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Société de la Saskatchewan
Société historique de la Saskatchewan

Revue historique: volume 9 numéro 4

La Saskatchewan et ses médecins canadiens-français

par Laurier Gareau
Vol. 9 - no 4, avril 1999
Peu de temps après sa nomination au poste de premier archevêque de Regina, en 1911, Mgr Olivier -Elzéar Mathieu a reconnu l'importance de faire établir dans la province de la Saskatchewan des jeunes hommes d'éducation qui pourraient agir comme les chefs de la grandissante population canadienne-française. Il s'est alors tourné vers son ancien alma mater, l'Université Lavai, pour recruter des centaines de jeunes avocats, enseignants et médecins.

Aujourd'hui, nous vivons la crise de santé avec de multiples fermetures d'hôpitaux. La centralisation des soins de santé se fait souvent au détriment des petits villages. Au tout début du siècle, toutefois, les moyens de transport n'étaient pas ce qu'ils sont de nos jours. La présence d'un médecin dans presque chaque village était un besoin essentiel. C'était aussi le cas pour les petits hôpitaux.

Mgr Olivier-Elzéar Mathieu
Photo: Archive de la Saskatchewan
Mgr Olivier-Elzéar Mathieu, premier archevêque de Regina.

Nombreux ont été les médecins d'expression française qui ont répondu à l'appel de l'ancien recteur de l'Université Lavai et nouvel archévêque de Regina, Mgr Mathieu. On na qu'à penser aux docteurs Soucy, Paré et Lavoie mentionnés dans l'article du Patriote de l'Ouest.

Certains médecins, comme les docteurs Narcisse-Honoré Touchette, Victor Bougeault, Jules Hamelin et François-Pierre Moreau avaient même précédé Mgr Mathieu et pratiquaient déjà la médecine dans la province depuis plusieurs années quand Mgr Mathieu y est arrivé en 1911.

Qu'ils aient été recrutés par Mgr Mathieu ou non, tous ces médecins ont joué un rôle de «leadership» auprès de la communauté francophone de la province. Ils ont presque tous été impliqués dans les cercles locaux de la Société St-Jean-Baptiste, les premiers regroupements locaux de lACFC et même comme commissaire d'école.

Côte à côte avec les, membres du clergé, les médecins francophones n'ont pas tardé à former l'élite francophone que cherchait Mgr Mathieu.

Le docteur Roméo Paré
Photo: Dusty Trails, Abandoned Rails
Le docteur Roméo Paré

Voici donc l'histoire de quelques médecins francophones qui ont marqué le passé de la communauté francophone.

Philippe E. Lavoie
Le docteur Philippe Lavoie est né dans la province de Québec en 1886. II a passé sa jeunesse à Rimouski, puis a poursuivi des études en médecine à l'Université Lavai où il a obtenu son diplôme en 1913. La même année, il s'est dirigé vers l'Ouest et a été certifié comme médecin en janvier 1914.

Il a établi sa première pratique dans le petit village de Montmartre. En 1915, il a épousé Marie De Lourde Paquette. Plus tard, il s'est installé à Prelate et, en 1934, il est devenu le médecin des gens du Nord lorsqu'il a déménagé sa pratique à l'Île-à-la-Crosse. Pendant 19 ans, il a soigné les résidents des localités éloignées dont Beauval, Buffalo Narrows, Canoe Lake, Dillon et La Loche. Il a voyagé d'un endroit à l'autre d'abord en canot ou en traîneau tiré par chien ou cheval, et par la suite en bateau à vitesse, en motoneige ou en avion. Il s'est occupé des Indiens et a accompagné les agents du ministère des Affaires indiennes au temps de la distribution de l'argent des traités pour voir aux besoins en santé des Cris et des Chipewyans.

En 1953, il a pris sa retraite à Meadow Lake où il est mort en février 1954 à l'âge de 68 ans.

Joseph Roméo Paré
Né dans la ville de Québec le 1er mars 1886, Joseph Paré a fait ses études à l'Université Laval. Fils d'une famille pauvre, le jeune homme a dû travailler sur les bateaux pour payer son éducation. Diplômé de Lavai en 1913, il a suivi certains confrères de classe et est venu s'établir en Saskatchewan. Détenteur d'un certificat lui permettant de pratiquer dans la province, il a établi sa première pratique dans le petit village de St-Antoine-des-Prairies (Storthoaks).

