa voix la plus douce, elle me à l'avant, nous les enfants, puis une disons une dernière prière surveillée et dit encore: deuxième religieuse à l'arrière. Il y a de préparons nos vêtements pour le len-

- Dans deux semaines, nous vien- petites bousculades, des taquineries et demain. dronstechercher pour lecongé dumois. des cueillettes de fleurs de karaganas. Et c'est ainsi que nous passons la Je te ferai un beau gâteau au chocolat. Quelques minutes avant la rentrée à journée du dimanche, les exercices reli-

Et puis nous nous quittons. J'aurais l'église, mon ami Jean-Paul me glisse gieux étant la seule constante. Quelle tant voulu les accompagner que j'en dans la confidence: journée! Nous sommes marqués à japleurais encore vingt minutes plus tard. -Laisse-moi m'asseoir au fond du mais. Doit-on s'étonnerque noussoyons

Je descends au réfectoire. Suit le banc; j'ai quelques mots à dire à ma un peu rebelles? Qui, de nos jours, pendîner au menu bien ordinaire (une soupe petite amie, Françoise; d'ailleurs elle se serait imposer une telle règlementation à aux légumes, des choux, un pâté chinois placera tout près de nous. de jeunes enfants? Il y a un juste milieu et un dessert de pruneaux). Aujourd'hui, Je souris tout en imaginant la teneur entre une règlementation excessive et je ne peux pas manger la salade aux de son message. un laissez-aller également excessif, mais choux assaisonnée d'un condiment qu'il Nous cueillons les graines dures des ce n'est pas au jardin que nous en avons m'est impossible d'avaler; je tente plu- arbres devant l'église, les mettons dans eu l'expérience.

sieurs fois mais en vain; les choux me nos poches où sans élever nos bras de Et pourtant, je garde de bons souverestent dans la gorge. A la fin du repas, peurd'êtrevusparla religieuse, nous les firs de ces années au Jardin de l'enla religieuse me semonce: lançons vers nos compagnons devant fance. J'ai connu des périodes doulou-

- Enfant gâté! Reste assis et mange nous. Nous arrivons à l'église pour pren- reuses, c'est vrai. Mais je hume encore ce qu'il y a dans ton assiette! dre place, trois par trois, dans des bancs les fleurs de karaganas et les odeurs de

Jen'ypeux rien. Aubout d'une heure, réservés pour nous à l'avant près des sacristie avec une certaine nostalgie. sa patience est à bout et elle m'ordonne balustrades delacommunion. Jean-Paul J'ai fait la connaissance de camarades de quitter le réfectoire. se glisse au fond du banc, jette un regard dont l'amitié m'est chère. Et lorsque vers

Je sors à l'extérieur pour quelques à sa droite et aperçoit Françoise; au la fin de l'après-midi, je déambule sur le minutes. A peine le temps de commen- même moment, Françoise se retourne. vieuxtrottoir,jemerevois surleparvis de cer un jeu; la cloche nous rappelle au Unléger mouvement delamain etelle se l'église posant unregard langoureux mais vestiaire pour nous débarbouiller et faire place au fond du banc elle aussi; les calme vers l'immensité des plaines de nos toilettes avant de monter à la salle deux sourient. Que c'est beau l'amour! l'Ouest.

d'étude. L'aumônier fait la lecture de Nous ouvrons nos missels aux pa- (M. Roland Piché est natif de l'Évangile de la journée suivie d'une ges indiquées, jetons un coup d'oeil vers Gravelbourg. Il est le fils de Dieudonné courte explication. J'avoue n'avoir rien ladroite oùsont assises lescouventines; Piché et d'Armande Gaudard. Il fait des compris, des petits sourires, c'est tout ce qu'il études au Jardin de l'enfance avant de

Puis, nous descendons à la salle de nous faut pour encourager la communi- faire son cours classique au Collège récréation pour nous préparer à l'assis- cation. Nous suivons tant bien que mal Mathieu.)

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Embrasse-nous bien fort!

J'ai peine à retenir mes sanglots et je lui réponds:

-Je veux aller chez-nous, m'agrippant à son manteau.

-Mais on ne peut pas aujourd'hui.

Et de sa voix la plus douce, elle me dit encore:

- Dans deux semaines, nous viendrons te chercher pour le congé du mois. Je te ferai un beau gâteau au chocolat.

Et puis nous nous quittons. J'aurais tant voulu les accompagner que j'en pleurais encore vingt minutes plus tard.

Je descends au réfectoire. Suit le dîner au menu bien ordinaire (une soupe aux légumes, des choux, un pâté chinois et un dessert de pruneaux). Aujourd'hui, je ne peux pas manger la salade aux choux assaisonnée d'un condiment qu'il m'est impossible d'avaler; je tente plusieurs fois mais en vain; les choux me restent dans la gorge. A la fin du repas, la religieuse me semonce:

- Enfant gâté! Reste assis et mange ce qu'il y a dans ton assiette!

