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Société historique de la Saskatchewan

Des histoires

Lac des Prairies

L'histoire de la région du lac des Prairies, aujourd'hui nommé Meadow Lake, remonte à un passé lointain. Les affrontements sanglants entre la Compagnie du Nord-Ouest et la Compagnie de la Baie d'Hudson au début du XIXe siècle avaient forcé cette dernière à ouvrir en pleine forêt une piste depuis l'Île-à-la-Crosse jusqu'à Green Lake, le long de la rivière Beaver, et de là jusqu'au fort Carlton.
Des rouliers métis y exerçaient un des seuls métiers en accord avec leur tempérament aventureux. Ils effectuaient le charroi des fourrures et des marchandises de traite en charrettes. Le terrain avait été exploré sur une bonne dizaine de lieues de part et d'autre de la piste, car les Métis cherchaient des territoires de chasse et de pêche pour se nourrir en cours de route, ainsi que des pâturages pour leurs animaux. Le lac des Prairies était donc régulièrement fréquenté, malgré sa situation un peu éloignée à l'ouest de la piste.

En 1889, une bande de Cris s'installe sur une réserve au nord-ouest du lac. Un groupe de familles métisses mené par Cyprien Morin y établit alors un poste de traite de la Compagnie de la Baie d'Hudson. Pendant trois décennies, les Métis se livrent à la traite, à la chasse, à la pêche, au jardinage et à l'élevage à petite échelle. Mais en 1919, après deux années de sécheresse, un feu de forêt embrase un immense territoire depuis la rivière Saskatchewan -Nord jusqu'au lac Peter Pond, sur une largeur de 250 kilomètres. Les animaux à fourrure disparaissent et le reste de la faune souffre. En revanche, la région s'ouvre plus facilement à la colonisation, car les bois touffus ont été rasés et les grands arbres, élagués par les flammes, peuvent être aisément abattus. Les colons arrivent d'abord un à un, puis de plus en plus nombreux, de telle sorte que toutes les bonnes terres sont déjà prises en 1929.

C'est à ce moment que la sécheresse chasse des centaines de familles de leurs terres et de leurs ranches dans les zones les plus durement touchées du sud et les oblige à chercher refuge au nord. Mais dans les quelques districts encore libres, le sol est souvent mince et peu fertile. Qu'importe, car ici au moins, on peut vivre de la chasse, de la pêche, de la cueillette des baies sauvages, du jardinage et de la vente du bois de construction et de chauffage.

À l'extrémité sud-est du lac des Prairies, des homesteads restent encore à prendre. C'est de ce côté que s'orientent quelques dizaines de colons de langue française durant la première moitié des années 1930. Le district a déjà été baptisé Hard Valley – pour rappeler que la vie est dure – mais il recevra le nom de Cabana, en l'honneur du missionnaire oblat qui y fait construire la première église. Les pionniers portent des noms comme Beaubien, Bombardier, Chaillée, Coderre, Cornet, Dubois, Dupuis, Émond, Fontaine, Gagnon, Gilbert, Gingras, Lafond, Lavoie, Lefort, Lemaire, Million, Paradis, Prudat, Roger, Roy et Vallière. Ces familles sont venues dans des circonstances à peu près semblables. Les péripéties du voyage et de l'installation de deux d'entre elles donnent une bonne idée des difficultés auxquelles ont fait face toutes les autres.

Un agriculteur québécois, Louis-Amédée Beaubien, son épouse Marie-Victoire et leurs trois jeunes enfants s'installent en 1900 à Cantal, au sud-est de la Saskatchewan. Les hivers sont pénibles, par suite de la pénurie de bois de chauffage et de la cherté du charbon. Ils prennent donc à bail un ranch à Saint-Victor vers 1910. Ils y vivront une bonne vingtaine d'années. Mais deux faillites consécutives des récoltes en 1929 et 1930 les obligent à chercher des terres dans des contrées mieux arrosées. À l'automne de 1930, Amédée et son frère Arthur, lui aussi père de famille et installé à Saint-Victor, prennent la décision d'entreprendre un voyage d'exploration en compagnie d'un voisin. À bord de la Dodge de ce dernier, ils se rendent d'abord en Alberta, dans les contreforts des Rocheuses. Mais on leur affirme que ce district ne se prête guère à la culture du grain: il pleut trop souvent et les gelées hâtives endommagent le grain encore sur pied. Pourquoi alors ne pas revenir vers la Saskatchewan et jeter un coup d'oeil dans le coin de Meadow Lake? Quelques jours d'exploration leur suffisent: c'est là qu'il faut s'établir!