Quelques mois seulement après son arrivée à Storthoaks, il a commencé à s'impliquer dans les affaires de lACFC locale. Le 10 mai 1914, il était orateur invité à une rencontre de l'ACFC locale. «Les gens sur l'invitation de M. le curé Ferland se sont rendus en grand nombre et ont écouté attentivement les orateurs. Ceux-ci se sont efforcés de démontrer que l'A.C.F.C. est une société vraiment nationale et patriotique et ils ont tellement convaincu leur auditoire que tous ceux présents vinrent payer leur contribution. Les orateurs furent le Docteur Paré de St. Antoine, M. J. -B. Paradis, secrétaire du cercle local, et le principal et non le moindre, M. le curé Nap. Poirier, membre du comité général de l'A.C.F.C.»'

En 1916, ii a épousé une veuve, Léonie Bourget Chicoine, et a adopté ses jeunes enfants. Puisque c'était la guerre, il s'est inscrit dans l'armée où il a atteint le rang de capitaine. Sa fille, Irène, est née à Québec alors qu'il était outre-mer.

Après la guerre, Joseph Paré s'est installé au Manitoba pendant quelques années. En 1924, il est revenu en Saskatchewan et a établi une nouvelle pratique à Lintlaw dans la région de Kelvington.

Lorsque le docteur Touchet a pris sa retraite en 1937, Joseph Paré est venu le remplacer comme médecin à Duck Lake. Il était le seul médecin dans un district qui comptait deux réserves indiennes. En 1959, il a pris une retraite bien méritée et a déménagé en Colombie-Britannique. Il est mort à New Westminster en 1965.

Narcisse-Honoré Touchet
Le docteur Narcisse-Honoré Touchet a été médecin à Duck Lake pendant 31 ans, de 1907 à 1938. Son territoire comprenait non seulement la région immédiate de Duck Lake, mais également les régions de Carlton, Batoche et Marcelin, ainsi que les réserves indiennes Beardy et One Arrow. À cette époque, comme la plupart des médecins exerçant leur profession en Saskatchewan, le docteur Touchet était également appelé à être dentiste et vétérinaire.

Narcisse-Honoré Touchet est né à StÉtienne dans le comté de Beauharnois au Québec, le 15 décembre 1876. Son' père, Narcisse Touchet, était cultivateur à StÉtienne. Le jeune homme a fait ses études primaires dans son village natal, puis il s'est rendu au Collège de Montréal pour faire son cours classique. En 1899, Narcisse Honoré Touchet s'est inscrit à la Faculté de médecine de l'Université Laval à Montréal d'où il a reçu son doctorat en 1903.
docteur Touchet
Photo:Université d'Ottawa
Le docteur Touchet et son père devant la résidence des Touchet à Duck Lake. (Collection Georges E. Michaud)


La même année qu'il a terminé ses études, Narcisse-Honoré Touchet a épousé Honorine Gagné de St-Louis- de-Gonzague, comté Beauharnois. «Le père du Dr. Touchet leur offrit en cadeau de noces quelques biens utiles, lesquels représentaient par la même occasion la part d'héritage de son fils, soit: un cheval, un 'boghei', une robe de carriole en fourrure et un capot de chat sauvage. »(2)

Puis, le docteur Touchet a commencé sa carrière dans son village natal de St-Étienne. Vers 1906, le père Vachon, wî missionnaire à Prince Albert et l'oncle du docteur Touchet, lui a annoncé que le médecin de Duck Lake avait décidé de retourner en France et qu'un jeune ambitieux pourrait acheter sa résidence et prendre sa pratique à un prix très raisonnable. Le curé de Prince Albert a également vanté les mérites de l'Ouest canadien et des terres disponibles pour 10$ le carreau.

