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Société de la Saskatchewan
Société historique de la Saskatchewan

Revue historique: volume 11 numéro 3

Le Cas Mercure

par Laurier Gareau
Vol. 11 - no 3, mars 2001
Il était une fois, un curé de campagne qui a entrepris une cause qui allait chambarder l'histoire de notre province. Son nom: André Mercure, o.m.i. La plupart des Fransaskois et de nombreux avocats, francophones comme anglophones, connaissent i histoire au Cas Mercure. Du moins, ils connaissent le nom du père Mercure. Malheureusement, il y a peu d'écrits à son sujet et au sujet de cette célèbre cause; il y a les plaidoyés des avocats, les décisions des juges et les quelques articles publiés dans les journaux de l'époque, mais il n'y a jamais eu une étude approfondie de cette cause. Admettons que le Cas Mercure ne date pas de 1910, ni de 1925. C'est une histoire relativement récente, mais une histoire qui risque d'être reléguer aux oubliettes, si nous ne nous assurons pas que les Fransaskois s'en souviennent demain et dans un demi-siècle. C'est pour cette raison que l'Association des juristes d'expression française de la Saskatchewan a décidé d'instituer un prix en son honneur.

Qui était André Mercure? Fils d'Adrien Mercure et d'Antoinette Labrecque, il est né à Montréal le 29 décembre 1921. Il est arrivé dans l'Ouest, à Lebret en Saskatchewan, en 1942 pour faire son scholasticat. Ordonné Oblat de Marie-Immaculée le 18 décembre 1948 à Chambly au Québec, sa première obédiance a été au Collège Saint-Jean d'Edmonton où il est demeuré jusqu'en 1961. Puis, il est devenu curé de paroisse dans le nord-ouest de la Saskatchewan, à Cabana, Makwa, Meota, Glaslyn et Cochin et à la paroisse Ste-Anne à Edmonton.

Le R.P. André Mercure
Photo: Archives provinciales de l?alberta
Le R.P. André Mercure, o.m.i.

Fier francophone, le père Mercure s'est dévoué, tout au long de sa vie, au développement des jeunes francophones. Il a été celui qui a donné l'impulsion à la fondation de l'Association des Scouts francophones de la Saskatchewan. Pendant douze ans, il a aussi été le coeur et l'âme des voyages S.E.V. ou Saskatchewan Étudiante Voyage, l'aventure d'une génération de jeunes Fransaskois.

Il n'est donc pas surprenant que ce soit le père André Mercure qui ait bouleversé l'histoire de la Saskatchewan au point où elle est redevenue, pendant quelques courts mois en 1988, une province bilingue.

Le Cas Mercure commence de façon malheureuse pour notre curé de campagne en novembre 1980. Ii est arrêté par un membre de la Gendarmerie Royale du Canada pour excès de vitesse. Il est vrai que le père Mercure pouvait avoir le pied pesant lorsqu'il était au volant. Il reçoit une contravention, mais... Attention! La contravention est rédigée uniquement en anglais!

Il consulte son avocat, un francophone de North Battieford, Maître Raymond Biais et ils décident de poursuivre cette affaire en cours et d'exiger un procès en français. En même temps, ils allaient forcer les tribunaux à rendre un jugement sur le statut légal du français dans la province.

Ce type de contestation était populaire à cette époque. Au Manitoba, Georges Forest avait exigé un procès en français. Ici en Saskatchewan, l'avocat Louis Stringer de Gravelbourg avait fait une requête semblable, en mars 1980, pour un client accusé d'ivresse au volant. Quelques mois plus tôt, l'Association culturelle franco-canadienne de la Saskatchewan avait annoncé qu'elle allait étudier le statut légal du français dans la province. En effet, l'historien René Rottiers de Regina leur avait ouvert la porte avec la publication, en 1977, de son Esquisse historique de l'oeuvre de I'ACFC dans laquelle il soutenait que le lieutenant-gouverneur des Territoires du Nord-Ouest, l'honorable Joseph Royal, n'avait jamais signé, en 1892, un amendement à l'article 11 de l'Acte des Territoires du NordOuest qui proposait abolir le français à l'assemblée et devant les tribunaux des territoires.

Donc, tôt en 1981, devant le juge Deshaye de la Cour provinciale de la Saskatchewan à North Battleford, le père André Mercure et Maître Raymond Blais ont demandé un procès en français. De plus, ils ont demandé que les statuts suivants leur soient remis en français: The Vehicle Act; The Summary Offences Procedures Act; The Interpretation Act; The Saskatchewan Evidence Act; et The Provincial Court Act.

Selon Maître Blais, son client avait droit à ces documents en français en fonction de la Loi de la Saskatchewan de 1905. En effet, l'Acte de l'Amérique du Nord Britannique de 1867 et l'Acte des Territoires du NordOuest, tel qu'amendé en 1886 garantissaient:

1) l'usage du français devant les tribunaux;

2) que le procès puisse se dérouler en français, à la demande de l'accusé;

3) que le juge puisse comprendre et diriger le procès dans cette langue;

4) que les statuts soient disponibles en français.

