Revue historique: volume 7 numéro 1La petite histoire d'un aventurier fransaskoispar Gédéon Chalifour Vol. 7 - no 1, octobre 1996
Les Chalifour sont originaires de l'Aunis, ancienne province française dont la capitale était Larochelle. Paul Chalifour est venu au Canada en 1641, il était charpentier. De son métier, il a bâti beaucoup de maisons et de moulins à scie. La première maison qu'il a bâtie pour lui-même a été brûlée, c'était la guerre entre les Français et les Anglais. La deuxième maison qu'il a bâtie est encore là. On en a faite un musée. C'est une maison en roches dont les murs ont trois pieds d'épaisseur et qui est située dans la ville de Québec. Je suis né à St-Thuribe, comté de Portneuf, le 17 octobre 1901. J'étais le quatrième de la famille. Rose Alma, la première, est née en 1896 et morte en 1896. Marie Ange, née en 1898, est morte à 90 ans. Jules, né en 1900, est mort à 89 ans. Et moi, Gédéon, je suis encore vivant. Il faut que je commence à la première fois que je me rappelle. C'était le Jour de l'An 1905 au matin, Papa a dit à Jules et à moi.
- Nous allons avoir toute la parenté pour dîner. Il va y avoir des 'candés' sur la table. Demandez-en pas et quand on vous en passera, prenez-en seulement un. Il nous a fait asseoir un chaque côté de lui; nous étions un peu tanants. Quand nous nous sommes assis pour dîner, j'ai bien vu le plat de 'candés'; nous n'en avions pas souvent. - Papa? - Qu'est-ce que tu veux? - Du candé. Il m'a regardé d'un oeil sévère. - Qu'est-ce que tu dis? - Des patates. Le nom de mon père était Philippe Chalifour. Le nom du père à Papa était Samuel Chalifour et sa mère, Deiphie Trottier. Samuel avait un moulin à scie à StAlbain. Quand Papa et Maman se sont mariés, le père à Papa lui a donné une terre de deux arpents de large et quarante arpents de long, deux chevaux et les petites machines. Le nom de ma mère était Marie-Anne Dusablon. Ses parents étaient Epiphane et Aglae Dusablon. Ils étaient fermiers à St-Casimir. Mes parents ont vendu leur terre à St-Thuribe en 1906 et on a déménagé à St-Casimir. Papa s'était engagé pour travailler dans un moulin à scie, il connaissait ça puisque son père en avait un. Moi, j'ai commencé l'école dans le couvent des Soeurs de la Providence à St-Casimir. Je n'avais que cinq ans: dans ce temps-là, on commençait jeune. On était six petits garçons de cinq ans, les bonnes Soeurs nous appelaient «mes petits mignons». En 1908, ils ont bâti un collège pour les garçons. Les Frères des écoles chrétiennes étaient nos professeurs. On marchait pour aller à l'école et on apportait notre lunch dans une petite chaudière (un petit seau). On avait un cousin nommé Philippe Chalifour qui venait à l'école avec nous. Un bon matin, Jules, mon frère, nous a proposé une idée géniale.