Je n'y peux rien. Au bout d'une heure, sa patience est à bout et elle m'ordonne de quitter le réfectoire.

Je sors à l'extérieur pour quelques minutes. A peine le temps de commencer un jeu; la cloche nous rappelle au vestiaire pour nous débarbouiller et faire nos toilettes avant de monter à la salle d'étude. L'aumônier fait la lecture de l'Évangile de la journée suivie d'une courte explication. J'avoue n'avoir rien compris.

Puis, nous descendons à la salle de récréation pour nous préparer à l'assistance aux vêpres à l'église; passage au vestiaire pour se mouiller les cheveux et se les faire peigner encore une fois par la religieuse surveillante. Puis, la mise en rang et le départ pour l'église dans le même ordre qu'au matin - une religieuse à l'avant, nous les enfants, puis une deuxième religieuse à l'arrière. Il y a de petites bousculades, des taquineries et des cueillettes de fleurs de karaganas. Quelques minutes avant la rentrée à l'église, mon ami Jean-Paul me glisse dans la confidence:

-Laisse-moi m'asseoir au fond du banc; j'ai quelques mots à dire à ma petite amie, Françoise; d'ailleurs elle se placera tout près de nous.

Je souris tout en imaginant la teneur de son message.

Nous cueillons les graines dures des arbres devant l'église, les mettons dans nos poches où sans élever nos bras de peur d'être vus par la religieuse, nous les lançons vers nos compagnons devant nous. Nous arrivons à l'église pour prendre place, trois par trois, dans des bancs réservés pour nous à l'avant près des balustrades de la communion. Jean-Paul se glisse au fond du banc, jette un regard à sa droite et aperçoit Françoise; au même moment, Françoise se retourne. Un léger mouvement de la main et elle se place au fond du banc elle aussi; les deux sourient. Que c'est beau l'amour!

Nous ouvrons nos missels aux pages indiquées, jetons un coup d'oeil vers la droite où sont assises les couventines; des petits sourires, c'est tout ce qu'il nous faut pour encourager la communication. Nous suivons tant bien que mal les psaumes de l'ancien testament récités en latin d'une façon monotone par les séminaristes. Jean-Paul et Françoise se sont glissés des petits billets doux sans que la religieuse s'aperçoive de leurs manoeuvres. L'office des vêpres terminé, il est suivi de la Bénédiction du TrèsSaint Sacrement; encore une autre demiheure et tout sera fini. Heureusement, il y a de l'activité dans le choeur de l'église (chandelles à allumer, encensoir à agiter, ostensoir à exposer à l'adoration des fidèles et hymnes O Salutaris Hostia et Tantum Ergo à psalmoldier en latin). Enfin tout est fini. Et c'est la sortie joyeuse et même bruyante de l'église.

Retour au Jardin, collation au pain et jus de pruneaux au réfectoire suivie d'une heure d'étude. Enfin le souper. Puis nous nous amusons à l'intérieur ou à l'extérieur: croquinole, ping pong, conversations, lectures, jeu de balles, ballon, tag. Vers sept heures, les enfants se rendent une dernière fois à la chapelle pour les prières du soir; elles nous semblent passablement longues et monotones et toujours récitées dans la pénombre. Enfin, le coucher. Nous terminons la journée un peu comme nous l'avons commencée; nous faisons nos ablutions, disons une dernière prière surveillée et préparons nos vêtements pour le lendemain.

Et c'est ainsi que nous passons la journée du dimanche, les exercices religieux étant la seule constante. Quelle journée! Nous sommes marqués à jamais. Doit-on s'étonner que nous soyons un peu rebelles? Qui, de nos jours, penserait imposer une telle règlementation à de jeunes enfants? Il y a un juste milieu entre une règlementation excessive et un laissez-aller également excessif, mais ce n'est pas au jardin que nous en avons eu l'expérience.

Et pourtant, je garde de bons souvenirs de ces années au Jardin de l'enfance. J'ai connu des périodes douloureuses, c'est vrai. Mais je hume encore les fleurs de karaganas et les odeurs de sacristie avec une certaine nostalgie. J'ai fait la connaissance de camarades dont l'amitié m'est chère. Et lorsque vers la fin de l'après-midi, je déambule sur le vieux trottoir, je me revois sur le parvis de l'église posant un regard langoureux mais calme vers l'immensité des plaines de l'Ouest.

(M. Roland Piché est natif de Gravelbourg. Il est le fils de Dieudonné Piché et d'Armande Gaudard. Il fait des études au Jardin de l'enfance avant de faire son cours classique au Collège Mathieu.)





 
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