En 1907, Narcisse-Honoré Touchet, sa femme et ses trois enfants ont quitté le Québec pour venir s'établir à Duck Lake en Saskatchewan. Ils étaient également accompagnés par la famille de Mme Touchet, les Gagné de St-Louis-de-Gonzague. Le docteur Touchet a acheté la propriété et la pratique du docteur précédent pour 2 500$. «Également, il fit l'acquisition d'un hôtel à Duck Lake qu'il opère durant trois ans environ. Son beau-frère, J. -Eugène, s'occupait de vendre la boisson au bar. Il en coûtait $2.00 pour louer une chambre à cette époque. »

Le docteur et madame Touchet ont eu quatorze enfants (les trois plus vieux sont nés au Québec). En 1938, à la demande de ses enfants, le docteur Touchet a décidé de regagner le Québec. Seulement un fils est demeuré en Saskatchewan: l'abbé GeorgesÉmile Touchet qui était, en 1938, le curé de Duck Lake.

Durant son séjour en Saskatchewan, le docteur Touchet a été très impliqué dans les affaires francophones. En plus d'être un des membres fondateurs de 1'ACFC en 1912, le docteur a été une force derrière le Patriote de l'Ouest. Il a été l'administrateur de la Bonne Presse, la compagnie qui gérait le journal, pendant plusieurs années.

Le docteur Victor
Photo:Life as it Was, Prud'homme
Le docteur Victor Bourgeault.

Victor Bourgeavit
Le docteur Victor Bourgeault est né à St-Cuthbert, Québec, le 15 mars 1863. Il était le fils d'Antoine Bourgeault et Virginie Catherine Romillard. Comme les autres jeunes hommes de son temps, il a fait ses études à l'Université Lavai. Ses études terminées, il a épousé Angeline Rousseau en 1885 avant de se rendre à Georgevilie, Rhode Island, pour faire son internat. Son premier fils, Victor, est né aux États-Unis en 1886.

La famille Bourgeault est ensuite revenue au Québec où le docteur semble avoir été obligé de déménager d'un village à l'autre pour faire sa vie puisque ses autres enfants sont nés à St-Liboire (Berthe et Blanche), St-Pie (Jeanne), StValérien (Florence) et St-Urbain


(Gaspard). En 1900, c'était un autre déménagement, cette fois pour l'Ouest canadien et le village florissant de Duck Lake, Saskatchewan.

Victor Bourgeault s'intéressait, non seulement à la médecine, mais aussi aux affaires. Son intérêt dans l'agriculture a motivé un autre déménagement en 1904, au nouveau village de Marcelin, quelque 50 kilomètres au nord-ouest de Duck Lake. Là, il s'est installé sur un homestead, le carreau SE32-45-5-W3.

En 1907, la maison du docteur Bourgeault à Marcelin était évaluée à plus de
1 900$, une somme fabuleuse pour l'époque. En plus de pratiquer la médecine, Victor Bourgeault a travaillé avec son fils, Victor, à la ferme. Ils avaient dix-sept têtes de bétail et dix chevaux.

Toutefois, les hommes Bourgeault, père et fils, n'étaient pas satisfaits d'être de simples fermiers. Ils rêvaient de se lancer en affaires. Vers 1910, ils ont fait construire et meubler un hôtel dans le village de Marcelin. Mais, avant qu'ils aient pu ouvrir les portes de cet établissement, trois autres hommes ont ouvert leur propre hôtel et ont obtenu la licence pour vendre de l'alcool à Marcelin. Les Bourgeault ont loué leur hôtel à Jane Crowe Macdonald qui a ouvert un restaurant.

Les Bourgeault ont alors tourné leur attention vers un autre commerce. Le docteur était propriétaire d'une vieille bâtisse à Duck Lake, un vieux magasin. En 1911, ils ont embauché des hommes qui ont démoli le magasin, transporté les planches à Marcelin et reconstruit un nouvel édifice, une quincaillerie. Victor, fils, a opéré ce magasin jusqu'en 1913; puis il est déménagé à Blame Lake, 13 kilomètres au sud de Marcelin où il a ouvert une autre quincaillerie.

Puis, c'était la guerre de 1914. «Le Dr.Bourgeault se porte volontaire; il est envoyé outremer, en Serbie, où il y a un grand besoin d'aide médicale. Ensuite, il est stationné à Paris, France. »(4)

À son retour au Canada après la guerre, Victor Bourgeault s'est installé à Prud'homme où il a remplacé le docteur Martial Lavoie qui avait décidé d'aller remplacer le docteur Soucy à Gravelbourg. Sa première femme, Angeline Rousseau, est morte à Saskatoon en 1935. Plus tard, il a épousé Hermine Dumont.