- Plutôt qu'aller à l'école, allons se baigner à une petite rivière qui est à peu près deux milles de chez nous. On est revenu à la maison à peu près à la même heure que l'on revenait normalement de l'école. On a fait la même chose la journée suivante. Le troisième jour, quand nous sommes arrivés chez notre cousin, son père, notre oncle, nous attendait avec son garçon. - Ce matin, les gars, vous allez à l'école. Il est venu nous conduire jusqu'à l'école. Après cela, on est toujours allé à l'école. Il avait reçu un téléphone de notre maître d'école lui demandant pourquoi les petits Chalifour n'allaient pas à l'école. On aimait bien Pépère Chalifour. Il nous racontait qu'il avait un beau morceau d'avoine sur sa terre et il était allé voir comment était sa récolte. Très belle. Mais il avait trouvé des traces d'un ours qui mangeait son avoine. Le matin suivant, il est parti avec son fusil avant la clarté pour tuer l'ours. Il a vu un gros ours sauter par dessus la clôture mais il n'a pas tiré. -Pourquoi n'avez-vous pas tiré? lui a-t-on demandé. - J'avais peur de le manquer, nous a-t-il répondu et lui, il ne m'aurait pas manqué. J'avais un fusil à baguette et ça prenait cinq minutes à le charger. Une autre fois, il nous a raconté cette histoire: Le plus jeune de ses garçons qui allait au collège à Québec, était pensionnaire. Pépère leur vendait de la viande pour payer la pension de son garçon. Il amenait une charge à tous les mois. Il vivait à soixante milles de Québec. Une bonne journée, un de ses voisins lui a demandé: - Combien de temps ça te prend pour te rendre à Québec? - Dix heures, lui a répondu Pépère. - Ton cheval doit avoir chaud et il doit être trempé quand tu arrives à Québec, lui a dit son voisin. - Non, il est bien sec, lui a répondu Pépère. - Je ne te crois pas, a poursuivi son voisin.. - Nous allons faire une gajure de cinquante dollars que mon cheval va être sec quand je vais arriver aux lignes de Québec, lui a proposé Pépère. Cinquante dollars dans ce temps-là était comme cinq cents dollars aujourd'hui. Il y avait des témoins ce matin-là quand il est parti et il y avait des témoins aux lignes de Québec quand Pépère est arrivé. Mais, à presque vingt pieds des lignes, son cheval était tout trempé par la chaleur. Il avait engagé deux hommes avec du linge et de l'eau froide. Ils ont lavé et bien essuyé le cheval. II est entré à Québec bien sec et il a gagné sa gajure. On aimait bien Pépère et Mémère Dusablon, mais c'était un couple plutôt tranquille. Papa s'est bâti un moulin à scie au Lac Chat en 1909, mais il ne l'a pas gardé bien longtemps. En 1911, il est venu dans l'ouest; il a fait une excursion avec le curé Bérubé. Il n'a pas trouvé cela de son goût. Ils ont dû marcher à partir de Shellbrook jusqu'à ce qui est aujourd'hui Victoire. En 1913, il est revenu et cette fois il a acheté une demi-section à St-Denis pour 4 000 $ avec quatre chevaux, quatre vaches et les machines. Il n'y avait pas d'école à St-Denis, donc plus d'école pour Jules et moi. C'était nous qui faisions l'ouvrage sur la terre car la santé de Papa n'était pas trop bonne. En 1915, nous avons travaillé pour Ed Lefrançois. Papa avait soin du moulin à battre et nous avions un «team» de chevaux pour charroyer des «chives» au moulin. Nous étions huit hommes et huit «teams» de chevaux. Papa recevait huit dollars par jour et nous recevions trois dollars chacun par jour, ce qui faisait quatorze dollars par jour pour nous trois. Dans ce temps-là, c'était beaucoup. En 1916, j'ai travaillé pour Alex Dupuis; je devais labourer de la