À la fin de mai 1931, Amédée et son épouse retiennent les services d'un camionneur de Saint-Victor pour transporter leur «butin» – les meubles, la literie, des vêtements, d'autres effets personnels, des poules et... une vache – jusqu'au lac des Prairies. Mais la vache est trop lourde et le camion se balance dangereusement; il faut donc faire descendre la vache avant de partir pour de bon. Il n'existe encore aucune route pavée et le trajet s'effectue sur des routes de gravier et des pistes de terre. À Meadow Lake, les Beaubien apprennent qu'un ranch vient d'être abandonné à l'extrémité sud-est du lac. C'est une belle occasion, car l'ancien propriétaire y a laissé une maison encore habitable, une écurie et des enclos. Un petit étang marécageux qui se trouve tout à côté est baptisé «Le Petit Lac». En juin, on confie au fils unique le soin d'aller chercher le bétail et le matériel agricole à Saint-Victor; son oncle Arthur l'accompagne. Toute la machinerie, des chariots, sept chevaux et onze têtes de bétail sont chargés dans deux chars de chemin de fer à Willow-Bunch, la gare la plus proche. On se réserve un petit coin pour pouvoir dormir à l'aise. Cette partie du voyage ne dure que deux jours, mais on est encore loin du but, car le train s'arrête à Glaslyn, à 80 kilomètres au sud de Meadow Lake. Après avoir placé tout le matériel à force de bras sur un chariot, les deux hommes se mettent en route. L'oncle mène les quatre chevaux attelés au chariot tandis que le neveu, à dos de cheval, pousse le bétail dans la bonne direction. À la brunante, ils font halte.

Le lendemain matin, ils se rendent compte que tous les animaux, sauf un cheval de selle «enfargé», sont partis à l'aventure. Heureusement, le bétail n'est pas allé bien loin; mais les chevaux demeurent introuvables. Après deux jours de recherches futiles, les hommes se remettent en route, laissant là le chariot. L'un doit aller à pied pendant que l'autre, à cheval, fait avancer le bétail. Le reste du trajet prend deux jours et demi. Au Petit Lac, on célèbre les retrouvailles par un bon repas, car les voyageurs n'avaient qu'un peu de pain et des sardines en boîte pour se nourrir en chemin.

On apprend quelques jours plus tard que les chevaux ont été retrouvés à une bonne dizaine de kilomètres à l'ouest de l'endroit où l'on avait fait halte. Le fils d'Amédée repart aussitôt les chercher, à cheval, avec un compagnon. Le fermier qui a trouvé les chevaux et les a soignés reçoit quelques dollars, et les deux amis vont reprendre le chariot qu'on avait dû abandonner. Une semaine s'est écoulée, mais rien ne manque au chargement. Les habitants de la région ne sont pas riches, mais il ne leur serait jamais venu à l'idée d'ajouter aux infortunes de la famille en dérobant quoi que ce soit. Le reste du voyage se déroule sans incident.

Le déménagement de la famille et des biens d'Arthur Beaubien est prévu pour plus tard à l'automne. L'expérience est bonne conseillère et le voyage en train de Willow-Bunch à Glaslyn, et en chariot de là jusqu'au homestead s'effectue sans contretemps. On érige à la hâte une cabane de bois rond pour la famille.

Pour survivre durant ce premier hiver, les nouveaux arrivants coupent et fendent du bois de chauffage. Ils reçoivent 2,50 $ la corde – une vraie corde, mesurant 8 pieds de longueur, 4 pieds de largeur et 4 pieds de hauteur, les bûches étant coupées en tronçons de 16 pouces de longueur. Ils charroient aussi des milliers de «dormants», c'est-à-dire des traverses pour les tramways de Saskatoon. Ces grosses pièces de bois équarries sur deux faces ont été laissées en tas au Petit Lac par un entrepreneur forestier. Il faut les charger sur un traîneau, 130 ou 150 à la fois, les amener au village de Meadow Lake à une distance de sept kilomètres en passant sur le lac gelé, et ensuite les mettre en piles le long de la voie ferrée: tout cela pour la somme faramineuse de 4 sous chacun! Néanmoins, avec les années, les Beaubien parviennent à mettre sur pied de très belles exploitations agricoles.

Le train et l'automobile ne sont pas les seuls moyens de transport utilisés par ceux qui tentent d'échapper aux tempêtes de poussière dans le sud. C'est ainsi que la famille Roy fait le trajet Dollard-Meadow Lake en 13 jours, dans des chariots tirés par des chevaux. De même, la famille Paradis vient en 21 jours depuis le petit village de Claydon, au sud-ouest de la province.

Le hameau de Cabana prend lentement forme. Les habitants érigent une école de bois rond en 1934. L'année suivante, un marchand fait construire un magasin qui sert aussi de bureau de poste. L'église St-Gérard est construite la même année. Des troncs d'arbre abattus tout près de là sont transportés à la scierie locale et débités en grosses pièces carrées. Celles-ci, chevillées les unes aux autres, forment des murs épais. Mais les belles années ne dureront pas longtemps. Bon nombre de gens de Cabana partent travailler dans les usines de l'Est du pays durant la Seconde Guerre mondiale. Le village périclite lorsqu'on ferme l'école en 1957. Le magasin et le bureau de poste disparaissent au début des années 1960 et l'église est finalement abandonnée en 1970.

(adapté de Heritage Memories, Meadow Lake Diamond Jubilee Heritage Group, North Battleford, 1981, passim)





 
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