Le docteur Victor Bourgeault est mort à Sas katoon en janvier 1941.

Arsène Godin
Photo: Archives de la Saskatchewan
Le docteur Arsène Godin.

Arsène Godin
Arsène Godin est né à L'Acadie, Québec, le 4 mai 1880. En 1905, il était président de l'association des étudiants du Collège de médecine quand il a reçu son diplôme. Il est parti pour la Saskatchewan en 1907 et s'est établi à Willow Bunch. À cette époque, il n'y avait pas un seul hôpital dans tout le sud-ouest de la province. «Dès 1909, le Dr Godinfonde un modeste hôpital qui peut accueillir une dizaine de patients.»(5) Durant l'épidémie de grippe espagnole, en 1918, le docteur Godin a réalisé qu'il pourrait faire encore mieux. «Il prend la décision de se spécialiser en radiologie et en chirurgie, et il part 'poursuivre des études chirurgicales à New York et à Paris qui en firent un spécialiste distingué et recherché. '»(6)

À son retour à Willow Bunch, il a décidé de moderniser l'hôpital Pasteur. «Lundi
1er février 1926, la population du district de Willow Bunch était invitée à visiter l'hôpital agrandi ou plutôt reconstruit sur un plan plus vaste par le Dr A. Godin, de retour au milieu de nous après un voyage d'études de près de trois ans, de janvier 1923 à novembre 1925.» Le docteur Godin s'est inspiré des hôpitaux d'Europe pour rebâtir le sien à Willow Bunch, ce qui en a fait un des plus modernes et des mieux équipés en Saskatchewan à cette époque.

Même s'il s'agissait d'un hôpital privé, sous l'administration du docteur Godin, l'hôpital Pasteur a reçu une aide du gouvernement et en 1927, le docteur en a confié la direction aux Soeurs de la Charité de St-Louis. En 1934, la tragédie a frappé la communauté de Willow Bunch quand l'hôpital a été dévoré par les flammes.

Le docteur Godin a richement bénéficié de son dur labeur dans la région de Willow Bunch. En plus de son hôpital, il a été impliqué dans la vie économique de la région. «Il avait acquis de vastes terrains sur lesquels plusieurs fermiers se livraient, sous sa direction à la culture intensive du blé.

Lorsque la crise mondiale éclata en 1929, il vit son avoir diminuer considérablement. Il dut faireface aux années de disette qui suivirent et réduire presque à néant sa modeste fortune acquise au cours des bonnes années.»' Il n'est donc pas surprenant que le docteur n'ait pas eu les moyens de reconstruire son hôpital en 1934.

Arsène Godin a contribué à la vie française de sa région et de la Saskatchewan. Il a été pendant longtemps la force motrice derrière le
La Société St-Jean-Baptiste
Photo: Arcivs de la Saskatchewan
La société St-Jean-Baptiste de Willow Bunch. De g. à d.: J. Beaulne, Trefflé Bonneau, Octave Hallé, J.-C. Gagné, Siméon Ducharme, A Lespérance, docteur Arsène Godin (président), P.Lapointe, Jos Boucher, E. Beausoleil, Inconnu, R Gragner, F.-X. Bellefleur, Marc Noel.


club local de la Société st-Jean-Baptiste de Willow Bunch. Il a été un membre zélé de l'ACFC et son président de 1915 à 1921. Il s'est intéressé à l'écriture, à la musique et au théâtre et a contribué dans tous ces domaines dans son village d'adoption.

Arsène Godin est mort à Willow Bunch le 27 août 1938.

Jean-Baptiste Trudelle
Un autre ancien médecin qui avait été recruté par Mgr Mathieu est Jean-Baptiste Trudelle. Natif du Québec, J.-B. Trudelle a fait ses études en médecine à l'Université Laval et a obtenu son diplôme en 1912. Après ses études, il a fait son internat à l'Hôtel-Dieu de Québec et à l'Hôpital de la Miséricorde.

Puisque très peu a été écrit à son sujet, il a fallu patauger à travers les quelques articles de journaux, ou dans les bottins Henderson Directory pour établir un peu le va-et-vient du docteur Trudelle en Saskatchewan. Parfois, l'information était contradictoire.