prairie avec une charrue de dix-huit pouces et cinq boeufs. J'recevais soixante dollars par mois. J'ai commencé sur sa terre. Ensuite, il a entrepris de casser soixante-quinze acres chez un fermier à Elstow, six milles de chez lui. C'est là où j'ai appris l'anglais car je ne connaissais pas un mot d'anglais. Pour manger, si je voulais de la viande, je leur montrais et ils me disaient: «meat» et si je voulais des patates c'était la même chose, ils me disaient: «potatoe». C'était un bien bon couple. Ils m'ont aidé à apprendre l'anglais. Travailler avec mes boeufs allait très bien, mais quand les chaleurs dejufflet sont venues, ça n'allait plus si bien. Une journée vers onze heures de l'avant-midi, quand il faisait bien chaud, mes boeufs avaient chaud et ils avaient soif. Il y avait un petit lac proche, donc ils ont décidé d'aller boire et se rafraîchir. Moi, je tirais sur les guides, mais c'était comme tirer sur le corn d'une maison. Ils m'ont amené dans le petit lac assis sur ma charrue. Après qu'ils ont bien bu et se sont rafraîchis (à peu près dix minutes), ils ont décidé de sortir du lac. J'ai achevé mon avant-midi mais l'après-midi, j'ai seulement recommencé à quatre heures. Après cela, je commençais à quatre heures du matin jusqu'à neuf heures et de quatre heures de l'après-midi jusqu'à neuf heures du soir. Ça allait beaucoup mieux, il faisait moins chaud le matin et le soir. Le premier août, je suis retourné travailler pour Papa pour faire les récoltes et battre au moulin. Il avait acheté un moulin à battre cet automne-là. En 1919, je suis allé au chantier à Big River avec deux de mes amis: Baptiste Bussière et Napoléon Labrecque. Nous y sommes allés en train. Nous avons couché à l'hôtel de Big River et le lendemain, nous sommes repartis à huit heures. Nous avons marché quarante milles à pied. Nous étions cent quarante-deux hommes avec nos bagages. Ils les ont mis sur une plateforme traînée par deux chevaux. Nous sommes arrivés au camp à neuf heures et demie du soir. Il y en a qui sont arrivés à quatre heures le lendemain. Le matin, nous étions bien fatigués, ils nous ont laissé nous reposer deuxj ours avant de commencer à travailler. Nous avons travaillé là tout l'hiver à $65 par mois, nourris et logés, à faire des billots. En été, on travaillait ensemble Jules, Pierre et moi car Papa avait acheté d'autres terres. Nous avons eu jusqu'à dix-huit chevaux de travail, ce qui nous tenait à l'ouvrage tout l'été. Après les récoltes, l'ouvrage fini, je partais pour l'hiver. En 1920, je suis parti travailler en ColombieBritannique, dans un moulin à scie, avec Napoléon et Baptiste. Nous avons travaillé seulement quinze jours et la compagnie a fermé tout le moulin et les sentiers. Il nous ont payé avec des chèques de $30 chacun, encaissable à Prince Georges et il fallait attendre trois jours pour prendre le train. Dans ce temps-là, il n'y avait pas de chemin donc, on a décidé, nous trois, Baptiste, Napoléon et moi, de partir à pied sur le chemin de fer, ce qui nous donnait trente milles. Nous sommes partis vers sept heures du matin, et vers neuf heures, comme