Cette requête était basée sur l'article 110 de l'Acte des Territoires du Nord-Ouest qui avait été le fondement de l'Acte de la Saskatchewan de 1905. Selon l'avocat de la couronne, l'article 110 n'était plus en vigueur et, que même s'il l'était encore, sa portée était très limitée.

Dans son jugement rendu le 15 avril 1981, le juge Deshaye reconnaissait que l'article 110 était bel et bien encore en vigueur car on n'avait pas clairement éliminé cet article en adoptant l'Acte de la Saskatchewan en 1905. Selon lui: «it would in my opinion require clear words to that effect. I can find no provision in the Saskatchewan Act which can be interpreted as having such an effect.» Mais, même s'il reconnaissait que l'article 110 était encore en vigueur, le juge Deshaye a seulement accordé au père Mercure le droit à un interprète à son procès. De plus, il ajoutait: «I therefore conclude that the defendant has no basis on which to insist that provincial legislation be printed in both English and French.» Il en arrivait à cette conclusion parce qu'à son avis le pouvoir de rédiger des statuts relevait de l'Acte de la Saskatchewan et non pas de l'Acte des Territoires du Nord-Ouest.

Le père André Mercure et Maître Raymond Blais ont décidé d'en appeler de la décision du juge Deshaye. Quatre ans se sont écoulés avant que la Cour d'appel de la Saskatchewan rende un jugement dans cette affaire. Le 29 octobre 1985, les juges de la Cour d'appel ont appuyé la décision du juge Deshaye. La prochaine étape pour le père Mercure était donc de faire appel à la Cour suprême du Canada. Maître Biais était confiant que la Cour suprême accepterait d'entendre cette cause puisqu' elle avait une portée très large et pourrait avoir des répercussions sur plusieurs provinces et territoires.

Toutefois, la santé du père Mercure préoccupait les leaders de la francophonie canadienne. Il avait été diagnostiqué avec un cancer. Le 15 avril 1986, le Conseil d'administration de l'ACFC a donc décidé de demander à la Cour suprême d'intervenir dans cette cause. Plusieurs

avocats soutenaient alors que le Cas Mercure pourrait se poursuivre advenant sa mort avec d'autres intervenants comme 1'ACFC.

Heureuse décision pour la communauté fransaskoise car deux semaines plus tard, le 29 avril 1986, le père André Mercure est décédé. L'appel du jugement Deshaye s'est poursuivi devant la Cour suprême du Canada avec l'ACFC comme nouvel intervenant. D'autres associations francophones, et anglophones se sont ajoutées à la liste d'intervenant. En décembre 1987, la juge Claire L'Heureux-Dubé a accepté que l'Association canadienne-française de l'Alberta et l'Alliance Québec interviennent avec 1'ACFC dans le Cas Mercure. Le Cas a été entendu par la Cour suprême du Canada en décembre 1987. Son jugement a été rendu en février 1988, une semaine seulement après le jugement Wimmer qui accordait aux Fransaskois le droit de gérer leurs écoles.

Le 25 février 1988, la Cour suprême du Canada a reconnu que l'article 110 de l'Acte des Territoires du Nord-Ouest avait bel et bien été incorporé dans l'Acte de la Saskatchewan de 1905 et que cet article était donc encore en vigueur. Le français avait encore un statut légal à l'Assemblée législative et devant les tribunaux de la province. De plus, les lois de la province devaient être adoptées en anglais et en français. Toutes les lois adoptées depuis 1905 n'étaient donc pas valides.

Mme Irène Chabot
Photo: Collection Collège Mathieu
Comme le père Mercure, Mme Irène Chabot avait reçut une contravention écrite uniquement en anglais au début des années 1980.

Le plus haut tribunal du pays laissait toutefois une porte de sortie à la province. Puisque les droits des francophones ne font pas partie de la constitution de la Saskatchewan, l'Assemblée législative de la province pourrait, si elle le voulait, «adopter une loi pour abroger l'article 110 et ainsi continuer la Saskatchewan dans ses traditions unilingues.»

À la fin mars 1988, 1'ACFC a proposé au gouvernement Devine certains amendements pour garantir les droits des francophones à l'Assemblée législative et devant les tribunaux. De plus, elle a suggéré un échéancier pour la traduction des lois en français. La province a répondu à 1'ACFC le 4 avril par le dépôt du projet de la Loi 2 visant à abroger l'article 110. Le nom de Bob Andrew, ministre de la justice à l'époque, est le plus associé à la Loi 2. Les droits des francophones étaient dorénavant remis entre les mains du Cabinet ou de l'Assemblée législative. La Saskatchewan aura été province bilingue pour un peu moins de deux mois.

S'il avait été vivant en 1988, le petit curé de campagne aurait été bien fier du cheminement de sa cause, même s'il aurait été déçu de l'aboutissement final de cette affaire. S'il était vivant aujourd'hui, comment réagiraitil à la situation des francophones de la Saskatchewan? Il est donc très important de se souvenir du père André Mercure et de la cause qui porte son nom.





 
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