Sa nécrologie, publiée dans La Liberté et le Patriote du 28 juin 1957, est la source première de renseignements à son sujet. Toutefois, cette notice prétend que J.-B. Trudelle a été interne à l'Hôtel-Dieu de Québec jusqu'à son enrôlement dans l'armée canadienne en 1916. Trois articles publiés dans Le Patriote de l'Ouest contredisent la notice nécrologique. Un article, en date du 23 septembre 1915 révèle qu'il était à Regina à ce moment, et même qu'il était médecin interne à l'hôpital des Soeurs Grises. Un deuxième article, du Patriote de l'Ouest du 25 novembre 1915, le nomme comme membre d'un comité mis sur pied pour organiser la fête de la Sainte-Catherine à Regina.

En 1916, toutefois, il était dans l'armée canadienne. «Les dernières nouvelles du Dr J.B. Truclelle nous apprennent qu'il est maintenant à Parts clans un hôpital militaire.»(9) À la fin de la guerre, on l'a retrouvé à Québec. «Après la guerre, il est nommé au poste de chirurgien en chef à l'hôpital militaire de Québec et devient plus tard chirurgien consultant avec le bureau médical militaire à Montréal.»`

C'est seulement au début des années 1920 qu'il est revenu s'établir définitivement en Saskatchewan. Sa notice nécrologique stipule qu'il est arrivé à Moose Jaw en 1921, mais le bottin Henderson's Moose Jaw Directory a publié son nom dans l'édition de 1920. À cette date, lui et un associé, le docteur Petitclerc, avaient déjà leurs bureaux dans le Hammond Building sur la rue Main.

Pendant qu'il pratiquait la médecine à Moose Jaw, le docteur J.B. Trudelle s'est impliqué dans le club des professionnels de langue française de la Saskatchewan. «Le nouveau comité de direction du club des Professionnels de languefrançaise élu à la récente réunion annuelle tenue le 25 septembre à Gravelbourg, Sask. se compose comme suit: Président-Honoraire: M. le juge Alphonse Gravel; Président actif: M. Arthur Marcotte, avocat, Ponteix, Sask.; 1er Vice-Président: M. le docteur J.B. Trudelle, Moose Jaw, Sask.; 2e Vice-Président: M. le docteur Antoine Soucy, Gravelbourg, Sask.; Secrétaire-Trésorier: M. Eugène Cadieux, pharmacien, Montmartre, Sask.»' Le club des professionnels de langue française avait été fondé à la fin des années 1910, à Willow Bunch. Au début, il regroupait seulement des médecins, mais en 1924 on avait décidé, pour en assurer la survivance, d'y ajouter des membres d'autres professions.

En 1927, le docteur Trudelle a déménagé à nouveau à Regina où il a ouvert cette fois des bureaux dans l'édifice du théâtre Capital. Puis, comme bien d'autres de ses confrères francophones, il a décidé de retourner aux études pour parfaire ses connaissances en médecine. «Durant la période entre les deux guerres mondiales, le Dr Trudelle suivit des cours post scolaires à Londres, Paris, Vienne et Edinbourg.»(2)

Jean-Baptiste Trudelle et son épouse, Angeline, étaient les parents de trois garçons qui ont réussi des carrières en médecine (Bernard), en droit (Paul) et en médicine dentaire (Alfred). Paul a été juge de la cour provinciale de la Saskatchewan.

J.-B. Trudelle est décédé le 21 juin 1957 à l'âge de 68 ans.

Antoine Soucy
Antoine Soucy a vu le jour le 16 mai 1889 à Cacouna, comté de Rivière-du-Loup, Québec. Son père, Jean-Baptiste Soucy, était fermier et sa mère, Claudia Beaulieu, était institutrice. Il a commencé ses études à la maison sous la direction de sa soeur Émilie, puis, il est ensuite allé au Petit Séminaire de St-Germain à Rimouski, Québec, pour faire ses études classiques.