le chemin de fer passait proche de la rivière Fraser, on a vu un petit canot à l'envers et on l'a viré sur le bon côté. Il y avait deux rames et on l'a mis à l'eau et il ne coulait pas. On a décidé de prendre le canot pour aller à Prince George, car on savait que la rivière passait par là. Ça allait très bien car le courant de la rivière était à quinze milles à l'heure; nous n'avions pas besoin de ramer. Nous n'avions pas pensé que la rivière était croche dans les montagnes et donc que la distance était beaucoup plus longue. Moi, j'étais assis en avant, Napoléon était au milieu et Baptiste était en arrière. Vers quatre heures de l'après-midi, nous avons frappé une roche dans le milieu de la rivière et le canot a été renversé. Quand nous sommes sorti de l'eau, on se tenait après le canot. Une chance que la rivière était croche à cet endroit; le courant nous a mené vers le bord. L'eau était bien froide (c'était le mois d'octobre) et on était pas mal gelé. Nous avons laissé le canot là, et nous sommes partis à pied le long de la rivière. Nos valises étaient à peu près un quart de mille plus loin. Nous les avons sorti de l'eau mais nous les avons laissé là car elles étaient toutes brisées par l'eau. On s'est dit qu'on reviendrait les chercher plus tard. On a pris un petit chemin de chantier qui nous a mené au petit village de Willow River où on est allé à l'hôtel bien gelés. On tremblait. La femme nous a demandé ce qui nous était arrivé et on lui a dit. Pour chauffer, elle avait un baril de quarante-cinq gallons. Elle l'a rempli de bois et nous a réchauffés et séchés car nous étions encore trempés. Nous avons soupé et nous nous sommes couchés tous les trois dans le même lit, avec beaucoup de couverture. Le lendemain, nous nous sommes réveillés bien secs et après avoir déjeuné, nous sommes allés chercher nos bagages et les avons fait sécher. Nous sommes allé à Prince George pour encaisser nos chèques et ensuite nous avons pris le train pour Edmonton. Là, nous sommes allés au bureau de placement et ils nous ont trouvé de l'ouvrage au Canadien National à Estonia, en Saskatchewan pour le restant de l'hiver. Durant toutes ces années-là, je partais l'automne après les récoltes et je revenais le printemps pour les semences. Il faut que je vous dise comment j'ai rencontré Eva, ma femme. La première fois, nous avions été invités pour une petite veillée chez M. et Mme Loiselle. Nous étions six garçons, mais il y avait seulement deux filles, ma soeur Gabrielle et la fille de la maison, Hélène Loiselle. Dans ce temps-là, nous dansions seulement des quadrilles car les valses étaient défendues. Il nous manquait deux filles, donc Mme Loiselle m'a dit: - Ged! Tu as une auto. Va donc chercher les petites Casavant. Vous aurez quatre filles. Vous pourrez danser. La maison des Casavant était à peu près à deux milles des Loiselle, donc je suis arrivé là à neuf heures du soir. Il n'y avait pas de lumière mais j'ai quand même cogné à la porte. Ils étaient couchés! M. Casavant est venu ouvrir la porte. Je lui ai dit que nous avions une petite veillée chez Loiselle et que je venais chercher ses filles. - Elles ne sont pas ici, elles sont parties veiller chez le maître et la maîtresse d'école, m'a-t-il dit. - Est-ce que je peux aller les chercher pour veiller? lui ai-je demandé. - Il est trop tard, a été sa réponse. Donc je suis parti. Je ne voulais pas arriver chez Loiselle sans filles. Je suis allé chez le maître d'école et j'ai demandé pour les filles Casavant. Eva et Diana sont sorties. - Je viens vous chercher pour la veillée chez Loiselle, leur ai-je dit.. - Il faut demander à Papa, ma répondu Eva. - Papa m'a dit que vous pouviez venir, ai-je répondu. Elles ont sauté dans l'auto tout de suite et, nous avons dansé toute la veillée. Nous avions deux musiciens, un quijouait le violon et l'autre de la musique à bouche. J'ai ramené les filles à trois heures du matin. Il commençait déjà à faire clair. Aussitôt qu'elles ont été débarquées, je suis parti. J'avais peur du Père Casavant.
Je voulais retourner voir Eva, mais comment faire après le mensonge? C'était une journée très chaude, deux semaines plus tard, quand j'ai rencontré M. Casavant à Vonda. Il ne m'a pas reconnu. - Bonjour M. Casavant, ai-je dit. - Qui es-tu? m'a-t-il demandé. - Je suis le garçon qui est allé chercher vos filles pour aller chez Loiselle, ai-je répondu. Aimeriez-vous boire une bouteille de bière froide? - Oui! Sais-tu où il y en a? m'a-t-il répondu. - Oui! Venez avez moi. Je connaissais une maison où il y en avait. C'était pendant la Prohibition. Dans ce temps-là, il fallait faire venir la bière sur le train, donc il y en avait qui vendait la bière sans permis, en cachette. Donc, on est allé là tous les deux. Nous avons bu chacun cinq bouteilles. Après ça, nous étions chums tous les deux. L'hiver 1924, je suis allé travailler au chantier Baraute en Abitibi, Québec et en 1925, j'ai travaillé dans les mines de plomb et d'or à Ste-Croix, province de Québec. En 1926, moi et ma bonne petite compagne, Eva, nous avons décidé de nous marier le 24 novembre. Quand j'ai demandé à M. et Mme Casavant pour marier leur Eva, Mme Casavant m'a dit: - Pourquoi vous n'attendez pas au mois dejanvier? On attend un bébé le mois de décembre. Et moi je lui ai répondu: - S'il faut attendre, nous allons attendre pour le reste de notre vie! Elle avait un bébé à tous les dix mois. On s'est marié le 24 novembre 1926. C'est le curé Louison qui nous a marié. Après le mariage, nous avons dîné chez les parents d'Eva et dans l'après-midi, nous avons soupé chez nous, à StDenis. C'est Léon Bussière, mon beau-frère, qui nous promenait avec son auto neuve. Quand nous sommes arrivés chez nous, la maison était pleine de monde. Après le souper, nous avons dansé dans une maison à un demi-mille de chez nous. Papa avait acheté cette terre et la maison était vide. C'est là où nous avons passé l'hiver; c'était une petite maison pas trop chaude. Nous avions un bon poêle et une bonne fournaise à bois. Il y avait les frères Aubé qui jouaient la musique, un jouait le violon et les deux autres de la musique à bouche. Ils ont joué jusqu'à six heures du matin; ils ne voulaient pas qu'on se couche. Quand nous nous sommes réveillés, à midi, il faisait froid. L'eau dans la chaudière était gelée, il a fallu la chauffer pour se réchauffer. Le printemps 1927, nous avons loué une demisection à huit milles de Vonda. Il y avait une bonne maison avec trois chambres à coucher et une bonne étable pour les animaux. Papa m'a donné quatre chevaux et un ensemble de machinerie. C'était un bon commencement. Après que j'avais fini de travailler le terrain, j'ai travaillé sur les chemins avec mes quatre chevaux. A l'automne, nous avons eu une bonne récolte
de blé. Cet automne-là, j'ai travaillé pour Clotaire Denis pour avoir soin du tracteur Romely. Eva attendait un bébé. Elle est restée un mois avec Papa et Maman; ils ont été bien bons pour nous. Le 28 octobre 1927, une petite fille est née. Nous étions bien fiers de notre petite fille, Marie Simone. Après les récoltes, nous sommes retournés sur notre terre pour faire l'ouvrage d'automne et charroyer le blé à l'élévateur. En 1928, j'ai pris un homestead pour $10 dans la région de Léoville. Dans le mois d'avril, je suis venu faire des billots pour bâtir une maison. Papa et Jules avaient acheté un moulin à scie avec un engin à vapeur. Nous avons scié pour quelques colons et moi, j'ai scié des 4x4 pour ma maison. Après qu'on a eu récolté à St-Denis et qu'on a eu vendu le blé, on a loué un «char de freight» et nous avons chargé tous les chevaux, les bêtes à cornes, quelques cochons et quelques poules. Ça nous a pris trois jours pour venir à Spiritwood et nous sommes venus avec un petit Ford Coupé qu'on avait acheté un an auparavant. Ça nous prenait une grossejournée pour venir ici; il n'y avait ni gravier, ni pavé. Pendant le temps que nous avons bâti notre maison, nous avons resté dans la petite maison à Papa qui était à un mille de chez nous. Ça nous a pris un mois pour bâtir notre maison (24'x 24') et l'étable était en bois rond. Pour chauffer, nous avions un poêle à bois et un baril de quarante-cinq gallons dans la cave. Quand on a eu fini de bâtir