Au début, le jeune Soucy pensait à la vie sacerdotale, mais c'est vers une carrière médicale qu'il s'est dirigé à la lin de son cours classique.
Joseph-Antoine Soucy
Dr Antoine Soucy
En 1909, il s'est inscrit à la Faculté de Médecine de l'Université Laval à Québec. «En plus, il se fait militaire en se joignant au 17e Régiment de l'Infanterie et réussit à allier ses études en médecine avec ses fonctions militaires. Il se mérite même le rang de capitaine, le 7 décembre 1911. En fait, ces stages d'entraînement lui fourniraient plus que des avantages pécuniers; ils contribueraient à développer chez lui une endurance physique qui, plus tard, lui serait un précieux support. En plus, ces stages étaient une occasion précieuse d'acquérir de l'expérience dans le commerce avec les humains. » (13)

En 1913, une fois ses études en médecine terminées, Antoine Soucy s'est dirigé vers la Saskatchewan avec quelques confrères de classe pour répondre à l'appel de Mgr Mathieu. Il est arrivé à Regina au mois d'août. «Mais, malheureusement, pour les médecins du groupe, ils arrivaient un jour trop tard pour subir les examens provinciaux en médecine, nécessaires dans l'obtention du droit d'exercer la profession médicale dans la province. Ilfaudrait se reprendre enjanvier, mais, en attendant... On tolérerait leur présence pourvu qu'ils n'empiètent pas sur les territoires déjà pourvus de services médicaux.»

C'est grâce à une visite de l'abbé Jules Bois, curé de Meyronne, à l'archevêché de Regina que le jeune Soucy s'est éventuellement retrouvé dans la région de Gravelbourg. L'abbé Bois l'a invité à venir travailler dans sa paroisse en attendant la reprise des examens en janvier.

Une fois établi à Meyronne, le docteur Antoine Soucy a commencé à recevoir des patients de Gravelbourg. Il s'y est rendu quelques fois, mais puisqu'il n'avait pas encore reçu sa licence pour pratiquer la médecine en Saskatchewan, certains professionnels de cette communauté l'ont rapporté aux autorités. Le docteur Soucy a dû cesser ses visites à Gravelbourg. Mais, après avoir écrit les examens provinciaux en médecine le 15 janvier 1914 (examens qu'il a réussis avec grand succès) et avoir été inscrit au registre du Collège des Médecins et Chirurgiens de la Saskatchewan, il est allé s'établir définitivement à Gravelbourg.

Comme bien d'autres médecins de campagne de l'époque, le docteur Soucy a dû ouvrir sa propre pharmacie en 1916. «Il construisit cette pharmacie avec bureau de consultation au rez-de-chaussée et avec logement au deuxième étage. Cet édf ice qu'on est venu à nommer le bloc Sheer existe toujours. M. Pierre Demesle fut son premier pharmacien et Mme Gracia Gauthier y travailla longtemps comme commis. La garde-malade Berthe Gérard fut employée comme réceptionniste au bureau du docteur pendant nombre d'années. Cette pharmacie fut vendue au docteur Lavoie, devint ensuite la propriété de Cliff Davidson.» (15)

Le 18 décembre 1917, il a épousé Henriette Beauchesne de Gravelbourg. Un premier fils, Marcel, est né le 10 octobre 1918. Un second fils, Louis, est né en septembre 1921.
La maison d'Antoine Soucy
La maison d'Antoine Soucy à Gravelbourg. Aujourd'hui la propriété de Louis et Thérèse Fournier. (Laurier Gareau)


L'année 1918 a été marquée par l'infâme «grippe espagnole» et la petite communauté de Gravelbourg a été frappée aussi sévèrement que toute autre communauté de l'Ouest canadien. «On ne connaissait pas alors les «remèdes miracles» qui ont vite raison de ce genre de maladies. Dans deux semaines, toute la région de Gravelbourg était atteinte. Les cas d'influenza étaient si nombreux que certaines familles ne pouvaient plus prendre soin de leurs malades. Ilfallaitfaire vite et répondre à ces urgences. On improvisa donc un hôpital temporaire dans la salle St-Jean-Baptiste. On mobilisa sur place un personnel de quatre aide infirmiers, sans formation professionnelle, animés seulement par la volonté défaire de leur mieux, plus une cuisinière. En réponse aux instances du docteur Antoine, l'hôpital de Regina permit à l'habile garde-malade Rawding et à une compagne Grey de venir prêter main forte à l'équipe déjà à l'oeuvre. Le docteur Soucy se dévoua sans compter, répondant aux appels et aux besoins partout, nuit et jour. Bien souvent, les trajets d'un endroit à un autre étaient les seuls moments où le docteur pouvait se permettre de reprendre le sommeil perdu pendant les nombreuses nuits passées au chevet de ses malades. Avec les froids d'hiver, l'épidémie prit du ralenti. Cependant, le bilan était désastreux; presque toutes les familles étaient frappées par le deuil. Même les siens, son fils Marcel et son frère Philippe avaient été sérieusement atteints. »(16)