et de payer les portes, les fenêtres, les bardeaux et les clous, il me restait soixante-quinze sous dans mes poches. Je suis allé à Spiritwood, à la banque, et ils m'ont prêté $150. Ça nous a aidé pour acheter du linge et du manger: le nécessaire. Le 11 février 1930, nous avons eu une autre petite fille du nom de Marie Lea Gabrielle. Nous étions bien contents de notre petite famille. Il n'y avait pas d'occupation, pas d'argent, pas de chemin, pas de docteur, mais le bon Dieu nous a aidé. Nous avons passé un bon hiver. Il n y avait que cinq familles au nord de la rivière. J'ai eu ma première récolte à Léoville en 1930. J'avais trente acres de blé et une bonne grosse récolte: trente-cinq minots à l'acre. Il fallait charroyer ce blé à Spiritwood à vingt-deux milles pour 28 le minot. C'est Euclide Fontaine qui a battu le blé et moi, j'avais soin du séparateur. L'argent était rare cet été-là. Beaucoup de colons sont venus prendre leur homestead et en 1930, nous avons eu un bureau de poste et nous avons bâti une église. Tout le monde a aidé. On a tout coupé les billots et avec le moulin à scie de Papa et Jules, on a fait des planches de 2x4, sans rien charger. Le 8 février 1932, un petit garçon, Joseph Pierre Robert, est né. On était des parents fiers, on avait trois enfants. Nous avons engagé une fille pour un mois à 5 $ par mois pour aider à Eva. Ce printemps-là, Eva faisait le repassage, elle faisait chauffer le fer à repasser sur le poêle à bois. Nous n'avions pas d'électricité à ce temps-là et moi, je travaillais sur la terre. Un jour, j'ai aperçu de la boucane qui sortait par la couverture de la maison. Je suis parti à la course et quand je suis arrivé, Eva réussissait à sortir le moulin à coudre, je lui ai aidé. Elle avait sorti les enfants, mais le reste a tout brûlé. Nous sommes restés dans un petit grenier 12' x 14'. Après les semences, nous avons commencé à bâtir une autre maison 24'x 32. Nous avions une petite assurance et $1000, ce qui nous a aidé. On a fini le dehors de la maison et on a acheté le principal de ce que nous avions besoin. Eva m'a aidé beaucoup; elle était bonne fermière. Parle temps queje tirais une vache, elle en tirait trois. Elle gardait beaucoup de poules. Le 28 février 1934, nous avons eu une autre petite fille, Marie Cécile Rita. Nous n'avons pas eu de docteur pour nos quatre enfants; le bon Dieu nous a beaucoup aidé. Dans ce temps-là, c'était la crise de 1930. Nous n'avions pas beaucoup d'argent, mais nous vivions bien. On était en bonne santé. J'ai acheté un moulin à battre, ce qui nous a beaucoup aidé. J'avais engagé un homme et nous travaillions jour et nuit. Tout allait bien. Nous avions de bons voisins. Nous avons acheté le terrain de trois voisins, Robert Ayot, Paul Nayat et Lucien Chalifour. J'ai vendu mes chevaux et j'ai acheté un tracteur, W14 International. En 1946, nous avons acheté une auto seconde main et nous sommes allés dans la province de Québec pour six semaines. On avait acheté une tente et c'est dedans qu'on couchait. Nous avons fait un très beau voyage. La plus grosse épreuve qu'on a eu dans notre vie, c'est quand le bon Dieu est venu chercher notre chère Simone, l'aînée. Elle est morte après une opération d'appendicite. Si c'était aujourd'hui, ils l'auraient sauvée. Elle est morte à l'hôpital St-Paul de Saskatoon. Maman était avec elle. Elle avait sa connaissance tout le temps. C'était une petite fille joyeuse, elle nous faisait rire avec ses histoires. Nous ne l'avons jamais oubliée. Elle avait vingt ans. Elle est morte le 15 septembre 1948. Je pense que c'est en 1944, que j'ai vendu le moulin à battre et j'ai acheté une «combine», la première à Léoville. Il y en avait qui me disaient: - Tu vas perdre ta récolte.
Nous avons été chanceux. Un bel automne, nous avons combiné 752 acres avec six pieds de large. Une autre surprise pour plusieurs, c'est quand Marie Lea Aime est venue au monde, le 24 avril 1950, à l'hôpital de Léoville. J'avais quarante-huit arts et Eva quarante-deux. Ça nous a rajeuni après seize ans sans avoir d'enfants. Elle a été gâtée par toute la famille.