Lorsque le docteur Antoine Soucy était arrivé dans l'Ouest en 1913, la région de Gravelbourg comptait à peine 700 personnes. Dix ans plus tard, elle en comptait environ 2000 et environ 1500 d'entre eux demeuraient au village. Le docteur Soucy, comme d'autres, reconnaissaient le besoin d'un hôpital. «On amorça donc le projet pour la construction de cet édifice. Le docteur Soucy comprit tout de suite qu'un département de chirurgie bien équipé, avec de bons chirurgiens était de toute première importance. Il lui fallait étudier davantage pour être à la hauteur de sa tâche. Où aller sinon en Europe, plus précisément à Paris? Le docteur Martial Lavoie le remplacerait à Gravelbourg et veillerait, en même temps, sur la construction de l'hôpital projeté. »

Antoine Soucy a quitté Gravelbourg avec sa famille à la fin novembre 1925. Ils sont revenus seulement en février, 1928. «Pendant l'absence du docteur Soucy, beaucoup de travail s'était fait à Gravelbourg. Les Soeurs Grises étaient rendues depuis huit mois, l'hôpital était construit, le nom même était choisi.»'» Il s'agissait de Hôpital StJoseph.

Le docteur Soucy s'est donc remis à l'oeuvre. La tragédie a frappé la famille Soucy en 1931. Madame Soucy est morte en donnant naissance à un troisième fils, Henri. «Afin de dissiper son chagrin, le docteur Soucy se remit aux soins de ses patients avec une nouvelle ardeur Tout son temps était consacré à la pratique médicale. Enfait, même ses fils le voyaient peu. Parti tôt le matin, il rentrait tard le soir. Ce régime de vie devait continuer jusqu'en 1950. Un étourdissement soudain durant une intervention chirurgicale luifit comprendre que l'heure de la retraite était venue.»'9 Il a vendu sa pratique médicale au docteur Rosario Morin.

En 1951, ii a épousé Yvonne Leblanc qui avait eu soin de ses fils, surtout Henri, pendant plus de quinze ans. Après sa retraite, le docteur Soucy s'est consacré à sa deuxième passion, l'élevage d'animaux. En 1946, il avait acheté un ranch à Fir Mountain où il faisait l'élevage des Aberdeen Angus. Il aimait bien la musique mais pas la danse et il jouissait des réunions d'amis et de parenté surtout durant le temps des Fêtes. Il a fait plusieurs voyages au Québec pour voir sa famille, à Hawaii, dans le sud des États-Unis, en Floride, et plus particulièrement à McAllen au Texas.

Antoine Soucy est décédé le 17 novembre 1972 à l'hôpital Saint-Joseph de Gravelbourg à l'âge de quatre-vingt-trois ans.

J.E.R. LeBlond
Le docteur J.E.R. LeBlond est né à Montréal le 1 1 décembre 1887. Il a fait son cours classique au Collège de Nicolet et s'est ensuite dirigé vers l'Université Laval où il a obtenu son diplôme en médecine en 1913.

Cette même année, il s'est rendu dans l'Ouest canadien et s'est établi d'abord à Saint-Brieux, puis ensuite à Melfort. Il a resté seulement deux ans dans cette région, mais comme membre de l'élite francophone de Mgr Mathieu, il s'est impliqué dans les causes françaises à Saint-Brieux, devenant le premier président du cercle local de 1'ACFC.

En janvier 1916, le docteur Le Blond a quitté la région de Melfort pour s'établir définitivement à Rosthern, quelques kilomètres au sud de Duck Lake. Cette communauté grandissante venait de perdre un de ses trois médecins alors que le docteur Robert Lyle Hutton s'était enrôlé dans l'armée canadienne.

Étant amateur de la scène théâtrale plutôt que celle de la politique, le docteur LeBlond a souvent fait partie des productions dramatiques dans la région de Rosthern. Le docteur William Siebert a raconté, dans Old and New Furrows, The Story of Rosthern, l'histoire suivante au sujet de notre grand comédien. «À une occasion, alors que le docteur LeBlond jouait dans une production amateur locale, il a eu le malheur de perdre son dentier. La prothèse dentaire s'est échappée de sa bouche avec une certaine vitesse, a glissé à travers la scène et est venue s'arrêter dans le tuyau pour les lumières de la scène. Sans hésitation, le docteur a traversé la scène, a retrouvé son dentier et, tournant le dos au public, l'a replacé dans sa bouche, sans avoir manqué une seule réplique. »20

L'hôpital Pasteur
Photo: Université d'Ottawa
L'hôpital Pasteur de Willow Bunch. (Collection Georges E. Michaud)

Le docteur LeBlond était père de quatre enfants: Louis, Marguerite, Rupert et Agnès. Rupert a suivi les traces de son père et est devenu médecin. Agnès est devenue infirmière. Marguerite a suivi les traces artistiques de son père et a dirigé pendant longtemps une chorale de garçons à Prince Albert. La ville l'a honorée en lui dédiant son centre communautaire, le Centre Margot Fournier. Un fils, Philippe, est devenu musicien et un autre, Jean-Pierre, est comédien et maître de l'épée. Tous les deux ont atteint le niveau professionnel.

Durant la crise des années 30, le docteur LeBlond n'en pouvait plus de ne pas se faire payer et il a déménagé à Prince Albert en 1937 où il a établi une nouvelle pratique. Il a dû abandonner la médecine en 1946 pour cause de santé. Il est décédé dans un hôpital de Regina, le 17 décembre 1946.

Conclusion
Il y a beaucoup d'autres médecins francophones qu'on aurait pu mentionner dans cet article: Gravel, Belcourt, Lefebvre Beaudoing, Cyr, Roy, Tessier. Mais l'espace manque et il a fallu faire des choix. À une époque, les francophones de la Saskatchewan n'avaient pas à chercher loin pour trouver un médecin de langue française. Ce n'est plus le cas de nos jours. La communauté a changé; le visage même de la Saskatchewan a changé.

Toutefois, il ne faudrait jamais oublier la contribution qu'ont faite ces médecins pionniers, non seulement envers les soins de santé, mais aussi dans la lutte pour la survivance de la communauté francocanadienne de la Saskatchewan. En 1911, Mgr Mathieu cherchait à donner à la Saskatchewan une élite qui pourrait bien défendre les intérêts de la communuaté de langue française. Les
médecins diplomés de l'Université Lavai ont bien répondu à son appel. Ils ont formé le noyau de la nouvelle élite franco-canadienne de la Saskatchewan.

Notes et références

(1) Le Patriote de l'Ouest, le 21 mai 1914.

(2) Duck Lake History Committee, Their Dreams... Our Memories, A History of Duck Lake and District, Volume Two, Aitona (Manitoba): Friesen Printers, 1988. P. 693.

(3) Ibid. p. 694. Marcelin Historical Society, History of Marcelin and District, Marcelin (Sk):

(4) Marcelin Historical Society, 1980. p. 53.

(5) Lapointe, Richard, 100 NOMS, Regina: Société historique de la Saskatchewan, 1988. p. 186.

(6) Ibid. p. 186.

(7) Ibid. p. 186.

(8) Rondeau, Clovis et Chabot, Adrien, Histoire de Willow Bunch, Gravelbourg: Diosèse de Gravelbourg, 1970.

(9) Le Patriote de l'Ouest, le 17 août 1916. p. 3.

(10) La Liberté et le Patriote, le 28 juin 1957. p. 10.

(11) Le Patriote de l'Ouest, le 22 octobre 1924. p. 6.

(12) Op.cit. La Liberté et le Patriote, le 28 juin 1957.

(13) Gravelbourg Historical Society, Heritage, GravelbourgDistrict, 1906-1985, Gravelbourg: Gravelbourg Historical Society, 1987. p. 617.

(14) Ibid. p. 617.

(15) Ibid. p. 619.

(16) Ibid. p. 619.

(17) Ibid. P. 621.

(18) Ibid. p. 622.

(19) Ibid. p. 622.

(20) Rosthern Historical Society, Old and New Furrows, The Story of Rosthern, Rosthern: Rosthern Historical Society, 1977. p. 179. (Traduction)







 
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