Lea a fait ses études à Léoville et elle a enseigné pour deux ans Elle a marié Alphonse Trépanier en 1950. En 1951, nous avons acheté l'hôtel àArborfield, Saskatchewan et ce sont eux qui étaient en charge. Nous avons vendu nos animaux et nous allions passer l'hiver avec eux. Le printemps, on revenait sur notre terre. Robert travaillait avec moi l'été et l'hiver, il travaillait en Alberta sur les puits d'huile. Tout allait bien. Rita travaillait à la banque de Montréal à Arborfield. Elle s'est marié en 1954 avec Roger Hudon. Ils résident à Zenon Park en Saskatchewan. Lea et Alphonse nous ont laissé en 1955 pour aller en Colombie-Britannique et Lucien, mon frère et sa femme ont pris leur place et ont acheté l'hôtel en 1957. En 1959, Robert a marié Claire Thibault. Elle faisait l'école à Léoville. Nous avons acheté une maison à Léoville et nous avons déménagé là avec la petite Aline. Robert et Claire sont restés sur la ferme mais Robert et moi, nous avons continué à travailler ensemble. Il avait ses terres et j'avais les miennes. Pour les machines, il avait son tracteur et moi, le mien. La «combine» et le »swather» étaient à nous deux. On s'arrangeait très bien tous les deux. Il a toujours dit qu'il était le meilleur garçon de la famille. C'est bien simple, il est le seul garçon. En 1966, nous avons décidé de vendre toutes les terres et les machines. C'était un gros encan. Tout est parti encore assez bien.
Aime a fait ses études à Léoville et elle a travaillé à la Caisse Populaire à Prince Albert. Elle a marié Philippe Marion en 1970. Ils sont fermiers à Spiritwood. Nous sommes restés quarante-deux ans à Léoville, dont trente-sept ans, fermiers. Quand nous nous sommes retirés, j'avais soixante-cinq et Eva cinquante-neuf. Nous avons beaucoup voyagé. Nous sommes allés souvent dans la province de Québec voir les oncles et les tantes, les cousins et cousines, et on est allé plusieurs fois à Vancouver visiter Lea et Alphonse et les deux frères d'Eva. Nous avons aussi passé deux hivers en Floride, deux autres en Californie et un autre au Mexique. En passant par Mesa, Arizona, nous nous sommes couchés dans un «trailer park». Nous avons aimé ça. Il y avait une roulotte à vendre et nous l'avons achetée. Ça fait vingt hivers que nous allons là et on planifie d'y aller tant que l'on sera capable. Ça fait deux hivers que Roger et Rita viennent; ils louent une roulotte. Robert et Claire en ont acheté une près de nous; ils pensent se retirer dans deux ans.
Maintenant, nous sommes tranquilles. On va à Mesa l'hiver et à notre cabine à Chitek, l'été. J'ai quatrevingt-huit ans et dix mois et Eva, quatre-vingt-deux ans et dix mois. Nous sommes nés la même date et le même mois. Nous avons eu cinq enfants, une est décédée et les autres sont tous bien mariés et toujours prêts à nous aider. Il y a aussi dix-neuf petits-enfants et vingt et un arrière-petits-enfants, tous en bonne santé et toujours de bonne humeur. Ils ont tous le rire facile. On remercie le bon Dieu de nous avoir donné une si bonne famille. (Ndlr: Gédéon Chalmfour est décédé le 16 septembre 1991 à l'âge de 89 ans. Eva Chalfour passe encore ses étés au chalet au lac Chitek. Nous tenons à la remercier ainsi que Robert et Claire Chalfour pour le prêt de leurs photos. Nous remercions aussi le Club d'âge d'or de Léoville qui nous a accordé la permission de reproduire ce texte.) |
|||||||||||||||||||||